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Classiques Garnier

Les passions des pauvres, instruments créatifs pour Giulio Cesare Croce (1550-1609)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteur : Alazard (Florence)
  • Résumé : Chanteur de rue dans la Bologne de la seconde moitié du XVIe siècle, Giulio Cesare Croce chante la vie quotidienne des petits métiers urbains, comme des paysans. Les pauvres – ceux qui ne parviennent pas à vivre de leur travail, comme ceux qui tombent dans la pauvreté par excès de vices – forment la première matière de son œuvre. Affectés de passions contraires, ils permettent à Croce d’éprouver de nouvelles formes d’expression.
  • Pages : 345 à 363
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0345
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Les passions des pauvres,
instruments créatifs
pour Giulio Cesare Croce (1550-1609)

Depuis quelques années (peut-être même depuis une, voire deux décennies), les chercheurs sattachent à montrer la face sombre de la Renaissance. Dans lombre des fêtes, des fastes, de lhumanisme et de la floraison artistique, les pauvres constituent un objet détude susceptible de renouveler notre compréhension dune période quil nest plus possible de regarder aujourdhui comme un tout homogène. En réalité, les travaux sur cette population sont déjà anciens : dès le début des années 1970, Bronislaw Geremek, Jean-Pierre Gutton, Michel Mollat ou Brian Pullan avaient contribué à faire des pauvres une catégorie historique à part entière1. Donc une catégorie affectée par lhistoire : il sagissait dabord dune histoire sociale et politique qui permettait dinterroger la notion de Grand Renfermement et de penser cette période des xve, xvie et xviie siècles dont on pensait quelle avait vu le regard sur les pauvres se modifier2.

Histoire du « gouvernement des pauvres », ensuite complétée par une histoire sociale de la pauvreté3, ou encore une histoire des représentations 346de la pauvreté4, elle sest trouvée très vite confrontée à deux questions épistémologiques qui ont construit sa légitimité et sa centralité dans le champ historique. Dune part, les historiens ont dû réfléchir aux sources nécessaires à la construction de cette histoire et ont interrogé le rapport des pauvres à la production de la documentation les concernant, si bien quon évite désormais de « confondre lhistoire des pauvres avec lhistoire des sources concernant les pauvres5 ». Dautre part, il a fallu préciser lobjet même de lhistoire des pauvres et la distinguer, par exemple, dune histoire des couches populaires : faire lhistoire des pauvres, entre xve et xviie siècle, est-ce faire lhistoire de 90 % de la société ? Ces interrogations ont favorisé lémergence de nouvelles approches qui, pour résoudre les possibles conflits entre la situation objective des individus et leur sentiment dappartenance à un groupe, examinent ce qui permet à certains de se reconnaître comme pauvres. Passions et émotions apparaissent alors comme les marqueurs de la pauvreté : si les élites – selon le schéma éliassien cependant contestable6 – sont occupées à limiter et à tempérer leurs passions, ces dernières, et leur expression supposée débridée, semblent désormais qualifier les pauvres. Aussi lexamen attentif des passions des pauvres est-il loccasion dinterroger non seulement la fabrique culturelle du pauvre, mais aussi, et plus largement, la société des xve-xviie siècles toute entière.

Depuis Aristote, la passion se définit comme « une qualité altérable, [] ce quon éprouve, ce quon subit, et qui produit dans le sujet une modification7 ». Pour les hommes de la Renaissance, la passion nest rien dautre que altération, émotion forte, mouvement vif, si bien que 347« émotions, affections, passions, quasi indifférenciées, restent affectées du signe négatif en tant que perturbations et dérèglements8 ». Grâce aux travaux pionniers de Barbara Rosenwein, on sait que lhistoire des émotions donne accès au monde social des époques médiévales et modernes9. Plus récemment, la place centrale de lItalie dans cette histoire des émotions a été explorée, en même temps quétait mis en évidence le rôle des passions dans la théorie et lexercice du pouvoir10. Mais cette histoire des émotions a longtemps négligé les pauvres – si on veut bien excepter leurs éruptions festives ou colériques, qui se traduisent par les carnavals et les révoltes11. Aussi cherchera-t-on ici non seulement à montrer la richesse et la diversité des passions des pauvres à la Renaissance, mais aussi à interroger leurs usages et à comprendre ce quelles révèlent des pratiques sociales dalors.

La péninsule italienne offre à ce titre un terrain dobservation privilégié. Comme ailleurs, la question de la pauvreté est au premier plan des réflexions morales, religieuses, politiques et sociales entre xve et xviie siècle12. Pour autant, les pauvres sont rarement, voire jamais, désignés comme tels : un rapide inventaire des titres imprimés au xvie siècle nous permet de récolter des termes comme vagabondi, sgombrini, furfanti, cingari, bagatilieri, ceratani, bravi qui tous désignent les activités sociales des pauvres et non leur statut dans la société, et qui tous font écho aux débats sur les « faux pauvres » et les ruses de ceux qui veulent profiter des formes nouvelles de lassistance organisées par les villes13. Les pauvres (poveri) nexistent 348pas, sauf dans la littérature administrative, celle des bandi, ordini, editti, celle qui organise la prise en charge de la pauvreté, voire celle qui réprime ces pauvres14. La taxinomie est alors convoquée, comme en témoigne la quantité de publications qui cherchent à définir, à sélectionner, à trier : il faut distinguer le vrai pauvre, celui dont le métier ne parvient plus à le nourrir suffisamment, du faux pauvre, lescroc qui profite de lassistance aux pauvres, par la supercherie15. Comme ailleurs aussi, lItalie connaît au xvie siècle – et surtout dans sa seconde moitié – une dégradation économique et sociale sans précédent, qui entraîne une explosion du nombre des pauvres16. Mais plus quailleurs peut-être, en Italie, la littérature sur les pauvres prend les atours dune littérature des pauvres. En effet, les nombreux textes qui ont pour objet la régulation sociale (bandi, etc.) ne semblent plus suffire à contenir la pauvreté et empêcher quelle ne gangrène toute la société. Aussi a-t-on recours à un procédé qui permet, en donnant fictivement la parole aux pauvres, de faire tenir un discours édifiant à ceux-là mêmes qui sont visés par ces propos. À cette occasion, les passions des pauvres – plus exactement : celles quon prête aux pauvres – sont particulièrement sollicitées : elles permettent dabord dincarner la pauvreté ; mais elles servent surtout à disqualifier les pauvres et à justifier une politique répressive qui ne dit pas toujours son nom.

