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Classiques Garnier

La version arabe (Ghāyāt al-ḥakīm) et la version latine du Picatrix Points communs et divergences

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteurs : Boudet (Jean-Patrice), Coulon (Jean-Charles)
  • Résumé : Même si la Ghāyat al-ḥakīm et sa traduction latine, Picatrix, sont de célèbres traités de magie dans leurs sphères de diffusion respectives, aucune comparaison systématique entre les deux n’a été faite. Cette comparaison montre la fidélité globale de la traduction, mais aussi les écarts dus à la différence de milieu culturel et religieux.
  • Pages : 67 à 101
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0067
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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La version arabe (Ghāyat al-akīm)
et la version latine du Picatrix

Points communs et divergences1

Notre démarche est fondée sur un paradoxe. Dun côté, la Ghāyat al-akīm (LeBut du sage), traduite en castillan en 1256 puis en latin à la cour dAlphonse X de Castille sous le mystérieux titre de Picatrix, est le traité arabe de magie médiévale le plus connu et celui qui a bénéficié non seulement dune édition scientifique du texte original2, mais aussi dune traduction allemande3, dune édition critique de la version latine4 et dautres traductions plus récentes fondées principalement sur cette version5. De lautre, et malgré quelques ébauches, dont lintroduction de la traduction française de 2003, aucune comparaison systématique entre le texte arabe et la version latine na encore été effectuée. De ce point de vue, comme il a dailleurs été montré dans un compte rendu critique paru dans Arabica des actes du colloque Images et magie : Picatrix entre Orient et Occident, publié en 2011, presque tout reste à faire6. Nous 68navons évidemment pas la prétention de pouvoir combler entièrement cette lacune, mais loccasion nous a semblé bonne de reprendre ce dossier à nouveaux frais, en tirant parti de nos compétences complémentaires pour faire le point et en explorant des pistes qui navaient guère été exploitées ou qui avaient été négligées jusque-là.

Un auteur andalou, Maslama al-Qurubī

Quelques mots dabord sur lauteur de la Ghāya. Contrairement à ce qui semblait encore pouvoir être discuté lors du colloque Images et magie, lon saccorde désormais à retenir lhypothèse formulée il y a une vingtaine dannées par Maribel Fierro, à savoir que lauteur du traité dalchimie intitulé Rutbat al-akīm (LÉchelon du sage) et celui de la Ghāyat al-akīm (LeBut du sage) est très vraisemblablement identifiable à Abū l-Qāsim Maslama ibn Qāsim al-Qurubī (m. 353H/964), un savant andalou qui aurait composé la Rutba de 339 à 342H (950 à 953 de notre ère) puis la Ghāya de 343 à 348H (de 954 à 959), et qui a été identifié à tort, notamment par Ibn Khaldūn (m. 808/1406), avec lastronome Maslama al-Majrīī (m. c. 398/1007)7.

Maslama ibn Qāsim al-Qurubī est né à Cordoue en 293/905-906 et mort dans cette ville en 353/964. Il a fait des études de droit (fiqh) et de tradition religieuse (hadith) avant deffectuer un long voyage initiatique en Orient (vers 320-325/932-937 ?), comme en faisaient beaucoup dintellectuels andalous de son temps8. Même si les données biographiques qui permettent den reconstituer les étapes sont muettes 69à ce sujet, cest sans doute à loccasion de ce vaste périple quil a pris connaissance de plusieurs sources fondamentales dont linfluence se fait sentir dans la Ghāya : dune part, comme lont confirmé les travaux récents de Godefroid de Callataÿ et Sébastien Moureau, lencyclopédie philosophique constituée par les Épîtres des Frères de la Pureté, dont Maslama semble avoir été le principal introducteur en al-Andalus9 ; dautre part, le Livre de lagriculture nabatéenne dont la version arabe est attribuée à Ibn Washiyya (m. c. 324/935)10, des textes de magie astrale comme le traité sur les talismans de Thābit ibn Qurra (m. 288/901)11, mais aussi des textes dastrologie comme le Kitāb al-Thamara (Livre du fruit) du pseudo-Ptolémée, accompagné du commentaire effectué quelques années seulement avant le voyage de Maslama (après 302/914, peut-être dans les années 920) par le savant égyptien Abū Jafar Amad ibn Yūsuf. Le chapitre 1 du livre II de la Ghāya cite la neuvième proposition de ce recueil de cent sentences et son commentaire, relatif au bien-fondé de lutilisation des talismans astrologiques, notamment dun talisman en forme de bague pourvue dun bézoard marqué du signe du Scorpion en cas de piqûre de scorpion12. Maslama nous dit même que « la recherche des secrets des talismans » fut lune de ses motivations principales dans sa jeunesse, que cest à ce moment-là quil a pris connaissance du texte 70du pseudo-Ptolémée et de son commentaire, quil a expérimenté lui-même le pouvoir de ce genre de talisman et que cest « la raison qui [l]a amené à rechercher cette science13 ». Maslama savait que le commentaire du Kitāb al-Thamara avait été effectué par le « secrétaire » (kātib) de la chancellerie ūlūnide Amad ibn Yūsuf et il le cite de première main. La Ghāyat al-akīm est ainsi lun des plus anciens, si ce nest le plus ancien témoignage sur la diffusion dans le monde arabo-musulman de louvrage placé sous lautorité de Ptolémée qui allait devenir à partir du xiie siècle en Occident lun des best-sellers de la littérature astrologique sous le nom de Centiloquium14.

La Ghāyat al-akīm est également influencée par lhistoriographie égyptienne qui émerge avec les premières dynasties locales comme les ūlūnides. Ainsi, on trouve dans le chapitre 11 du livre III une amulette attribuée à un roi indien nommé Kankah qui aurait régné en Égypte, où il aurait fondé Memphis. La traduction latine restitue curieusement ce nom par « Behentater15 ». Lidentité de Kankah (m. 205/820 ?) pose quelques problèmes : il sagirait dun astrologue originaire de louest de lInde qui serait venu à Bagdad à lépoque de Hārūn al-Rashīd (r. 170/786-193/809), mais certains chercheurs défendent aussi lidée que le nom pourrait désigner plusieurs personnages16. La Ghāyat al-akīm est un des premiers textes évoquant ce nom, avec les traités attribués à Jābir b. ayyān, dont la datation est plus problématique encore que celle de la Ghāya17. La description du règne de Kankah dans la Ghāya doit être rapprochée du roi Manqāwus dans le traité dhistoriographie égyptienne 71Akhbār al-zamān (Les anecdotes du temps) traduit en français sous le titre dAbrégé des merveilles18. Ce dernier traité raconte notamment une histoire légendaire de lAntiquité égyptienne et relate le règne de rois-magiciens macrobites qui auraient installé des talismans en Égypte afin den assurer la prospérité. Le passage sur lamulette de Kankah est suivi de la mention dun autre roi indien qui aurait établi des talismans en Égypte : ʿAzīm (Acaym en latin). La Ghāya semble donc avoir également puisé dans cette histoire légendaire de lÉgypte, alors en pleine élaboration.

Ces dernières références posent la question des rapports que lon peut établir entre la Ghāya et ladab. Le terme dadab désigne en arabe au Moyen Âge « un concept définissant ladīb (pl. udabāʾ), lun des modèles majeurs de lhomo islamicus dans la cité, au croisement de la morale islamique et de léthique aristotélicienne. [] Composante identitaire de la khāṣṣa[lélite], ladab est une vision du monde dans tous ses aspects théoriques et pratiques, notamment littéraires. Il ne concerne pas moins les poètes que les prosateurs, les gouverneurs que les penseurs, les théologiens que les libertins19 ». Or, toute cette historiographie égyptienne fait pleinement partie de ladab. Nous pouvons prendre un deuxième exemple du lien entre ces « belles-lettres » et la Ghāya. En effet, lauteur cite le vers de poésie suivant : « Je nai pas vu parmi les hommes de tare pire que celle de ceux qui pourraient être parfaits20 ! ». Bien que lauteur nen soit pas mentionné, il sagit dun vers du poète al-Mutanabbī21 (303/915-354/965), composé lorsque ce dernier était en Égypte en 348/959, sans doute au service de leunuque Kāfūr durant le règne du prince ikhshīdide Abū l-Qāsim Unūjūr. Cétait un contemporain de Maslama al-Qurubī et les deux hommes ont pu se connaître22. Une telle citation nest pas anodine : il sagit dun 72vers de lun des plus grands panégyristes arabes du ive/xe siècle, dédié à un homme de pouvoir. Ce type de référence ne pouvait échapper à un lecteur arabe de lépoque et trahit un lectorat ou un destinataire de cour. Nous pouvons signaler que cette irruption de la poésie arabe dans le texte a été rendue différemment en latin, qui attribue la phrase suivante à « un sage » : « rien de plus mauvais chez les hommes que de vouloir apparaître savant artificieusement sans avoir de science23 ». Il sagit dune allusion au Phèdre de Platon.

Même sil était un adepte du « bāinisme24 », Maslama était proche des cercles du pouvoir dans le califat de Cordoue ; M. Fierro a remarqué que lun de ses élèves nétait autre que ʿAbd Allāh, lun des fils du calife ʿAbd al-Ramān III qui fut accusé de complot et exécuté sur lordre de son père en 339/95125. Ceci nous amène à considérer un point commun majeur entre loriginal arabe et la traduction latine sur lequel il est bon dinsister avant daborder les divergences entre lun et lautre : le Picatrix, comme la Ghāya, sinscrit dans la perspective dune utilisation politique et militaire potentielle.

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Magie et pouvoir

En rupture avec la « tradition commune » de la magie issue du haut Moyen Âge, dont lobjectif principal – celui en tout cas qui a laissé des traces écrites directement issues des acteurs magiques eux-mêmes – était dordre défensif, apotropaïque et protecteur26, les traductions arabo-latines des xiie et xiiie siècles ont permis délargir dans de fortes proportions le champ dapplication des opérations magiques dans lOccident chrétien et de louvrir à la recherche du pouvoir, de la faveur et de lannihilation de lennemi. La traduction de la Ghāyat al-akīm sous le titre de Picatrix, placée sous le patronage du roi Alphonse X de Castille (r. 1252-1284), témoigne à sa manière de cette ambition politique.

Certes, cette finalité est très inégalement manifestée selon les livres et les chapitres de ce qui pourrait ressembler à première vue à une compilation hétéroclite : dans le chapitre 4 du livre I, par exemple, fondé sur les opérations à effectuer en fonction de la position des 28 mansions de la Lune, la recherche du pouvoir nest explicitement distinguée que dans 5 occurrences sur 46, soit un peu plus de 10 %, loin derrière la recherche de la prospérité ou de la destruction matérielle (45 %) et celle de lamour-amitié ou de la discorde (37 %)27. Mais chaque talisman de ce chapitre 4 est en fait plurifonctionnel et lutilisation de la magie à des fins politiques et militaires est beaucoup plus présente et clairement exprimée dans le chapitre suivant, I, 5, où ces objectifs arrivent en tête des finalités (9 dans la version arabe sur 31, 10 dans la latine sur 33), pratiquement à égalité avec lamour-désamour (8 dans loriginal, 11 dans la version latine) et avec la prospérité ou la destruction matérielle (8 dans loriginal, 9 dans la traduction latine), sachant que les enjeux politiques, militaires et matériels des opérations magiques sont bien 74souvent difficiles à distinguer entre eux28. On trouve ainsi, dans le texte arabe de ce chapitre 5, des talismans « pour renvoyer de sa place un ennemi dont on veut la destruction », « pour détruire un pays », « pour la prospérité dune ville ou dun lieu », « pour détruire une ville ou un endroit, quel quil soit », « pour accroître le bien et le commerce », « pour obtenir une haute position dans ladministration », « pour disposer favorablement le gouvernant (cest le sens générique de sulān : le détenteur dun pouvoir souverain29 ; la traduction latine parle de reges et de magnates) à légard de celui qui le désirera », « pour triompher de lennemi dont tu souhaites la destruction », « pour le gouverneur dun pays dont les habitants se rebellent afin quils soient satisfaits de lui » (dans la traduction latine : Ymago ut dominus diligatur a suis hominibus et semper obediant ei), « pour que tu puisses retenir celui que tu veux dans son pays », « pour bannir le jour-même un homme de son pays », « pour quun gouvernant (sulān) détruise celui quil a engagé » (traduction latine : Ymago ad faciendum in iram cadere quem volueris), etc. Mais cest dans le chapitre 7 du livre III que lon trouve ce magnifique rituel de magie astrale destiné à la promotion personnelle du destinataire, dont le texte est passé presque sans encombre de larabe au latin :

