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Classiques Garnier

Cinq diagrammes musicaux inédits dans le manuscrit Venezia, Bibl. Marciana, lat. VIII. 22 (2760)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteur : Draelants (Isabelle)
  • Résumé : Cet article édite et commente cinq diagrammes musicaux rares, dont un unicum, tracés dans la première moitié du xiiie siècle à la fin du manuscrit Venezia, Bibl. Marc., VIII.22 (2760), copié d’une main anglaise vers le dernier quart du xiie siècle. Certains indices permettent d'avancer que le manuscrit aurait appartenu au bibliophile et musicien amiénois Richard de Fournival (1201-1259 ou 1260).
  • Pages : 27 à 41
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0027
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Cinq diagrammes musicaux inédits dans le manuscrit Venezia,
Bibl. Marciana, lat. VIII. 22 (2760)

Les derniers feuillets (40r-v et 41r) du manuscrit de Venise, Biblioteca Marciana, lat. VIII. 22 (cat. 2760)1, portent des diagrammes musicaux tracés avec soin dont certains savèrent rares, lun dentre eux constituant même un unicum jamais signalé dans la littérature scientifique. Cest la raison pour laquelle ils sont publiés ici.

Ce manuscrit conservé à Venise mesure 244 mm sur 178 mm, il ne compte que quarante-deux feuillets. Il contient, au fol. 1r, les neuf premiers vers du poème astronomique de Pacificus de Vérone, Spera celi,illustré dun personnage utilisant un instrument de visée, à savoir lhorologium sur lequel porte le poème2. Suit immédiatement, aux fol. 1r-31r, le Liber Nemrod de astronomia (Inc. : Incipit liber de astronomia de forma celi et quomodo decurrit inclinatum. Celum igitur inclinatum volvitur a meridiano…). On trouve ensuite, aux fol. 28v-31r, des chapitres sur le comput mis sous le nom d« Eusebius Cesariensis » (Inc. Annus interger habet dies ccclxv et horas iii. et si vis scire numerum mensium…), puis, aux fol. 31v-36r, le De signis celi faussement attribué à Bède (Inc. : Helix arctus maior habet autem in capite stellas obscuras vii…). Ces divers éléments de contenu font du manuscrit de Venise un jumeau de la deuxième partie du manuscrit Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 14754, provenant de Saint-Victor (mais dont au moins la première partie, fol. 1-94, est originaire de Chartres), sur lequel 28il a probablement été copié. Pour ces œuvres, les deux manuscrits ont un texte quasiment identique, à quelques rares fautes de copiste près, et une mise en page semblable. À lheure actuelle, le manuscrit de Paris a perdu quatre feuillets (les anciens feuillets 203-206 qui devraient se trouver entre les actuels fol. 206 et 207) sur lesquels figuraient le De spera celi et les dix premiers chapitres du Liber Nemrod.

Le manuscrit de Venise a généralement été considéré comme écrit dans son ensemble au tournant des xiie et xiiie siècles, mais il faut désormais le considérer comme copié par une main anglaise, peut-être dès la fin du troisième quart du xiie siècle3.

Par ailleurs, une main elle aussi anglaise, dans la première moitié du xiiie siècle (1er quart ?), a tracé dune écriture fine et anguleuse la deuxième colonne du feuillet 36r, le feuillet 36v et les deux lignes en bas du fol. 37r. Le même copiste a dessiné les diagrammes musicaux des feuillets 40-41 et les textes qui les accompagnent, qui font lobjet de ce petit article4. Cette écriture présente des a à la haste très haute et des T majuscules avec deux lignes verticales plutôt quune, qui font penser à un copiste familier de lécriture diplomatique.

Le bibliophile Richard de Fournival5 a possédé une copie semblable du Liber Nemrod,cest-à-dire précédée comme dans le manuscrit de Venise et son jumeau de Paris de quelques vers du De spera celi. Son exemplaire était sans doute le même que celui répertorié par lauteur du Speculum astronomiae. Il est en effet admis depuis longtemps que le contenu de la Biblionomia est en relation directe avec la liste des livres astronomico-astrologiques dressée par lauteur du Speculum astronomiae6. On peut lire dans la Biblionomia,29Areola prima[philosophie], Tabula quinta[musique-astronomie], sous le numéro 53 : Mercurii Trismegisti liber de motu spere celi inclinati, qui intitulatur Nemroth ad Ioanton, in uno volumine cuius signum est littera F. Quant au Speculum astronomiae, il présente, au chapitre 2, le Liber Nemrod en tête de la liste des œuvres astronomiques. Il fait le lien avec le personnage biblique de la descendance de Cham et caractérise Nemrod comme un des géants. La mention du Sphaera celi montre que la composition du volume était analogue à celle des manuscrits de Paris et de Venise :

Ex libris ergo qui post libros geometricos et arithmeticos inveniuntur apud nos scripti super his, primus tempore compositionis est liber quem edidit Nemroth gigas ad Iohanton discipulum suum, qui sic incipit : « Sphaera celi etc. », in quo est parum proficui et falsitates nonnulae, sed nihil est ibi contra fidem, quod sciam 7 .