Dans la péninsule italienne, Bologne occupe une place singulière : depuis le xiiie siècle considéré par les historiens comme lâge dor de la ville, cette dernière est réputée, malgré les crises qui ne manquent pas de 349laffecter entre Moyen Âge et Renaissance, pour sa richesse économique et sociale, et en particulier pour la vitalité de son artisanat qui explique labondance des métiers qui y sont représentés17. Mais Bologne néchappe pas au marasme économique qui frappe la péninsule à partir des années 1580. Quon la définisse, ou non, comme le prélude à ce que les historiens ont appelé – non sans en débattre – la « crise générale du xviie siècle18 », cette dépression fut à lorigine de profonds bouleversements sociaux à Bologne. Parce que la ville se trouvait au cœur dune campagne densément peuplée mais dont les productions se faisaient désormais rares, elle accueillit un exode rural qui vint gonfler les rangs des laissés pour compte qui, déjà, envahissaient les rues de la ville après que les principales industries de cette dernière furent elles aussi touchées par la crise. Un témoin privilégié a rendu compte de ce climat social : Giulio Cesare Croce (1550-1609), chanteur de rue (cantastorie ou cantimbanco19), auteur de plusieurs dizaines de plaquettes imprimées, a rapporté les déboires et les aspirations dune population – aussi bien urbaine que rurale20 – à lappartenance sociale indécise (menu peuple déclassé, ou faméliques sans avenir21). On connaît mal la situation sociale de Croce lui-même : 350il décrivait les conditions de vie des petites gens de sa ville natale, il les apostrophait, mais appartenait-il lui-même à ce groupe social, comme il le prétend dans plusieurs de ses opuscules22 ? Rien nest moins sûr, car Croce, comme tous les chanteurs de rue entre xve et xviie siècle, était un intermédiaire dont les pratiques sociales et culturelles échappaient à toute catégorisation23. Il est certain cependant que sa position est rarement celle de lobservateur extérieur, et plus souvent celle de lallié : se présentant comme pauvre parmi les pauvres, il construit ainsi sa légitimité, en même temps quil justifie le discours moral fréquemment à lœuvre dans ses productions. Des études nombreuses ont déjà montré comment Croce servait de caisse de résonnance à tout un monde de petites gens et comment ses textes pouvaient nourrir une histoire de la vie quotidienne à Bologne à la fin de la Renaissance24. Mais la littérature de Giulio Cesare Croce nest pas seulement le reflet des conditions de vie du petit peuple bolonais : elle est aussi un lieu dintervention dans lequel les pauvres expriment leurs passions, dans lequel ces dernières sexacerbent et délimitent finalement un espace autonome, un espace dexpérimentations sociales, politiques et littéraires.

Contadini, villani, poveri :
figures de pauvres chez Croce

Giulio Cesare Croce na pas peur des mots et ne craint pas dappeler un pauvre un pauvre. On rencontre le terme dans plusieurs des titres de ses opuscules soit sous la forme dun substantif au pluriel qui désigne 351la communauté des pauvres (Allegrezza de poveri sopra il crescimento del Pane, Lamento de Poveretti), soit sous la forme dun substantif singulier qui évoque lallégorie de la pauvreté (Grandezza della povertà, Lamento della povertà per lestremo freddo25). Lorsquils ne sont pas explicitement cités dans ses titres, les pauvres figurent en bonne place dans la plupart de ses textes. On découvre ainsi lexistence dune véritable confrérie qui rassemble tous ceux qui sont tombés dans la pauvreté : la Compagnia de Rappezzati, qui donne son titre à lun des opuscules de Croce, associe « tutti Falliti, i Frusti, i Strazzosi, & i Ruinati26 ». Construction littéraire, cette confrérie na vraisemblablement jamais existé, mais cest par la voix du cantimbanco quelle sincarne et quelle construit une entité collective, celle des pauvres rassemblés. Le refrain qui suit chaque quatrain et qui scande ainsi trente-six fois le texte permet de marteler le véritable sujet de lœuvre : « Siamo i pover ». Cest encore aux poverelli – et on observe limportance des suffixes diminutifs très fréquents chez Croce27 – que sadresse le Canto dalegrezza sopra lingrossamento del Pane, qui célèbre le retour dAbondance et la défaite de Famine28 : lécriture allégorique est au service des réalités sociales quelle expose tout autant quelle recouvre, et il faut sans doute voir dans cette publication la timide et très provisoire embellie économique et sociale qui touche les terres de Bologne dans les années 1600, entre le marasme des années 1580-1590 et les terribles décennies 1610-1630. Les pauvres de ces années-là – car le pauvre, chez Croce, est toujours historiquement situé, non pas dans une période de décennies incertaines, 352mais bien au cœur dannées précisément dénoncées comme celles « de lâpre et insupportable nécessité29 » – sont dabord confrontés à la première des calamités : la faim. Dans le Banchetto de Malcibati (Banquet des Malnourris), lAppétit ouvre le prologue, sadressant aux « Scrochi, Pitochi, Poveri, e Cercanti30 », et annonçant à ses auditeurs que lœuvre à suivre, puisquelle ne traitera que de faim et de pauvreté, nintéresse que les affligés et les mal-contents31. Dans une ville qui, depuis le xiiie siècle, est connue par le lieu commun de « Bologna la Grassa », et qui cultive lidée quelle assure une subsistance de qualité à tous, la faim est bien plus que la seule absence de nourriture : puisque « Grasso est synonyme de sécurité, de protection, et de bien-être32 », la famine devient alors le signe de léchec politique de la ville. Cette pauvreté conjoncturelle est plus quune anomalie : elle est lantinomie de tout ce quest Bologne, et elle met à mal léquilibre économique, social et politique dune ville qui était parvenue à construire le mythe quelle permettait aux pauvres de vivre dans une certaine dignité33.

Chez Croce, le pauvre est aussi celui qui a un métier, voire un statut social, mais qui ne parvient plus à en vivre et dont la pauvreté nest pas seulement matérielle, mais également morale. Ainsi, il peut dire du paysan que :

Povero, e tristo, e pien d acerbe voglie,

Per un quattrino venderia la Moglie.

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Dabord parce que :

Tutt i Villan son vili, e mal creati,

E devono aspramente esser trattati 34 .

On ne saurait réduire la description du paysan chez Croce à ce sombre tableau : dans la comédie qui met en scène le paysan Bertoldo, Croce présente au contraire « un paysan fruste et affreux, certes, mais futé, dégourdi et vif desprit35 ». Dune certaine manière, ce Bertoldo est peut-être moins proche du paysan bolonais que du bouffon (voire du cantimbanco lui-même), figure hybride du métissage de cultures différentes36. Mais Bertoldo nen demeure pas moins un vrai paysan et il alimente la figure paradoxale du villano chez Croce : il est pauvre par ses conditions de vie et ses manières, mais il est aussi lexpression dun génie populaire qui sait tirer partie de sa pauvreté, incarnant ainsi « le pouvoir des faibles37 ».