Quand tu veux prier le Soleil et lui demander quelque chose, par exemple demander la grâce du roi, lamour des seigneurs, les dominations et les acquisitions de ce genre, tu rendras le Soleil favorable en le plaçant à lascendant, et dans son jour [i.e. le dimanche] et son heure. Revêts-toi de vêtements de roi, soyeux, jaunes et mêlés dor ; pose sur ta tête une couronne dor et passe à ton doigt un anneau dor ; tu prendras lapparence des hommes éminents de Chaldée [sic : les grands parmi les Persans dans loriginal arabe], parce quil [le Soleil] était le maître de leur ascendant. Pénètre dans une maison éloignée et réservée à lopération ; pose ta main droite sur la gauche, et regarde le Soleil avec réserve et humilité comme le regarde un homme timide et réservé. Ensuite, prends un encensoir dor et un beau coq avec un beau cou [sic :avec une belle crête dans loriginal arabe] ; au-dessus de son cou [sic : de sa crête], pose une petite chandelle de cire allumée qui doit être située à lextrémité dun bâton de la longueur dune palme ; dans le feu de lencensoir, place la 75suffumigation décrite plus bas. Lorsque le Soleil se lève, tourne le coq vers lui ; et alors que la fumée de lencensoir sélève continûment, dis :

« Toi qui es la racine du ciel, toi qui es supérieur à toutes les étoiles et à toutes les planètes, toi qui es saint et honoré, je te demande dexaucer ma prière, de maccorder la grâce et lamour de tel roi et de tous les autres rois. Je ten conjure, par celui qui te donne lumière et vie. Tu es la lumière du monde. Je tinvoque par tous tes noms : Yazemuz en arabe, Sol en latin, Maher en chaldéen, Lehuz en roman [en rumi, i.e. en grec ;Lehuz est une translittération dHélios], Araz en indien30. Tu es la lumière du monde et son éclat ; tu te tiens au milieu des planètes. Cest toi qui, par ta vertu et ta chaleur, produis la génération dans le monde [dici-bas], toi qui es élevé dans ta position. Je te demande, par ta supériorité et ta volonté, de daigner maider à ce que tel roi et tous les autres rois de la terre me placent dans une position élevée et sublime, et que jaie domination et supériorité, comme toi qui es le maître des planètes et des étoiles, et de qui elles reçoivent lumière et éclat. Je te demande, toi qui es la racine de tout le firmament, davoir pitié de moi et dêtre attentif aux prières et demandes que je tai faites31. »

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Le texte arabe introduit le chapitre en indiquant quil sagit « des opérations des Sabéens que mentionne al-abarī lastrologue » (wa-min aʿmāl al-ābiʾīn mā dhakara-hu abarī al-munajjim) tandis que la version latine ne parle que d« un sage du nom dAthabary ». Les Sabéens désignent ici la communauté astrolâtre de arrān, dont le culte perdura jusquau ve/xie siècle et dont la doctrine fut connue à Bagdad grâce à lactivité de traducteurs comme Thābit ibn Qurra32. Quant à lastrologue al-abarī, il na pu être identifié avec certitude à ce jour, David Pingree estimant que lhypothèse la plus probable est quil sagisse de ʿUmar ibn al-Farrukhān al-abarī, un des quatre astrologues à avoir établi lhoroscope de la fondation de Bagdad à linstigation du calife al-Manūr en 145H/76233. Les auteurs musulmans ont su trouver un cadre qui permette de conformer ces rituels apparemment astrolâtres à la doctrine de lunicité divine : on ne fait pas appel à lastre en tant que tel, mais à son « essence spirituelle » (rūāniyya), identifiée à un ange (malak), qui nest alors quun agent au service de Dieu. Un tel rituel, inspiré directement par lastrolâtrie orientale, était évidemment en contradiction formelle avec lislam, qui condamne tout associationnisme, et plus encore avec le christianisme, pour qui seul Jésus est « la lumière du monde » (Jean, 8, 12-59). Mais cest justement, dans une certaine mesure, ce qui unit les deux versions, arabe et latine, autour dun même attrait : dans le cadre dune société de cour analogue à lordre cosmique, capter la faveur de lastre du jour, quitte à briser un interdit religieux majeur, ou du moins donner limpression de pouvoir le faire.

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Une traduction anonyme,
globalement respectueuse de loriginal

Abordons maintenant les modifications apportées par la traduction latine à légard de loriginal arabe, en rappelant que les auteurs de cette traduction ont été volontairement placés dans lanonymat, ce qui nest pas dans les habitudes de la plupart des traductions alphonsines mais qui peut sexpliquer par le caractère extrêmement transgressif du texte34. On remarquera à ce propos que les auteurs des traductions douvrages dastronomie et dastrologie effectuées à la demande dAlphonse X sont nommés dans les prologues, alors que les noms des compilateurs en castillan des traités de magie astrale dorigine arabe que sont le Libro de las formas e ymagenes (1276-1279) et le Libro de astromagia (c. 1280-1284) ny apparaissent pas plus que dans le prologue du Picatrix35. Lattribution proposée avec beaucoup de prudence par David Pingree de cette traduction au savant juif Judas ben Moshé (pour la phase arabo-castillane) et au notaire impérial italien Gilles de Thebaldis (pour la mise en forme du texte latin) est donc purement conjecturale36.

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Le ou les traducteur(s) ont respecté la structure globale de louvrage, en quatre livres. Comme lont montré B. Bakhouche et ses collaborateurs37, ils ont procédé à quatre additions, dont trois sont particulièrement significatives :

1. En I, 5, § 26-27, au milieu du chapitre que nous évoquions plus haut sur les talismans astraux, ont été ajoutés deux paragraphes rédigés à la première personne et tirés apparemment dun témoignage de lun des traducteurs sur les pratiques dun « homme venu de la terre des Noirs », le § 26 sur une recette de guérison dune piqûre de scorpion, le § 27 sur la vertu magique de 33 noms (qui ressemblent à des nomina barbara) suivis dun hexagramme qualifié de signum Salomonis38. Lorigine juive de cette interpolation, évoquée par B. Bakhouche, serait logique si lon pense à Judas ben Moshé ou à lun de ses coreligionnaires comme traducteur possible de larabe au castillan, mais elle nest pas avérée.

2. En IV, 9, les § 29 à 56, sur les 28 mansions de la Lune « selon Plinio » (i.e. Belenus, le pseudo-Apollonius de Tyane), constituent une interpolation due au traducteur de larabe en castillan, bien étudiée par D. Pingree39.

3. En III, 11, les § 58 à 112 correspondent au Flos naturarum attribué à Geber (Jābir ibn ayyān), publié par D. Pingree à titre posthume avec une introduction de Charles Burnett40. Il sagit dune interpolation postérieure à la traduction castillane, tirée dun texte magico-alchimique qui a circulé en latin par ailleurs.

À linverse, la traduction latine témoigne dun assez grand nombre domissions ou de suppressions, repérables grâce aux notes de lédition de D. Pingree. Voici les plus importantes :

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1. Le chapitre 4 du livre III de loriginal arabe a été supprimé41. Il sagit dun chapitre qui reprendrait des éléments que Maslama al-Qurubī aurait trouvé dans un Livre gardé (al-Kitāb al-makhzūn) attribué à un mystérieux Jaʿfar al-Barī. Il reproduit une division astrologique du Coran qui fait correspondre à chaque sourate deux astres, expliquant en préambule que cette division du Coran permettrait « de déduire le nom gardé que Dieu a déposé dans les cœurs des saints et des gnostiques doués de raison ». Bien entendu, il était difficile de restituer un contenu fondé sur le Coran lui-même dans un contexte latin.

2. Dans le chapitre 12 du livre II, a été également supprimé un long passage sur les traditions indiennes relatives aux décans, où il est fait référence à Bouddha et où est décrit le fameux rituel de la tête divinatoire qui a contribué à la réputation sulfureuse des Sabéens de arrān en terre dIslam42. Ce passage aurait sans doute contribué à disqualifier totalement le Picatrix aux yeux dun lecteur chrétien et il est significatif que la traduction latine omette également, dans le chapitre 7 du livre III, de mentionner certains rituels attribués aux Sabéens et considérés par Maslama lui-même comme horribles, comme limmolation dun enfant43. Le ou les traducteur(s) se place(nt) en revanche sous lautorité ancestrale dHermès en rapportant un ordre qui aurait été donné deffectuer à lintention des planètes des prières et des sacrifices danimaux « dans les mosquées, cest-à-dire dans leurs églises », ce qui constitue un anachronisme fort peu habile, le texte arabe se référant bien sûr aux temples des Sabéens et non pas à des mosquées44

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3. En dehors du paragraphe se réclamant de « la Thora de Moïse » (IV, 6) sur lequel nous reviendrons, les principales omissions observables dans la traduction latine du livre IV concernent le chapitre 7 et des extraits de lAgriculture nabatéenne relatifs à certaines recettes magiques et ingrédients nécessaires aux fumigations45.

Mais ces suppressions représentent quantitativement peu de choses par rapport à lensemble de louvrage, certaines modifications mineures témoignant par ailleurs dun effort dorganisation. À plusieurs reprises, notamment en I, 5 et en IV, 6, le texte latin remanie ainsi lordre du texte arabe, soit en regroupant des talismans ayant la même fonction (§ 22 et 23 du chap. 5 du livre I, tous deux destinés à attraper des poissons46), soit en uniformisant lordre des sept planètes selon leur plus ou moins grande distance par rapport à la Terre : Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Mercure, Vénus, Lune47.

Le ou les traducteur(s) ont donc travaillé dune manière consciencieuse et réfléchie, en tentant de comprendre le mieux possible un texte arabe parfois très obscur. En dehors du titre et/ou de lauteur supposé, Picatrix48, la version latine sabstient autant que faire se peut de translittérer larabe, traduit dune manière assez systématique certains mots arabes très polysémiques dune manière uniforme, comme sir (magie ou sorcellerie) par nigromantia49, ou nīranj (mot dorigine persane désignant 81une opération magique complexe) par opus50, ce qui est apparemment tendancieux dans le premier cas et appauvrissant dans le second, mais au moins cohérent.

Sur le plan philologique et conceptuel, Charles Burnett a analysé dune manière fine, lors dune communication récente, le travail effectué par lauteur du texte latin, et il la plutôt réévalué dune manière positive, comme un exemple de ce qui peut être considéré majoritairement comme une translatio ad sensum51. Prenons dabord le passage crucial sur la définition de la nigromancie du chapitre 2 du livre I. Même si la traduction nous semble quelque peu contournée, elle sefforce dêtre fidèle à loriginal :

Nous appelons nigromancie tout ce que lhomme opère et à la suite de quoi lintelligence et lesprit sont totalement entraînés par cette opération, et cela en vue des choses merveilleuses que lintelligence suit pour les méditer ou les admirer52.

Le texte arabe, inspiré par lÉpître 52 des Frères de la pureté, était certes plus simple et direct :

La magie (sir) dans labsolu est tout ce qui ensorcelle les intelligences et [toutes] les paroles et opérations auxquelles obéissent les âmes dans le sens de lémerveillement, de la soumission, de lobéissance et du consentement53.

