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Classiques Garnier

La mélancolie des pauvres dans la littérature française à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteur : Roch (Jean-Louis)
  • Résumé : La mélancolie à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance n’a pas été seulement le spleen des princes et des poètes. Elle a été aussi une grave maladie, qui menait parfois au suicide. Or les pauvres ont leur mélancolie. La littérature à destination populaire permet d’approcher cette mélancolie des pauvres, d’en démonter le mécanisme et d’en éclairer l’originalité face aux autres mélancolies.
  • Pages : 303 à 326
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0303
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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La mélancolie des pauvres

dans la littérature française à la fin du Moyen Âge
et au début de la Renaissance

Au cours de lhistoire, la mélancolie, cette maladie de lâme, a pris plusieurs visages. Pour la psychiatrie, elle est la tristesse et le désespoir, la forme la plus grave de la dépression. Elle se caractérise dabord par linsomnie et la maigreur, le mutisme et la solitude, ensuite par langoisse devant lavenir, lincapacité dagir et le fatalisme, enfin par la mésestime de soi, lautodépréciation et le sentiment de culpabilité. Elle saccompagne de pensées obsessionnelles et peut mener au suicide1. Depuis lAntiquité, elle est rapportée, comme son nom lindique – melan-cholia, atrabile – à un excès de bile noire. De la puissance de cette image de la bile noire, de ce mythe, Jean Starobinski remarque : « nous navons pas encore complètement abandonné cette manière de voir, et peut-être correspond-elle à une intuition fondamentale [] Latrabile est une métaphore qui signore2 ». On nen viendra à parler des nerfs quà partir de la seconde moitié du xviiie siècle. Dans lAntiquité est élaborée la théorie des quatre tempéraments, dominés chacun par une humeur, les sanguins, les flegmatiques, les colériques et les mélancoliques. À partir du xiie siècle, la théorie des tempéraments réapparaît en Occident. Mais, au même moment, le renouveau de lastrologie renforce lidée que les hommes sont influencés par les astres. Le lien va être fait au xiiie siècle entre les planètes et les tempéraments : les sanguins dépendent de Jupiter, les flegmatiques de la Lune ou de Vénus, les colériques de Mars ; ceux qui sont nés sous linfluence de Saturne sont mélancoliques, sombres, 304lents, avares. « Lassimilation en particulier de Saturne au tempérament mélancolique, que lAntiquité navait fait québaucher, trouve maintenant une formulation explicite3 ». Et le tempérament prédispose à la maladie.

À la fin du Moyen Âge, la mélancolie se banalise jusquà se confondre parfois avec une tristesse passagère. Ce qui la rend souvent moins effrayante que la mélancolie des psychiatres. Au xve siècle, elle envahit la littérature française, chez Eustache Deschamps, Charles dOrléans ou René dAnjou. Elle devient à la mode. Et elle ne va pas disparaître à lépoque suivante. La Renaissance a été, pour reprendre la formule de Jean Starobinski, lâge dor de la mélancolie, de Marsile Ficin (De triplici vita, 1489) à lAnatomie de la mélancolie de Robert Burton (1621)4. Cette réévaluation, opérée par les Néoplatoniciens, va modifier son visage, elle devient une maladie qui frappe les êtres dexception et les artistes5. À la Renaissance, une liberté neuve ne trouve pas à sexprimer. Limagination et une sensibilité exacerbée y voisinent avec le doute de soi et le désespoir. « La mélancolie est le mal de lesprit pris dans son impuissance ; elle naît de la confusion et des rêves vains6 ». La mélancolie, comme source obscure du génie, dévoilée dès lAntiquité dans le Problème XXX, 1 du pseudo-Aristote, revient au premier plan7. Elle devient la source de linspiration, le spleen des artistes et des penseurs, un mal du siècle, qui devait durer bien au-delà de la Renaissance. Et Saturne, le père des mélancoliques, devient lastre qui préside au génie.

Mais la mélancolie na pas frappé que les malades mentaux et les génies. Michèle Perrot a raconté la vie et les luttes syndicales de Lucie Baud (1870-1913), une petite ouvrière du Dauphiné, qui, après léchec des grèves quelle avait animées, tentera, désespérée, de mettre fin à ses jours ; et elle a intitulé son livre « Mélancolie ouvrière8 ». Les pauvres aussi ont leur mélancolie, comme nous le montrent, à leur manière, les textes de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Cest cette mélancolie sociale, que nous allons tenter 305de déchiffrer, dans la littérature en Moyen Français. Cela nous fera accéder à quelques-uns des traits de ce quon peut appeler la culture à destination populaire. Les discours que nous allons croiser némanent, bien sûr, pas du peuple lui-même, mais ils sont portés sur le peuple, à une époque où culture populaire et haute culture se sont singulièrement rapprochées.

Loin de la contemplation sublime des génies saturniens longeant le précipice, il a existé en effet, en arrière-plan de la mélancolie des élites, une mélancolie « populaire », celle du vulgaire ou que lon attribue au vulgaire, qui ne fait que prolonger la part néfaste de Saturne. Dune certaine manière, le peuple récupère une maladie que les élites avaient tendance à sapproprier pour elles seules9. Or ces diverses mélancolies ont plusieurs caractères communs : le découragement devant laction, lapathie, que lon retrouve aussi dans lacédie, la mélancolie des ermites10 ; la peur devant le temps et lavenir ; la tristesse entraînée par léchec dun désir et la frustration. La tristesse, lébahissement et la stupeur réapparaissent dans lhébétude et la pâleur sur le visage des pauvres. La tristesse de vivre prend alors une couleur particulière. Elle nest pas seulement une maladie de lâme et le fruit de limagination, mais bien une maladie réelle. La pauvreté se donne comme maladie et se redouble comme délire triste. Et comme la mélancolie, elle se cherche des causes astrales et se place sous linfluence de Saturne.

Saturne, lastre froid et lent, commande le tempérament mélancolique. Il est lui-même « nonchalant et paresseux », « triste, vieux, ort [repoussant] et salle11 ». Les deux figures antinomiques de Saturne, le bon roi de lÂge dor et le vieillard Temps destructeur et cannibale, se rejoignent dans lidée dun bonheur inaccessible et dans la stupeur devant la fuite du temps. La réévaluation, opérée par les Néoplatoniciens, de linquiétude saturnienne comme source du génie, fut de toute façon limitée ; elle ne fait dailleurs quexprimer dune autre manière lambivalence de Saturne, le démon de lextremitas rendant intenable lécartèlement de lhomme entre la brute et le génie12.

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Mais, parmi les enfants de Saturne, il ny a pas que des génies ; on trouve aussi les pauvres, les mendiants, les infirmes, les vieillards, les criminels ; Saturne est le dieu des pauvres et des opprimés13. Dans une pronostication de 1517, les saturniens sont « gens tristes, mélancoliques, fraudeleux, songars [songeurs], fars [trompeurs], voleurs de nuyt, pesantz, phantastiques14 ». Dans la Pantagrueline prognostication de Rabelais, « gens soubmis à Saturne, comme gens desporveuz dargent, jaloux, resveurs [] gens melancholicques nauront pas ceste année tout ce quilz vouldroient bien ; ilz sestudiront à linvention saincte croix15 ». Cette invention de la croix est un jeu de mot, associant la fête de lÉglise célébrant la découverte de la Croix et le fait de trouver une pièce de monnaie16. Elle renvoie au manque dargent et à Saturne inventeur de la monnaie. Le mélancolique rêve, mais ses délires sont aussi causés par sa bourse vide.

Dans le débat avec son cœur, François Villon affirme lui aussi croire à linfluence des astres : « tel quil mont fait seray ». Et, dit-il, mon malheur vient deux, « quant Saturne me fist mon fardelet », me prépara mon sac, ma destinée17. Et Roger de Collerye, comme un mendiant, porte la besace : « Comme ung marault je porte le bissac [] Pareil me sens soubz le cours de Saturne18 ». Mais avant détudier la mélancolie des pauvres, il nous faut mieux comprendre ce quétait la mélancolie pour les hommes du xve siècle19.