Les pauvres de Giulio Cesare Croce ne sont donc pas seulement les victimes de la crise. Le propos édifiant du cantimbanco sadresse aussi à ceux quil appelle les « ruinati », cest-à-dire tous ceux qui sont tombés, par faiblesse morale, dans la pauvreté : joueurs invétérés, consommateurs de prostituées, fêtards dépensiers, tous découvrent la pauvreté à la faveur de leurs défauts et de leurs passions mal réglées, non contenues38. Ces pauvres sont invités à embarquer sur un navire lui-même composé de matériaux et dobjets adaptés à son chargement :

Prima la poppa è fatta di tormenti,

La Prua di pianto, l Arbore di rabbia,

Il Bossol d ira, l Anchore di stenti 39 .

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La barque des ruinés est ainsi fabriquée de toutes les passions qui désormais affectent ceux que la Fortune a ruinés : les pauvres ne peuvent sen débarrasser, y compris lorsque, par exemple, ils débarquent sur lîle du regret. À mauvais pauvres, mauvaises passions : le discours moral de Croce vise dabord à rappeler que les comportements déviants, qui trouvent leurs sources dans des passions nocives, entretiennent ces dernières et obligent ceux qui ont contrevenu aux règles morales et sociales à supporter des passions qui deviennent autant de stigmates manifestant leur état.

Chez Croce, les pauvres connaissent des émotions et des passions qui ne se disent pas seulement par linterjection, signe du débordement des passions dont la littérature déplorative fait fréquemment usage dans lItalie de la Renaissance40. Dans son Lamento de mietitori, le cantimbanco livre une description idyllique du travail de la moisson, associé à un véritable âge dor de la vie paysanne : les émotions des pauvres se disent par les détails très concrets de leurs journées de travail. Il est alors question du labeur colossal que représente cette activité, mais dont les moissonneurs savent quil leur procurera une récompense41. Car la description de lordinaire des moissonneurs permet daccéder aux émotions que provoque lactivité qui organise leur vie toute entière : loin de déplorer une corvée sans répit, Croce met en scène une vie faite dalternance de plaisirs et de travaux, que les moissonneurs érigent en modèle42. La joie et la sérénité qui se dégagent de ces strophes ont pour fonction, cependant, damplifier le désespoir et laffliction provoqués par les pluies de lannée 1609, qui viennent ruiner ce bel ordinaire. Ainsi la quinzième strophe de lopuscule se présente comme un tournant dans le récit de Croce : alors quelle commence par rappeler comment les moissonneurs rentraient ordinairement chez eux « così lieti e contenti », elle sachève par le témoignage de la grande 355douleur qui touche désormais les travailleurs et leurs familles43. Quils soient travailleurs, mendiants, ou gens de mauvaises vies, les pauvres de Croce éprouvent une vie de passions contraires et cet antagonisme des passions permet au cantimbanco de tenir un discours édifiant sur les pauvres et à destination des pauvres.

Passions contraires

Le xvie siècle italien voit se développer une littérature de paradoxe dont le représentant le plus emblématique, Ortensio Lando, connaît un succès européen, et qui inaugure de nouvelles modalités dinterventions philosophiques et de constructions morales44. Croce lui-même pratique à loccasion une littérature de paradoxes, et surtout il joue, dans ses œuvres, avec des formules paradoxales, ou des couples antithétiques, opposant les bonnes passions du pauvre qui a faim aux mauvaises passions de celui qui triche, ou encore les passions heureuses (comme cette rare joie qui, parfois, touche celui qui échappe à sa dure condition par la danse, la musique ou tout autre divertissement) du petit peuple de Bologne – celui qui parvient à se maintenir à la limite du seuil de la pauvreté – à celles, malheureuses, de ce même peuple lorsquil sombre dans la misère et doit affronter la faim, le froid et leur cortège de désolations. Voilà qui le conduit à développer une esthétique du retournement et du renversement, qui nest pas sans lien avec le lieu commun du monde à lenvers, mais qui sen distingue toutefois par lusage systématique de lantithèse. Ainsi, dans La Compagnia, les pauvres rapportent quils ont pour emblème un ballon, parce que chacun pourra constater, disent-ils, quils sont à limage de cet objet45 : ballotés, soumis aux caprices de lair comme aux coups des hommes, ne décidant de rien, asservis même. Les pauvres sont alors décrits comme des êtres sans passion, mais 356qui subissent celles des autres, ceux qui sacharnent sur eux, « avec des coups cruels et excessifs46 ».

Croce ne prive cependant pas les pauvres de toute forme de passions, les décrivant comme « affliti e lassi47 », seuls, abandonnés de tous, et souffrant, se désespérant de leur état :

Perche adesso al mondo s usa,

Che color, che in povertade

Son caduti (ahi fiera etade)

Son da tutti discacciati.

Siamo i pover.

Anzi stan penando sempre,

Con tormenti, affanni, e guai 48 .

Le lieu commun de cette écriture – qui nest pas le propre du cantastorie bolonais, mais quon retrouve dans toute la littérature de déploration du xvie siècle – cest la présentation des passions contraires qui touchent les pauvres : il sagit dopposer un présent fait de malheurs et de désespoirs à un futur dont on espère quil sera construit sur la joie et la prospérité : en invitant lhiver, et son lot de désolations, à quitter la région et le printemps, avec ses promesses, à sinstaller, le Lamento della Povertà souligne aussi combien les pauvres sont soumis à un régime de passions qui les plonge dans une précarité autant morale que matérielle49. Mais cette versatilité, constitutive de la vie des pauvres, est aussi porteuse despoir puisquelle annonce la fin de leurs malheurs. La dernière strophe du Lamento della Povertà interpelle ainsi les pauvres (« Poverelli udite bene ») pour leur annoncer que puisque tout a une fin, cet hiver extrême, qui sest prolongé plus que de raison et qui a ruiné les plus fragiles, prendra lui aussi prochainement fin et « viendra un jour clair et pur50 ».

Dans le Canto dalegrezza, Famine (Carestia) quitte en pleurant les rues de Bologne, suivie par tous les maux qui accablaient la ville durant son règne, et avec eux,

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ogni pena, ogni dolore,

ogn affanno, ogni clamore,

ogni danno, & ogni stento

ogni noia, ogni tormento,

ogni doglia, ogni tristezza 51 .

Le texte est tout entier construit sur cette opposition entre les passions suscitées par Famine et celles quAbondance apporte désormais à la ville et qui saturent le refrain proféré dix-huit fois dans ce Canto :

Festa, giubilo, e alegrezza,

Gioia, Gaudio, e contentezza.