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Mais un peu plus bas, alors que loriginal arabe dit de la magie (al-sir) quelle « est ce dont la cause est cachée à lintelligence du plus grand nombre et dont la découverte est difficile », le texte latin définit la nigromantia comme une « science des choses cachées (scientia de rebus absconditis) à lintelligence et dont la plus grande partie des hommes nappréhende pas comment elles se font ni de quelles causes elles proviennent54 », ce qui exprime dune façon précise et ordonnée la théorie de la connaissance et de la causalité inhérente au texte arabe. En revanche, alors que le mot latin magica désigne, dans la traduction, non pas la magie en général mais la science des talismans, la définition du talisman fournie juste après dans le même chapitre 2 du livre I utilise pour une seule et unique fois la translittération telsam pour compléter le mot latin ymago, habituellement utilisé dans le Picatrix comme dans les traductions arabo-latines du xiie siècle de traités de magie astrale55. Le terme arabe ilasm désignant le talisman vient du grec τέλεσμα. ilasm et nīranj en arabe sont deux termes transcrits de langues étrangères : leurs contours sémantiques en arabe sont mal définis, et cest sans doute lune des raisons pour lesquelles ils furent abondamment utilisés dans les traités de magie, afin de les dissocier du terme de sir. Cest peut-être en raison de cette origine grecque que le traducteur latin a jugé bon de restituer au moins une fois le terme original. Mais le lecteur du texte latin avait de quoi sy perdre…

Ch. Burnett a toutefois montré que dans certains passages, comme dans la suite de ce même chapitre 2 du livre I, sur les élections astrologiques nécessaires à lélaboration des talismans, le texte latin est plus clair que larabe, en tout cas que la version éditée en 1933 par H. Ritter sur la foi de manuscrits dont aucun nest antérieur au xive siècle56. Bref, il sagit dune traduction fort honnête, la plupart du temps valable et intelligente, et il ne faut pas toujours se fier à la traduction française 83de la version latine dirigée par B. Bakhouche, parfois fautive57. Se pose néanmoins le problème, majeur, des nombreuses et significatives distorsions opérées par la traduction latine à légard du texte arabe, liées à leur contexte religieux et culturel respectif.

Le traitement des références religieuses

La traduction nest pas seulement la transposition dune langue à une autre, mais dune culture à une autre. Or, les productions écrites médiévales des civilisations des deux rives de la Méditerranée sont profondément marquées par les religions majoritaires respectives. Cela est en partie dû au fait que la formation des élites lettrées passe également par une solide formation religieuse. Aussi, même si un ouvrage naborde pas un sujet religieux en tant que tel, la langue utilisée comporte des formules et des références aux livres saints. Il est donc intéressant de se demander comment les références religieuses ont été abordées par les traducteurs.

En préambule, il faut indiquer que la Ghāyat al-akīm dal-Qurubī comporte bien des références religieuses. Certes, celles-ci ne sont pas omniprésentes, elles ne structurent pas le discours, et le sujet-même du livre nest pas fondé sur le Coran, comme le sont certains traités de magie postérieurs, notamment ceux du corpus bunianum à partir du viie/xiiie siècle. En revanche, lauteur se réfère ponctuellement au Coran ou aux hadiths pour appuyer ses démonstrations.

Nous pouvons donc nous poser la question de la traduction de ces références et allusions à destination dun public non musulman et ne connaissant a priori pas le Coran, ou, du moins, dont la formation intellectuelle ninclut pas un apprentissage par cœur du texte fondateur de lislam ou une connaissance appuyée des dires et actes de son prophète.

Dans de nombreux cas, les références coraniques ont été retirées. En effet, elles interviennent souvent pour appuyer un propos, mais ne sont pas le fondement de largumentation. Nous pouvons prendre un exemple :

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Dieu – quIl soit exalté ! – est la cause du monde (ʿillat al-ʿālam), et le monde est son « causé » (maʿlūlu-hu). La raison (al-sabab) [de la cause] est quils [i.e. le monde et toutes les créatures] Ladorent en raison de la connaissance quils ont de Lui et leur aveu de Son existence, comme Il a dit – Il est puissant et majestueux ! – : « Je nai créé les djinns et les hommes que pour quils Madorent58. »

Le traducteur latin a rendu le passage ainsi :

Sache que Dieu est lartisan et le créateur de tout lunivers et de tous les êtres qui existent en lui, et que ce monde et tout ce qui existe en lui ont été créés par lui-même, le Très Haut. Et sa raison est trop profonde et trop forte pour pouvoir être comprise, et ce qui peut en être compris est considéré avec soin et science. Cest le plus grand cadeau que Dieu a donné aux hommes que de sappliquer à savoir et à connaître. En effet, étudier cest servir Dieu59.

Dans le cas présent, le verset a été retiré. En revanche, si nous comparons les deux passages en question, nous pouvons voir que le paradigme du rapport de Dieu au monde nest pas le même : dans la Ghāyat al-akīm, Dieu est la « cause » (ʿilla) du monde. Le terme peut désigner une maladie, un vice, un défaut. Cependant, le terme peut aussi être un synonyme de sabab60, la cause, autre terme utilisé dans le passage. Nous sommes ici dans le paradigme philosophique de la causalité. Ces notions sont rapportées au Coran, où Dieu est présenté comme le créateur. À linverse, le Picatrix fait avant tout de Dieu le « facteur » (factor) et le « créateur » (creator) du monde : Il est un agent actif et non une causalité rendant nécessaire la création du monde.

La philosophie nest pas absente du Picatrix, loin sen faut : le traducteur a bien repris de nombreuses références. Dans un autre passage, la Ghāyat al-akīm accorde par exemple un hadith (parole ou acte du Prophète) avec un dire attribué à Platon :

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La meilleure catégorie de magie savante est la parole, comme ce fut indiqué par [le Prophète] – que la prière et le salut de Dieu soient sur lui – par son propos : « il y a dans la parole une [certaine] magie ». De là le propos du [savant] confirmé que fut Platon dans le Livre des aphorismes : « comme lami sincère devient ton ennemi par la mauvaise parole, de même lennemi se transformera en ami par la bonne parole ». Cela ne relève-t-il pas dune sorte de magie61 ?

Le hadith ici mentionné nest pas tout à fait traditionnellement rapporté de la même façon : en effet, dans sa formulation la plus répandue, ce nest pas dans la parole (kalām) quil y a de la magie (sir), mais dans la clarté ou léloquence (al-bayān). Le terme de kalām renvoie à la faculté délocution, à la capacité de parler. Ainsi, dans la tradition islamique, Moïse est surnommé al-Kalīm, cest-à-dire celui à qui Dieu a parlé, celui qui a entendu la voix de Dieu. En revanche, le terme de bayān va plus loin : comme lindique Ibn Manūr dans son dictionnaire Lisān al-ʿarab (La langue des Arabes), après avoir cité ce hadith, « al-bayān est le fait de faire apparaître lobjet visé par le plus éloquent des mots (ablagh laf), [al-bayān] relève de la compréhension (al-fahm), de lintelligence du cœur avec la langue, et son fondement est le dévoilement (al-kashf) et la manifestation (al-uhūr)62 ». Le contexte dans lequel le Prophète aurait énoncé ce hadith serait celui dune joute verbale entre deux poètes : le propos de Platon correspond donc tout à fait au contexte dénonciation de ce hadith. Ce hadith est très connu dans la culture arabe médiévale. Le traducteur latin ne la pas repris, mais a gardé les références à Platon :

Les mots aussi constituent une des parties de la nigromancie parce que les mots ont en eux-mêmes une vertu nigromantique. Voilà pourquoi, dit Platon, comme un ami devient un ennemi par des paroles méchantes et outrageantes, à linverse, un ennemi devient ami par de bonnes et amicales paroles. Doù il est patent que la parole possède en soi une puissance nigromantique. La force augmente quand plusieurs forces se conjuguent ensemble ; et la puissance de la nigromancie est alors parachevée. Voilà pour la théorique63.

86

En revanche, le titre du livre attribué à Platon, Kitāb al-Fuūl, a disparu de la traduction. Est-ce parce que ce titre nétait pas connu ? Lhypothèse reste ouverte. Dans le cas présent, nous avons vu que le hadith était le fondement du discours dal-Qurubī et que le propos attribué à Platon visait à appuyer cette idée en la montrant conforme au propos plus développé dun sage de lAntiquité. Le propos de Platon étant plus clair et développé que le hadith, il nétait pas gênant de retirer celui du Prophète pour un lecteur qui navait pas connaissance de la tradition musulmane et de lensemble du contexte dénonciation du hadith en question, supposé connu dun lecteur musulman.

Certaines références coraniques viennent en revanche illustrer un propos abscons. Cest le cas, par exemple, des sages des révolutions lunaire, saturnienne et vénusienne, dans le passage suivant :

Et sache, ô mon frère, que de la magie relève ce qui est acquis et ce qui est une ruse. De lacquis relève ce quavait fabriqué le sage de la révolution lunaire (akīm al-dawra l-qamariyya) et sur cela il y a lindication avec Sa parole – quIl soit exalté ! – : « prends quatre oiseaux » (Coran, II, 262/260). De la ruse relève ce quavait fabriqué le sage de la révolution saturnienne et aussi ce quavait fabriqué le sage de la révolution vénusienne64.

Le verset coranique cité fait référence à Ibrāhīm (Abraham). Ce dernier demande en effet à Dieu comment il ressuscite les morts, et Dieu lui enjoint dapprivoiser quatre oiseaux, de les couper et den mettre un fragment sur des montagnes éloignées, puis de les appeler : ils reviennent alors à Ibrāhīm. En revanche, lexpression « sage de la révolution lunaire » trouve son sens dans Lagriculture nabatéenne (al-Filāa l-nabaiyya) dIbn Washiyya, où elle désigne le personnage de aghrīt65. Ce dernier 87serait le premier des trois sages qui auraient composé Lagriculture nabatéenne (les deux suivants furent Yanbūshādh et Qūthāmā). En effet, comme lexposait Toufic Fahd, « LAgriculture nabatéenne est présentée comme une “révélation” de Saturne, dieu de lagriculture, par lintermédiaire de la Lune, dont lidole a parlé à plusieurs générations dagriculteurs qui se nomment Kasdéennes ou Chaldéennes, astrolâtres, théurges et mystatagogues (sic)66 ». Ces considérations sur « trois sages anciens des Chaldéens » sont présentes dans lintroduction de louvrage : aghrīth y passe pour être apparu lors du septième des sept millénaires du cycle de Saturne, millénaire partagé avec la Lune. Yanbūshādh apparut à la fin de ce dernier millénaire, et Qūthāmā, qui paracheva le traité, apparut après que quatre millénaires se sont écoulés depuis la révolution du Soleil67. aghrīth est ainsi présenté comme celui qui reçut de lidole de la Lune des enseignements. Lassimilation à Abraham peut aisément sexpliquer. Lintroduction de louvrage commence avec une prière de aghrīth à « notre dieu, le Vivant, lAncien, celui qui na jamais cessé et ne cessera jamais, lUnique par Ses qualités seigneuriales pour lensemble de toutes les choses, le grand dieu, point de divinité excepté Dieu (Allāh), Il est unique et na point dassocié, le Grand, lÉternel dans Son ciel [] ». Les louanges continuent ainsi longuement, et on y reconnaît aisément une prière musulmane type, avec la profession de foi musulmane (shahāda) attestant de lunicité divine et de nombreux noms divins dinspiration coranique. Abraham est en outre le prophète apparu à lépoque des idoles pour renverser leur culte. Cette association fait donc sens dans le contexte islamique.

Voici la traduction latine :

Sache que la nigromancie sacquiert tantôt par des actions et des opérations, et tantôt par artifice. Celle qui sacquiert par des actions et des opérations le fait à partir de lenseignement quont pratiqué un sage du monde au sujet du cercle de la Lune et le sage qui a parlé dans le livre De lalfilaha, comme il le dit dans le même livre, dans le passage où il est question de prendre quatre oiseaux. Et la partie qui sacquiert par artifice vient des opérations pratiquées 88par le sage qui a opéré sur les mouvements du cercle de Saturne et aussi par le sage qui a opéré sur les mouvements du cercle de Vénus. Et ces deux sages ont aussi parlé dans le livre précité68.

Le traducteur latin ne pouvait pas ne pas repérer la référence coranique, précédée dans le texte arabe par la tournure on ne peut plus convenue « Son propos – quIl soit exalté ! ». En revanche, rien ne permet didentifier le Coran dans la traduction : au contraire, la référence aux quatre oiseaux est supposée provenir du De alfilaha ! Le traducteur avait donc une connaissance de Lagriculture nabatéenne qui lui permit de comprendre lallusion dans le texte arabe, ce quun lecteur arabo-musulman ne connaissant pas Lagriculture nabatéenne naurait bien entendu pas pu saisir. La traduction latine apporte donc un supplément dinformation appréciable pour comprendre le texte, tout en effaçant ce qui permettait didentifier clairement le Coran.