Diagramme I

Au fol. 40r[fig. 1, infra], occupant la partie droite de la page, on trouve un diagramme lamboïde de la structure de loctave, correspondant au diagramme IX de la traduction et du commentaire sur le Timée de Calcidius. Il fut bien diffusé avec cette œuvre à partir du xie siècle. Plus tard, le diagramme accompagne aussi les Quaestiones in musica anonymes compilées au tournant des xie et xiie siècles à partir de notions de théorie musicale modale du xie siècle dorigine germanique8. Ce diagramme, dit « en triple lambda » ou « trilambdoïde », est présent aussi dans certaines copies du commentaire In somnium Scipionis de Macrobe, comme dans les manuscrits Baltimore, Walters Art Museum, W 22, fol. 66 et München, Universitätsbibl., 8o 375, fol. 42r9, ainsi que dans au moins trois autres 30copies glosées du Commentaire au Songe de Scipion ; il est mis en rapport avec le passage du livre II, 2, 15 dans le manuscrit Cambridge, Trinity College, R.9.23, fol. 50v. Il se trouve aussi dans une compilation de gloses sur le De nuptiis de Martianus Capella et la Consolation de Boèce, datable de la fin du xiie ou du début du xiiie siècle, dans le manuscrit Zwettl, Stiftsbibliothek, 313, fol. 193v, et dans un bifeuillet inséré au début du manuscrit Oxford, Corpus Christi College, 283, fol. 3r, où il accompagne cette fois un recueil de textes de quadrivium10.

Le diagramme combine les nombres 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27, avec les nombres 6, 12, 18, 24, 54, 48, 162, de manière à donner les moyennes intercalées (harmoniques et arithmétiques) en nombres entiers. Il est ici en forme de cercle doté dun « pied » en forme de lambda ; à lintérieur du cercle, et de part et dautre des branches du lambda, sont tracés à gauche trois demi-cercles, à droite quatre demi-cercles.

Diatessaron

cxcii. Pars octava .xxiiii.

Tonus

ccxvi. Pars octava .xxvii.

Tonus

ccxliii. Pars octava .xxx.
prope semis non tota autem a subsequenti habetur, sed pars eius .xiii. quod est semitonium minus, i. lima, remanet xvii. de hac octava parte.

Dyapente

cclvi. Pars octava .xxxii.

Tonus

cclxxxviii. Pars octava .xxxvi.

Tonus

cccxxiiii. Pars octava .xl. <et semis>.

Tonus

ccclxiiii. Pars octava .xlvi. semis. non autem tota a subsequenti habetur sed pars eius .xx. quod est emitonium minus vel lima et remanet .xxvi. de hac octava parte.

Semitonium

cclvi.

Semitonium

ccclxxxiiii.

Sic epitritum spatium quod est dyatessaron .cxcii et .cclvi. completur epogdois partibus, i. duobus tonis, et limate

Sic sextuplum spatium quod est diapente .cclvi. et .ccclxxxiiii. completur epogdois partibus, i. tribus tonis, et limate

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Diagramme II

Le deuxième diagramme du fol. 40r[fig. 1, infra], un peu plus rare, présente les planètes et les symphoniae (consonances) de la fin de lAntiquité. Il évoque la manière dont Macrobe a été compris dans la tradition diagrammatique du commentaire au Songe de Scipion et, daprès Andrew Hicks, il est au moins carolingien dans son origine, par comparaison avec Paris, BnF, lat. 6370, fol. 76r11. Le diagramme apparaît aussi dans le manuscrit Torino, Bibl. Naz., D.V.38, fol. 50r, déjà signalé12, dans le manuscrit Oxford, Bodleian Libr., Selden Supra 25, fol. 211v, qui porte sur Macrobe, mais dont le diagramme se trouve après lexplicit, et dans le manuscrit Paris, BnF, lat. 2389, fol. 40r (seul).

Lexemplaire de Venise comporte des fautes, en particulier dans le libellé des intervalles et des rapports.

Cercles intérieurs

Saturnus .xxvii.

