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Classiques Garnier

Le Labirynth de fortune de Jean Bouchet, imitation du Livre de l’Espérance d’Alain Chartier ?

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteur : Chiron (Pascale)
  • Résumé : Jean Bouchet est un grand lecteur et admirateur d’Alain Chartier, comme le sont beaucoup d’auteurs de sa génération. Si l’influence du Livre de l’Espérance est parfois très précise dans Les Regnars traversans, on s’attendrait à ce qu’elle le soit aussi dans un texte qui met en scène les trois vertus théologales : Le Labirynth de fortune et Sejour des trois nobles dames. Or, si les points de convergence ne manquent pas, la question de l’imitation se pose d’une autre manière pour ce texte.
  • Pages : 253 à 271
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0253
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Le Labirynth de fortune
de Jean Bouchet,
imitation du Livre de lEspérance dAlain Chartier ?

Alain Chartier est lu à laube de la Renaissance, en témoignent les éditions dont il fait lobjet avant 1530 : les Fais maistre Alain Chartier sont publiés à Paris chez Pierre le Caron en 1489, à nouveau chez le même éditeur sans doute en 1494, édition qui a servi de modèle pour celle dAntoine Vérard. On compte ensuite plusieurs éditions parues chez Michel Le Noir des faitz de maistre alain Chartier contenant en soy douze livres… qui traictent de plusieurs choses touchant les guerres faictes par les Angloys, lune en 1514, lautre en 1520. Lédition Trepperel des faitz de maistre alain Chartier date, elle, de 1515. Celle de Galliot du Pré de 1526 : les faictz et dictz de feu de bonne mémoire Maistre Alain Chartier en son vivant Secretaire du feu roy Charles septiesme du nom. Nouvellement imprimé, reveu et corrigé1

Jean Bouchet, le « dernier des grands rhétoriqueurs2 », sinscrit parmi ces lecteurs et admirateurs de Chartier3 qui voient en lui le maître de léloquence. Il rapporte cette anecdote dans une de ses Épîtres familières :

[] lespouse au Roy Loys unziesme

Fille dEscosse, eut telle extime et esme

De Charretier, quen dormant elle touche

254

Dung doulx baiser son eloquente bouche,

Pour les bons motz qui [en] estoient yssuz4.

Alain Chartier fait partie des poètes dont il dit avoir rencontré lombre dans le séjour des Muses des Triomphes du roy aux côtés de Saint-Gelais, Meschinot et Marot :

[] tous Poetes de pris,

Et daultres maints Poetes bien appris,

Et Orateurs de la langue Françoise,

Fluide, briefve, et entre aultres courtoise,

Daulcuns desquelz jay la phrase suyvy

A mon povoir, quand leurs œuvres je vy5.

Limitation va de pair avec ladmiration. En particulier, dans Le Labirynth de Fortune et Sejour des trois nobles dames, que Jean Bouchet publie en 15226, les échos au Livre de lEsperance de Chartier semblent nombreux. Ils sont les traces dune filiation fondée sur la reconnaissance du talent de Chartier, mais ces échos ne sont pas des imitations strictes et les effets de citation sont en fait très limités : preuve aussi dune certaine forme de liberté de Jean Bouchet qui affirme sa singularité comme celle de son prédécesseur.

Pour commencer, les deux textes appartiennent bien au même genre, celui du doctrinal, du traité moral développant, à lappui de lédification, une fiction allégorique. Celle de Jean Bouchet prend prétexte de la mort, en 1519, dArtus Gouffier, grand maître de lHôtel du roi, pour développer une réflexion sur les revers de Fortune. Lauteur dit « lacteur » dans son texte découvre en songe un labyrinthe où plusieurs troupes de gens habillés de différentes couleurs se pressent. L« acteur », conduit par lallégorie Suggestion puis par Humaine Discipline, pénètre dans ce labyrinthe où il peut observer celle qui apparaît dans son tabernacle comme une déesse : 255Fortune, ainsi que ses deux acolytes Heur et Malheur qui se lancent dans un long dialogue concernant leur rôle respectif dans lHistoire de lhumanité. À la fin de ce dialogue, Humaine Discipline explique que :

Ce labyrinth et tresplaisant sejour

Ce nest riens fors lestat de cestuy monde,

Où les humains desirent chascun jour

Avoir des biens, ne leur chault par quel tour7.

Les différentes couleurs représentent les différents moyens daccéder aux biens. Et à propos de Fortune, Humaine Discipline ajoute :

Je tay ja dict que la dame y estant

Est grant deesse et se nomme fortune

Et que chescun est bien ou mal contant

Par ses enfans que parler as ouy tant

Eur, et maleur, qui donnent la pecune

Ce que par eur donne à ung ou à une

Par maleur oste, et par eur en fait don

Sans regarder à merite ou guerdon8.

Et elle se lance dans le portrait type dune fortune « sourde », « sans yeulx », au visage sombre dun côté, clair de lautre, indifférente aux mérites des hommes pour répartir ses biens.

Mais Humaine Discipline reprend la figure traditionnelle de Fortune sans remettre en question lexistence littérale de celle quelle appelle déesse, et qui était effectivement considérée comme telle dans lAntiquité. Sa glose semble incomplète ; cest alors que le personnage de lacteur-auteur va réagir contre cette utilisation littérale du mythe : il ne veut pas croire à la toute-puissance de Fortune quil ne peut considérer comme une déesse. Il se voit alors conforté dans cette idée par une autre allégorie, Véritable Doctrine. Il se réveille et voit à côté de lui cette allégorie ; tous deux se rendent dans le cabinet de travail, où Véritable Doctrine enseigne à lauteur que dame Fortune nexiste pas, que ce labyrinthe nest quune image, que seul Dieu est tout-puissant, que Fortune nest pas une déesse mais une figure qui représente le sentiment qua lhomme de larbitraire des choses qui lui arrivent dans sa vie. Ainsi sans rejeter limage du labyrinthe ni de Fortune, lauteur rend à celle-ci sa valeur allégorique :

256

Et de tenir fortune estre deesse

Cest ung erreur procedant de simplesse

Car impossible est veoir en deité

Telle laidure et grant difformité

Ne quon appelle une deesse folle

Luy reprochant que chascun elle affolle

Mais croy pour vray voyre par grans moiens

Que tel erreur procede des payens,

Lesquelz alors que par quelque aventure

Leur survenoit du proffict ou jacture

Du bien, ou mal, ilz croient fermement

Que de fortune estoit levenement

Bon et maulvaiz, et par folle creance

Pensoient ce bien ou mal avoir naissance

De la fortune et par ces moiens cy

Ilz lappelloient pour deesse à mercy9.