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La tristesse et le désespoir

Georges Chastellain raconte dans sa chronique le malheur arrivé au duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Égaré la nuit, dans une sombre forêt, dans la pluie et la neige, il nespère plus en sortir vivant. Prince, il se retrouvait en un lieu, « que le plus povre des vivans eut abhominé », lui qui, la veille, était servi comme un prince, à présent « avoit les biens du monde et la dérision de Fortune, mouroit de faim [] et plein de pouvoir, navoit que povreté dure, par quoy certes, si neust esté la vertu de son haut cœur qui onques ne le souffrist condescendre à esbayssement, il eust pu cheoir en dure merancolye et en desespoir de soy mesme ». Ce haut duc était « le plus povre maintenant de ses subgès ». « Si povre navoit en la terre ». Au monde « ny avoit homme si povre qui ne sy trouvast à desespoir ». Il eut pu mettre fin à ses jours « par desespoir et courroux ». Mais « de male aventure convenoit faire risée ». Il aperçoit alors une lumière et espère trouver une maison habitée, mais il ny a personne, cest une charbonnière qui brûle dans la forêt déserte : « tourna son confort espéré en merancolie arrière et sa clarté perçue en obscurité dannuy » ; il « voioit bien que Fortune se moquoit de lui et lescharnissoit [le raillait] pour lui faire perdre patience ou au moins pour lui faire cognoistre ce que cestoit de povreté humaine20 ». Ses courtisans, sans nouvelle, se désespèrent, « mis en ténébreuse chartre [prison] de merancolie, en la caverne de toute amertume et desconfort du monde par desespoir de leur maistre perdu21 ».

Il sagit ici de crise mélancolique plus que de maladie. Et la métaphore du noir est partout. Reprenons les schémas narratifs à lœuvre. Le duc, réduit à une extrême misère, na pas consenti pourtant à sabandonner à « ébahissement » et à sombrer (à choir) dans la mélancolie. La perte de lestime de soi (la dépréciation mélancolique) est ici représentée, objectivée, par le fait quil est devenu le plus pauvre des humains, 308victime de laction de la Fortune. Cest à la fois une dépréciation venue de lextérieur et une dépréciation intime. Le prince fait lexpérience de ce quest la pauvreté humaine. Mais il opère, par son haut cœur, « en patience et en risée », une mise à distance du désespoir, ce que lon pourrait appeler un « débrayage22 ». Les courtisans sont, eux, emprisonnés dans la caverne dun deuil quils ne peuvent pas faire. En nous appuyant aussi sur lhistoire de la charbonnière abandonnée, nous proposerons un schéma de la mélancolie : les mots, « les lexèmes, se présentent souvent comme des condensations, recouvrant, pour peu quon les explicite, des structures discursives et narratives fort complexes23 ».

attente (espoir) frustration (échec) déception dépréciation désespoir

Lébahissement est la forme prise ici par la déception. Cest la Fortune, bien sûr, qui ici amène le prince au plus bas niveau de la déréliction et lui fait connaître la solitude du pauvre, et cest là quil croise la mélancolie et lébahissement. Lébahissement est plus que la simple stupeur ; il est leffroi, leffroi devant la mort, la Fortune, lavenir ; il entraîne la perte de force et de courage ; il laisse sans voix et assèche le futur. Jean Juvénal des Ursins dit : « Esbahis comme moutons qui ne treuvent point de pasture, comme gens sans force24 ». Et Jean de Roye : le tonnerre un vendredi saint « esbahit beaucop de gens, pour ce que les anciens dient toujours que nul ne doit dire helas sil na oy tonner en mars25 ». La mélancolie aussi est peur devant lavenir : « Prendre fault le temps tel quil vient, / fol est qui sen mellencollie26 ». Le découragement entraîne le désespoir, le désespoir de soi-même, cest-à-dire la tentation du suicide, qui fait maudire lheure de sa naissance. Selon Georges Chastellain, la duchesse de Bourgogne Michelle, fille de Charles VI et épouse de Philippe le Bon, tomba dans une grave dépression, lorsquelle apprit que son frère, 309le dauphin, avait fait tuer son beau-père, Jean-sans-Peur, sur le pont de Montereau. Elle devait mourir quelques années plus tard. « Chartrière dannuy et esclave de Fortune », elle disait « Que maudite soit lheure de ma naissance, ny que engendrée fusse, ny conçue en ventre de royne » ; elle régna mais « tellement sentoulla [senveloppa] en merancolye que oncques puis ne monstra joye27 ». Elle se tenait pour responsable du drame, et désormais « indigne » de son mari. Lattente ici est lamour quelle aurait été en droit dattendre de son mari. La dépréciation est lhumiliation, la culpabilité et la honte, dans lesquelles elle se trouvait désormais. « Chartrière dennui », cest-à-dire prisonnière, comme tout à lheure les courtisans pris dans la chartre de mélancolie, renvoie à lidée que la tristesse plonge sa victime dans une solitude sans issue, analogue à la captivité ; comme la pauvreté dailleurs : « devenir en aussi grant captivité et povreté que fut onques Job28 » ; chétif (captif) signifie souvent au Moyen Âge pauvre.

La mélancolie est aussi la tristesse de lavare29, du convoiteux, qui veut toujours acquérir davantage de biens. Insatiable, il ne peut être assouvi. Cela naît également de la crainte devant lavenir. Cette insatisfaction continuelle va rendre le riche malade. Comme le dit Eustache Deschamps, « Li envieux na joie ne repos / Fors [sinon] que dolour, tristour, merancolie / Qui le destruit et seiche ses os » ; et aussi : « En amassant, puet on [] acquerir courroux, merencolie, / Dont venir puet crueuse maladie [] A paines puet riches homs reposer / Ne bien avoir, toujours merancolie / De lun avoir veult à lautre tirer [] tousjours crie / Que povres est, et ne lui souffist mie30. » Le schéma de lavarice suppose un désir excessif dacquérir, entraînant une insatisfaction permanente (ne pas pouvoir se contenter, craindre de perdre), qui mène à lobsession 310et à la maladie, bien proche dune monomanie. Lautodépréciation est ici de se voir toujours pauvre. Nous ne sommes pas loin du schéma de la mélancolie du duc de Bourgogne, mais la fin, le désespoir qui mène au suicide, manque. Le parcours en est simplifié :

attente excessive frustration crainte (déception)

obsession (maladie)

Une gravure allemande montre le mélancolique saturnien en avare, en train denterrer son trésor : je ne me fie à personne, dit la légende31. Le soupçon, la peur obsessionnelle des voleurs font cesser léchange interhumain et mènent à la solitude, qui est un des traits de la mélancolie. Que la mélancolie frappe le riche avare, cest ce qua bien compris le savetier Blondeau, « qui en son temps rien namassa », mais vivait toujours joyeux ; il « ne fut onq en sa vie melancholic que deux fois », « marry » et « pensif » que deux fois ; à cause dun singe, qui lui endommageait ses cuirs, et lorsquil trouva un trésor. « Il ne songeoit quen ce pot de quinquaille. Il fantasioit en soy mesme. “[] je ne fay que penser en mon pot.” » « Il craignoit [] quon le lui desrobast. » Il jeta alors ce pot à la rivière « et toute sa mélancholie avec ce pot32 ». Largent devenait une obsession exclusive, une « fantaisie », une monomanie. La réponse du savetier va lui permettre une sortie de la mélancolie, elle opère un « débrayage », qui met en scène le thème de la pauvreté joyeuse. Ce thème sincarne en particulier dans la figure du savetier33. Mais on le retrouve aussi dans la pastorale, avec les bergers : ainsi Pierre dAilly, dans les « Contredits de Franc Gontier », oppose le tyran « triste, pensis, plain de merencolie », à la vie du berger Franc Gontier, « sobre leesse [liesse] et nette povreté34 ».

Jean Dupin dans Les Mélancolies aborde une autre face, le songe, les délires et les rêves du mélancolique : « Convoitise et mélancolie / Sont 311touz jours dune compaignie [] Melancolieux par usaige / Ymagine en son coraige / Autruy avoir et signorie. / En son cuer fait de beaulx ovraiges [] Celluy qui dort en son penser / Fait en son cuer maintes citez, / Mains chasteaulx, mainte region. / Une hore est roy, lautre hore est per35. » Les châteaux sont des châteaux en Espagne. Le mélancolique veut devenir riche et lenvie concerne aussi lascension sociale. Mais il en perd le repos. Dans le Débat de lHomme et de lArgent, lHomme condamne largent et lavarice, mais lArgent lui répond : « Cil qui ne ma tousjours est triste ; / De desplaisir est tout deffait / Et bien souvent est fantastique. / Il voit denrées en boutique / Et na de quoy les acheter ; / Alors devient mélancolique36. » Le fantastique est celui qui se laisse aller à des chimères, nées de la frustration. Y coexistent ce qui est désiré et son caractère inaccessible. Cest ce qui est dans la tête et non dans le réel. Mais le fantastique et la fantaisie ont une autre face, ils ne sont pas quimagination, ils sont aussi inquiétude, idées tristes et obsessionnelles. Saül, abandonné de Dieu, auquel il a désobéi, dans sa mélancolie dit : « je suis si tresfantastique, si perplex et merencolique, que jay lentendement cassé [] Jamais ne fus si esbahi37. » Lautodépréciation est ici la perte de lamour de Dieu, le désespoir du salut. David tentera de lapaiser avec sa harpe. La musique soigne la mélancolie38.