On trouve le même procédé à un autre endroit, à propos dun autre sage. Le texte arabe parle en effet dun sage qui fut élevé au-dessus des sept sphères :

À propos de cette connaissance, il y a lindication du premier Sage par son propos : « je suis celui qui fus élevé au-dessus des sept sphères ». Il voulait dire que par son propos : « je fus élevé à leur compréhension par la science » par sa seule force intellective. À ce propos, il y a lindication par Sa parole – Il est puissant et majestueux ! – : « Nous lélevâmes à un rang auguste » (Coran, XIX, 58/57)69.

Le verset coranique évoque le prophète Idrīs, cest-à-dire lÉnoch biblique, également identifié à Hermès dans la tradition hellénistique. Le verbe darasa de la racine D.R.S en arabe signifie « étudier », et cest la 89raison pour laquelle Idrīs est souvent associé au savoir et à la connaissance. Le terme de « sage » (akīm) renvoie au concept de « Sagesse universelle » (ikma), une sagesse qui transcende les époques, les régions et les communautés religieuses. Le terme sapplique particulièrement, dans les textes arabes des quatre premiers siècles de lhégire (viie-xe siècles), aux « sciences de la nature » (ʿulūm al-abīʿa), à savoir la médecine, lastrologie, lalchimie, la talismanique, etc. Ainsi, il faut comprendre par « premier sage » le premier dépositaire de cette sagesse et donc des sciences occultes.

Dans le cas de ce passage, le traducteur na pas hésité à reprendre la « parole » divine :

Cest ce que dit le premier sage qui a parlé dans le livre déjà cité De lalfilaha, où il dit : « Ils mont élevé au-dessus des sept cieux ». Il veut dire quil connaissait tous leurs mouvements avec leurs qualités par la force du savoir et de lintelligence. Cest ce que dit Dieu quand il a dit : « Élevons-le en haut ». Il veut dire en effet : « Donnons-lui intelligence et intellect pour quil puisse parvenir aux sciences élevées70 ».

On remarquera le changement de mode du verbe, qui passe ainsi de laccompli en arabe (qui équivaudrait à lindicatif parfait) à limpératif en latin. Le traducteur a ajouté de nouveau une référence à De lalfilaha, qui, dans le cas présent, ne se justifiait pas. En revanche, contrairement au passage précédemment analysé où le verset coranique était assimilé à un passage de Lagriculture nabatéenne, le verset coranique est ici rendu et clairement identifié comme une parole divine, alors quil ny en a pas déquivalent dans la Bible.

Certaines références qui auraient pu faire écho en contexte latin ont parfois été écartées. Nous pouvons prendre lexemple dun passage du livre IV, chapitre 5, après lénumération des dix sciences que le sage se doit dacquérir :

Les deux résultats [i.e. lalchimie et la magie], ô toi qui recherches, sont en vérité les deux résultats de ces sciences, mais personne ne peut les comprendre, ni les embrasser, ni les obtenir, – regarde, jai bien dit « personne ne peut 90les obtenir » –, en dehors de celui qui acquerra la vérité et la justesse de ces sciences. Il sera alors un philosophe complet. Et, peut-être, ô toi qui cherches, vas-tu faire attention au sommeil de la négligence afin de pouvoir contempler ce que les premiers Sages ont contemplé par des vues divines et des auditions spirituelles. Alors, il émanera de toi ce qui a émané deux. Selon ta capacité, tu seras lacteur de ton monde, toccupant des signes ingénieux qui ont lieu par analogie avec la divinité et grâce au signe de Sa parole, – le Tout-Puissant – : « Je vais placer un lieutenant sur terre ».

Cest ici maintenant que je vais citer ce qua mentionné Abū Bishr Mattā ibn Yūnus dans son commentaire au chapitre huit de la Métaphysique dAristote : « Thābit ibn Qurra répondit à un homme qui sétait querellé avec lui et qui lui avait dit : “Dieu, le Très Haut, est Celui qui a un pouvoir sur toute chose”, – “Est-ce que Dieu peut faire que le produit de cinq par cinq soit plus petit ou plus grand que vingt cinq ?”. Cet homme resta silencieux. Il ne lui trouva rien à répondre71 ».

Le traducteur latin a ainsi rendu le passage :

Après tout cela, les dix arts susdits sont suivis des deux conclusions dont nous avons parlé ; car celui qui les ignorera natteindra jamais les conclusions précédentes. Il te faut ensuite toi-même te soucier de ce que nous avons dit jusquà maintenant et te hausser impérativement à la connaissance de toutes ces sciences, parce que, quand tu seras devenu parfait dans ce domaine, tu atteindras ce quont atteint les sages dautrefois, tu comprendras les opérations des sages et les sciences spirituelles, et tu feras ce quils faisaient eux-mêmes. Et dans la mesure où lœuvre que tu feras à légard des esprits repose sur les forces dêtres vivants, tu obtiendras la grâce du Très Haut. Cest ce qui est compris daprès les paroles secrètes des prophètes72.

91

Ainsi, le traducteur na pas seulement supprimé le verset coranique : il a aussi supprimé tout le passage repris dun commentaire de Thābit ibn Qurra de la Métaphysique dAristote transmis par Abū Bishr Mattā ibn Yūnus (m. 328/940). Ce dernier était un chrétien nestorien qui fut un important traducteur et commentateur des œuvres dAristote en arabe via le syriaque. Quant à Thābit ibn Qurra, il fut un important traducteur dœuvres grecques en arabe, via le syriaque, sa langue maternelle. Il était connu dans le monde latin depuis le xiie siècle et il ny a donc pas de raison apparente pour laquelle le traducteur aurait jugé bon de supprimer ce passage.

Nous pouvons enfin poser la question des références religieuses non islamiques. Nous avons deux exemples dans un chapitre dédié aux fumigations astrales. En effet, le chapitre 6 du livre IV consacré aux fumigations commence ainsi : « Je dis quun des sages des Indiens, qui était contemplatif (al-nāir) et le chef (al-mutawallī) parmi eux, le Bouddha (al-Budd), avait compilé à leur attention des fumigations composées des forces terrestres liées et dépendantes du monde céleste73 ». Certains penseurs musulmans reconnaissent au Bouddha la qualité de prophète, envoyé en Inde, faisant ainsi des Bouddhistes des « gens du Livre » (ahl al-kitāb), à linstar des juifs et des chrétiens. Cela permettait ainsi de donner un statut aux Bouddhistes vivant dans les terres du califat, notamment dans le Khurāsān. Le Bouddha nest donc pas considéré comme un « païen » et son enseignement lui viendrait de Dieu. Il y a ici une caution religieuse à ce savoir.

Pouvait-il en être de même en contexte chrétien ? Religion géographiquement bien plus lointaine, le bouddhisme ne posait sans doute pas les mêmes questions et ne suscitait pas le même intérêt dans lEurope latine. Le traducteur a ainsi seulement retenu que le personnage en question était « un sage venu dune région dInde ».

Ce même chapitre comporte une autre référence religieuse non coranique : des recettes de fumigation sont présentées comme des extraits de la « Torah de Moïse » (Tūrāt Mūsā). Le texte arabe présente ainsi deux 92recettes de mélanges odoriférants à brûler, passage simplement supprimé dans la traduction latine. Pourquoi donc cette suppression alors que Moïse est, bien entendu, tout à fait connu du christianisme ? Nous pouvons émettre des hypothèses. Tout dabord, louvrage na pas été conçu de la même façon en arabe et en latin. En effet, en arabe, Le But du Sage est un ouvrage de propédeutique afin daccéder à la sagesse (ikma). Même si la magie (sir) est lobjet dune condamnation religieuse, lépistémologie arabe médiévale linclut dans les « sciences de la nature », et les exégètes, très tôt, indiquèrent que même si sa pratique peut être réprouvée, son étude et sa connaissance ne sauraient faire lobjet de condamnations. Il nest donc pas malvenu de se référer à des prophètes dans un tel ouvrage. En revanche, même si la traduction latine rend bien compte de la religiosité nécessaire à celui qui étudie la nigromancie, il était peut-être inopportun pour un auteur ou un traducteur latin dassocier la « Torah de Moïse » et donc la religion juive à ce type de savoir.

Dune manière concomitante, cette suppression de la mention des recettes de fumigation attribuées à Moïse pourrait dailleurs sexpliquer par le statut de la fumigation lui-même. En effet, dans les versets de lExode 30, 34-37, correspondant à ce passage de la Ghāyat al-akīm, Dieu donne à Moïse la composition dun mélange à faire brûler, réservé exclusivement à un usage religieux et sacré, à lexclusion de toute utilisation profane. Dans le rite chrétien, lencens est également utilisé comme symbole de la prière qui sélève vers le ciel en vertu du verset du Psaume 140, 2. Aussi, dans une optique chrétienne, non seulement ce mélange est très connu, mais il est réservé au seul culte. On peut aisément comprendre la gêne provoquée par ce passage qui évoque avec ces mélanges mosaïques des fumigations attribuées au Bouddha à destination des astres ! En revanche, le rite musulman exclut toute fumigation. En effet, des fumigations peuvent être utilisées dans des mosquées, mais pas dans une optique cultuelle : il sagit de purifier des zones souillées de la mosquée ou de parfumer lair pour favoriser le bon déroulement du culte en évacuant déventuelles mauvaises odeurs. Les parfums et fumigations pourraient avoir été exclus du culte musulman par opposition aux autres cultes par rapport auxquels il sest construit, ce qui explique quils soient utilisés davantage dans un cadre profane74.

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Cette différence de culture se manifeste à divers échelons, et notamment à celui de la morale sexuelle. Le meilleur exemple de traduction jetant un voile pudique sur loriginal est celui dune recette du chapitre 5 du livre III. Attribuée à un Kitāb Taqāsīm al-ʿulūm wa-kashf al-maktūm (Le livre des divisions des sciences et le dévoilement de ce qui est scellé) dun certain Abū Ghālib Amad ibn ʿAbd al-Wāid al-Rūzbādī al-Kātib – dans la version latine, le titre de louvrage, écrit par « un sage », est devenu Divisio scientiarum et panditor secretorum –, la recette se présente comme le témoignage dun commerçant du Khurāsān daprès un marchand dorigine indienne quil aurait rencontré à Nīshāpūr75. Elle commence ainsi :

Il y avait un éphèbe (ghulām) de Balkh, vivant dans laisance (mūsir), quaucun bien ne pouvait abuser. Il affirma quil le lui présenterait, le conduirait à lobéissance, le séparerait de sa fortune et lattacherait à ma demeure jusquà ce quil le délie et le libère selon son bon vouloir. Je lui demandais de faire cela pour deux intérêts : lintérêt de la science et lintérêt du plaisir76.

Le terme de ghulām renvoie au jeune homme de condition servile. Dans le cas présent, il sagit dun jeune homme suffisamment riche pour quil ne soit pas « corruptible » ou ne puisse être abusé par lappât du gain ou lattrait dune meilleure condition sociale. Or, cette recette semble parfaitement correspondre au cadre social des relations entre hommes (une forme de paideia islamique), tel que lencourage un texte comme les Épîtres des Frères de la Pureté : « il y a chez les hommes mûrs un désir pour les jeunes hommes et un amour des éphèbes, afin de les pousser à les éduquer, les faire évoluer et les parfaire afin datteindre les buts quils visent77 ». Le désir homosexuel est alors considéré comme tout à fait naturel, bien que la sodomie soit par ailleurs condamnée dans un cadre légal en tant quacte apparenté à la fornication hors mariage78. 94Le cadre acceptable de ces relations est alors que les rôles actif/passif traduisent lécart entre les amants, lactif (« éraste ») devant dominer le passif (« éromène ») par lâge, la richesse ou la condition sociale. Le terme de ghulām implique jeunesse et statut social servile ou inférieur (le ghulām nest pas homme au sens social du terme) : cest dailleurs dans la poésie érotique arabe médiévale larchétype-même de lindividu qui est objet de consommation sexuelle. Dans la recette, ces deux rôles se traduisent avec les deux planètes associées aux deux personnages, à savoir Mars pour le demandeur et Vénus pour le ghulām. Les deux planètes sont qualifiées de « planètes de la fornication et des plaisirs » (kawākib al-nikā wa-l-ladhdhāt), ne laissant pas dambiguïté sur laspect sexuel de lobjectif du rituel.