Jean Bouchet a à cœur de signifier ainsi les dangers des figures poétiques et en particulier mythologiques dans une période de « crise herméneutique10 ».

La seconde partie du texte se déroule dans un autre séjour allégorique qui est celui de Foi, Espérance et Charité. Remis entre les mains de Vertu, et aidé de « Congnoissance de soy », « lacteur » parvient au sommet du rocher malgré un caillou de regret amoureux. Cest dans ce clos des trois nobles dames quil va recevoir un enseignement. Foy prend la parole et rappelle le dogme catholique : la croyance en la Trinité, en lincarnation, au saint Esprit, à la résurrection. Elle met en garde contre les tentations diaboliques et rappelle les vertus de la prière à Dieu, à la Vierge, aux saints. Foy déplore la corruption et les abus des ministres de lÉglise. Elle donne des exemples bibliques dhommes qui ont eu la foi et exhorte à lamour du prochain. Puis lacteur se tourne vers Dame Espérance. Celle-ci distingue lespérance du vrai bien de lespoir vain des biens terrestres. Elle condamne lhypocrisie dans un discours de satire générale et propose, dans la voie de limitation du Christ, de contempler la vie du Christ pour mieux supporter les maux terrestres. 257Elle met en garde contre le désespoir, rappelle la miséricorde de Dieu à condition dune repentance sincère. Enfin, « lacteur » se tourne vers Charité, qui explicite ce quelle signifie : aimer Dieu et son prochain, ses ennemis aussi, ne rien faire quon ne voudrait quon nous fasse, respecter les dimanches et fêtes religieuses ; elle met en garde contre les blasphèmes, les parjures, le mensonge, la luxure, etc.

À la fin, lacteur conclut en distinguant deux bandes parmi les hommes, celle des actifs qui iront au labyrinthe du monde aidés des vertus cardinales et celle des contemplatifs qui resteront à lécart du monde dans le séjour des trois nobles dames. Cest avec les premiers que lacteur trouve sa voie.

Daprès ce résumé un peu long mais nécessaire si lon veut comparer LEsperance avec Le Labirynth, il apparaît que des points de convergence entre les deux œuvres morales émergent : points de convergence du côté doctrinal (en terme rhétorique : convergence de linvention), points de convergence structurels (autrement dit convergence de la disposition), points de convergence poétiques.

Convergence doctrinale tout dabord : partant dune réflexion sur la figure de Fortune, LeLabirynth aboutit à la question de la coexistence paradoxale du libre-arbitre de lhomme et de la prédestination. Les vers 3684 et suivants font écho en cela à ceux dAlain Chartier qui rappelle, dans Le Livre de lEspérance,que : « Plusieurs docteurs ont subtillié leurs engins et ont voulu acorder la predestination de Dieu avec le franc arbitre de lomme11. » La question corollaire, présente chez Bouchet comme Chartier, est celle de la justice divine. Comment comprendre le malheur des bons ?

Cest bien parlé mais si vous plaist madame

Declairez moy, pourquoy en corps et ame

Dieu donne aux bons aucunesfoys du bien,

Aulcunesfoyz des maulx, et pour ung rien,

Et que souvent hommes maulvais prosperent

A lautre foyz par maulx se desesperent

Quilz ont en eulx, pourquoy Dieu fait regner

Tant de pecheurs ? []12

258

Bouchet a ici comme source le texte de La Consolation de la Philosophie de Boèce, et reprend les objections que formule le narrateur à Philosophie dans la cinquième prose du livre IV, à partir desquelles celle-ci va définir la Providence. À moins que Bouchet ne lise Boèce à travers Chartier, lui-même réécrivant Boèce, dans la Prose VIII du Livre de lEspérance :

Maiz encore ay je ung scrupulle sur la divine justice, de tant quelle pugnit lez justes avecquez lez pecheurs, et les innocens met ou compte dez pervers. [] Ou est donc la divine justice, ou a quel temps est elle reservee13.

La réponse de Foy, chez Chartier, empruntée là encore à Boèce, repose sur la distinction des biens terrestres et des biens célestes :

Se nostre beneureté estoit es biens de ce monde, et nostre arrest si fichoit sans aultre vie attendre, ou plus hault bien esperer, grant apparence auroit en ton argument ; maiz la droicturiere et finale pugnition dez dampnez, et le louier des bieneureux, nest pas acquerir lez biens et lez honneurs transitoires de cestui monde14.

Elle rejoint là aussi ce que lon va trouver chez Bouchet : « Aussi fault il presupposer sans doubte / Que tous les biens sont de deux qualitez15 », nous dit Bouchet, dans lexacte continuité de cet argument de Chartier. Autre argument commun aux deux auteurs, lincapacité de lhomme à sonder les cœurs pour établir le juste et linjuste : « Cuides tu congnoistre le juste davecquez le pecheur, et estre certain du secret dez pensees dont Dieu a reservé a soy la congnoissance16 ? » dit Chartier, repris en écho par Bouchet :

Aultre raison il y a peremptoire

De vostre doubte aux hommes nappartient

Mais à Dieu seul auquel est tout notoire

Veoir le secret dung aultre, et que contient

Son petit cueur, par ce souvent advient

Que ceulx quon croit estre pervers, sont bons,

Et les pervers on les juge preudhoms,

Parquoy disons par erreur que Dieu donne

Biens es maulvais, et ne faict de telz dons

Es bien vivans, la raison nen est bonne17.