Le récit de la chasse des passions tristes par les passions heureuses ne suffit cependant pas à lœuvre crocienne, qui se veut aussi édifiante : les pauvres de Bologne nen ont pas fini avec Famine qui, toujours, menace de revenir52. Le Canto sachève donc par la seule passion qui convienne aux pauvres : celle quils doivent éprouver pour Dieu, vers lequel Giulio Cesare Croce incite les pauvres à se tourner afin quil les libère de leurs misères53. Ainsi faut-il craindre et honorer ce Dieu qui protège. Mais il y a plus : cest à une nouvelle morale de vie que Croce invite les pauvres à se plier. Il les enjoint en effet de ne plus jouer dans les rues, de ne plus se livrer aux plaisirs matériels et aux excès54. Si bien que la conclusion simpose :

Honorar i Superiori,

i Padroni, & i Maggiori,

& usar in ogni lato

la modestia, & esser grato

à ogni sorte di persone

che con simil attione

dal Ciel sempre hauren favore,

e la terra con amore

ci darà la sua grassezza 55 .

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Sans doute faut-il lire, dans cette célébration dune pauvreté vertueuse, le conservatisme supposé de Croce56 qui fait du respect de lordre social la condition sine qua non à lexpression des passions des pauvres : tant quils ne contrarient pas les fondements de la société dAncien Régime, les pauvres ont tout le loisir de sépancher, dans la mesure où la démonstration de leurs passions sert finalement dexutoire et de catharsis. Ainsi, la plainte des « poveretti mietitori » apprend dabord à ses auditeurs à supporter les mauvaises passions : laffliction, provoquée par la faim et le froid, ne doit pas faire oublier que lespoir subsiste. Il faut donc continuer à vivre heureux, à jouir des passions joyeuses (« Dunque fin che torna il Sole / Sonarem la Citterina »), à prier, et à attendre que Dieu accomplisse son œuvre et ramène, avec le beau temps, la prospérité.

Croce prend souvent son lecteur (qui est aussi un auditeur, faut-il le rappeler) à contre-pied. Ainsi, dans la Grandezza de la povertà, le cantimbanco se présente dès les premiers vers, comme un pauvre qui se satisfait dune misère qui le rend heureux, si bien quil nenvie ni le Turc et son trésor, ni celui qui possède lor le plus fin57. Lœuvre toute entière se présente comme une ode à une pauvreté heureuse quil convient de célébrer. Aussi le chanteur appelle-t-il tous les pauvres à le rejoindre et à communier dans lécoute de ses vers58. Croce propose alors à ses auditeurs une histoire de lhumanité depuis lâge dor où ne régnaient que la paix et le parfait amour jusquau moment où « le monde se trouva entièrement ruiné et gâté59 », et où pauvres et riches commencèrent à se distinguer. Croce déplore alors la vanité des richesses qui ne sont que « fumée, songe et ombre60 » et finit par une sentence qui se présente comme un véritable programme politique et social :

Onde quanto piu penso al fatto mio,

Ogn hor più mi contento del mio stato,

359

Et assai più allegro, e lieton son, che s io

Fussi di sangue illustre, al mondo nato 61 .

Fermement invité à se satisfaire de sa condition, le pauvre est également convié à observer la chance qui est la sienne. Certes, Pauvreté règne sur son ménage, où saffairent également Nécessité, Calamité, Famine et dautres compagnons tout aussi éloquents62. Mais le pauvre doit prendre conscience des avantages que lui apporte son statut : il na pas les craintes des riches, qui sinquiètent toujours dêtre volés et de perdre tout ce quils ont accumulé63. Débarrassé de toute angoisse64, le pauvre savère finalement – plus que le riche – destiné à vivre heureux et à profiter de son passage sur terre :

Dunque vivete lieti voi, che state

In cosi dolci, e delicate tempre,

E se pregate Dio, sol domandate,

Ch in povertade vi mantenghi sempre 65 .

Allégation sincère ou antiphrase ironique ? On manque déléments pour répondre, mais les indices du conservatisme de Croce nempêchent pas de soupçonner que le cantimbanco se plaisait aussi à moquer une situation sociale quil déplorait. Passions et émotions des pauvres servent donc, chez Croce, un discours dont la complexité du contenu na dégale que celle de la forme : lexpression des passions contraint le cantastorie à renouveler une écriture qui puisait jusqualors dans une tradition orale pluriséculaire66.

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Expérimenter

Les passions des pauvres se disent chez Croce à travers des formes singulières. Le lamento est sans doute la plus visible : il suffit de consulter lindex des œuvres de Croce67 pour en saisir le rôle dans lécriture de Croce. Apostrophes, exclamations et interjections manifestent bruyamment les passions de ceux qui peinent. Rosa Salzberg suggère que la position dintermédiaire des chanteurs de rue – y compris leur position physique : ils sont entre le palais et la rue, côtoient les élites et les plus pauvres – favorise lexpression forte des sentiments : le contraste des situations sociales auxquelles ils sont confrontés pousse les chanteurs de rue à développer les accords les plus pathétiques68. Le lamento, parce quil repose sur lexacerbation des passions, devient au xvie siècle le genre privilégié des chanteurs de rue italiens. Sinscrivant dans la tradition franco-provençale de lécriture déplorative, déjà renouvelée pendant les guerres dItalie, Croce fait ici œuvre de subversion. Si on a souligné précédemment son probable conservatisme politique et social, force est de remarquer quil bouleverse les pratiques littéraires de ses contemporains. Cest à lui en effet quon doit lévolution dun genre qui, affrontant dabord une matière sérieuse et tragique – cest le lamento qui est privilégié pour déplorer la chute de Constantinople et, par la suite, les calamités des guerres dItalie – a pris, dans la seconde moitié du xvie siècle, un tour parodique et ludique. Les lamenti de Croce exploitent cette dernière veine : le désespoir et laffliction des pauvres sont mobilisés pour servir une écriture dont les ambitions peuvent savérer bien éloignées de la « défense et illustration des pauvres ». En témoigne le Lamento di tutte le arti del mondo69 : le texte porte la plainte des artisans de Bologne qui, en raison dune conjoncture désastreuse, tombent dans la pauvreté. Mais très vite, le lecteur (et a fortiori lauditeur) comprend que lenjeu est tout autre. Le texte prend en effet une autre direction et se transforme en une véritable logorrhée qui a pour objet lénumération des petits métiers de la ville.

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Dolionsi anco i Stampatori

E librari. E Intagliatori.

Barilari. E Bocalari.