Or, le bel éphèbe du texte arabe est devenu dans la traduction latine « une jeune fille (iuvencula) qui passait pour la plus belle au monde » ! La dimension sexuelle de la recette na pas échappé au traducteur, qui a sans doute estimé quil nétait pas possible de transmettre telle quelle à un lectorat latin chrétien une recette détaillée de magie amoureuse visant un éphèbe. Dans le cas présent, la norme sociale et religieuse a conduit à changer un seul mot pour modifier le sens de la recette et toutes ses implications sociales et culturelles. De ce point de vue, la traduction du Picatrix semble plutôt en retrait par rapport à celles du Centiloquium et du Liber de imaginibus du pseudo-Ptolémée, traduits de larabe en latin au xiie siècle, où les réflexions sur la sexualité et les recettes à finalité homosexuelle nont pas, dans la majorité des cas, été censurées79.

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La traduction des recettes :
comprendre les substances

Nous pouvons enfin nous poser la question de la traduction des noms de substances, de plantes, danimaux, de pierres, etc. En effet, cette question se pose dans tous les traités médiévaux car lidentification est toujours quelque peu difficile. Par exemple, dans les traités arabes médiévaux de botanique, certaines plantes peuvent être difficiles à identifier car nous ne pouvons savoir exactement quelle était celle quavait à lesprit lauteur. Dans le cas de ce type de traité, plusieurs questions pouvaient se poser au traducteur : tout dabord le mot désigne-t-il une plante et une seule ou peut-il y avoir ambiguïté parce que le même mot peut désigner deux plantes dans deux régions différentes ? La plante en question est-elle censée être connue du destinataire de la traduction ? La plante pousse-t-elle aussi dans la région du destinataire, et, le cas échéant, peut-il se la procurer en vue de faire la recette ?

Nous prendrons lexemple du passage du chapitre 6 du livre IV consacré aux fumigations attribuées au Bouddha, dont il a été donné une traduction intégrale de larabe dans un article récemment paru80. Les recettes présentent toutes la même structure, mais lordre en est différent. Ainsi, dans Ghāyat al-akīm, les fumigations se trouvent dans lordre Soleil, Lune, Jupiter, Venus, Saturne, Mars et Mercure ; alors que dans le Picatrix, lordre est Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure, Lune, soit lordre décroissant déloignement par rapport à la Terre dans lastrologie médiévale. Il est plus difficile dinterpréter lordre en arabe, mais celui-ci pourrait provenir de la fonction des astres : le Soleil correspond au roi ou au calife (le titre de sultan nexistait pas encore formellement à lépoque de la rédaction de la Ghāyat al-akīm), la Lune au vizir et Jupiter au juge. Vénus est la concubine du souverain. Viennent ensuite les pouvoirs exécutif et militaire : Saturne correspond à la police, Mars à larmée et Mercure à la chancellerie.

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Concernant les recettes en tant que telles, la fumigation au Soleil se présente ainsi :

La première est la fumigation du Soleil : [il faut] prendre de la jacinthe (sunbul ʿaāfīriyya), du santal jaune et du santal rouge (al-andal afaru-hu wa-amaru-hu) à hauteur de cinq mithqāl pour chacune [de ces substances], du souchet (al-saʿ) et de lécorce dacacia rouge (qashr al-salīkha al-amrāʾ) à hauteur de trois mithqāl pour chacun, du costus (al-qus) à hauteur de deux mithqāl, et des cervelles de passereaux et daigles (adghimat al-ʿaāfīr wa-nusūr) ainsi que du sang de ces deux [animaux] à hauteur de dix mithqāl chacun, le sang et la cervelle seront en égale proportion. [Il faut] réunir le tout après lavoir concassé. [Il faut ensuite] le malaxer avec du miel (ʿasal) dont on aura séparé lécume (muzāl raghwati-hi) du reste. [Il faut ensuite] façonner des disques, chaque disque ayant le poids dun demi dirham. Ensuite, [il faut] les faire sécher au soleil. Aux moments de lopération [de la fumigation du Soleil], tu appelleras et demanderas laide de lessence spirituelle du Soleil en charge des six directions afin que ses forces se lient aux ingrédients. Puis tu les élèveras au moment où tu en auras besoin81.

La traduction latine donne :

Suffumigation du Soleil. Prends des fleurs dépi de nard, du santal jaune et rouge à raison de dix onces de chaque, du souchet, du thym, du bois de cannelier rouge à raison de six onces de chaque, deux onces de costus, de la cervelle daigle et de son sang, de la cervelle de chat et de son sang à raison de vingt onces de chaque. Fais sécher tout cela ; et fais tout dans lordre, comme tu las fait plus haut pour les autres82.

Si nous comparons la composition des deux recettes, nous pouvons donc établir le tableau suivant :

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Arabe

Latin

jacinthe

sunbul ʿ a āfiriyya

fleurs dépi de nard

florum spice nardi

santal jaune et santal rouge

al- andal a faru-hu wa- a maru-hu

santal jaune et rouge

sandali crocei et rubei

souchet

al-sa ʿ

souchet

ciperi

-

thym

thymi

écorce dacacia rouge

qashr al-salīkha al- amrā ʾ

bois de cannelier rouge

cassie lignee rube

costus

al-qu s

costus

costi

cervelles et sang de passereaux

adghimat al- ʿ a āfīr [ ] wa-dimā ʾ i-himā

cervelle daigle et son sang

cerebri aquile eiusque sanguinis

cervelles et sang de passereaux et daigles

adghimat al- [ ] nusūr wa-dimā ʾ i-himā

cervelle de chat et son sang

cerebri gatti eiusque sanguinis

On remarque tout dabord que les deux recettes correspondent globalement aux mêmes substances, à quelques exceptions près. Nous pouvons également émettre des hypothèses sur les différences dans les substances. Ainsi, la cervelle et le sang daigle sont remplacés par de la cervelle et du sang de chat. Or, le terme arabe désignant laigle est ici nusūr (pluriel de nasr83). Et si on intervertit les deux premières lettres du mot arabe nūn et sīn, on obtient le terme de sinnawr, qui désigne couramment le chat. Il nous semble donc probable que les deux leçons nusūr et sinnawr ont pu se retrouver dans les manuscrits, ou que le traducteur a pu corriger dautorité nusūr en sinnawr, le premier étant dun usage moins courant que ʿuqāb et le second étant très usité dans les traités de magie.

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Parmi les différences flagrantes dans la fumigation de la Lune, nous pouvons souligner lajout du storax et le changement de couleur des chats, qui passent du blanc au noir. Ce changement de couleur peut trouver son explication dans limage quont les chats noirs en Occident latin. Dans la religion musulmane, le chat a une image positive : selon un hadith, le Prophète aurait affirmé que « le chat fait partie des membres de la maisonnée » (al-sinnawr min ahl al-bayt)84. Il avait lui-même un chat85. À linverse, la réputation du chat dans lOccident latin est plus problématique. Sil na pas toujours eu une image résolument négative, il nen était pas pour autant une figure positive. Dans tous les cas, au xiiie siècle, le pape Grégoire IX (1227-1241) fait du chat le serviteur du diable dans sa bulle Vox in Rama (1233). Il devient alors un attribut des hérétiques, voire des sorcières86. On remarquera que le chat est mentionné ici dans la recette de la fumigation à la Lune, astre associé à la nuit et à la sorcellerie.

Pour la fumigation de Jupiter, la traduction latine est particulièrement fidèle à larabe. Mais celle de Vénus comporte quelques différences : la graine de prunus mahleb (abb al-malab) devient ainsi en latin l« amande de la noix87 » (granorum nucleorum). Il est fort possible que lidentification de larbre ait pu poser problème, bien quil soit courant en Europe. Le « bois dorchis » (ʿūd al-bahnaj) a été traduit par « tiges de jusquiame » (fustorum iusquiami). Le « fruit de sorbe » (thamr al-ghabīrī) est devenu les « tiges de polium » (fustorum polii)88.

La recette de fumigation de Saturne a été fidèlement traduite, à lexception de deux substances, qui ont disparu lors du passage au latin : les « fruits de ricin » (tamr al-khirwaʿ) et les « cervelles de chats noirs » (adghimat [] al-sanānīr al-sawd).

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Celle de la fumigation de Mars comporte quelques différences notables entre larabe et le latin. Ainsi, les « cervelles de hérissons » (adghimat [] al-qanāfidh) deviennent des « [cervelles de] scorpions séchés » ([cerebri]scorpionum). Il est difficile de comprendre comment les hérissons sont devenus scorpions, surtout que les cervelles de toutes les recettes proviennent toutes de vertébrés et que les graphèmes qanāfidh et ʿaqārib sont suffisamment différents pour quils ne puissent être confondus, même sans points diacritiques et en intervertissant deux lettres. Au contraire, en Islam, le hérisson est réputé ne pas dormir la nuit pour chasser les serpents, il est même surnommé Abū l-shawk (« Père de lépine, de la pointe »)89. Le terme shawka peut désigner aussi bien lépine du hérisson que laiguillon du scorpion (lépine du surnom du hérisson est au singulier). Enfin, il est à noter que lhomme de lettres et encyclopédiste al-Nuwayrī (m. 733/1333) place le hérisson dans la même classe danimaux que les serpents et les scorpions, cest-à-dire les animaux venimeux ou mortels, avec le scarabée, le gecko, la belette et quelques autres animaux. Sans doute le traducteur latin a-t-il ainsi préféré un animal à aiguillon correspondant mieux à lagressivité de la planète martiale.

Pour ce qui est de la fumigation de Mercure, le « jonc odoriférant » (faqā al-idhkhir) est devenu « fleurs de jusquiame » (florum iusquiami) et les « feuilles azymes » (waraq al-sādiǧ) des « feuilles dindigo de lInde » (foliorum Indicorum). Parmi les différences un peu plus importantes, le « bdellium bleu » (al-kūr al-azraq) est devenu la « gomme ammoniaque rouge » (armoniaci rubei). Le bdellium est bien une gomme, mais le changement de couleur nest pas complètement surprenant : le bdellium a généralement une couleur plutôt rougeâtre. Enfin, le changement le plus surprenant est le « castoréum » (al-jand bādistar) devenu « testicules de crapeau » (testiculorum buffi). Certes, le castoréum est une « substance sébacée, dune odeur fétide et dune saveur âcre, sécrétée par deux glandes abdominales du castor [] » (définition du CNRTL). Si la traduction rend aussi par une substance dorigine animale, il sagit dun animal bien différent. Enfin, il convient de signaler la translittération apparente de larabe asārūn (nard sauvage) en assari dans le texte latin. Il sagit toutefois dun emprunt au grec ʾάσαρον, utilisé par Dioscoride. Larabe a aussi le terme sunbul barrī pour la même plante. Or, le terme 100dassarus était bien connu des lecteurs latins familiers des traductions de Dioscoride, Galien ou Avicenne, bien que certaines de ses propriétés diffèrent dun texte à lautre90.

Nous avons quelques autres exemples de ces traductions « naturelles », comme le borax (al-tinkār en arabe, attincar en latin) pour la fumigation de Vénus ou le turbith (al-tarbid en arabe, turbith en latin) pour la fumigation de Mars. Ces derniers exemples illustrent parfaitement ladéquation quil peut y avoir entre les textes arabes et leurs traductions latines, malgré les petites « infidélités » que nous pouvons observer çà et là.

Conclusion

Notre étude se fonde sur les deux éditions existantes du texte arabe et du texte latin. La comparaison des deux textes tend à montrer que la traduction est demeurée globalement fidèle. Mieux, elle est généralement cohérente en traduisant aussi systématiquement que possible les termes arabes par les mêmes équivalents latins. Beaucoup décarts observables entre les deux versions sont intimement liés au contexte culturel et religieux, et il sagit de passages que des lecteurs latins nauraient pas pu comprendre ou apprécier à leur juste valeur sans une solide connaissance du Coran, du hadith ou de la littérature et de la culture arabes. On peut donc aisément comprendre que le ou les traducteur(s) ai(en)t opérés des modifications sur ces passages ou les ai(en)t supprimés. Il nen demeure pas moins que les deux textes ont aussi un contexte commun puisque tous deux sont liés et destinés à des cercles de pouvoir, où la diffusion restreinte de traités de magie savante fut, à la cour dAlphonse X de Castille comme dans celle de ʿAbd al-Ramān III trois siècles plus tôt, un élément important de distinction socioculturelle à légard du reste de la population.