259

Plus loin, les deux auteurs distinguent deux types despérance, espérance mondaine et espérance céleste. Chez Bouchet, cest la vertu Espérance qui prend la parole : « Nous sommes deux qui au monde portons / Publiquement le beau nom desperance18 ». Lespoir mondain est fustigé par Bouchet, dans la lignée de Chartier qui opérait déjà une longue distinction entre lespérance chrétienne et les « esperances faintes » ou « contrefaites esperances19 » par la bouche même dEspérance là aussi.

Ainsi faut-il apprendre à faire des distinctions et avant de vouloir connaître Dieu et ses mystères, Bouchet, dans la lignée de Chartier, invite à se connaître soi-même. Les deux auteurs accordent une égale importance à ce précepte socratique revisité par lhumilité chrétienne.

Mieulx te vault convertir ta subtillité decepvable a congnoistre toy mesmez, que travailler en vain a espuicier la mer et mesurer lez cieulx, et estriver a cil qui nombre lez estelles20.

Chez Bouchet, « Congnoissance de soy » est une allégorie qui permet de mettre lauteur sur la voie des vertus. Elle commence ainsi son discours :

O Gens recreuz plains de folle plaisance

Gens aveuglez, et plains de desraison

260

De quoy vous sert de astres la congnoissance

De terre et mer, quant voustre estre et naissance

Vous ignorez []21.

Ainsi se connaître soi-même, cest dabord se savoir mortel et loin de la perfection divine.

Humbles soyez, car sur tout hayt orgueil,

Il vous bailla de humilités lexemple

Et ne levez jamais contre luy loeuil

En murmurant, ayez pacience ample,

Et pour lamour de luy aymez son temple,

Aussi vostre ame, et pour elle le corps

Non aultrement, et fuyez tous discors22.

On peut entendre ce discours dEspérance comme un écho de celui de Foy dans Le Livre de lEspérance dAlain Chartier : « humilité des prescheurs a surmonté la majesté des roys », « les humblez ont effacié lez orgueilleux23 ». Mais aussi comme une reprise du thème même du Magnificat et notamment de ce passage : Dispersit superbos mente cordis sui / Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles.

Finalement, que nous prouvent ces quelques points de comparaison doctrinaux, qui ne sont dailleurs pas exhaustifs24 ? Deux hypothèses peuvent être soutenues, non exclusives lune de lautre : que Jean Bouchet a puisé aux mêmes sources doctrinales que Chartier, les manchettes du texte du Labirynth ne citant jamais Alain Chartier lui-même, ou bien que Bouchet a pris modèle sur Le Livre de lEspérance sans le dire explicitement, pour létayer des auctoritates citées en marge : cest plutôt cette deuxième hypothèse que nous retiendrons, Adrian Armstrong ayant montré dans son édition du Jugement poetic dhonneur femenin combien les rhétoriqueurs comme Bouchet se plaisent à ne pas toujours citer leurs sources25.

261

Pour être sûr dune influence directe du Livre de lEspérance sur Le Labirynth, il nous faudrait pouvoir repérer des effets de citation précis. Or il semble que ces effets soient très restreints. Si les vers de Bouchet : « Et à la foy Abraham ne estriva / Quant il soubmist la pitié de nature26 » font nettement écho aux mots de Chartier : « fut se vertueux en creance que il soubzmist la pitié de nature en lobeissance de la foy27 », nous navons pas le même effet de citation du Livre de lEspérance que celui que nous trouvions dans les Regnars traversant du même Bouchet, et qua si bien relevé Jennifer Britnell. À propos des revenus de lÉglise, Bouchet écrivait dans les Regnars traversant :

Vous desrobez, ou maliceusement retenez, les censives, oblations et offertes ecclesiaulx, qui est le vray patrimoine du crucifix, quil acquist de son precieux sang en larbre de la croix. Pensez vous quil vous en laisse impunys, et ceulx qui le tollerent et permettent ? Cuydez vous que lorreur de vostre peché et la grandeur de vostre offense damnable, qui forclot toute grace de bien faire, ne cause pas vengeance trescruelle sur vous ? Regardez la prophetie de Daniel, qui designe la venue de lantecrist et le temps de persecucion pour labhominacion du temple et detraction du quotidien sacrifice. Et si vous voulez fonder excuse sur la multitude des grans biens que possede leglise, pourtant vous, qui ne les avez donnez, ne les devez ne pouez oster28.

Sinspirant directement du Livre de lEspérance de Chartier :

Et lors Costentin, meu au bien et relevement de lEglise, lui donna les possessions terriennez quelle tient, qui depuis sest augmentee dez dismez et oblations courans avecquez les sensives et offertes ecclesiaulx, qui est le droit patrimoine du crucefix, quil acquist de son precieux sang par sa tresdouloureuse passion29.

Car loffence est si damnable quelle forclottoute grâce de bien faire, et tout eur de prouffiter en vertu30.

Maiz la prophecie de Daniel reste advenir, qui designe la venue dAnticrist et le temps de persecution pour les abhominations du temple et distration du cotidien sacrifice31.

Aucun doute nest possible ici sur le fait que Bouchet a recopié des passages du Livre de lEspérance, limitation précise des Regnars étant 262sans doute facilitée par la proximité formelle des deux textes puisquil sagit dans les deux cas de prosimètre32.

Mais pour ce qui concerne le Labirynth, limitation de Chartier est plus diffuse. Le portrait dEspérance, par exemple, ne donne pas lieu à un rapprochement des textes : chez Alain Chartier, elle a la « face riant et joyeuse » et tient dune main une boîte pleine des « ongnemens confiz de promesses faittes jadis aux peres par lez prophetes, et a nous par la bouche du filz de Dieu » et de lautre « lanel de la verge dune ancre dor dont le bec estoit fiché dedens les cieulx33 ». Rien de tel dans le portrait dEspérance de Bouchet34.