Dyapente – Tonus

Iupiter .viii.

Dyapente – Epogdos

Mars .viiii.

Dyapason – <…>

Mercurius .iiii.

Dyatessaron – Epitritus [epogdous ante, corr.]

Venus .iii.

Dyapente – Sesqualter

Sol .ii.

Dyapason – Duplus

Luna .i.

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Arcs extérieurs

I-III

Diapason et diapente

Triplus

I-IIII

<Bis>diapason

Quadruplus

II-IIII

Diapason

Duplus

III-VIIII

Diapason et diapente

Triplus

IIII-VIII

Diapason

Duplus

VIIII-XXVII

Diapason et diapente

Triplus

Diagramme III

Au fol. 40v est tracé un diagramme circulaire de la gamme stellaire [fig. 2, infra] donnant les intervalles harmoniques, quon peut rapprocher du passage de Pline, Naturalis Historia,II, 83, 84, avec la valeur centrale de 126 000 stades pour les intervalles entre les corps célestes, représentant un ton de léchelle diatonique13.

Découpé en douze quartiers et en neuf cercles concentriques dont le premier, externe, reprend en sens antihorlogique les signes du zodiaque, ce diagramme présente une structure inspirée de celui – dépourvu de référence à la gamme – qui est généralement inclus dans le texte de Macrobe, In Somnium Scipionis I, 21, 3-7 et 24-27 (qui décrit lordre « platonicien » des planètes) ou I, 19, 1-9 (qui décrit lordre « chaldéen » et « égyptien » des planètes). Ce diagramme représente les planètes dans lordre « chaldéen/plinien », répertoriées sous le signe Aries, comme par exemple dans les manuscrits Paris, BnF, lat. 16677, fol. 37v ; BnF, lat. 6370, fol. 61v ; et Bern, Burgerbibliothek, 347, fol. 9r14.

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Dans le diagramme III du manuscrit de Venise, lassociation entre les planètes et les muses provient de Martianus Capella, Noces de Philologie et Mercure, I, 27-28 ; cette copie est correcte, exceptée pour lomission de Thalia (la terre).

Les intervalles harmoniques sont des multiples de la distance entre la Terre et la Lune et sont représentés généralement par un diagramme plinien circulaire correspondant à la Naturalis Historia, II, 83, De intervallis earum, qui contient huit cercles concentriques dont les distances de lun à lautre varient en fonction de lintervalle musical. Le cercle externe contient les noms des signes du zodiaque, le cercle central représentant la Terre. Chaque distance séparant un cercle de lautre correspond à un intervalle musical : Terre-Lune / ton ; Lune-Mercure / demi-ton ; Mercure-Vénus / demi-ton ; Vénus-Soleil / trois demi-tons ; Soleil-Mars / ton ; Mars-Jupiter / demi-ton ; Jupiter-Saturne / demi-ton ; Saturne-zodiaque / trois demi-tons. Dans le manuscrit de Venise, ce diagramme a été fondu dans le diagramme zodiacal-planétaire macrobien.

Urania : au-dessus du cercle externe

Dans le premier cercle interne, un nom par quartier :

Aries – Taurus – Geminis – Cancer – Leo – Virgo – Libra – Scorpius – Sagitarius – Capricornus – Aquarius – Pisces

Dans les quartiers :

(sous Aries)

(sous Libra)

(sous Geminis)

Saturnus

Tria semitonia

Polinia

Iupiter

Semitonium

Eutarpe

Mars

Semitonium

Eratho

Sol

Tria semitonia tonus

Melpomene

Venus

Semitonium

Ptersicore

Mercurius

Semitonium

Calliope

Luna

Tonus

Clio

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Diagramme IV

Sur le même feuillet 40v se trouve un second diagramme circulaire [fig. 2, infra] présentant quatre cercles concentriques découpés en seize quartiers. Associant la musique céleste et la musique vocale, il semble être unique dans tradition manuscrite. À la base, il représente une roue de solmisation comparable à celle, rare, quon peut trouver dans le manuscrit du xiie siècle Göttweig, Benediktinerstift, 53b, fol. 83v, originaire de labbaye de Lambach15, mais dans le cas du manuscrit de Venise, cette roue est complétée de plusieurs éléments.

Le diagramme IV indique, dans la tradition de Guy dArezzo, la liste des degrés de léchelle des sons de la gamme, de part et dautre du cercle externe, de .Γ.ut à .dd.lasol. La suite des degrés les plus aigus (superacutae) se termine sur le cercle externe, et les sons bas et moyens (graves et acutae) se trouvent dans le premier cercle intérieur, en commençant par la cellule notée Γ.re. ut. On compte ainsi vingt-deux emplacements (dont les seize quartiers), qui peuvent correspondre avec la gamme guidonienne de vingt-et-une notes, auxquelles est ajouté ici un si bémol dans loctave grave.