E Bottieri, Mastellari,

Marangone, e Segantini,

Condutieri, e nolezini 70 .

Cette strophe donne une idée de la douzaine dautres qui forment lensemble du lamento et qui construisent ainsi un texte original fait du ressassement à la fois de la douleur et des noms de professions urbaines. Lœuvre nest pas sans rappeler alors certains des grands textes de la fin du siècle qui ont pour objet, derrière la description du monde, lérection de normes sociales contraignantes, dans le contexte de la Contre-Réforme71. Mais il ne faut pas sous-estimer la jubilation verbale qui sexprime également ici et qui est la marque de fabrique de nombreux textes de Croce. Les passions des pauvres servent alors de prétexte à un exercice de style, proche de la logomanie, et qui consiste surtout à emplir lespace (lespace de la page imprimée du livre, mais aussi lespace sonore que le cantimbanco occupe par la profération de son texte) et à jouir des effets produits par ce débridement de mots. Dans ce même Lamento di tutte le arti, ce ne sont finalement plus seulement les professions qui se plaignent, mais les villes de la péninsule, ce qui permet à Croce de sengager dans une nouvelle profération qui se vide de tout sens, mais qui par la seule énumération des villes endolories par la dureté des temps, contribue à transmettre les passions par un effet de sidération qui affecte le lecteur-auditeur, accablé par la profusion verbale72. Pourrait-on aller jusquà soutenir que Croce contribue ainsi à la création dun champ littéraire autonome, fondé sur lexpérimentation sonore et les jeux verbaux, et affranchi de la nécessité de produire un discours articulé ? Une telle proposition serait sans doute excessive. Il nempêche : réduites à un inventaire de mots qui résonnent et frappent le lecteur-auditeur, les passions des pauvres sont autant dinstruments qui permettent ce travail du langage73.

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Ce serait oublier cependant que Croce, jamais, ne renonce à ce discours articulé. Lexpérimentation verbale a en effet un équivalent dans lordre de la pensée : les passions des pauvres soutiennent un projet – quon nosera pas qualifier de politique et/ou de social, mais qui emprunte à lun et à lautre domaine – de réappropriation de leur vie par les pauvres. Pour Croce, lexpression débridée de ces passions, surtout lorsquelles sont malheureuses, conduit à réveiller le sens du collectif chez une population dont lhétérogénéité (et il na de cesse de rappeler combien ces poveri sont issus de milieux sociaux divers) pourrait faire obstacle non seulement à une conscience collective, mais aussi à la mise en pratique concrète dun sentiment dappartenance. La Compagnia de Rappezzati élabore ainsi ce nouveau programme de vie, fondé sur la communauté, cette confrérie des pauvres dont il est précisément question, et qui permet à Croce de rappeler que si les pauvres sont dans un état de misère incommensurable, ils sont cependant libres et autonomes74. Le texte sachève dailleurs sur lexpression – qui prend valeur de manifeste – de la joie et du plaisir dune vie simple où chacun fait ce quil veut, et où les pauvres se rassemblent pour jouir de la vie :

Qui non s hà à durar fatica,

Ne à pensare à cosa alcuna ;

Basta sol, che ogn un s aduna 75 .

Quiui poi non s hà à far altro,

Che dormir quando s hà sonno ;

E passare il dì si ponno

Con piaceri honesti e grati 76 .

À lissue de la présentation de ce nouvel horizon, la condition des pauvres ne se trouve pas modifiée : pauvres ils sont, pauvres ils demeurent. Mais le conservatisme social et politique de Croce ne doit pas occulter son attention à la métamorphose des passions des pauvres. Car cest finalement sur elles quil suggère dagir. Le Canto dAlegrezza propose la même ambition : se retrouver entre parents et amis, jouir de la vie, entre pauvres, mais entre pauvres libérés de la faim et des passions tristes qui laccompagnent77.

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Étudiant les « passions parisiennes » à la Renaissance, Diane Roussel a contribué à modifier notre représentation de la capitale du royaume : si le xvie siècle sonne le glas de la « bonne ville » médiévale, loin de se transformer en « pousse-au-crime », Paris serait en fait peut-être devenu « le lieu dun système original dencadrement et de moralisation des comportements au début des Temps Modernes, une matrice de “civilisation des mœurs” bien avant le système curial sous Louis XIV décrit par Norbert Elias78 ». La ville de la Renaissance ne serait plus alors le lieu de toutes les criminalités et de lexacerbation des passions, mais au contraire un espace de pacification et dencadrement des passions. Bologne pourrait nous aider à compléter ce tableau. À sa manière, Giulio Cesare Croce participe à cette nouvelle économie urbaine des passions des pauvres. Chanteur de rue, il exprime, en même temps quil libère sans doute, ces passions : elles emplissent les rues et les places de la cité ; leur profération/prolifération sonore expose les émotions et sentiments qui affectent les pauvres. Toutefois, le cantimbanco contribue aussi à les policer en leur proposant une issue en tant que productions culturelles.

Tour à tour joyeuses ou tristes, ces passions des pauvres, sous la plume et dans la voix de Giulio Cesare Croce, servent finalement non seulement à décrire ces années si singulières de la fin du xvie siècle – années de crises et de famines – mais aussi à exposer une nouvelle façon de dire la pauvreté. Dans la ville par excellence des bandi79, dans la ville où ladministration gère et contrôle les pauvres, leur contestant toute passion, le cantimbanco nest ni une simple caisse de résonnance, ni un outil de contrôle social : façonnant les passions, il participe à leur construction, en même temps quil les érige en piliers de son art.

Florence Alazard

Université François-Rabelais

Centre détudes supérieures
de la Renaissance (UMR 7323), Tours

1 B. Geremek, La potence ou la pitié. LEurope et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, [1978], tr. fr., Paris, Gallimard, 1987 ; J.-P. Gutton, La société et les pauvres : lexemple de la généralité de Lyon (1534-1789), Paris, Les Belles Lettres, 1971 ; M. Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, Bruxelles, Complexe, 1978 ; B. Pullan, Rich and Poor in Renaissance Venice. The Social Institutions of a Catholic State, Londres, Basil Blackwell, 1971. Pour une mise en perspective historiographique : A. Kitts, « Mendicité, vagabondage et contrôle social du Moyen Âge au xixe siècle : état des recherches », Revue dHistoire de la Protection Sociale, 1, 2008, p. 37-56.

2 Si Michel Foucault associait le Grand Renfermement à la fondation, en 1656, de lHôpital général de Paris, il notait toutefois que « cétait là la dernière des grandes mesures qui avaient été prises depuis la Renaissance pour mettre un terme au chômage ou du moins à la mendicité » (M. Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à lâge classique, Paris, Plon, 1961, p. 63-64).