Si ce nest pas dans ces détails que les textes sont à rapprocher, cest dans le choix même de la dramatisation allégorique que lon peut encore trouver des échos. Le Labirynth comme le Livre de lEspérance se fondent sur une structure à la fois binaire et ternaire.

Le texte de Bouchet est nettement composé de deux parties : le Labirynth dune part, le Sejour des trois nobles dames dautre part. Cette binarité oppose également au sein de lœuvre la vision dHumaine Discipline qui correspond au savoir enseigné par les arts libéraux, et la vision supérieure de Véritable Doctrine. Dans le Livre de lEspérance de même, « lart de lengin humain35 » est loin de permettre laccès à la connaissance des choses divines : l« art divin36 » est nécessaire. Et le texte de Chartier opposera la séduction des monstres (Défiance, Désespérance, Indignation) au discours (inachevé) des trois vertus qui correspondent aux trois nobles dames de Bouchet.

Si lespace allégorique dessiné par Bouchet dans son Labirynth et son Sejour est plus visuel que le monde décrit par Chartier, nous assistons dans les deux textes au même mouvement qui consiste à sortir dune vision dun monde insensé et désespérant et à aller vers une consolation.

263

Cette proximité vient sans doute de la référence commune aux deux textes : la Consolation de la Philosophie de Boèce, texte lui-même structuré de façon binaire. Boèce est explicitement cité dans le texte de Chartier37 et apparaît à plusieurs reprises dans les manchettes du Labirynth. La remarque de François Rouy est valable pour les deux auteurs :

Cest chez Boèce que Chartier a trouvé le canevas du scénario, en forme de consolatio, quil utilise dans lEspérance : malade et découragé, lauteur reçoit à son chevet la visite dun personnage allégorique venu lui apporter, avec les soins appropriés à son état physique, les enseignements et les apaisements que demande le trouble de son esprit38.

On comprend dès lors que Le Livre de lEspérance, appelé aussi « consolation des trois vertus », soit relié à la suite dune traduction de La Consolation de la Philosophie par Jean de Meungdans un des manuscrits de la BnF39.

Dans les textes de Chartier, de Bouchet et de leur modèle Boèce, les mêmes types de personnages sont à lœuvre : un auteur-narrateur, personnage humain dun côté, de lautre des entités abstraites personnifiées.

Et cest la structure ternaire de la répartition du jeu des personnages qui est aussi commune à nos deux auteurs, Bouchet et Chartier. Dans la première partie des textes, à Fortune, « Maleur » et « bon eur40 » chez Bouchet correspond la triade Défiance, Désepérance, Indignation chez Chartier. Dans la seconde partie on retrouve dans les deux textes les trois vertus théologales. Certes, ces entités abstraites nabordent pas l« auteur » de la même manière : alors quelles semblent lassaillir dans le Livre de lEspérance, l« auteur » du Labirynth semble pouvoir garder plus de distance vis-à-vis delles. Cependant une même technique est à lœuvre dans la présentation des personnifications : elles se présentent au départ comme des dames anonymes puis leurs identités se laissent 264deviner41. En cela, Bouchet reste bien dans la lignée de Chartier, comme dautres lavaient fait avant lui (La Vigne, Molinet, Saint-Gelais42).

Dans les deux textes, ces vertus sont introduites par un autre personnage allégorique : « Congnoissance de soy43 » chez Bouchet fait écho à la « debonnaire et bien encontenancee damoiselle44 » qui accompagne les trois vertus de Chartier.

La composition allégorique des personnages entre ainsi en résonance dune œuvre à lautre. Mais plus encore, cest la « mise en scène » de ces personnages qui peut être rapprochée. Les deux textes sappuient sur le songe-cadre cher aux récits allégoriques. Le lit est la scène de lapparition des allégories chez Chartier :

Et a celle heure se presenterent au devant de ma pensee, vers la partie senestre et plus obscure de mon lit, troys horribles semblances en figures de femmes espoventables a veoir45.

Les personnifications lui apparaissent « en magniere de vision46 ». Le parallèle avec le Labirynth est aisé puisque dans ce texte, « lacteur » dit rapporter un songe : « Sur quoy je vins faire assez nouveau songe, / Regardez bien lecteurs si cest mensonge47. »

Mais la ressemblance est surtout intéressante concernant le traitement du réveil. Dans le Labirynth comme dans Le Livre de lEspérance, la sortie du songe nintervient pas à la fin du texte. Le réveil signale le passage à un état de conscience supérieur, il marque une rupture par rapport à laveuglement premier.

Chez Chartier, cest le réveil dEntendement qui est mis en scène :

[Nature] esveilla Entendement, qui coste moy soumeilloit, et le bouta si vertueusement que en sursault il se leva, ses yeulx a paine demy ouvers, et la parolle tremblant et bauboyant48.

265

Tandis que lActeur, lui, est « encor pesant de trop dormir49 », Entendement se repent de son égarement :

en quelle reverie ay je esté, ne quel fantasieux somme ma ainsi surprins, que jay oublié moy mesmez, et delaissié le conduit de toy homme dont Dieu ma donné la garde50.

Le songe est lespace de la « fantaisie », de limagination dérivant loin de la raison, et le « réveil » est alors le moment de passage de laveuglement à la prise de conscience. Il sagit de dissiper la « nuee51 » qui obstrue une claire vision, de ramener Entendement à une bonne vue, lui qui a les yeux encore « esblohis » signe de sa « descongnoissance52 ». Foy commencera ce travail de dessillement, elle qui avait attendu avec les deux autres vertus à la porte de la mémoire restée fermée jusque là :

Et comme elle eust mis sa main sur les yeulx dentendement, la veue luy esclarcy [] et congnut visiblement que cestoit Foy53.