La notion de « fantastique » est étroitement liée à la mélancolie. Elle correspond à des pensées obsessionnelles et dévalorisantes. La jalousie peut fournir un autre exemple : elle conduit parfois à la mélancolie, comme le remarquait Robert Burton dans son Anatomie de la mélancolie. En 1462, un crime a lieu dans lAngoumois : un petit seigneur, « très fort geleux [jaloux] et suspeçonneux », étant allé pour affaires loin de sa jeune femme, « sen partit souldainement comme homme fantastique et melencolique, sans dire adieu ou autre chose et tout seul », alors quil avait coutume de se faire toujours accompagner. Il revint « à tue cheval » à sa maison, où il surprit son frère et sa femme au lit39. Le 312jaloux enfermé dans son obsession et sa solitude, dévoré par la défiance, devient « fantastique ». Le schéma est voisin de celui de lavarice : il va de lattente (attachement exclusif) à linquiétude et finalement au soupçon. La crainte et la défiance correspondent à la déception. Mais au lieu de sombrer dans lapathie du mélancolique, le jaloux veut savoir et voir. Et cela le mène à la crise, voire à la violence. Le petit seigneur, trouvant son frère au lit avec sa femme, « par grant ire » et « grande fureur » le tue. La violence est une manière de sortir de la mélancolie. Nous croisons là un des traits de la mélancolie ancienne, son ambivalence, sa capacité à basculer tantôt dans la tristesse, tantôt dans la colère. Nous devrons revenir sur cette double face.

Mais laissons les jaloux et revenons au Débat de lHomme et de lArgent et à lavarice. On entrevoit que la question peut se renverser ; ce nest plus le riche avare que guette la mélancolie, mais le pauvre qui peine à joindre les deux bouts, à vivre au jour le jour. Cest bien ce quindiquent Les moyens déviter mérencolie, de soy conduire et enrichir en tous estatz par labondance de raison. Ce petit traitéde Jacques dAdonville précise les conduites à tenir pour éviter la pauvreté : « Considéré quen tous estatz / Sont de gens au monde grant taz / Désirant joye et biens avoir / Mais les moyens ne peuvent sçavoir / Souffisans pour à ce venir / Et à ceste fin parvenir, / Dont se donnent mérencolye / Qui avec eulx se joinct et lye » ; ainsi celui qui vit « au jour la journée / Et ne pence au temps advenir » ne parviendra à nul bien40 ; la mélancolie comme frustration frappe aussi le pauvre. Nous ne sommes plus ici, comme pour le savetier Blondeau, dans le thème de la pauvreté joyeuse, mais dans la dure nécessité du monde réel. Il y a bien deux discours sur la mélancolie du point de vue du pauvre : soit elle le frappe quand il devient riche, soit elle le frappe parce quil est pauvre. Le discours sur la pauvreté joyeuse nest dailleurs peut-être quun leurre, dont personne nest totalement dupe.

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Le pauvre et la mélancolie

La tristesse, le désespoir, linsatisfaction ou le désir inassouvi, concernent donc aussi les pauvres. Même sils ne les mènent que rarement au suicide. À la porte du mauvais riche, qui navait cure de « povres gens », mais leur faisait « honte et laidure [injure] », le pauvre ladre, le lépreux, venait « moult aggravé de maladie / Et avoit sa mélencolie » ; il demandait les miettes qui tombaient de la table, mais personne ne lui en donnait ; « jay désir / Trop fort de manger du relief [des restes], / Dont mon cueur est à tel meschief », à telle extrémité, que je mourrai41. La mélancolie semble bien ici concerner la faim inassouvie, le pain de chaque jour. Dans la 57e nouvelle de Philippe de Vigneulles, il « y avoit un pouvre savetier qui [] gagnoit sa vie de son mestier au mieulx quil povoit en bien grant peine. Et se parforçoit tant quil pouvoit de devenir riche et gaigner de nuyct et de jour, mais Fortune luy estoit sy contraire que pour peine quil print, ne pour coucher tart ne lever matin, il ne pouvoit venir de pain à aultre, dont il estoit en grant melencolie42 ». Cest bien toujours le même schéma que nous voyons à lœuvre. Il y manque le désespoir et la dépréciation de soi, mais ce dernier élément est sans doute là dès le début, dans la fatalité qui colle à la vie des pauvres ; et il prend la figure de la Fortune. Cest la présence de la Fortune, ici comme pour le duc de Bourgogne et la duchesse Michèle, qui, au moins en partie, donne une couleur particulière à la mélancolie de cette époque43.

attente frustration déception (meschief) dépréciation

Jetons maintenant un coup dœil du côté des archives judiciaires. Un jeune cordonnier de Niort, laissé sans argent à Poitiers par sa tante, dût revenir à Niort, « à grant povreté et misère à laide et aumosne 314des bonnes gens ». Et parce que sa tante, avare, ne laidait pas, il « se mezencolia » et décida de quitter Niort ; et « pour ce quil estoit pouvre compaignon et navoit de quoy vivre, ne pour sen aller [] lui estant en icelle mezencolie », il alla chez sa tante pour la voler44. La mélancolie est bien la tristesse du pauvre, la perte de lespoir, mais elle peut être aussi la rage de limpuissance, elle se transforme alors en ressentiment, en colère, en action. Elle peut conduire au vol. Nous retrouvons lautre face de la mélancolie, celle qui passe de la tristesse au ressentiment et à la violence. Cest une autre façon den sortir. Dans le Chemin de povreté et de richesse, Jacques Bruyant dit du paresseux, quil va tout droit à « Povreté », et quand il saperçoit de sa folie, « lors entre en grande merencolye [] en soussy [] en desespoir, / Dont il devient larron » et vole les gens ; puis il accuse Destinée, mais cest bien lui le responsable de son malheur45. Nous croisons à nouveau la Fortune.

Dans la Pacience de Job, la femme de Job se plaint : « Nous soulions [avions lhabitude d] estre tenuz / Les plus riches de ceste terre ; / Or somez pauvrez devenus / Tant quil nous fault laumosne querre [quérir]. » Elle prie Dieu de lôter de cette vie ; « Or ay-je bien merencolye / Puisque jay perdu tousmes biens. » Maintenant je suis « a honte et vergoigne / de toutes la plus pauvre femme ». Plus tard, un ami dit à Job : pour les biens de ce monde, « vous estes mys à grant rancure, / A tel meschief, à telle douleur / Quil me semble que cest fouleur » – variante du dernier quart du xvie siècle : « Tantes estes en desconfiture, / En meschef et mélencolie / Quil me semble que cest follie46 ». Reprenons notre schéma de base :

attente frustration déception dépréciation désespoir

Lattente, ici comme pour le duc de Bourgogne, est ce que lon était en droit dattendre de la vie. La frustration nen est que plus grande. La dépréciation mélancolique correspond à la chute en pauvreté. Le regret du bonheur perdu mène à la folie.

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Dans Le Mistère du Viel Testament,sa femme dit à Job : « Or es tu meschant [malheureux] devenu, / Tu as tout perdu, tu nas rien [] Demeure à ta merencollie, / Demeure à ton vouloir mauldict » ; elle pense en effet quil a été puni pour avoir offensé Dieu, mais quil ne veut pas le reconnaître et quil continue dans sa détresse à le remercier ; la mélancolie est tristesse, abandon, mais aussi fixation obsessionnelle, illusion et refus du réel. Lépouse quitte son mari et ses gens le laissent « triste, pensif, merencollique47 ».

Nous sommes donc maintenant devant deux mélancoliques en apparence très différents, celui qui na jamais assez, lavare toujours insatisfait et craignant de perdre son trésor, et celui qui na rien, le pauvre qui désespère et ne parvient pas à venir dun pain à un autre, ni à sortir de sa misère. Nous sommes ici au cœur de lécart entre la mélancolie des pauvres et celle des riches. Comment est-on passé de lune à lautre ? En réalité, contrairement au sens actuel, où lavarice est dabord refus de dépenser, parcimonie, chicheté ou ladrerie, « avare » a très longtemps signifié aussi avide, convoiteux, celui qui a le désir dacquérir ce quil na pas48. Par ailleurs, la dévalorisation de lavarice est aussi sociale : lavarice est le fait du vilain, la largesse et la générosité appartiennent au modèle de vie noble. Ces deux phénomènes convergent pour rapprocher lavarice et la bassesse sociale, comme en témoigne lévolution de mesquin49.