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Cependant, les deux éditions que nous avons à notre disposition ont également des faiblesses qui doivent nuancer ces observations : comme nous lavons indiqué, lédition du texte arabe ne tient compte que de manuscrits remontant au plus tôt au xive siècle et nous ignorons à partir de quel texte précis a été faite la traduction. Aussi, les passages dont nous avons observé la suppression dans la traduction pourraient venir dun manuscrit arabe perdu ou qui na pas été pris en compte dans lédition de 1933. De même, nous navons que peu dinformations sur lintermédiaire castillan entre loriginal arabe et la traduction latine.

Jean-Patrice Boudet

Université dOrléans – EA 4710 POLEN-CESFiMA

Jean-Charles Coulon

IRHT – CNRS (section arabe)

1 Nous utilisons ici un système de translittération simplifié de larabe adapté de lEncyclopédie de lIslam (troisième édition) afin de faciliter la lecture des termes par les lecteurs non arabisants. Les dates sont données en ère hégirienne puis en ère chrétienne lorsquelles concernent le monde musulman.

2 Pseudo-Majrīī [Maslama al-Qurubī], Das Ziel des Weisen, éd. H. Ritter, Leipzig-Berlin, B. G. Teubner, 1933.

3 “Picatrix”. Das Ziel des Weisen von Pseudo-M a ǧ rītī, trad. allemande dH. Ritter et M. Plessner, London, The Warburg Institute, 1962.

4 Picatrix. The Latin Version of the Ghāyat Al- akīm, éd. D. Pingree, London, The Warburg Institute, 1986.

5 Voir notamment Picatrix. Un traité de magie médiéval. Traduction, introduction et notes par B. Bakhouche, Fr. Fauquier et B. Pérez-Jean, Turnhout, Brepols, 2003. Une traduction française du texte arabe, effectuée par Valérie Chébiri dans le cadre dun diplôme de lEPHE dirigé par Pierre Lory, est malheureusement restée inédite : V. Chébiri, Le Livre du But du Sage. Prééminence quil convient daccorder à lun des deux plus dignes résultats, Paris, 1998.

6 J.-P. Boudet, A. Caiozzo et N. Weill-Parot (dir.), Images et magie : Picatrix entre Orient et Occident, Paris, Champion, 2011 ; J.-Ch. Coulon, « Autour de Ghāyat al-akīm (Le but du sage) (Compte rendu critique des actes du colloque Images et magie) », Arabica, 61, 2014, p. 89-115.

7 M. Fierro, « Bāinism in Al-Andalus : Maslama b. Qāsim al-Qurubī (d. 353/964), Author of the Rutbat al-akīm and Ghāyat-al-akīm (Picatrix) », Studia Islamica, 84, 1996, p. 87-112 ; G. de Callataÿ, « Magia en al-Andalus : Rasāil Ijwān al-afā, Rutbat al-akīm y Gāyat al-akīm (Picatrix) », Al-Qanara, 34-2, 2013, p. 297-344.

8 Le pèlerinage étant une obligation rituelle de lislam, que tout croyant est censé effectuer au moins une fois dans sa vie, il était pour de nombreux savants loccasion de faire un long périple de plusieurs années en sarrêtant dans les grandes villes et en rencontrant les savants et maîtres des régions éloignées. Sur le voyage dal-Qurubī, voir G. de Callataÿ et S. Moureau, « A Milestone in the History of Andalusī Bāinism : Maslama b. Qāsim al-Qurubīs Rila in the East »,dansM. Fierro, S. Schmidtke et S. Stroumsa (dir.), Histories of Books in the Islamicate World (Intellectual History of the Islamicate World, 4), Leiden, Brill, 2016, p. 85-116.

9 Voir les articles mentionnés dans les deux notes précédentes, de même que G. de Callataÿ et S. Moureau, « Again on Maslama Ibn Qāsim al-Qurubī, the Ikhwān al-afāʾ … and Ibn Khaldūn : New Evidence from Two Manuscripts of the Rutbat al-akīm », Al-Qanara, 37-2, 2016, p. 329-372.

10 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 309, 363-364 et 388 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 322, 377 et 396 ; Picatrix. The Latin Version, p. 188, 207 et 217. Sur cette compilation, voir notamment J. Hämeen-Anttila, Ibn Wahshiyya and his Nabatean agriculture, Leiden, Brill, 2006.

11 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 37 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 35 ; Picatrix. The Latin Version, p. 23 (sous le titre De ymaginibus, qui est celui que retient également la traduction latine de ce texte, effectuée au xiie siècle par Jean de Séville). Sur ce traité, dont la version de Jean de Séville a été éditée par F. J. Carmody, The Astronomical Works of Thabit b. Qurra, Berkeley-Los Angeles, 1960, p. 179-197, voir notamment Ch. Burnett, « Thābit ibn Qurra the arrānian on Taslimans and the Spirits of the Planets », La corónica, 36-1, 2007, p. 13-40.

12 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 54-55 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 55-56 ; Picatrix. The Latin Version, p. 32. Le texte arabe du Kitāb al-thamara / Centiloquium et de son commentaire par Amad ibn Yusūf a fait lobjet dune édition et dune traduction italienne : Amad ibn Yusūf ibn al-Dāya, Commento al Centiloquio tolemaico, a cura di F. Martorello e G. Bezza, Milano-Udine, Mimesis, 2013 (p. 70-75 pour la 9e proposition).

13 Voir la traduction de V. Chébiri, Le Livre du But du Sage, p. 52-53. De fait, Maslama eut par la suite la réputation dêtre devenu un « maître dans les incantations prophylactiques et les talismans » (āib ruqā wa-ilasmāt).

14 Sur les traductions latines du Centiloquium, voir en dernier lieu J.-P. Boudet, « The Latin Medieval Versions of Pseudo-Ptolemys Centiloquium », dans Ptolemys Science of the Stars in the Middle Ages, colloque du Warburg Institute de Londres organisé par Ch. Burnett, B. Van Dalen, D. N. Hasse et D. Juste, 5-7 novembre 2015, à paraître chez Brepols dans la collection « Ptolemaeus Arabus et Latinus ».

15 Voir Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 278-279 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 285-286 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 211-212 ; Picatrix. The Latin Version, p. 167-168 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 285-286.

16 Pour une présentation du personnage, voir J.-Ch. Coulon, La magie islamique et le « corpus bunianum » au Moyen Âge, thèse de doctorat de lUniversité de Paris IV Sorbonne, préparée sous la direction dAbdallah Cheikh-Moussa et Ludvik Kalus, soutenue en 2013, p. 224-229.

17 Voir notamment P. Kraus, Jābir ibn ayyān. Contribution à lhistoire des idées scientifiques dans lislam, Le Caire, Imprimerie de linstitut français darchéologie orientale, 1942, vol. 1, p. 30 et vol. 2, p. 59.

18 Pseudo-Masʿūdī [Ibrāhīm b. Waīf Shāh], Akhbār al-zamān, Beyrouth, Dār al-Andalus li-l-ibāʿa wa-l-nashr, 1966, p. 197-199 ; trad. B. Carra de Vaux, LAbrégé des merveilles, traduit de larabe daprès les manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris, Paris, 1898, p. 255-258, nouv. éd., Paris, Sindbad, 1984, p. 222-226.

19 H. Toelle et K. Zakharia, À la découverte de la littérature arabe, Paris, Flammarion, 2005, p. 100.

20 Wa-lam ara fī ʿ uyūbi l-nāsi ʿ ayban / ka-na q i l-qādirīna ʿ alā l-tamāmi. Pseudo-Maǧī, Das Ziel des Weisen, p. 52 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 52 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 45.

21 Al-Mutanabbī, Dīwān Abī l-ayyib al-Mutanabbī, éd. Badr al-Dīn āirī et Muammad ammādī, Beyrouth, Dār al-sharaf al-ʿarabī, 1995, p. 370.

22 959 est lannée de fin de composition de la Ghāya daprès les dates données dans les manuscrits. Cela invite plusieurs remarques permettant démettre des hypothèses sur la présence de ce vers. Tout dabord, ce ne sont pas les poètes qui écrivent leur propre anthologie (dīwān) : il sagit de compilations tardives destinées à consigner leurs vers, et des erreurs de datation des vers ou des erreurs dattribution sont relativement fréquentes. Le vers pourrait donc bien être dun panégyriste antérieur à al-Mutanabbī, soit que ce poète lait repris dans une de ses compositions, soit que le compilateur du dīwān lait inséré fautivement (sciemment ou non). Il se peut également quil sagisse dun vers de début de carrière quaurait pu entendre Maslama al-Qurubī lors de son voyage en Orient. Si le vers est toutefois bien dal-Mutanabbī et que la date de 959 est correcte, cela peut également indiquer qual-Qurubī aurait remanié son texte comme cela se faisait fréquemment au Moyen Âge, ou que le vers aurait été ajouté a posteriori par un continuateur.

23 Nil deterius in hominibus quam scientes velle sophistice apparere et scienciam non habere. Cf.Picatrix. The Latin Version, p. 29 ; trad. latino-française de Bakhouche etalii, p. 85. Cf.Phèdre, § 275.

24 Ce terme polysémique vient de bāin (caché, ésotérique). Il fut dabord appliqué pour qualifier des courants chiites et notamment lismaélisme (chiisme septimain), qui promeut une interprétation ésotérique du Coran. Par extension et selon les contextes, tous les tenants dune doctrine à contenu ésotérique ont pu être qualifiés de bāinī, notamment les philosophes et les soufis (mystiques). Sur lismaélisme, voir par exemple M.-A. Amir-Moezzi et Ch. Jambet, Quest-ce que le shîisme ?, Paris, Fayard, 2004 ; D. De Smet, La philosophie ismaélienne : un ésotérisme shiite entre néoplatonisme et gnose, Paris, Les Éditions du Cerf, 2012.

25 Fierro, « Bāinism in Al-Andalus », p. 88.

26 Nous pensons en particulier à la magie anglo-saxonne. Voir A. Berthoin-Mathieu, Prescriptions magiques anglaises du xe au xiie siècle. Étude structurale, 2 vol., Paris, Publications de lAssociation des Médiévistes Anglicistes de lEnseignement Supérieur, 1996. Sur cette « tradition commune » de la magie, voir plus généralement R. Kieckhefer, Magic in the Middle Ages, Cambridge, CUP, 1989, chap. 4, p. 56-94.

27 Picatrix. The Latin Version, p. 9-14. Voir Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 14-23 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 15-21 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 19-24 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 54-60.

28 Picatrix. The Latin Version, p. 15-22. Voir Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 27-36 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 25-33 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 27-34 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 64-74.

29 Ce nest quau ve/xie siècle que sulān devient un titre personnel. Lhistoire du passage du sens impersonnel de détenteur dun pouvoir politique à celui de titre attribué dune façon personnelle à des souverains demeure quelque peu obscure, mais cest en 443/1051 que le calife donne pour la première fois au saljūqide Tughril Beg le titre de sultan.

30 Dans le texte arabe, les noms sont Šams pour larabe, Mahr pour le persan (traduit en latin par « chaldéen »), Īliyūs pour le grec (byzantin) et Āras pour lindien. Šams est bien le terme arabe pour le Soleil, mais sa transcription en Yazemuz semble ici défier toute logique.