La dramatisation du réveil concourt de la même façon chez Bouchet à mettre en valeur le passage de laveuglement à la connaissance. Cest le moment où il va entrer plus avant sous la tutelle de Véritable Doctrine, aperçue en songe mais bien présente encore à son réveil. Car chez Chartier, comme chez Bouchet, la fin du songe ne met pas fin à lallégorie, le titre du chapitre du Labirynth lindique clairement : « Lacteur se reveille et trouve à la dextre main de son lict doctrine veritable. A laquelle il demande les raisons de ses proposicions, par elle dictes contre humaine discipline54. »

La différence entre les deux textes tient au fait quEntendement napparaît pas chez Bouchet, en cela semblable à Meschinot dans les Lunettes des princes55. Cest lacteur qui lui-même séveille et exprime le désir de connaissance.

266

Au derrier mot du propos tant affable

Que avoit tenu doctrine veritable

Me reveillay tout bouillant et esmeu

De ce que avoys par songe ouy, et veu,

Et me trouvay si mal de ma personne

Que long temps fuz sans que aulcun mot je sonne,

Dessus mon lict, tout pensif à lenvers,

Ayant les yeulx de lesprit tous ouvers

Dont regardoys soubz la dextre courtine

Si je verroys veritable doctrine,

Car bien vouloys de son treshault scavoir

Intelligence et congnoissance avoir,

Et tout soubdain de sa main doulce et blanche

De ma chemise elle toucha la manche

Et si me prinst par le bras doulcement,

En me disant, lieves toy hardiement,

Et nous irons en ta secrete estude

Où te diray par grant solicitude

Ce que vouldras selon droit proposer,

Et ne fauldray au long te lexposer.

Alors soubdain après que oraison briefve

Jeu faict à Dieu, de mon lict je me lieve

Puis je men voys, et la dame avec moy

En mon estude, et laissant à requoy

Au lict dormir ma bien aymée espouse

Joyeux et gay dont à layse repouse56.

Mais cette présence de la « dextre courtine » est encore une fois un lien entre les deux textes : si elle peut être empruntée par Bouchet à Meschinot57, elle nen reste pas moins aussi présente chez lauteur du Livre de lEspérance : « Comme chez Chartier, la “dextre” courtine symbolise les facultés spirituelles de lâme en tant quimage divine, par opposition à celles qui restent engagées dans la sensibilité58. »

La courtine est limage de la figure, figure qui demande à être interprétée. Ainsi Chartier invite à lire derrière la courtine de lAncien Testament le Nouveau, tels sont les fruits quapportera ce geste de lever le voile :

267

[] les fruitz assignez,

Ja pieca predestinés,

Par prophetes designez,

Soubz figure encourtinez,

Maintenant determinés,

Ouvers et enluminez,

Desclos et descourtinez59.

La lecture pour Chartier comme Bouchet est ce geste par lequel on « décourtine » le texte. On ne se laisse pas prendre aux miroitements de la figure, on en saisit le sens caché. Ce voile de poésie est celui-là même à travers lequel lacteur, dans le Labirynth,apercevra Dame Fortune :

[]

Et de rydeaux estoit seulement cloz

Ce tabernacle et tresriche recloz

Faiz et tissuz par dame poesie

De clere soye à ce faire choesie

A ce quon peust à travers diceulx veoir

Tout le dedans dont je feiz mon devoir

Car par iceulx vy une dame assise60

Fortune se livre ici comme une figure mythologique à interpréter, une fiction poétique symbolisée par le rideau derrière lequel lauteur laperçoit. Rappelons que « tissuz » et texte ont la même étymologie : textus (tissu, enlacement et spécialement enchaînement dun récit, doù récit). Le texte, comme le tissu, nest quune surface au-delà de laquelle nous sommes invités à nous plonger.

Pourquoi en passer par ce « tissu » de figures allégoriques ? Parce que Chartier comme Bouchet ont soin de sadresser à un public large, quil faut attirer par un récit plus imagé et moins abstrait quun pur traité doctrinal.

Dans lédition parisienne de 1484 de Pierre Le Caron, un poème liminaire allographe ouvre Le Livre de lEspérance en accueillant tout lecteur, grands ou petits, doctes ou non doctes :

Hommes mortelz tant villains que gentilz

Qui chariés ou monde en maint cartier,

268

Apprenés tous, autant grans que petis,

A charier en cestui Charetier.

Du chariot deluy avés mestier,

Car cest celluy qui le veut converser,

Qui charie et va le droit sentier

Ou nul ne peult chanceler ne verser61.

On trouve le même type de texte au début du Labirynth, désignant un large lectorat, cette fois sous la plume de Bouchet lui-même :

Aux lecteurs.

Homme mortel qui ne veulx mescongnoistre

Ton Dieu ne toy ce petit euvre litz

Et tu verras comme on se peult congnoistre

Et que souvent le mal pour bien eslitz

Si tu le croys chasseras tous delictz

Dieu ameras sur tout et puis ton proche

Regardes tout (combien quil soit prolix)

Avant quen dire aulcun mal ne reproche62.

Certes, ce procédé du poème inséré sur la page de titre en forme dapostrophe aux lecteurs est fréquent dans les premiers imprimés63, mais il permet de réunir ici, encore une fois, deux textes tournés vers un public laïc quil sagit dinstruire.

Sous la plume de Jean Lemaire de Belges, le Livre de lEspérance apparaissait déjà comme un modèle denseignement pour un public non initié. Dans Le Traicté de la difference des Schismes et des conciles de lEglise, pour rendre plus accessible son argument sur les dangers des schismes au sein de lÉglise catholique au sujet du célibat des prêtres, Lemaire citait deux pages de Chartier, directement recopiées de « LExil » (cest-à-dire du Livre de lEspérance), en les introduisant ainsi :

Néantmoins pource que les choses dessusdites sont mises en latin, à fin que toutes manières de gens lentendent, cy apres est mis le recueil et la substance de tout le dessus narré. Lesquelles choses declaire treselegamment ce noble 269Poëte et Orateur, maistre Alain Charretier, en la fin de son livre, appellé Lexil, et dit en ceste manière de mot à mot64.