3 A. Gueslin, Dailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge, Paris, Fayard, 2013.

4 R. Chartier, « Les élites et les gueux. Quelques représentations (xvie-xviie siècle) », Revue dHistoire Moderne et Contemporaine, XXI, 1974, p. 376-388 ; R. Chartier, Figures de la gueuserie, Paris, Montalba, 1982 ; B. Geremek, Les fils de Caïn. Limage des pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne du xve au xviie siècle, tr. fr., Paris, Flammarion, 1991 ; Pauvres et pauvreté en Europe à lépoque moderne (xvie-xviiie siècle), éd. L. Torres et H. Rabaey, Paris, Garnier, 2016.

5 G. Ricci, « Naissance du pauvre honteux : entre lhistoire des idées et lhistoire sociale », Annales. ESC, 38/1, 1983, p. 171.

6 N. Elias, La civilisation des mœurs, [1939], tr. fr., Paris, Calmann-Lévy, 1973. On notera toutefois que la limitation des affects nest, pour le sociologue, quun aspect du procès de civilisation. Pour une critique du schéma éliassien : H. P. Duerr, Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation, tr. fr., Paris, Éditions de la Maison des sciences de lhomme, 1998. Pour une autre approche du débat : D. Linhardt, « Le procès fait au Procès de civilisation. À propos dune récente controverse allemande autour de la théorie du processus de civilisation de Norbert Elias », Politix, 14/55, 2001, p. 151-181.

7 G. Mathieu-Castellani, La rhétorique des passions, Paris, PUF, 2000, p. 49.

8 Mathieu-Castellani, La rhétorique des passions, p. 184. Lauteure ajoute toutefois que la joie fait exception, car elle est reconnue comme une passion bonne.

9 B. H. Rosenwein, « Worrying about Emotions in History », The American Historical Review, CVII/3, 2001, p. 821-845 ; « Histoire de lémotion : méthodes et approches », Cahiers de civilisation médiévale, 49/193, 2006, p. 33-48 ; D. Boquet et P. Nagy, « Une histoire des émotions incarnées », Médiévales, 61, 2011, p. 5-24.

10 Emotions, Passions and Power in Renaissance Italy, éd. F. Ricardelli et A. Zorzi, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2015, en particulier les articles de B. H. Rosenwein (« The Place of Renaissance Italy in the History of Emotions », p. 15-30) et de S. K. Cohn Jr (« Renaissance Emotions : Hate and Disease in European Perspective », p. 145-170).

11 Sur ces objets, la littérature est immense. On se limitera à : Y.-M. Bercé, Fête et révolte. Des mentalités populaires du xvie au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1976, et E. Le Roy Ladurie, Le Carnaval de Romans. De la Chandeleur au Mercredi des Cendres, 1579-1580, Paris, Gallimard, 1979.

12 Il libro dei Vagabondi, éd. P. Camporesi, Turin, Einaudi, 1973.

13 Cet inventaire a été réalisé à partir du catalogue web « edit16 » de lICCU (Istituto Centrale per il Catalogo Unico) qui recense les éditions italiennes du xvie siècle conservées dans les bibliothèques de la péninsule. Sur la chasse aux faux pauvres, on pourra se reporter aux recherches sur lespace français : J. Depauw, « Pauvres, pauvres mendiants, mendiants valides ou vagabonds ? Les hésitations de la législation royale », Revue dHistoire Moderne et Contemporaine, XXI, 1974, p. 401-418 ; B. Schnapper, « La répression du vagabondage et sa signification historique du xive au xviiie siècle », Revue dhistoire du droit français et étranger, 2, 1985, p. 143-157.

14 Par exemple : Ordini con i quali si sono dispensate le elemosine fatte à poveri di Verona da gli illustriss. signori rettori il sig. Pietro Gritti podestà, et il sig. Michele Foscharino capitanio ; descritti da m. Alessandro Canobbio acchioche possino servire in altre simili occasioni, Vérone, Girolamo Discepolo, 1589 ; Editto sopra la provisione de poveri mendicanti, Rome, Antonio Blado, [1563] ; Tassa delle chiese e beneficy di Roma per la soventione delli poveri alias Mendicanti, Rome, Antonio Blado, 1562.

15 Geremek, Les fils de Caïn, p. 61-62.

16 C. M. Cipolla, « The Economic Decline of Italy », Crisis and Change in the Venetian Economy in the 16th and 17th Centuries, éd. B. Pullan, Londres, Routledge, 1968, p. 127-145 ; M. Knapton, « City Wealth and State Wealth in Northeast Italy, 14th-17th Centuries », La ville, la bourgeoisie et la genèse de lÉtat moderne (xiie-xviiie siècles), éd. N. Bulst et J.-Ph. Genet, Paris, Éditions du CNRS, 1988, p. 183-210 ; J. C. Brown, « Prosperity or Hard Times in Renaissance Italy ? », Renaissance Quarterly, 42/4, 1989, p. 761-780.

17 L. Dal Pane, La vita economica a Bologna nel periodo communale, Bologne, Tinarelli, 1957 ; L. A. Kotelnikova, Mondo contadino e città in Italia dall XI al XIV secolo. Dalle fonti dellItalia centrale e settentrionale, Bologne, il Mulino, 1975 ; M. Giansante, « Letà comunale a Bologna. Strutture sociali, vita economica e temi urbanistico-demografici : orientamenti e problemi », Bulettino dellIstituto Storico Italiano per il Medio Evo e Archivio Muratorio, 92, 1985-1986, p. 103-222 ; R. Greci, « Bologna nel Duecento », Bologna nel Medioevo, éd. O. Capitani, Bologne, Bononia University Press, 2007, p. 499-580 ; Una città in piazza. Comunicazione e vita quotidiana a Bologna tra Cinque e Seicento, éd. P. Bellettini, R. Campioni et Z. Zanardi, Bologne, Editrice Compositori, 2000.

18 J. de Vries, Economy of Europe in an Age of Crisis 1600-1750, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 ; The General Crisis of the Seventeenth Century, éd. G. Parker et L. M. Smith, Londres, Routledge, 1978 ; Early Modern Capitalism. Economic and Social Change in Europe 1400-1800, éd. M. Park, Londres, Routledge, 2001.

19 L. DeglInnocenti et M. Rospocher, « Street Singers : An Interdisciplinary Perspective », Italian Studies, 71/2, 2016, p. 149-153.