Mais il y a encore autre chose. Le pauvre ne pouvant rien dépenser est contraint à lavarice, à la lésine. Cest linterprétation que donne Piero Camporesi dune satire italienne de la fin du xvie siècle, Della famosissima Compagnia della Lesina, où sont décrits tous les moyens dépargner pour survivre à létroitesse de bourse : « Lhumour aigre de la Compagnie de la Lésine avait codifié un style de vie que beaucoup devaient par nécessité absolue observer. » Le livre rapporte lhistoire du vice-roi de Naples qui proposait, pour résoudre les crises frumentaires, de mêler au pain des racines réduites en poudre. En diminuant la consommation de blé, lon rendrait celui-ci surabondant. Et ce pain amer, on laurait fait plus gros et on en aurait mangé moins. Tout le monde en aurait profité. Mais le peuple, ces gloutons insatiables, 316dit le texte, ne le voulurent pas. Et Piero Camporesi ajoute : cétait bien de ce mauvais pain, dont devaient se nourrir les pauvres en temps de famine. Lironie est amère50. Messieurs de Mallepaye et de Baillevent dialoguent pareillement sur lavarice : « Je crains – Et quoy ? – Quavarice / Nous surprint, si devenyons riches / – Riches ! Quoy ? Ceste fausse lisse, / Pouvreté, nous tient en sa lisse / – Cest ce qui nous faict estre chiches51. » Dans un recueil de proverbes, Pauvreté tient pareillement en ses filets le pauvre chiche : « Un povre homme nest jamais riche / Povreté le tient en ses las [liens] / Et le contraint tant destre chiche / Quil na ne plaisir ne soulas, / Car quant il a prins son repas / Au disner dung ou daultre, / A son soupper il nadvient pas / De lung des pains jusques à laultre52. » Lavarice forcée du pauvre est bien, comme nous lavons déjà vu, de ne pas pouvoir venir dun pain à lautre.

Nous avons changé de registre. On parle de lésine, de chicheté, lécart se resserre entre le riche avare et le pauvre chiche. Deux discours se chevauchent. La mélancolie va frapper les deux, mais pas de la même manière. Dans le cas du pauvre, nous sommes dans lironie ou plutôt lhumour noir53. Le détachement à lœuvre permet alors de surmonter linquiétude et la tristesse. Lautodérision opère à sa manière un « débrayage » dans la mécanique inexorable de la mélancolie.

Une locution existe depuis au moins la fin du xve siècle qui relève du même registre : « faire lalchimie avec les dents » : « Ceulx qui font 317larquemie aux dens54 » ; « faire aux dens larquemye55 ». Maître Aliboron a parcouru le monde : « Je suis nud comme un veau / Et nay de quoy fourbir mes dentz » ; jai « sans feu aux dentz faitz larquemie56. » Le dictionnaire de Furetière57 explique ainsi notre locution : « lorsquon remplit sa bourse par lespargne de sa bouche ». Faire lor ou largent avec les dents, cest les détourner de manger, économiser en jeûnant. Cest ce que proposait à sa manière le vice-roi de Naples. Furetière ajoute que certains comprennent lexpression de façon littérale, par référence à Midas qui convertissait en or tout ce quil mangeait. Antoine Oudin ne mentionne que ce sens littéral, « manger et gagner de largent en mesme temps58 ». En réalité Dionysos lui ayant accordé un vœu, Midas avait demandé que tout ce quil toucherait fût transformé en or ; cela le conduisait inexorablement à la famine, comme le rappelle Fleury de Bellingen59. La formule pouvait en tout cas être comprise de deux manières, doù lironie : devenir riche en trouvant le secret de lor ou en rognant sur les dépenses. Dans la 91e nouvelle de Philippe de Vigneulles, un avare « avoit des biens en habundance car il faisoit langue nue, cest assavoir lor et largent aux dentz60 ». Fleury de Bellingen associe lui aussi le proverbe avec lavarice : « il arrive à lavare ce que les fables disent être arrivé à Mydas61. » Mais, dans nos textes, ce discours est aussi attribué aux pauvres ; ce sont eux souvent qui « font lalchimie » en jeûnant, sans feu, et en ayant froid aux dents. Cest là que peuvent se nouer nos deux mélancolies. Et celle des pauvres manie lautodérision. Lavarice forcée des pauvres, 318cest donc aussi le jeûne forcé. Il y a une grande proximité entre le ventre creux et la bourse vide. Dans une pronostication « pour trois jours après jamais », « il courre une maladie / Fort maulvaise, selon quon dit, / Car le povre homme qui mendie / Sera banni de tout crédit. / Povres gens, qui nauront nulz vivres / Et ne pourront dargent finer [trouver], / Ainsi que je treuve en mes livres, / Auront licence de jeuner62 ». « Assez geüne qui na que mengier », dit un proverbe du xiiie siècle63. Et Mallepaye et Baillevent sont « De donner pour Dieu dispensez, / Car nous jeusnons assez souvent64 ». Le jeûne et laumône (donner pour Dieu) rachetaient les péchés. Lironie se joue ici du discours chrétien, quelle subvertit.

La maladie de faute dargent

Le pauvre mélancolique manque de pain, mais aussi dargent. Obsession de largent et mélancolie sont liées : « Il est en telle merencolie, / Quil ne parle riens que dargent65. » Rabelais disait des gens soumis à Saturne quils en étaient dépourvus. La maladie qui les frappe pourrait bien être celle que lépoque a appelée Faute dargent. Panurge était « subject de nature à une maladie quon appelloit en ce temps là, faulte dargent cest douleur non pareille, toutesfoys il avoit soixante et troys manieres den trouver tousjours à son besoing, dont la plus honorable66 » était le larcin. « Un jour je trouvay Panurge quelque peu escorné et taciturne, et me doubtay bien quil navoit denare dont je luy dys. “Panurge, vous estes malade [], vous avez un fluz de bourse, mais ne vous souciez. Jay encore six solx et maille, qui ne virent oncq pere et mere, qui ne vous fauldront [manqueront] non plus que la verolle, en 319vostre nécessité”67. » La Pantagrueline Prognostication pour lan 1533 prévoit, parmi les maladies de lannée, que « regnera quasi universellement une maladie bien horrible, redoubtable, maligne, perverse, espoventable et mal plaisante, laquelle rendra le monde bien estonné, et dont plusieurs ne sçauront de quel boys fayre fleches, et bien souvent composeront en ravasserie, sylogisans en la pierre philosophalle ; et lappelle Averroys [] faulte dargent68 ». Rabelais fait du manque dargent une maladie de naissance pour Panurge, mais aussi pour tout le monde une épidémie redoutable, conjoncturelle, qui rend taciturne et fait délirer en rêvasserie et en alchimie.

À la même époque, Roger Collerye, dans le rondeau 71, décrit plus précisément la maladie : « Faulte dargent est douleur non pareille ; / Faulte dargent est ung ennuy parfaict ; / Faulte dargent est par dit et par faict / Qui bons rustres de tristesse traveille [] Faulte dargent rend lhomme tout deffait, / Triste et pensif, non pas gras et reffaict, / Mais mesgre et sec, tremblant comme la fueille. » Dans le rondeau 48, « Faulte dargent / Me faict cryer Hellas / Piteusement, destomac enrumé / Par ce temps cher ». Et dans le rondeau 50, Faute dargent le rend triste, « Mon corps dennuy chancelle. / Mes joues sont mesgres, palles et sèches69 ». Une poésie des mêmes années dit dun vaurien pauvre et malade : « Tu tes nommé languissant doloreux, / Signifiant ung dolent langoureux [] Tu languissois ayant les couleurs palles, / Par la douleur quon dist faulte dargent. / Lors te voyant mallade et indigent », tu te fis voleur de bourse et fut pris70. La mélancolie du pauvre savetier de Niort aussi le poussait à voler.