Chartier est aussi pour Bouchet le modèle des auteurs qui par leurs livres en français sont à louer :

Jentends parler de livres moraulx et historiaulx, composés ou traduicts par gens de savoyr, et non suspects, fors de la traduction de lancien et nouveau Testament, et Pseaulmes, que je trouve dangereuse à simples gens, se la lettre nest paraphrasée daulcuns des docteurs de lEglise65.

Ces livres instruisent mieux quun sermon :

On scet assés quon a tousjours les concionnateurs à loreille, et quen la lecture de quelque bon livre, non suspect, on peut apprendre plus de bonnes choses en ung mois quon ne feroit à ouyr toutes les contions dune année66.

Et Bouchet prend comme exemple de tels livres, entre autres, le Livre de lEspérance. Si effectivement dans largumentation de Bouchet, un livre en français vaut mieux quun sermon, cest que Chartier comme Bouchet ont aussi réfléchi à la meilleure manière de retenir lattention du lecteur. Cette manière passe par le dialogisme dune part et lexemplarité dautre part. Nous insisterons sur ce dernier point. Dans Le Livre de lEspérance, les passages méta-discursifs ne sont pas rares67. Ainsi Foy justifie-t-elle lemploi dexemples « qui est plus certaine preuve que par argument faillible68 ». De même Entendement demandera à Espérance : « fortiffie tes raysons par exemples69 ». Comme Chartier lexplique plus haut toujours par la bouche dEntendement :

270

Et qui ne peult attaindre a congnoistre son fait par argumens profons saidera dentendibles exemples, qui sont communs aux simples et aux sages, et empraignent fort au courage pour la proporcion et equalité que nos singuliers cas ont avecquez les privees avantures dez aultres70.

Jean Bouchet mime exactement ce recours à lexemple comme preuve dans le dialogue qui oppose Bon eur et Maleur71, mais encore dans la seconde partie : si on sen tient au discours dEspérance, il est illustré dexemples qui commencent souvent par « Vous trouverez72 », formule qui montre à quel point lexemple cherche à susciter ladhésion de celui qui lit, à limpliquer73. Cest même à une adhésion sur un mode plus affectif que prétend Chartier avec des exemples plus proches encore du lecteur :

Se ces exemples forains ne suffisent, fay servir a ton esperance lez croniquez de ta nation, dont la similitude dez cas te pourra plus tendrement mouvoir par affection de nature, et mieulx confermer ta pensee, pour leur plus congneue certaineté74.

Cette insistance sur lillustration, sur lexemple comme preuve, est présente dans la Rhétorique dAristote75, mais il est peu probable que nos auteurs sy réfèrent ici : elle renvoie plus certainement à lautorité de Valère Maxime en la matière. Valère Maxime est une autorité bien attestée en cette fin de Moyen Âge : quatre cent dix-neuf manuscrits médiévaux de lui subsistent encore, selon Bernard Guenée76. Il apparaît 271à de nombreuses reprises en manchette dans le Labirynth77 et régulièrement chez Chartier jusque dans les derniers mots de la fin78 : « Sur tous prens pour confirmation Valere79 »… Or dans lépître liminaire des Faits et dits mémorables adressée à Tibère, Valère dit avoir sélectionné des faits historiques pour éviter à ceux qui sont disposés à sinstruire de chercher eux-mêmes les exemples.

Finalement, les points de convergence doctrinaux, structurels ou rhétoriques sont tels quon aurait pu se demander pourquoi Chartier nest jamais cité dans les manchettes du Labirynth alors quil semble imité par Bouchet. Mais la réponse est que dune part il serait bien délicat de situer précisément en face de tel ou tel passage la référence à Chartier : contrairement à limitation du Livre de lEspérance dans les Regnars du même Bouchet, limitation est plus diffuse80 dans le Labirynth ; et que dautre part la poétique dimitation de Bouchet, quand il sagit des poètes français, ne va pas dans le sens de lexplicitation ni dailleurs dans le sens dune imitation stricte mais plutôt vers un affranchissement.Le Livre de lEspérance est donc à la fois partout et nulle part dans le Labirynth tant il est indéniable que les deux textes se situent dans la même sphère à la fois doctrinale, allégorique et rhétorique, mais que lun cherche à se démarquer de lautre81.

Pascale Chiron

Université Toulouse – Jean Jaurès

PLH-ELH (EA 4601)

1 François Rouy répertorie ces éditions dans son introduction au Livre de lEspérance, Paris, Champion, 1989, p. xlvi et suiv.

2 Il naît en1476 et meurt vers 1557.

3 Octavien de Saint-Gelais, dans Le Séjour dHonneur (1494), fait déjà léloge du poète : « Veiz ung poëthe hault et scïentifique, Helas ! cestoit feu maistre Alain Chartier, / Doulx en ses faitz et plain de rethorique, / Clerc excellent, orateur magnifique. », éd. F. Duval, Genève, Droz, 2002, p. 324, v. 137-140. Sur Jean Bouchet et dautres grands rhétoriqueurs, admirateurs et imitateurs dAlain Chartier, voir A. Armstrong, « Alain Chartier and the Rhétoriqueurs », A Companion to Alain Chartier (c. 1385-1430), Father of French Eloquence, éd. D. Delogu, J. E. McRae et E. Cayley, Leiden, Brill, 2015, p. 303-323. Chartier partage avec Jean de Meun cette admiration (ibid., p. 304)

4 Jean Bouchet, Epistres morales et familieres du Traverseur, Mouton, Johnson Reprint Corporation, 1969, Epistre familiere XIII, fol. XVIv.

5 Jean Bouchet, Triomphes du très chrestien, très puissant et invictissime roy de France François premier de ce nom, contenant la différence des nobles, Poitiers, Jean et Enguilbert de Marnef frères, 1550, fol. 14r.

6 Voir notre récente édition : Jean Bouchet, Le Labirynth de fortune et Sejour des trois nobles dames, éd. P. Chiron et N. Dauvois, Paris, Garnier, 2015. Je remercie chaleureusement Nathalie Dauvois pour toutes les remarques et corrections quelle a bien voulu apporter à cet article.