20 Sur la pauvreté rurale et la pauvreté urbaine : Geremek, La potence et la pitié, p. 71-96.

21 On trouvera, sur le précieux site web de la Bibliothèque Universitaire de Bologne, les textes manuscrits et imprimés de Croce, sous une forme numérisée. Pour une première approche de la vie et de lœuvre de Croce : O. Guerrini, La vita e le opere di Giulio Cesare Croce, Bologne, N. Zanichelli, 1879 ; La festa del mondo rovesciato : Giulio Cesare Croce e il carnavalesco, éd. E. Casali et B. Capaci, Bologne, Il Mulino, 2002 ; M. Rouch, Storie di vita popolare nelle canzoni di piazza di G. C. Croce. Fame, fatica e mascherate nel500, Bologne, CLUEB, 1982 ; P. Camporesi, Il palazzo e il cantimbanco : Giulio Cesare Croce, Milan, Garzanti, 1994 ; Le stagioni di un cantimbanco. Vita quotidiana a Bologna nelle opere di Giulio Cesare Croce, éd. Z. Zanardi, Bologne, Editrice Compositori, 2009 ; Giulio Cesare Croce. Opere dialettali e italiane, éd. V. Fava et I. Chia, Rome, Carocci, 2009.

22 G. C. Croce, Grandezza della povertà. Opera morale, Bologne, Bartolomeo Cochi, 1620 : « Notate prego quel chio vi ragiono, / Che tal quai sete voi mi trovo anchio, / Povero, e nudo. »

23 M. Rouch, « Diffusion orale, feuilles volantes, écrits populaires au xvie siècle : le cas de Giulio Cesare Croce à Bologne », Autres Italies. La culture intermédiaire en Italie : les auteurs et leur public, Talence, Maison des Sciences de lHomme dAquitaine, 1994, p. 31-53.

24 F. Croce, « Giulio Cesare Croce e la realtà popolare », Rassegna della letteratura italiana, LXXIII, 1969, p. 181-205 ; M. Rouch, Les communautés rurales de la campagne bolonaise et limage du paysan dans lœuvre de Giulio Cesare Croce (1550-1609), Lille, Atelier National de Reproduction des Thèses, 1984.

25 G. Accolti, Allegrezza de poveri sopra il crescimento del Pane. Ottave, Bologne, Vittorio Benacci, 1597 ; G. C. Croce, Lamento de Poveretti i quali stanno a casa a pigione, e la convengono pagare, Bologne, Bartolomeo Cochi, 1614 ; G. C. Croce, Grandezza della povertà ; G. C. Croce, Lamento della povertà per lestremo freddo del presente Anno MDLXXXVII, Bologne, Fausto Bonardo, 1587.

26 G. C. Croce, La Compagnia de Rappezzati Eretta nuovamente. Nella quale sinvitano à entrarvi tutti Falliti, i Frusti, i Strazzosi, & i Ruinati affatto. Del Croce, Bologne, Bartolomeo Cochi, 1611.

27 On rencontre en effet, dans les textes de Croce, plus souvent des « poveretti » ou « poverelli » que des « poveri ».

28 G. C. Croce, Canto dalegrezza sopra lingrossamento del Pane in Bologna, il giorno della Santissima Assontione della Madonna, il dì 15 dAgosto, Bologne, Gio. Batt. Bellagamba, 1601. Le procédé était déjà utilisé dans : G. C. Croce, Il solennissimo trionfo dellAbbondanza per la sua fertilissima entrata nella Città di Bologna, il dì primo dAgosto 1597. Con lamaro Pianto, che fà la Carestia, nella dolorosa sua partita, in Dialogo, Bologne, Gio. Battista Bellagamba, 1597.

29 G. C. Croce, Banchetto de Malcibati. Comedia dell Academico Frusto. Recitata dagli affamati nella Città Calamitosa. Alli 15. Del Mese dellEstrema Miseria, lAnnon dellaspra, & insoportabile necessità, Ferrare, Vittorio Baldini, 1609 : « dellaspra, & insoportabile necessità ». Sur cette comédie, voir : K. Cremonini, « G. C. Croce : un danzatore di linguaggi », La festa del mondo rovesciato, p. 139-156. Pour A. Battistini, cependant, « la topica sulla povertà, ancor più che dallesperienza diretta, trae ispirazione, per un cantastorie quale Croce, da un apparato di temi popolari sedimenti e familiari », « Spunti intertestuali in Giulio Cesare Croce », La festa del mondo rovesciato, p. 51-67, ici p. 57.

30 Croce, Banchetto de Malcibati, p. 3.

31 Croce, Banchetto de Malcibati, p. 4 : « Trattando sol di famé, e di disagio / Efatta per gli afflitti, & mal contenti. »

32 Montanari, « La Città Grassa », Una città in piazza, p. 110.

33 M. Montanari, Bologna Grassa. La costruzione di un mito, Bologne, CLUEB, 2004. On soulignera toutefois que Piero Camporesi analysait au contraire la façon dont les élites de certaines villes organisaient la famine et la malnutrition (en particulier à laide du fameux « pain de fève ») pour maintenir leur domination (P. Camporesi, Pain sauvage, limaginaire de la faim. De la Renaissance au xviiie siècle, tr. fr., Paris, Le Chemin Vert, 1981, p. 150-153).

34 G. C. Croce, Alfabetto del villano, Bologne, Ferdinando Pifatti, [sd], p. 2.

35 G. C. Croce, Astuzie sottilissime di Bertoldo dove si scorge un Villano accorto e sagace, il quale dopo varij e strani accidenti alla fine per il suo raro, ed acuto ingegno, vien fatto Uomo di Corte, e Reggio Consiliere. Con laggiunta del suo Testamento, ed altri detti sentenziosi, Bologne, Stamperia della Colomba, [sd], p. 2 : « un villano brutto, e mostruoso sì, ma accorto, astuto, e di sottilissimo ingegno ».

36 P. Camporesi, La maschera di Bertoldo. Le metamorfosi del villano mostruoso e sapiente. Aspetti e forme del Carnevale ai tempi di Giulio Cesare Croce, Milan, Garzanti, 1993, p. 77-89.

37 Camporesi, La maschera di Bertoldo, p. 77 : « Il potere dei deboli. »

38 On trouvera la liste de ces « nouveaux pauvres » dans : G. C. Croce, La Barca de Ruinati, che parte per Trabisonda, dove sinvitano tutti i falliti, consumati, & mal andati, et tutti quelli, che non possono comparire al mondo per i debiti,Bologne, Vittorio Benacci, 1592.

39 Croce, La Barca, p. 4.

40 F. Alazard, Le lamento dans lItalie de la Renaissance. « Pleure, belle Italie, jardin du monde », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, en particulier p. 76-82.