Rabelais et Collerye font en réalité allusion à une ou plusieurs chansons, dont le premier vers est « Faute dargent cest douleur non pareille », qui existe sans doute dès les années 151071. Dans la sottiede Gringore de 1512 contre le pape Jules II, les moines de lAbbé de Frévaulx, qui 320a dépensé tous les revenus de son cloître, « bien souvent quant cuident [croient] repaistre / Ilz ne scayvent les dens où mettre, / Et sans soupper sen vont coucher ». La Commune [le peuple commun] chante « Faulte dargent cest douleur non pareille » ; elle se plaint : « marchans et gens de mestier / Nont plus rien : tout va à lÉglise ». « Jen suis [] tant plaine de melencolie / Que nay plus escuz ne ducas72. » Mélancolie et Faute dargent se confondent. Dans la farce de Faulte dargent et Bon Temps, Faute dargent tient Bon Temps en prison par le moyen dAvarice. Bon Temps leur conseille de renoncer à Avarice. Et les galants-sans-souci chantent « pour passer melencolie » : « Ne sommes nous pas bien heureux / De vivre sans melencolie. » Mais ils ne parviennent pas vraiment à chasser Faute dargent : « Nous perdons quasi la parolle, / Quant Faulte dargent nous assault [] Par Dieu, nous ne sçavons que dire, / Car nous nous tenrons [tiendrons] de labbaye Faulte dargent73. » Dans la Farce du savetier, Marguet et Jaquet,Faute dargent et mélancolie se croisent à nouveau : ils nont plus dargent : « Soulcy me lye / Et suys en grand melencolye [] Faulte dargent, cest douleur non pareille74. »

Cette mélancolie a pu signifier les situations difficiles liées au retour des crises. Ainsi dans la chanson « Dempuis que jadiray [perdai] Bon temps », « Soucy a mys et oppressé / Mon cueur en grant subjection. / Mellencolie na cessé / de me faire compression75 ». On remarquera que ces chertés sont vécues dans la tristesse et de manière physique. Dans La venue et résurrection de Bon Temps, avec le bannissement de Chière Sayson, Bon Temps commande de « chasser Mélancolie, / laquelle estoit au monde ces années » de famine, et de réconforter « paovre gentz76 ».

Faute dargent est liée aux chertés. Elle trahit lexaspération lors des crises, face à lendettement et aux usuriers. Elle correspond à « faute 321de crédit ». Elle est décrite comme une maladie : elle rend languissant, maigre et pâle ; elle laisse sans voix, fait trembler comme la feuille et pousse à la quête fébrile. Elle croise à plusieurs reprises, dans nos textes la mélancolie. Ce pourrait bien en être une des figures, un autre nom de la mélancolie des pauvres.

Comment sortir de la mélancolie

Labattement et la dépression peuvent laisser la place à des rêveries « fantastiques ». Nous avons cité quelques textes où la mélancolie emplissait le cerveau de visions et forgeait des chimères77. Les rêves des pauvres sont une manière déviter le désespoir, de sortir de la mécanique mélancolique : un « débrayage » temporaire, qui ne fait que retarder le retour douloureux au réel.

Il existe dautres manières plus durables déviter le désespoir. Lautodérision et lironie jouent ce rôle ; comme le haut cœur et la « risée » du duc de Bourgogne. Le vol et le meurtre, nous lavons vu, peuvent aussi permettre déchapper à la mécanique infernale qui mène au suicide. Mais nous touchons alors à lambivalence du mot mélancolie lui-même, qui ne signifie pas seulement la tristesse. Il existe en effet au Moyen Âge une autre face de la mélancolie, la mélancolie-colère, celle du savetier de Niort. On disait en particulier : « avoir mélancolie contre quelquun78 ». Pour reprendre notre schéma, lattente (ce que lon était en droit dattendre) entraîne frustration et déception (qui peut être lhonneur blessé, lhumiliation), puis bascule ensuite dans lagressivité. Le programme a changé en fin de parcours :

attente frustration mécontentement agressivité 79

322

Comment penser larticulation entre ces deux faces ? La mélancolie-colère permet déviter de choir dans la mélancolie-tristesse. La colère qui naboutirait pas à la vengeance retomberait dans lamertume et la tristesse. Dans la colère, le ressentiment vis-à-vis de lautre remplace la mésestime de soi. La plainte ne porte plus sur soi-même, mais se tourne vers autrui, elle nest plus égocentrique mais allocentrique. Dans la colère épique, Bruno Méniel voit aussi une « force agressive, dont le sujet serait heurté, avant que, découvrant quelle peut le détruire, il ne loriente vers autrui80 ». La folie furieuse nest peut-être jamais loin. Un même terme, la mélancolie, peut donc être tantôt passif, tantôt actif. On peut basculer dans la haine de soi ou dans la haine de lautre, glisser vers lapathie ou la violence. La violence, inhérente à lexplosion de la colère, est dailleurs aussi présente dans les gestuelles du deuil ou du désespoir. Davantage sans doute quaujourdhui, lépoque ressentait la proximité des deux passions, la tristesse et la colère ; ou plus exactement elle se plaçait en amont du choix décisif, au moment où un même effondrement du sujet risquait de se produire. Nous avons rencontré dautres termes qui pareillement signifient tantôt la colère, tantôt le chagrin : « courroux », « rancœur », « marri ». Ajoutons le « mautalent ». Le terme « ire » lui-même signifie tantôt colère, tantôt douleur81. Le mot « colère », qui prend le sens actuel au xve siècle, clarifiera les choses. Remarquons aussi que cette ambivalence se retrouve dans la « meschéance » et le mot « meschéant », tantôt mauvais, méchant, tantôt pauvre, malheureux82. Peut-être avons-nous à faire, à larrière-plan, à une notion encore floue de la responsabilité individuelle, sous le pouvoir de la fortune et des astres.

323

Il y a une autre manière déviter le désespoir, cest, après la frustration, parvenir à la patience, à la résignation. Le deuil, qui na pas été fait dans la mélancolie, peut enfin se réaliser. Cette opération trouve son terrain délection dans le thème de la pauvreté joyeuse. Il est porté, nous lavons vu, par les figures du savetier et du berger, mais aussi, dans le théâtre, par celle du galant sans souci83, de laventureux dépourvu dargent, mais toujours joyeux et plein de fanfaronnades et de vent : Mince de Quaire, Léger dargent, Pou dacquest, Mallepaye et Baillevent, Tot jor Dehet et Sin Porsin84. Les Cris de Paris commencent par un échange entre les galants : « Et puis ? – Et fontaine ? – Et rivières. / Se sont tousjours de tes manières : / Tu te gaudis. – Je me gaudis / Et en povreté mesbaudis / En passant ma melencolie. » Et les galants continuent : « Je nay dor ne dargent que faire, / Ne de bource – Ne moy aussi. / Il nest que vivre sans souci. / – Mieulx vault que vivre sans six soubz85. »

Une telle figure, étroitement liée à lentrée dans la fête carnavalesque, rappelle linutilité de lavarice et la nécessité de la dépense festive. Mais elle laisse aussi sexprimer les rêves des pauvres, pour mieux les faire sévanouir en fumée. Pourtant elle autorise des manipulations sur le topos de la pauvreté joyeuse. Lironie et lautodérision viennent alors se loger au cœur de ce discours. Citons trois textes, qui, en identifiant la pauvreté contrainte à la pauvreté volontaire des religieux, détournent habilement le discours chrétien.

Selon Roger de Collerye : « Povreté joieuse et voluntaire, / Seure vie est, et tres fort salutaire, / Mais tant y a, avant que sy offrir, / Comme lon dit, elle est griefve a souffrir86. » Gautier et Martin ironisent : « Se sommes povres, de par Dieu, / Vive la pascience Job [] Nous navons ne croix ne banière, / Nem plus que ceulx de lObservance, / Et pour 324tenir de leur manière / Nubz pieds allons par pénitance87. » Mallepaye et Baillevent sont plus amers : « Nous sommes selon lÉvangile / Des bien heureulx du temps ancien. / – Jaymasse mieulx quil nen fust rien88. »

Lapologie de la pauvreté joyeuse se fait grinçante. Le peuple, tel quil est mis en scène, nest pas totalement dupe du lieu commun quon lui impose. Il subvertit le discours officiel par le rire, le badinage ou lévidence ; il se le réapproprie à sa manière et tente ainsi de survivre à la mélancolie. Ce nest pourtant pas le terme de mélancolie qui est le plus souvent employé, mais un presque synonyme, celui de souci. La pauvreté joyeuse, en tout cas, ne convainc pas tout le monde.