31 Picatrix. The Latin Version, p. 128 : Quando Solem orare volueris et aliquid ab ipso petere, sicut esset peticio gracie regis et amoris dominorum, et dominaciones et huiusmodi acquirendi, fortunabis Solem ipsumque in ascendente ponas, et hoc in die et hora eius. Et induas te regalibus vestibus, sericis et croceis cum auro mixtis, et in tuo capite coronam auream ponas, in tuo vero digito annulum aureum deferas ; et in forma sublimium hominum Caldeorum te parabis quia eorum ascendentis fuit dominus. Et ingrediaris domum sequestratam et operi deputatam, et dextram tuam super sinistram ponas, et aspicias Solem verecundiose et humili aspectu quemadmodum timidus et verecundus aspicit. Deinde thuribulum aureum accipas formosumque gallum formosum collum habentem, supra quod collum candelam ceream parvam accensam ponas, que sit in capite unius ligni magnitudinis palme situata ; et in igne thuribuli ponas suffumigacionem inferius nominatam. Et dum Sol elevatur, versus ipsum revolvas gallum ; fumo vero thuribuli continue ascendente, dicas : « Tu qui es radix celi et es super omnes stellas et super omnes planetas, sanctus et honoratus, rogo te ut peticionem meam exaudias, et mihi graciam et amorem talis regis et ceterorum aliorum regum concedas. Coniuro te, per illum qui tibi lumen tribuit et vitam. Tu es lumen mundi. Invoco te cunctis nominibus tuis, videlicet in arabico Yazemiz, in latino Sol, in caldeo Maher, in romano Lehuz, in indiano Araz. Tu es lux mundi et eius lumen ; in medio planetarum existis. Tu es qui generacionem tua virtute et calore facis in mundo, in tui loco sublimatus. Peto te tua altitudine et voluntate ut sic me iuvare digneris quod talis rex et ceteri alii reges terre in altum et sublimem locum me ponant ut dominacionem atque altitudinem habeam quemadmodum tu es ceterorum planetarum et stellarum dominus, et a te eorum lucem et lumen recipiunt. Queso te qui es radix totius firmamenti ut erga me habeas pietatem, et in meis precibus tibi factis et oracionibus advertas. » Voir Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 216 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 227-228 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 170-171 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 229-231 (que nous avons modifiée), et plus généralement J. Véronèse, « Les recettes magiques pour sattirer les faveurs des grands », dans M. Gaude-Ferragu, Br. Laurioux et J. Paviot (dir.), La Cour du Prince, Cour de France, cours dEurope, xiie-xve siècle, Paris, Champion, 2011, p. 321-338 (ici p. 331-332).

32 Sur les Sabéens de arrān, voir notamment J. Ö. Hjärpe, Analyse critique des traditions arabes sur les Sabéens arraniens, thèse de théologie, Uppsala, Skriv Service, 1972 ; T. Green, The City of the Moon God, Religious Traditions of Harrān, Leiden, Brill, 1992 ; D. Pingree, « The ābians of arrān and the Classical Tradition », International Journal of the Classical Tradition, 9/1, 2002, p. 9-21 ; K. Van Bladel, The Arabic Hermes : from Pagan Sage to Prophet of Science, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; G. de Callataÿ et B. Halflants, Epistles of the Brethren of Purity. On Magic. I. An Arabic Edition and English Translation of EPISTLE 52a, New York, Oxford University Press, 2011.

33 D. Pingree, « Al-abarī on the Prayers to the Planets », Bulletin dÉtudes Orientales, 44, 1992, p. 105-117.

34 Sur les textes scientifiques et magiques traduits ou compilés à linitiative dAlphonse X, outre les travaux pionniers de D. Romano, « Le opere scientifiche di Alfonso X et lintervento degli Ebrei », dans Oriente e Occidente nel Medioevo : filosofia e scienze (Congrès de Rome, 9-15 avril 1969), Rome, 1971, p. 677-711, voir notamment J.-P. Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans lOccident médiéval (xiie-xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 189-190, et L. Fernández Fernández, Arte e Ciencia en el scriptorium de Alfonso X el Sabio, Et Puerto de Santa María, Universitad de Sevilla-Cátedra Alfonso el Sabio, 2013.

35 Picatrix. The Latin Version, p. 1-2. Voir par exemple, pour comparaison, dun côté, le prologue du Lapidario (considéré comme une œuvre dastronomia : Alfonso el Sabio, Lapidario, Libro de las formas e imágenes que son en los cielos, éd. P. Sánchez-Prieto Borja, Madrid, Fundación José Antonio de Castro, 2014, p. 3-6) et celui des traités dastrologie traduits par Judas ben Moshé (Aly Aben Ragel, El Libro Conplido en los Iudizios de las Estrellas, éd. G. Hilty, Madrid, 1954, p. 3 ; Alfonso el Sabio, Libro de las cruzes, éd. L. A. Kasten et L. R. Kiddle, Madrid-Madison, 1961, p. 1) et par Gilles de Thebaldis (Ptholomeus, Quadripartitum, avec le commentaire dHali Abenrudian, Venise, B. Locatello, fol. 2ra-b, éd. J.-P. Boudet dans « Le modèle du roi sage aux xiiie et xive siècles : Salomon, Alphonse X et Charles V », Revue historique, 310-3, 2008, p. 561-562), et, de lautre, le prologue anonyme du Libro de las formas e ymagenes dans Alfonso el Sabio, Lapidario,p. 329. Le manuscrit alphonsin du Libro de astromagia est moins significatif car il na été conservé que dune façon partielle et il est dépourvu de prologue : voir Alfonso X el Sabio, Astromagia(Ms. Reg. lat. 1283a), éd. A. DAgostino, Naples, Liguori Editore, 1992.

36 D. Pingree, « Between the Ghaya and the Picatrix, I : the Spanish Version », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes (désormais : JWCI),44, 1981, p. 27-56 (27-28).

37 Picatrix. Un traité de magie médiéval, p. 27-31.

38 Picatrix. The Latin Version, p. 20-21. Voir Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 34 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 32 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 32 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 71-72.

39 Picatrix. The Latin Version, p. 161-165. Voir Pingree, « Between the Ghaya and the Picatrix, I : the Spanish Version ».

40 Picatrix. The Latin Version, p. 228-234. Voir Pingree, « Between the Ghaya and the Picatrix II : the Flos naturarum ascribed to Jābir », JWCI, 72, 2009, p. 41-80.

41 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 169-171 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 176-181 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 139-143.

42 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 138-144 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 145-151 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 113-117. Sur le rituel de la tête divinatoire, voir notamment Green, The City of the Moon God, p. 178-180. Maslama dit que cest sous le règne du calife abbasside al-Muqtadir (295/908-320/932) que cette tête aurait été sortie dun temple et inhumée sur son ordre, après que les Sabéens ont été contraints de se cacher.

43 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 225 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 237 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 176.

44 Picatrix. The Latin Version, p. 135 : Sapientes autem qui oraciones et sacrificia fecerunt planetis in moschetis faciunt predicta. [] Et dicunt quod Hermes hoc iussit facere in moschetis sive in eorum ecclesiis. Trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 240.

45 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 352-360 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 368-374 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 267-272.

46 Picatrix. The Latin Version, p. 19-20. Voir Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 33 et 35 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 31 et 33 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 31-33 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 70.

47 Picatrix. The Latin Version, p. 200-201. Voir Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 341-344 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 358-360 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 261-262 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 333-335.

48 Lhypothèse ancienne selon laquelle « Picatrix » serait une mauvaise translittération du mot « Buqratis » (Hippocrate) a été remise en question par J. Thomann, « The Name Picatrix : Transcription or Translation ? », JWCI, 53, 1990, p. 289-296. On pense plutôt désormais quil sagirait dune traduction provenant du ism Maslama : la racine s-l-m donne le verbe salama, piquer ou mordre (se dit du serpent), et en castillan picatriz, daprès la racine latine picare (espagnol picar).

49 Il y a 33 occurrences de nigromantia dans la traduction latine, ce mot désignant la magie en général (à linstar de larabe sir), et non pas la nécromancie, comme cest le cas dans des textes latins depuis la seconde moitié du xie siècle : voir le Novum glossarium mediae latinitatis ab anno DCCC usque ad annum MCC, La Haye, 1965, col. 1165, et J.-P. Boudet, « Nigromantia : brève histoire dun mot », dans Geomancy and Other Forms of Divination, Actes du colloque de Trente (11-12 juin 2015), à paraître à Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo (Micrologus Library).

50 Ch. Burnett, « Nirānj, a Category of Magic (almost) Forgotten in the Latin West », dans Cl. Leonardi et Fr. Santi (dir.), Natura, scienze e società medievali : Studi in onore di Agostino Paravicini Bagliani, Firenze, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2008, p. 37-66. Il est également question de confectio (au lieu dopus) dans le livre III : cf.Picatrix. The Latin Version, p. 276, s. v. confectio.

51 Ch. Burnett, « Magic in the Court of Alfonso el Sabio : the Latin Translation of the Ghāyat al-akīm », dans J.-P. Boudet, M. Ostorero et A. Paravicini Bagliani (dir.), De Frédéric II à Rodolphe II. Astrologie, divination et magie dans les cours (xiiie-xviie siècle), à paraître à Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo (Micrologus Library).

52 Picatrix. The Latin Version, p. 5 : Nigromanciam appellamus omnia que homo operatur et ex quibus sensus et spiritus sequuntur illo opere per omnes partes et pro rebus mirabilibus quibus operantur quod sensus sequatur ea admeditando vel admirando.

53 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 6-7 : wa-l-sir aqīqatuhu ʿalā l-ilāq kull mā saara l-ʿuqūl wa-nqādat ilay-hi l-nufūs min jamīʿ al-aqwāl wal-aʿmāl bi-maʿnā l-taʿajjub wa-l-inqiyād wa-l-ighāʾ wa-l-istisān ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 7. Transcription et traduction française de J.-Ch. Coulon (idem pour les citations suivantes).

54 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 7 : fa-bi-l-jumla l-sir huwa mā khafiya ʿalā ʿuqūl al-akthar sababu-hu wa-aʿuba istinbāu-hu ; Picatrix. The Latin Version, p. 5 : Et generaliter nigromanciam dicimus pro omnibus rebus absconditis a sensu et quas maior pars hominum non apprehendit quomodo fiant nec quibus de causis veniant.

55 Picatrix. The Latin Version, p. 5 : Et ymagines sapientes appellant telsam, quod interpretatur violator, quia quicquid facit ymago, per violenciam facit, et pro vincendo facit illud pro quo est composita. Le mot magica, compris comme adjectif substantivé, apparaît 36 fois dans le texte latin, soit un peu plus que nigromantia (33 occurrences). Le mot ymago est omniprésent dans lensemble du traité.

56 Picatrix. The Latin Version, p. 6 ; pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 9 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 9.

57 Voir par exemple le compte rendu que Max Lejbowicz a consacré à cette traduction dans les CRMH, 10, 2003.

58 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 5 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 5 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 12 : inna Llāh taʿālā ʿillat al-ʿālam wa-l-ʿālam maʿlūlu-hu wa-l-sabab taʿabbudu-hu iyyā-hum bi-ʿilmi-him iyyā-hu wa-iqrāri-him bi-wujūdi-hi kamā qāla ʿazza wa-jalla {wa-mā khalaqtu l-jinna wa-l-insa illā li-yaʿbudūni}.

59 Traduction Bakhouche et alii, p. 45 ; Picatrix. The Latin Version, p. 4 : Et scias quod ipse Deus est factor et creator tocius mundi omniumque rerum existencium in ipso et quod iste mundus et omnia in ipso existencia ab ipso altissimo sunt creata. Et racio huius est nimis profunda et fortis ad comprehendendum ; et id quod ex ea comprehendi potest cum studio et sciencia habetur. Et hoc est maximum donum quod ipse Deus hominibus dedit, ut studeant scire et cognoscere. Nam studere servire Deo est.

60 Voir Ibn Manūr, Lisān al-ʿarab, Le Caire, Dār al-maʿārif, 1981, vol. 4, p. 3080.

61 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 9 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 9-10 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 15 : wa-asan anwāʿ al-sir al-ʿilmī huwa l-kalām wa-nawa hādhā l-ishāra bi-qawli-hi - allā Llāh ʿalay-hi wa-sallama - « inna min al-kalām la-sir » wa-min dhālika qawl al-muʾayyad Aflāūn fī Kitāb al-Fuūl « kamā yarjiʿu la-ka l-adīq ʿaduww bi-l-kalām al-sayyiʾ ka-dhālika yanqalibu la-ka l-ʿaduww adīq bi-l-kalām al-asan » a-laysa hādhā min qabīl al-sir ?

62 Ibn Manūr, Lisān al-ʿarab, vol. 1, p. 407.

63 Trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 49 ; Picatrix. The Latin Version, p. 6 : Et eciam verba sunt in una parcium nigromancie quia verba in se habent nigromancie virtutem. Ideo dicit Plato quemadmodum amicus malis et opprobriosis verbis fit inimicus, sic bonis et amicabilibus verbis inimicus efficitur amicus. Et ex hoc patet quod verbum in se habet potenciam nigromancie. Et maior fortitudo est quando plures fortitudines ad invicem coniunguntur ; et tunc est completa virtus nigromancie. Et hec est theorica.