7 Le Labirynth, p. 69, v. 2152-2155.

8 Le Labirynth, p. 73, v. 2280-2287.

9 Le Labirynth, p. 75, v. 2376-2391. Voir notre communication « Sens et contre-sens dans Le Labirynth de Fortune », Jean Bouchet, Traverseur des voies périlleuses (1476-1557), éd. J. Britnell et N. Dauvois, Paris, Champion, 2003,p. 75-88.

10 Voir Terence Cave, Cornucopia, Paris, Macula, 1997, en particulier chapitre 3 « Interprétation », p. 104-149.

11 Alain Chartier, Le Livre de lEspérance, prose XV, p. 158.

12 Le Labirynth, p. 48-49, v. 4686 et suiv.

13 Le Livre de l Espérance, p. 48-49.

14 Le Livre de l Espérance,p. 49.

15 Le Labirynth, p. 138, v. 4824-4825.

16 Le Livre de l Espérance, prose VIII, p. 50.

17 Le Labirynth, p. 142, v. 4984-4993.

18 Le Labirynth, p. 194, v. 1405-1406. Sur les deux espérances et la récurrence du thème de lespérance mondaine dans les ouvrages vernaculaires sur la Fortune, voir par exemple Le Séjour dHonneur où lacteur trouve refuge dans lîle de Vaine Espérance (Le Séjour dHonneur, p. 198 et suiv.). Il sagit ici de distinguer lespérance mondaine telle quon la voit représentée dans le Livre de la Mutacion de Fortune ou dans le Remède de Fortune de Guillaume de Machaut et lespérance chrétienne.

19 Le Livre de l Espérance, prose XII, p. 101.

20 Le Livre de l Espérance, prose VI, p. 36. Cet avertissement aux hommes, cette injonction à se connaître se trouve formulée dans des termes très proches dans de nombreux traités dédification religieuse. Voir par exemple lavertissement qui précède le sommaire dans La Fleur des commandemens de Dieu, Paris, Vérard, 1499 : « Omme raisonnable appelle layde de Dieu et de la vierge Marie pour illuminer ton entendement à congnoistre toy mesme, cest assavoir quel tu es, quelz pechez regnent en toy, et comment tu as desobey à Dieu en froissant ses commandemens. » La phrase suivante cite saint Bernard auquel recourent aussi largement les manchettes du texte de Bouchet : « Sainct Bernard dit que tu seras meilleur et plus à louer se tu te cognoys toy mesme que se tu cognoissois le cours des estoilles, les fondemens des terres, les forces des herbes, les complexions des hommes, et que tu eusses la congnoissance des choses celestielles et infernales ». Sur ce sujet voir également Jean Meschinot, Les Lunettes des princes, éd. C. Martineau-Genieys, Genève, Droz, 1972, p. 82, v. 1720 et suiv. : « Entre en toy mesme… ». Voir enfin la contribution dÉrasme au succès de ladage « Connais-toi toi-même » (Adage 595 « Nosce teipsum » et Les Adages, dans Œuvres choisies, trad. J. Chomarat, Librairie générale française, 1991, p. 365-367).

21 Le Labirynth, p. 161, v. 91-95.

22 Le Labirynth, p. 209, v. 1972-1978.

23 Le Livre de l Espérance, prose VI, p. 32.

24 Nous pourrions prolonger létude. Voir par exemple sur le sujet de loraison, Le Labirynth, p. 181, v. 921 et suiv., et Le Livre de lEspérance, prose XV, p. 150-162. Sur la satire de la cour, ou de lÉglise, les deux textes peuvent aussi être rapprochés, voir Le Labirynth, p. 331, note du vers 1440 ; et p. 328, note du vers 1065.

25 Voir Jean Bouchet, Le Jugement poetic dhonneur femenin, éd. A. Armstrong, Paris, Champion, 2006, introduction, p. 53-55, p. 333 et suiv (note 47), p. 325 et suiv. (note 101) et p. 354 et suiv. (note 103).

26 Le Labirynth, II, v. 1312-1313.

27 Le Livre de l Espérance, p. 31.

28 Voir J. Britnell, Jean Bouchet, Edinburgh University Press, 1986, p. 85-86.

29 Le Livre de l Espérance, prose VIII, p. 57.

30 Le Livre de l Espérance, prose VIII, p. 61.

31 Le Livre de l Espérance, prose XVI, p. 179.

32 Pour une analyse plus nuancée de limitation du Livre de lEspérance dans les Regnars, voir également Armstrong, « Alain Chartier and the Rhétoriqueurs », p. 321 et suiv.

33 Le Livre de l Espérance, prose X, p. 89.

34 Bouchet nest pas le seul à séloigner du portrait dEspérance dAlain Chartier. Sur le portrait dEspérance chez les grands rhétoriqueurs, voir A. Armstrong et S. Kay, Une Muse savante ? Poésie et savoir, du Roman de la Rose jusquaux grands rhétoriqueurs, Paris, Garnier, 2014. Voir aussi Armstrong, « Alain Chartier and the Rhétoriqueurs », p. 313.

35 Le Livre de l Espérance, prose VI, p. 33.

36 Le Livre de l Espérance, prose VI, p. 33.

37 Le Livre de l Espérance, prose II, p. 9-10.

38 F. Rouy, Lesthétique du traité moral daprès les œuvres dAlain Chartier, Genève, Droz, 1980, p. 87.

39 Paris, BnF, nouv. acq. fr. 6535. Voir F. Rouy, introduction au Livre de lEspérance, p. xxxi.

40 Voir Jean Bouchet, Le Labirynth, p. 35, v. 914-924 : « Bon eur est chief de ces places plaisantes / Où tu ne vois personnes desplaisantes, / Mais gens joyeux, gaiz, et deliberez, / Qui ont les biens quilz ont tant desirez. / Maleur est chief de ces treshydeux monstres / Qui par ces lieux font tant leurs tristes monstres, / Nuysans tousjours aux gens qui sont joyeux / Et leur font tant de tours tres ennuyeux / Tout en ce point que fortune commande, / Car tous ses gens se tiennent de sa bande, / Et de fortune ilz sont executeurs. »