Résumons le parcours que nous avons suivi. Nous sommes partis des enfants de Saturne, parmi lesquels il y avait les pauvres et les mendiants, et nous avons cherché si lon retrouvait ces mélancoliques dans les textes, en particulier ceux destinés au peuple. À « lâge dor de la mélancolie » des princes et des poètes, pouvait-il exister aussi une mélancolie des pauvres ? Le drame arrivé au duc de Bourgogne, en apparence loin du sujet, a permis de proposer un schéma de la mélancolie dans ses étapes successives. Cest de basculer dans la pauvreté, prise ici au sens large, qui plonge Philippe le Bon dans la mélancolie. Or, ce schéma sest révélé être proche de celui de lavarice. On ne peut étudier la mélancolie, sans examiner la toile de fond, sur laquelle elle se détache, et les liens quelle entretient avec les « passions » apparentées. Lavare est précisément lun des types du mélancolique. Quel est alors le lien avec les pauvres ? Cest que le peuple lui-même est contraint à lavarice forcée et à « faire lalchimie avec les dents ». Largent est au cœur du problème ; et son obsession est la maladie de Faute dargent. Nous avons aussi croisé le savetier et le thème de la pauvreté joyeuse, qui sert de contre-discours à lavarice, à la tristesse et à la mélancolie. Et nous avons tenté déclairer ce que la société en faisait.

Quelle est loriginalité de cette mélancolie des pauvres ? Nous navons rassemblé quune quinzaine de textes qui associent Saturne ou la mélancolie à la pauvreté. Cest peu. On comprend que les dictionnaires du Moyen Français, le plus souvent, ne parlent guère de cette mélancolie sociale, mais sintéressent davantage à la mélancolie amoureuse et à la tristesse des 325poètes. Si nous réexaminons le fonctionnement de notre schéma à travers nos exemples, il apparaît que leur parcours nest pas toujours le même et quil nous faut distinguer au moins trois catégories de textes. Une première série, avec la femme de Job, le savetier de Niort, le Chemin de povreté et de richesse ou le duc de Bourgogne, ne parle pas tant de létat de pauvreté, que du processus dappauvrissement, de la chute en pauvreté. Dans ces textes, la mélancolie conduit au désespoir. Elle est aussi parfois accompagnée par la honte. Mais les riches, qui sappauvrissent, sont ceux précisément que lon appelle les pauvres « honteux », ceux qui, par quelque mauvaise fortune, en sont réduits à mendier et ressentent de la honte à le faire89. Dune manière plus générale, le pauvre lui-même est honteux. Dans le Roman de la Rose, Pauvreté tremblante, « cum chiens honteux », se tient en un coin, « car povre chose, ou quele soit / est tous jours boutée et despite [méprisée]90 ». Et pour Guillaume Alexis, les « povres vivent à honte, / En misere et confusion [malheurs] », et à la fin la Pauvreté « de desespoir chet es lyens », tombe dans la prison du désespoir91. Pourquoi nous intéressons nous à la honte ? Posons la question autrement. Il naura pas échappé au lecteur que, dans notre schéma, la case de lautodépréciation, du sentiment de culpabilité, pose souvent problème. La honte peut-elle alors occuper cette case ? La honte aujourdhui suppose une intériorisation de lhumiliation. À la fin du Moyen Âge, elle dépendait davantage du regard de lautre. Mais le pauvre ne sen sortait pas indemne. Nous sommes dans le très long passage de la shame culture à la guilt culture, de la honte à la culpabilité, dont parle Jean Batany au sujet du Roman de la Rose92. Et la Fortune, que nous avons vu intervenir avec le duc de Bourgogne, la duchesse Michèle et le savetier de Vigneulles, traverse une même évolution. Elle est en voie de désacralisation au xvie siècle et elle doit compter avec la montée de la responsabilité individuelle93. Sil y a 326responsabilité, il y a culpabilité. La pauvreté est une fatalité où lhomme a aussi sa part. Cest sans doute dans ces liens avec la honte et la fatalité que réside en partie loriginalité de la mélancolie des pauvres. Et cette mélancolie apparaît principalement lorsquil y a chute94 en pauvreté, et que celle-ci est accompagnée, dans notre schéma, par la déception, la dépréciation et le désespoir. Nous sommes bien proches de la maladie mélancolique. Mais nous navons pas tout éclairé. Si, dans la maladie, on pleure la perte de lobjet damour, de quelle perte sagit-il dans une mélancolie sociale ? La question na été queffleurée.

La mélancolie apparaît aussi dans une seconde série de textes, ceux qui regrettent la disparition de Bon Temps ; ce ne sont plus alors les pauvres, qui sont concernés, mais le peuple frappé par les chertés et la famine. Le regret du bonheur perdu ne saccompagne pas nécessairement ici de dépréciation ni de désespoir. Les cases de notre schéma ne sont pas toutes remplies. Nous nous éloignons de la maladie mélancolique. Cest la même situation pour la troisième série de textes, le Débat de lHomme et de lArgent, les Moyens déviter mélancolie ou le pauvre savetier de Vigneulles. Ici, le pauvre est triste, parce que, quoi quil fasse, il ne parvient pas à sortir de sa pauvreté. Nous sommes devant un quasi-synonyme du souci ou de la tristesse.

Remarquons aussi que la séquence peut sinterrompre en cours de route, sarrêter à la déception, ou ne pas conduire au suicide. Elle peut alors basculer, nous lavons vu, dans le vol, la résignation, ou la reprise de lespoir. Autorisons-nous une dernière remarque. Nous avons tenté ici de démonter, pas à pas, à la manière dun bricolage, le schéma dune passion, qui est en même temps une maladie, et de chercher à savoir en quoi elle concernait aussi les pauvres. Nous avons proposé quelques pistes. Le lecteur jugera de la validité de la démarche, et, jespère, pardonnera les insuffisances de la méthode.

Jean-Louis Roch

Université de Rouen – GRHIS

1 H. Ey, Études psychiatriques, Paris, Desclée de Brouwer, 1954, t. III, « Mélancolie », p. 117-200.

2 J. Starobinski, Lencre de la mélancolie, Paris, Seuil, 2012, p. 70 ; cité par H. Heger, Die Melancholie bei den französichen Lyrikern des Spätmittelalters,Bonn, Rom. Seminar der Universität, 1967, p. 209. Voir aussi Ey, Études, p. 133 : « Le noir de la mélancolie, cest lombre de la culpabilité, de la faute et du péché. »

3 R. Klibansky, E. Panofsky et F. Saxl, Saturne et la mélancolie,Paris, Gallimard, 1989, p. 278.

4 J. Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, xiiie-xviiie siècles,Paris,Fayard, 1983, p. 189-208 ; Starobinski, Lencre de la mélancolie, p. 62.

5 Voir aussi G. Agamben, Stanze : parole et fantasme dans la culture occidentale, Paris, Payot, 1994, p. 57-61.

6 A. Chastel, Marsile Ficin et lart,Lille, Giard, Genève, Droz, 1954, p. 169.

7 Sur le Problème XXX, 1, du pseudo-Aristote, voir Klibansky et al., Saturne, p. 49-91.

8 M. Perrot, Mélancolie ouvrière,Paris, Grasset, 2012. Voir aussi « Mélancolie sociale », Sociétés. Revue des sciences humaines et sociales, 2004/4, no 86.

9 Klibansky et al., Saturne, p. 401 : lélite intellectuelle considérait la mélancolie saturnienne « comme un privilège quelle se réservait jalousement ».

10 Sur lacédie, C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Flammarion, Aubier, 2003, p. 127-151.

11 De Saturne (xve siècle), Bibliothèque Nationale, ms. fr 1358, fol. 3r et 7v.

12 Chastel, Marsile Ficin, p. 163.

13 Klibansky et al., Saturne, p. 320-321.

14 Ch. Perrat, « Sur un tas de prognostications de Lovain », François Rabelais. Ouvrage publié pour le quatrième centenaire de sa mort,Lille, Giard, Genève, Droz, 1953, p. 68. « Fantastique » : qui se laisse aller à des obsessions.

15 F. Rabelais, Pantagrueline prognostication pour lan 1533, chap. 5, éd. M.-A. Screech, Paris-Genève, Droz, 1974, p. 15.

16 E. Huguet, Le langage figuré au xvie siècle,Paris, Hachette, Macon, Protat, 1933, p. 131. Il sagit sans doute moins dune saillie anticléricale que dun témoignage de la liberté dalors vis à vis des choses de la religion.

17 François Villon, Le Lais Villon et les poèmes variés,éd. J. Rychner et A. Henry, Genève, Droz, 1977, Poèmes variés, no 13, v. 38 et 32.