41 G. C. Croce, Lamento de mietitori, li quali non potevano mieter il grano, per la longa pioggia, che è caduta il presente Anno, Bologne, Bartolomeo Cocchi, 1609 : « Questi altranni, o che allegrezza / Ci ne givam lavorando / Per i campi con dolcezza / Nostra forza dimostrando, / Col bottazzo rinfrescando / Le budella, mentre il Sole / Dispensava come suole / Sopra noi i gran calori. »

42 Croce, Lamento de mietitori : « E così finà la sera / Ci ne stavam lietamente / Lavorando volontiera / E bevendo allegramente, / Poi cantando dolcemente / Ce nandavano à posare / La mattina à lavorare / Al spontare de i nuovi Albori. »

43 Croce, Lamento de mietitori : « E gran doglia in noi sinvasa / Che le moglie & i figliuoli / Per la fame havran gran duoli, / E sudran gran cridi fuori. »

44 P. Grimaldi Pizzorno, The Ways of Paradox from Lando to Donne, Florence, Leo S. Olschki, 2007 ; M. C. Figorilli, Meglio ignorante che dotto. Lelogio paradossale in prosa del Cinquecento, Naples, Liguori, 2008.

45 Croce, La Compagnia, p. 2. : « Perche à scorger ciascun vegna, / Chal Pallon siamo agguagliati. »

46 Croce, La Compagnia, p. 2. : « Con colpi aspri, e smisurati. »

47 Croce, Lamento della povertà, p. 4.

48 Croce, La Compagnia, p. 4.

49 Croce, La Compagnia, p. 4 : « E tu freddo aspro e crudele, / Che ci affliggi oltre misura, / Leva ormai, leva le vele, / Va cercar altra pastura ; / E tu vien con tua verdura / A dipinger la rivera, / Cara e dolce primavera, / Che di fiori hai pieno il cesto », Lamento della povertà.

50 Croce, La Compagnia, p. 4 : « Verrà un giorno chiaro e puro. »

51 Croce, Canto dalegrezza, p. 2.

52 Croce, Canto dalegrezza, p. 6 : « E però voglio pregare / ciaschedun che voglia usare / gentilezza, e cortesia / che se ben la Carestia / è partita, non per questo / sian sicuri, cha noi presto / non ritorni a visitarci, / e di nuovo a castigarci. »

53 Croce, Canto dalegrezza, p. 6 : « E pregar sopra ogni cosa / il Signor che con pietosa / man ci voglia liberare. »

54 Croce, Canto dalegrezza, p. 7 : « Ne far giochi per le strade, / ne bagordi, ne pazzie. »

55 Croce, Canto dalegrezza, p. 7.

56 Camporesi, Il palazzo, p. 30 ; Rouch, « Diffusion orale », p. 47.

57 Croce, Grandezza della povertà, p. 1 : « Poi che vuol la benigna mia fortuna, / Chio sia per poverta lieto, e felice, / Ringratio quel, che fece Sol, e Luna / LAer, la Terra, il Mar, e ogni pendice ; / E tanta, e tali letitia in me saduna, / Chio ne gioisco, e godo, e dir mi lice, / Chio non invidio il Turco pel tesoro, / Ne chi hà la vena del purissimoro. »

58 Croce, Grandezza della povertà, p. 1 : « Venite poverelli al cantar mio, / Et ascoltate di mie rime il suono. »

59 Croce, Grandezza della povertà, p. 3 : « Fù il mondo tutto rovinato, e guasto. »

60 Croce, Grandezza della povertà, p. 4 : « fumo, sogno et ombra ».

61 Croce, Grandezza della povertà, p. 4.

62 Pour nen citer que quelques-uns dans la litanie développée par Croce : « La Solitudinè la mia Nutrice, / La Volontade, è Secretaria mia, / La Speranza stà meco, nè mi lice, / La Patienza, è mia Governatrice… » (G. C. Croce, Grandezza della povertà).

63 Croce, Grandezza della povertà, p. 9 : « Va per viaggio il povero felice / Senza temer nè ladro, nè assassino, / Cantando sempre. »

64 Croce fait une liste bien longue des angoisses qui accablent les riches : ils ont peur au moment de mourir car ils craignent que leurs proches se déchirent pour leur héritage, ils sont épuisés par les réceptions quils donnent et les grands personnages quils doivent héberger, ils doivent se battre contre leurs tailleurs lorsque ces derniers échouent à réaliser un bel habit, etc.

65 Croce, Grandezza della povertà, p. 13.

66 P. Zumthor, Introduction à la poésie orale, Paris, Le Seuil, 1983.

67 Sur le site de la Bibliothèque Universitaire de Bologne, déjà évoqué plus haut.

68 R. Salzberg, « “Poverty Makes Me Invisible” : Street Singers and Hard Times in Italian Renaissance Cities », Italian Studies, 71/2, 2016, p. 212-224.

69 G. C. Croce, Il lamento di tutte le arti del mondo, e di tutte le Citta e Terre dItalia per le poche facende che si fanno alla giornata. Di Giulio Cesare Croce, Bologne, Ere. Del Cochi, [sd].

70 Croce, Il lamento di tutte le arti del mondo, p. 2.

71 Tomaso Garzoni, La piazza universale di tutte le professioni del mondo, éd. G. B. Bronzini, Florence, Leo S. Olschki, 1996.

72 Voir, par exemple, mais ce nest quune strophe, parmi une dizaine dautres, Croce, Lamento di tutte le arti, p. 8 « Son soggetti a simil guerra / Norsia, Narni Alba e Nochera / Luca Pisa, con Sarvaza / Castro caro, e Modigliana / Vi e ravena similmente / Macerata. Acqua pendente. »

73 On ne peut dailleurs se retenir de regarder les productions de Croce à la lumière des analyses développées par Paul Zumthor lorsquil réhabilita les Grands Rhétoriqueurs (P. Zumthor, Le masque et la lumière. La poétique des Grands Rhétoriqueurs, Paris, Seuil, 1978).

74 Croce, La Compagnia, p. 4 : « E però liberi, e sciolti / Ce nandiam, come si vede, / De la testa fino al piede / Quasi nudi, e dispogliati. »

75 Croce, La Compagnia, p. 5.

76 Croce, La Compagnia, p. 6.

77 Croce, Canto dAlegrezza, p. 3 : « I Fratelli, & i Cugini / I parenti, & i vicini, / potran gire a ritrovarsi / lun da laltro a recrearsi. »

78 D. Roussel, Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Seyssel, Champ Vallon, 2015, p. 9.

79 On trouvera sur le site web de la Bibliothèque de lArchiginnasio la numérisation du fonds « Bandi Merlani » qui témoigne de limportante activité imprimée du gouvernement urbain à la fin du xvie et au début du xviie siècle.