41 Comparer par exemple Livre de lEspérance, p. 23, prose V, et Le Labirynth, p. 174, v. 628 et suiv.

42 Voir Armstrong, « Alain Chartier and the Rhétoriqueurs », p. 312-313.

43 Le Labirynth, p. 161 et suiv.

44 Le Livre de l Espérance, prose V, p. 23.

45 Le Livre de l Espérance., prose II, p. 5.

46 Le Livre de l Espérance, prose IV, p. 17.

47 Le Labirynth, p. 25, v. 512-513.

48 Le Livre de l Espérance, prose V, p. 22.

49 Le Livre de l Espérance, prose V, p. 23.

50 Le Livre de l Espérance, p. 22.

51 Le Livre de l Espérance, p. 26.

52 Le Livre de l Espérance, p. 23-24.

53 Le Livre de l Espérance, p. 27.

54 Chapitre xxv, Le Labirynth, p. 92.

55 Voir Armstrong, « Alain Chartier and the Rhétoriqueurs », p. 316.

56 Le Labirynth, p. 92-93, v. 3040-3065.

57 Cest aussi derrière la courtine que dame Raison apparaît à lacteur dans les Lunettes des Princes, p. 33.

58 S. Bokdam, Métamorphoses de Morphée. Théories du rêve et songes prophétiques à la Renaissance, en France, Paris, Champion, 2012, p. 553.

59 Le Livre de l Espérance, Po. XIII, p. 112, v. 54-60.

60 Le Labirynth, p. 34, v. 864-870.

61 Les faiz maistre Alain Charetier, Paris, Pierre Le Caron, 1484, fol. A1v.

62 Le Labirynth, p. 1.

63 On trouve un poème de forme comparable par exemple sur la page de titre de La Nef des folz du monde, 1497, J. Philippe Manstener et G. de Marnef, sous la gravure de la nef des fous : « Hommes mortels qui desirez savoir / Comment on peut en ce monde bien vivre / Et mal laisser : approchez venez voir / Et visiter ce present joyeux livre / A tous estatz bonne doctrine il livre / Notant les maulx et vices des mondains… »

64 Jean Lemaire de Belges, Œuvres, éd. Stecher, Genève, Slatkine Reprints, 1969, p. 355. Voir à la fin de lextrait : « Puis que toutes les choses par moy proposees sont amplement ratifiees par lautorité de maistre Alain Charretier… » (p. 357).

65 Histoire de Theodorite eveque de Cyropolis…, traduicte du Grec en Françoys, par D. M. Mathee, Poitiers, J. et E. de Marnef, 1544, Épître liminaire de Bouchet, fol. A6v-A7v. Cité par Britnell, Jean Bouchet, p. 201.

66 Ibid.

67 Voir Poétiques de la Renaissance, éd. P. Galand-Hallyn et F. Hallyn, Genève, Droz, 2001, p. 512 : la « fréquence des remarques à statut métapoétique » dit « avec quelle conscience professionnelle Chartier se penchait sur lélaboration rhétorique de son écriture. [] La mise en forme, élément essentiel du faire persuasif, relève de la compétence du maître. Entendement le rappelle à Esperance, figure du guide spirituel : “Maiz que la matere soit a ma doctrine, a toy soit le choix de la forme” ».

68 Livre de l Espérance, prose VI, p. 31.

69 Livre de l Espérance, prose XV, p. 165.

70 Livre de l Espérance, prose XIV, p. 134.

71 Voir Le Labirynth, p. 35-67. Cependant le recours à lexemple peut souligner ici la vanité du procédé, dans la mesure où il semble sans fin : lexemple ne parvient jamais à convaincre dune quelconque supériorité de lun sur lautre. Par ailleurs, ce procédé du débat rappelle là encore Chartier : voir Armstrong, « Alain Chartier and the Rhétoriqueurs », p. 309.

72 Le Labirynth, v. 1720, 1727, 1783, 1790, 1804, 1811, etc.

73 Tout ceci mérite nuance, bien sûr, dans la mesure où dans le Labirynth limportance accordée en marge aux auctoritates est aussi une manière de prouver la validité de ce qui est dit.

74 Livre de l Espérance, prose XIV, p. 143.

75 Voir Aristote, La Rhétorique, trad. M. Dufour, Paris, Les Belles Lettres, 1960, vol. 2, p. 103.

76 B. Guenée, Histoire et culture historique dans lOccident médiéval, Paris, Aubier-Montaigne, 1980, p. 250. Sur limportance de Valère Maxime aux xive et xve siècles, voir F. Bouchet, « Les jeux littéraires avec lautorité de Valère Maxime aux xive et xve siècles », Lesautorités. Dynamiques et mutations dune figure de référence à lAntiquité, éd. D. Foucault et P. Payen, Grenoble, Jérôme Millon, 2007, p. 297-312.

77 Valère Maxime est dautant plus utilisé dans le Labirynth quil fait une place importante à Fortune : le livre VII des Faits et Ditsmémorables souvre sur un des exemples du pouvoir de Fortune : Volubilis fortunæ complura exempla retulimus.

78 « Daultres exemples te donnera Valere largement », prose VIII, p. 62. Voir encore prose XIV, p. 137 ; prose XV, p. 165.

79 Livre de l Espérance, prose XVI, p. 179.

80 Rappelons que nous nous attendions à trouver des passages plus explicitement et directement recopiés du livre de Chartier. Notre attente a été déçue, peut-être du fait de choix formels différents dun auteur à lautre : prosimètre dun côté, poésie de lautre.

81 Voir le même type de conclusion dans Armstrong, « Alain and the Rhétoriqueurs », p. 316, à propos de Meschinot et Chartier : « Paradoxically, by striving to make the Lunettes as unlike the Esperance as possible, Meschinot has revealed the extent of his dependence on Chartier. »