18 Roger de Collerye, Œuvres,éd. Ch. dHéricault, Paris, Jannet, 1855, p. 56 (publiées en 1536).

19 Nous naborderons pas ici la mélancolie amoureuse. Sur le mal damour, ce que lon appelait lamour hereos (éros) ou amour « héroïque », voir D. Jacquart et C. Thomasset, « Lamour héroïque à travers le traité dArnaud de Villeneuve », La folie et le corps,éd. J. Céard, Paris, Presses de lENS, 1985, p. 143-158.

20 Georges Chastellain, Chronique,livre III, chap. 45, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Genève, Slatkine reprints, 1971, t. II, p. 250-256 (3e quart xve siècle) ; voir K. Heilemann, Der Wortschatz von Georges Chastellain nach seiner Chronik,Leipzig, Leipziger Rom. Studien, 1937, p. 128. Merancolie : mélancolie ; courroux a ici le sens de chagrin, de deuil ; risée : se moquer ; annuy : tourment.

21 Georges Chastellain, Chronique, t. II, p. 264.

22 Sur lutilisation de ce terme, voir A. J. Greimas et J. Fontanille, Sémiotique des Passions. Des états de choses aux états dâme, Paris, Seuil, 1991, p. 147-151.

23 A.-J. Greimas, Du sens II. Essais sémiotiques, Paris, Seuil, 1983, p. 225.

24 Épître au roi, Loquar in tribulacione (1440), dans Jean Juvénal des Ursins, Écrits politiques, éd. P. S. Lewis, Paris, Klincksieck, 1978, t. I, p. 362.

25 Jean de Roye, Journal, connu sous le nom de Chronique scandaleuse, éd. B. de Mandrot, Paris, Laurens, 1894, t. I, p. 226 (1469).

26 Mistère du Viel Testament (3e tiers xve siècle, publié en 1500), éd. J. de Rothschild et É. Picot, Paris, Firmin-Didot, 1878-1891, t. II, p. 209, v. 13861-13862.

27 Chastellain, Chronique,t. I, p. 52-56. « Oncques puis » : jamais depuis.

28 Jean de Roye, Journal, t. I, p. 364 (1475).

29 On retrouve ce lien entre avarice et mélancolie dans la Melancolia-I de Dürer (Klibansky et al., Saturne,p. 447-449 ; E. Panofsky, Essais diconologie. Les thèmes humanistes dans lart de la Renaissance,Paris, Gallimard, 1967, p. 294). Sur la tristesse de lavare, voir Casagrande et Vecchio, Histoire des péchés, p. 175-177.

30 Eustache Deschamps (1346-1407), Œuvres complètes, éd.de Queux de Saint Hilaire et G. Raynaud, Paris, Firmin-Didot, 1878-1904, t. II, p. 26, no 205 et t. I, p. 293, no 163 ; voir Heger, Die Melancholy, p. 140. Courroux a ici à nouveau le sens passif daffliction. Crueuse : terrible. Traduisons la dernière phrase : le riche homme peut à peine se reposer et avoir ses biens, toujours le mélancolique ayant un bien veut en obtenir un autre… toujours crie quil est pauvre et que cela ne lui suffit pas.

31 Klibansky et al., Saturne, p. 449 et 474 : « nyemant getruwen ich ».

32 Bonaventure Des Périers, Nouvelles Recreations et Joyeux Devis (1558), éd. K. Kasprzyk, Paris, STFM, 1997, p. 96-99. Marry : affligé, irrité ; pensif : enfermé dans ses pensées, ses obsessions.

33 La farce de deux savetiers, éd. Fournier, Le théâtre français avant la Renaissance, mystères, moralités et farces,Paris, Laplace Sanchez, 1872, p. 210 et suiv. (fin xve-début xvie siècle). Voir aussi la fable de La Fontaine : Le savetier et le financier.

34 « Combien est misérable la vie du tyran » (ca 1400), cité dans A. Piaget, « Le chapel de fleurs de lys par Philippe de Vitry », Romania, XXVII, 1898, p. 55-92, ici p. 65.

35 Jean Dupin, Les Mélancolies, éd. L. Lindgren, Turku, Turun Yliopisto, 1965, p. 130-131, v. 2245 à 2270 (avant 1340). Usage : habitude ; per : pair de France.

36 A. de Montaiglon et J. de Rothschild (éd.), Recueil de poésies françaises des xve et xvie siècles,Paris, Jannet, 1865-1878, t. VII, p. 308 (texte du xvie siècle).

37 Mistère du Viel Testament,t. IV, p. 112 et 114, v. 29657 et suiv. et 29751.

38 Voir Klibansky et al., Saturne, p. 142.

39 P. Guérin (éd.), Lettres de rémission, Recueil de documents concernant le Poitou, contenus dans les registres de la Chancellerie de France, t. XI (Archives historiques duPoitou,t. XXXVIII), 1909, p. 49-52 ; voir aussi t. X, p. 392-394 (1462, 1466).

40 Les Moyens d éviter merencolie,éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil,t. II, no 37, p. 42 et suiv. (1530).

41 La Vie et l histoire du mauvais riche, éd. Fournier, Théâtre,p. 75 et 77 (probablement règne de Louis XI).

42 Philippe de Vigneulles, Cent Nouvelles Nouvelles (avant 1515),éd. Ch. H. Livingston, Genève, Droz, 1972, no 57, p. 238. Venir de pain à autre : dun repas à un autre.

43 La « fatalité » est aussi présente dans la mélancolie des psychiatres : « enchaînement absolu du mélancolique à son destin passé mais jamais révolu » (Ey, Études psychiatriques, t. III, p. 150).

44 Guérin (éd.), Lettre de rémission (1462), Recueil, t. X (Archives historiques,t. XXXV), 1906, p. 374.

45 Jacques Bruyant, ca 1342, publié en annexe dans Le Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferier, Paris, Livre de Poche, 1994, p. 822.

46 La Pacience de Job, mystère anonyme du xv e  siècle, éd. A. Meyer, Paris, Klincksieck, 1971, v. 3405-3418, 4665-4656 et 4929-4931. Rancure : rancœur, indignation, chagrin, ici sens passif ; meschef : infortune ; fouleur : folie.

47 Mistère du Viel Testament,t. V, v. 37048-37049, 37062-37063 et 37091.

48 Voir le Dictionnaire de la langue française du xvie siècle dE. Huguet, Paris, Champion, 1925, t. I, p. 427.

49 Mesquin, de larabe : pauvre ; la meschine est la servante. Mesquin prend le sens davare au xviie siècle. Voir aussi sordide.

50 Piero Camporesi, Le pain sauvage. Limaginaire de la faim de la Renaissance au xviiie siècle,Paris, Le Chemin vert, 1981, p. 142-149.

51 Dialogue de Mallepaye et de Baillevent (règne de Louis XI), Fournier (éd.), Théâtre, p. 120. Faux : perfide ; lisse a deux sens, la chienne et le pouvoir. Pierre-Jakez Helias parle de la chienne du monde dans Le cheval dorgueil, Mémoires dun Breton du pays bigouden, Paris, Plon, 1975, p. 29 : « Telle était la hantise de la misère, quon sattendait à la rencontrer au détour dun chemin, sous la forme dune chienne efflanquée, [] la chienne du monde []. Prenez garde à la chienne du monde qui vous saute dessus et naboie jamais []. Quand la chienne du monde avait jeté son dévolu sur quelquun, [] elle le suivait aussi étroitement que son ombre, [] lanimal lui sautait sur léchine et cen était fini du misérable. »

52 Proverbes en rimes, éd.G. Frank et D. Miner, Baltimore, Hopkins, 1937, p. 73, v. 1129-1136 (dernier quart xve siècle). Soulas : joie, consolation.

53 C. Kerbrat-Orecchioni, « Problèmes de lironie », Lironie, Presses universitaires de Lyon, 1978, p. 10-46 ; le no 36 de Poétique, nov. 1978, consacré à lironie. Voir aussi Starobinski, Lencre de la mélancolie, chap. « Le salut par lironie », p. 376 : la mélancolie « est guérie par lironie, qui est distance et renversement ».

54 Guillaume Coquillard, Droitz nouveaulx (1480), v. 1989, dans Œuvres, éd. M. J. Freeman, Paris, Genève, Droz, 1975, p. 228 ; J. W. Hassel, Middle French Proverbs, Sentences and Proverbial Phrases, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1982, A72.

55 Le recueil des repues franches de maître François Villon et de ses compagnons,éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, Droz, 1999, v. 134 et 230 (ca 1480).