64 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 9-10 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 10 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 15 ; comparer avec la traduction de T. Fahd, « Le monde du sorcier en Islam », Sources orientales, 7, 1966, p. 157-203, ici p. 191, note 14 : wa-ʿlam yā akhī anna min al-sir mā huwa mustafād wa-min-hu mā huwa iyalī fa-min al-mustafād[p. 10]mā kāna yanaʿu-hu akīm al-dawra l-qamariyya wa-naw hādhā l-ishāra bi-qawli-hi – ʿazza wa-jalla – {fa-khudh arbaʿatan mina l-ayr} wa-min al-iyalī mā kāna yanaʿu-hu akīm al-dawra l-zualiyya wa-ayan mā kāna yanaʿu-hu akīm al-dawra l-zuhariyya.

65 T. Fahd, « Sciences naturelles et magie dans “Gāyat al-akīm” du pseudo-Maŷrīī », Ciencias de la Naturaleza en al-Andalus, éd. E. Garcia Sánchez, Grenade, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, 1990, vol. 1, p. 14.

66 T. Fahd, « Lagriculture nabatéenne en Andalousie », Ciencias de la Naturaleza en al-Andalus, éd. C. Álvarez de Morales, Grenade, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, 1996, vol. 4, p. 43.

67 Ibn Wašiyya, al-Filāa l-nabaiyya, éd. T. Fahd, Damas, Institut Français de Damas, 1993, vol. 1, p. 9.

68 Trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 50 ; Picatrix. The Latin Version, p. 6 : Et scias quod nigromancia uno modo acquiritur actibus et operibus, et alio modo subtilitate. Illa vero que acquiritur actibus et operibus acquiritur ex magisterio quod operatus est sapiens mundi de circulo Lune et sapiens qui locutus fuit in libro De alfilaha ut dicit in eodem libro loco in quo dicitur quod accipias quatuor aves. Et pars que acquiritur subtilitate est ex operibus quibus operatus est ille sapiens qui operatus est in motibus circuli Saturni ac eciam sapiens in motibus circuli Veneris. Et hi duo sapientes eciam locuti fuerunt in preallegato libro.

69 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 11 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 11 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 16 : wa-naw hādhā l-maʿrifa ishārat al-akīm al-awwal bi-qawli-hi anā lladhī rufiʿtu fawqa l-sabʿa aflāk, wa-innamā arāda bi-qawli-hi rufiʿtu idrāka-hā ʿilman bi-quwwati-hi l-fikriyya wa-naw-hā l-ishāra bi-qawli-hi - ʿazza wa-jalla - {wa-rafaʿnā-hu makānan ʿaliyyan}.

70 Trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 51 ; Picatrix. The Latin Version, p. 7 : Et hoc est quod dicit primus sapiens qui locutus est in libro preallegato De alfilaha. ubi dicit : me supra 7 celos elevaverunt. Vult dicere quod scivit omnes suos motus cum suis qualitatibus per vim cognicionis et sensus. Et hoc est quod ait Deus quando dixit : exaltemus eum in altum. Vult enim dicere quod : ei demus sensum et intellectum ut ad altas sciencias valeat pervenire.

71 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 335 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 351 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 256 : wa-bi-aqq ayyuhā l-nāir mā kānat hātān al-natījatān natījatay hādhihi l-ʿulūm li-anna-hu lā yadraku-hā wa-lā yuīu bi-hā wa-lā yastanbiu-hā wa-nur qawlī yastanbiu-hā illā man aṣṣala hādhihi l-ʿulūm ʿalā aqqi-hā wa-addaqa-hā wa-huwa l-faylasūf al-tāmm fa-ʿasā-ka ayyu-hā l-nāir tantabihu min nawm al-ghufla kay tushāhida mā shāhadat-hu l-ukamāʾ al-awwalūn min al-marāʾī l-ilāhiyya wa-l-masmūʿāt al-rūāniyya wa-yaduru ʿan-ka mā adara ʿan-hum fa-takūnu fāʿilan fī ʿālami-ka muʾthiran li-l-āthār al-badīʿa bi-uūl al-shabh bi-l-ilāh ʿalā asab al-āqa l-insāniyya wa-naw hādhihi l-ishāra bi-qawli-hi - ʿazza wa-jalla - {innī jāʿilun fī l-ari khalīfatan}. Wa-dhkur mā dhakara-hu Abū Bishr Mattā b. Yūnus fī shar al-thāmina mimmā baʿda l-abīʿa li-Arisū min anna Thābit b. Qurra qāla l-insān kāna nāqaʿa-hu fī l-isāb wa-qad kāna qāla la-hu inna Llāh taʿālā qādir ʿalā kull shayʾ fa-qāla la-hu Thābit a-fa-yaqdaru Llāh an yajʿala jumlat al-marūb min khamsa fī khamsa aqall min khamsa wa-ʿishrīn aw akthar min-hā fa-askata-hu wa-lam yajid la-hu jawāban.

72 Trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 330-331 ; Picatrix. The Latin Version, p. 199 : Post omnia ista iste duo conclusiones quas diximus ex dictis decem artibus recte consequuntur ; nam qui has decem nesciverit artes numquam dictas conclusiones attinget. Postea vero que usque nunc diximus temetipsum sollicitare oportet et necessarie ascendere ad sciencias omnes supradictas sciendas, quia cum in ipsis perfectus efficieris, ad ea attinges que sapientes antiqui attigerunt, et intelliges sapientum opera et sciencias spirituales, et facies ea que faciebant ipsi. Et secundum quod opus erga spiritus prout in viribus animalium consistit feceris ab altissimo graciam consequeris. Et hoc est quod ex secretis dictis comprehenditur prophetarum.

73 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 341 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 358 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 261.

74 J. Bonnéric, « Réflexions sur lusage des produits odoriférants dans les mosquées au Proche-Orient (ier/viie-vie/xiie s.) », Bulletin dÉtudes Orientales, 64, 2015, p. 293-317.

75 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 180-181 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 190-192 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 146-147 ; Picatrix. The Latin Version, p. 104-106 ; trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 198-200.

76 Wa-kāna hunāka ġulām min ahl Balkh mūsir asan al- ūra lā yu ma ʿ u fī-hi qab ʿ alay-hi wa-za ʿ ama anna-hu yu iru-hu wa-yaqūdu-hu ilā l- ā ʿ a wa-mufāraqat ni ʿ mati-hi wa-mulāzamat dārī ilā an yū alla-hu wa-yufarrija ʿ an-hu bi-khtiyārī fa- ālabtu-hu bi- ʿ amal dhālika alaban li-l-fā ʾ idatayn ma ʿ an fā ʾ idat al- ʿ ilm wa-fā ʾ idat al-ladhdha.

77 Ikhwān al-afāʾ, Rasāʾil Ikhwān al-afāʾ, Beyrouth, Dār ādir, 2008, vol. 3, p. 277.

78 Sur la question des relations homosexuelles masculines dans le monde musulman médiéval, voir F. Lagrange, Islam dinterdits, islam de jouissance, Paris, Téraèdre, 2008 ; M. Mezziane, « Sodomie et masculinité chez les juristes musulmans du ixe au xie siècle », Arabica, 55, 2008, p. 276-306 ; C. Adang, « Ibn azm on Homosexuality. A Case-Study of āhirī Legal Methodology », Al-Qantara, 24, 2003, p. 5-31 ; la même, « Love between Men in awq al-amāma », dans C. de la Puente (dir.), Identidades marginales, Madrid-Grenade, CSIC, 2003, p. 111-146.

79 Voir J.-P. Boudet, « Un traité de magie astrale arabo-latin : le Liber de imaginibus du pseudo-Ptolémée », Natura, scienza e società medievali. Studi in onore di Agostino Paravicini Bagliani, éd. C. Leonardi et F. Santi, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2008, p. 17-35 ; le même, « Nature et contre-nature dans lastrologie médiévale : le cas du Centiloquium du pseudo-Ptolémée », La nature comme source de la morale au Moyen Âge, éd. M. Van der Lugt, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2014, p. 383-410. Voir également le Libro de las formas e ymagenes dans Alfonso el Sabio, Lapidario,p. 353, où, dans un chapitre inspiré par « Timtim » (Tomtom al-Hindī), un talisman fabriqué sous linfluence du 14e degré de la Vierge vise à « fazer amar un omne a otro por sodomítico ».

80 J.-Ch. Coulon, « Fumigations et rituels magiques : le rôle des encens et fumigations dans la magie arabe médiévale », Bulletin dÉtudes Orientales, 64, 2015, p. 179-248.

81 Pseudo-Majrīī, Das Ziel des Weisen, p. 341-342 ; “Picatrix”. Das Ziel des Weisen, p. 358-359 ; trad. arabo-française de Chébiri, p. 261 : dukhnat al-shams : yuʾkhidhu min al-sunbul ʿaāfīriyya wa-min al-andal afara-hu wa-amara-hu min kull wāid khamsat mathāqīl wa-min al-suʿdī wa-qashr al-salīkha l-amrāʾ min kull wāid thalāthat mathāqīl wa-min al-qus mithqālān wa-min adghimat al-ʿaāfīr wa-l-nusūr [p. 342] wa-dimāʾi-himā min kull wāid ʿashrat mathāqīl wa-bi-sawāʾ yakūnu l-dam wa-l-dimāgh yajmaʿu l-kull baʿd al-saq wa-yaluttu bi-ʿasal muzāl raghwati-hi bi-ghayri-hi wa-yanaʿu aqrāan kull qar min-hā zinat naf dirham thumma yujaffifu li-l-shams wa-fī awān ʿamali-hā tunādī wa-tastaʿīnu bi-rūāniyyat al-shams al-muwakkila bi-l-jihāt al-sitt kay tartabia quwā-hā fī l-akhlā thumma tarfaʿu-hā li-waqt al-āja li-dhālika.

82 Trad. latino-française de Bakhouche et alii, p. 334 ; Picatrix. The Latin Version, p. 201 : Suffumigacio Solis. Recipe Borum spice nardi, sandali crocei et rubei ana 3 x, ciperi, thymi, cassie lignee rubee ana 3 vi, costi 3 ii, cerebri aquile Ieiusque sanguinis, cerebri gatti eiusque sanguinis ana 3 xx. Ea siccare permittas ; et omnia per ordinem facias ut superius in aliis fecisti.

83 Le terme désigne en arabe aussi bien laigle que le vautour. Il sagit cependant dun terme moins fréquent que ʿuqāb pour désigner laigle.

84 Voir Amad b. anbal, Musnad, V, 309.

85 Sur les représentations liées au chat dans lIslam médiéval, voir M. H. Benkheira, C. Mayeur-Jaouen et J. Sublet, Lanimal en Islam, Paris, Les Indes savantes, 2005, p. 98-100.

86 L. Bobis, Le chat. Histoire et légendes, Paris, Le Seuil, 2000, p. 191-208 ; Witchcraft in Europe, 400-1700. A Documentary History, éd. A. C. Kors et E. Peters, 2e éd., Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001, p. 114-116 ; K. Walker-Meikle, Chats du Moyen Âge, trad. L. Bury, Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 74-82. Voir également L. Moulinier-Brogi, « Le chat des cathares de Mayence et autres “primeurs” dun exorcisme du xiie siècle », Retour aux sources. Textes, études et documents dhistoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, Picard, 2004, p. 699-709.

87 Bakhouche et alii ont traduit par « noyaux de cerises ».

88 Bakhouche et alii ont traduit par « tiges de germandrée ». Une sorte de polium est effectivement assimilable à la germandrée : cf. G. Ducourthial, Flore magique et astrologique de lAntiquité, Paris, Belin, 2003, p. 517, n. 63.

89 Benkheira, Mayeur-Jaouen et Sublet, Lanimal en Islam, p. 69.

90 Lassarus/assarum (ou assara baccara ; synonymes : bachira, vulgago) est attesté dans le De materia medica de Dioscorides (I, 9), dans le Dioscorides alphabeticus (f. 3r, s.v. « Asarus »), dans le De medicamentorum facultatibus de Galien (VI, 63, p. 840), dans le De gradibus de Constantin lAfricain (éd. Bâle, 1539, p. 369), dans le Canon dAvicenne (II, ii, 4, e), dans le Macer floridus (v. 1532-1568) et dans le Circa instans (s.v. « Asara »). Nous tenons à remercier Iolanda Ventura pour toutes ces informations.