56 Ditz de Maistre Aliboron (ca 1495), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil,t. I, p. 37 et 39. Voir aussi La Boutique des usuriers, de Claude Mermet (1574), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. II, p. 174.

57 Antoine Furetière, Dictionnaire universel,1690, art. « Alchymie ».

58 Antoine Oudin, Curiositez françoises, Paris, 1656, art. « Alquemie ». Notons par ailleurs, que lalchimiste lui-même, nouveau Sisyphe, est guetté par la mélancolie dune quête sans fin, à moins quil ne réalise que le but véritable était le chemin.

59 Fleury de Bellingen, LÉtymologie ou explication des proverbes françois,La Haye, Vlacq, 1656, p. 45.

60 Philippe de Vigneulles, Cent Nouvelles, p. 352.

61 Dapprocher la mort par famine. Fleury de Bellingen, p. 46 : lavarice se « vante de faire lalchemie avecque les dens ».

62 « Pronostication nouvelle »(ca 1525), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil,t. XII, p. 158. Faute dargent est aussi manque de crédit.

63 J. Morawski, Proverbes français antérieurs au xve siècle, Paris, Champion, 1925, no 139 (xiiie siècle). Qui a seulement de quoi manger.

64 Mallepaye et Baillevent, éd. Fournier, Théâtre,p. 114.

65 Le recueil des repues franches, v. 293-294.

66 F. Rabelais, Pantagruel, XVI, in Œuvres complètes, éd. M. Huchon et F. Moreau, Paris, Gallimard, 1994, p. 272.

67 F. Rabelais, Pantagruel, XVII, p. 277. Sur la formule « qui jamais ne virent père et mère », voir R. T. Holbrook, Études sur Pathelin, New York,Klaus reprints, 1967, p. 78-80. Il faut ici comprendre que nous avons affaire à des enfants (des sous) trouvés, dont on veut ignorer lorigine.

68 F. Rabelais, Pantagrueline Prognostication,chap. 3, p. 11-12. La pierre philosophale est la pierre des alchimistes. Lédition de 1542 ajoute après philosophalle « et es aureilles de Midas » ; on a vu pourquoi.

69 Roger de Collerye, rondeau no 71, Œuvres,p. 223 ; no 48, p. 208 ; no 50, p. 209.

70 Le vin du notaire qui a passé le testament de quatre tournoys, éd.Montaiglon et Rothschild, Recueil,t. X, p. 12. Langoureux : affamé, souffreteux.

71 H. M. Brown, Music in the French Secular Theater, Cambridge Mass., Harvard Univ. Press, 1963, no 131, p. 218-219 ; L. Sainéan, La langue de Rabelais,Paris, de Boccard, 1922, t. I, p. 268 ; É. Picot, Recueil général des sotties,Paris, Firmin-Didot, 1902-1912, t. II, p. 152-153. Cest aussi une chanson de Josquin des Prés, des mêmes années.

72 Pierre Gringore, Le Jeu du Prince des Sotz et de Mère Sotte (1512),éd. A. Hindley, Paris, Champion, 2000, v. 248-250, 320, 552-553, 642-644 ; et Picot, Recueil,t. II, p. 147-172, v. 248-250, 320, 548-549, 637-639.

73 Faulte d argent et Bon Temps, dans Recueilde Florence (publié en 1540), éd. J. Koopmans, Orléans, Paradigme, 2011, no 47, v. 156-160, 257-258, 261-263. Labbaye Faulte dargent est une abbaye de dérision.

74 A. Leroux de Lincy et F. Michel, Recueil de farces, moralités et sermons joyeux, Paris, Techener, 1837, t. IV, no 73, p. 4-5.

75 Chansons du xv e  siècle, G. Paris, Firmin Didot, 1875, no 14, p. 16 (seconde moitié xve siècle).

76 Montaiglon et Rothschild (éd.), Recueil, t. IV, no 95, p. 132 (xvie siècle).

77 Fantaisies, rêvasseries. Voir plus haut la pronostication de 1517 et la citation de Dupin : faire maints châteaux (en Espagne) ; une heure est roi, lautre heure est pair.

78 Entrée « mélancolie » du dictionnaire du Moyen Français, DMF, consultable sur le site de lATILF.

79 Voir létude de sémantique lexicale de la colère, en français actuel, Greimas, Du sens II, p. 225-246. Voir aussi Casagrande et Vecchio, Histoire des péchés, p. 93-125.

80 B. Méniel, « La colère dans la poésie épique du Moyen Âge à la fin du xvie siècle : un envers de lhéroïsme », Cahiers de Recherches Médiévales, no spécial, 11, 2004, p. 37-48, ici p. 38. La mélancolie-désespoir procède à linverse ; voir ce que dit Sigmund Freud sur la tendance au suicide du mélancolique et son lien avec lhostilité et le sadisme : le mélancolique « néprouve pas dintention suicidaire, qui ne soit le retournement sur soi dune impulsion meurtrière contre autrui », « Deuil et mélancolie », Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1978, p. 163.

81 « Courroux », n. 20 et 30. « Marri », n. 32. « Rancœur », n. 46. Sur lambivalence sémèmique dire, voir G. Kleiber, Le mot ire en ancien français, Paris, Klincksieck, 1978, p. 81 et suiv. et p. 437. Voir aussi Méniel, « La colère », p. 37-48 ; et les remarques de P. Levron, « Mélancolie, émotion et vocabulaire. Enquête sur le réseau lexical de lémotivité atrabilaire dans quelques textes littéraires du xiie et du xiiie siècle », Le sujet des émotions au Moyen Âge, éd. P. Nagy et D. Boquet, Paris, Beauchesne, 2008, p. 231-271.

82 Entrées « méchant » et « méchance », DMF, sur le site de lATILF.

83 Sur les gueux sans souci, voir mes remarques, J.-L. Roch, « De lusage social des lieux communs », Lieux communs, topoï, stéréotypes, clichés, éd. Ch. Plantin, Paris, Kimé, 1993, p. 212-217.

84 Pou dacquest (peu de profit) dans la Farce des coquins (Recueil de Florence, no 53) et dans celle de Pou dacquest (Fournier éd., Théâtre, p. 61, mi-xve siècle) ; Léger dargent dans la farce no 25 du Recueilde Florence (ca 1515) ; Mince de Quaire dans la farce no 22 du même recueil. Aller au Caire, cest quérir, querre. Tot jor Dehet et Sin Porsin (toujours joyeux et sans souci), P. Aebischer, « Quelques textes du xvie siècle en patois fribourgeois », Archivum Romanicum,IV, 1920, p. 342-361.

85 Cris de Paris,Picot, Recueil, t. III, p. 125, v. 1-5 ; et p. 127, v. 24-27 (début xvie siècle ou 1540). Se gaudir, sesbaudir : se réjouir.

86 Roger de Collerye, « Complaincte de linfortuné », Œuvres, p. 167. Griève : pénible.

87 Dialogue de Gautier et Martin (1480-1490), dans P. Aebischer (éd.), « Trois farces françaises inédites trouvées à Fribourg », Revue du xvie siècle, t. XI, 1924, v. 390-391, 402-405. Croix : pièce ; lObservance : les Cordeliers.

88 Mallepaye et Baillevent, éd. Fournier, Théâtre, p. 119.

89 G. Ricci, « Naissance du pauvre honteux, entre lhistoire des idées et lhistoire sociale », AESC, 1983, 1, p. 158-177 ; et Poverta, vergogna, superbia. I declassati fra Medioevo et Età moderna, Bologne, Il Mulino, 1996.

90 Roman de la Rose, éd. D. Poirion, Garnier Flammarion, 1974, v. 454-457.

91 G. Alexis, Œuvres poétiques,éd. A. Piaget et É. Picot, Paris, Didot,1896-1908, t. II, p. 131, v. 604-605, 613 (Passe temps, avant 1486).

92 J. Batany, Approches du Roman de la Rose, Paris, Bordas, 1973, p. 101, 109. Ces catégories ont dabord été développées par R. Benedict (The Chrysanthemum and the Sword, 1947) et E. R. Doods (The Greeks and the Irrational, 1951).

93 J.-Cl. Mühlethaler, « Quand Fortune ce sont les hommes. Aspects de la démythification de la déesse, dAdam de la Halle à Alain Chartier », La Fortune. Thèmes, représentations, discours, éd. Y. Foehr-Janssens et É. Metry, Genève, Droz, 2003, p. 177-206.

94 Remarquons quHildegarde de Bingen reliait la mélancolie à la Chute, celle dAdam : Klibansky et al., Saturne, p. 139-141.