Le diagramme représente les hexacordes, cest-à-dire les groupes successifs dintervalles ton – ton – demi-ton – ton – ton ; sept hexacordes sont ici figurés, totalisant presque trois octaves Γ-G, G-g, g-d (sans les trois notes de loctave supérieur) ; il faut les lire en sens horlogique à partir du Γ à lintérieur du premier cercle externe et terminer à lextérieur. Lhexacorde dur commence le plus bas, sur Γ (sol grave), lhexacorde naturel commence sur le C (do grave), lhexacorde mou sur le F (fa grave). Seule manque alors la note « ut »qui devrait se trouver en bas du diagramme, dans le neuvième quartier (lire sol-ré-ut au lieu de sol-ré). On peut représenter ces hexacordes de la manière suivante, en lisant de bas en haut, les lettres des notes aiguës nétant pas encore doublées dans la graphie du manuscrit :

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dd

sol

do

cc

sol

fa

si bécarre

bb

mi

si bémol

bb

fa

la

aa

la

mi

sol

g

sol

ut (2e reprise hex. dur)

fa

f

fa

ut (reprise hex. mou)

mi

e

la

la

mi

d

sol

sol

do

c

fa

ut (reprise hex. naturel)

si bécarre

b

mi

si bémol

b

fa

la

a

la

mi

sol

G

sol

ut (reprise hex. dur)

fa

F

fa

ut (début hex mou)

mi

E

la

mi

D

sol

do

C

fa

ut (début hex. naturel)

si

B

mi

la

A

sol

Γ

ut (début hexacorde dur)

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Je nai pas pu déterminer la raison dêtre des petites lettres noires, qui semblent représenter des lettres grecques (quartier 1, ligne 3 en partant de lextérieur : e, f ; ligne 4 : o ; ligne 5 : s,τ,Γ, q,σ renversé (?) ; quartier 2, ligne 3 en partant de lextérieur : Γ ; ligne 5 : p,ϛ ; quartier 3, ligne 5 : ; quartier 4, ligne 5 : σ renversé (?) ; quartier 5, ligne 5 : r ou τ ; quartier 6, ligne 5 : ϛ. Il pourrait sagir dune notation qui représente les muances (mutationes) qui permettent de passer dun hexacorde à lautre.

Les lettres A(en forme de Z)-B-C-D-G(pour E)-F-G-H-Z(pour I)-L-M-N-O en rouge dans le 3e cercle intérieur pourraient correspondre à la notation alphabétique de Boèce (De musica,IV, 14), mais dans ce cas elles seraient représentées dune manière peu cohérente et avec des erreurs.

Les notes formant une spirale à lintérieur du diagramme donnent les intervalles fondamentaux. Cela semble indiquer que le diagramme est tardif, car il inclut, en plus du ton habituel (Γ-A, sol-la), le demi-ton semitonus (A-B, la-si bémol), le ditonus (Γ-B, tierce majeure sol-si naturel), le dyatessa[ron] (la quarte Γ-[C]), le dy[a]pente (Γ-[D], la quinte sol-ré), le dy[a]exa (la sixte, G-E, sol-mi), le dy[a]epta (la septième, G-F, sol-fa) et le dy[a]pason (Γ-G, loctave sol-sol). On remarque que le copiste a oublié la tierce mineure, semiditonus. La désignation médiévale de ceci serait diapente cum tono et diapente cum semiditono. Daprès A. Hicks, que je remercie de son aide dans linterprétation de ce diagramme, même si les termes pourraient avoir été utilisés plus tôt, la première attestation de diahexa et de diahepta se trouverait seulement chez le Jésuite Anastasius Kircher… au xviie siècle !

Intervalles (dans le cercle intérieur)

tonus

Γ-A

ditonus

Γ-B

dyatessaron

Γ-<C>

dyapente

Γ-<D>

diapason

Γ-G

etc. les mêmes à l octave

37

Diagramme V

Au fol. 41r figure le dernier diagramme [fig. 3, infra], assez courant. Lamboïde, il représente la partition de lâme du monde, cest-à-dire les diagrammes VII et VIII du Commentaire sur le Timée de Calcidius emboîtés, restructurés sous forme de lambda, quoiquil ne maintienne pas la forme pair/impair des diagrammes précédents. Il a bien circulé au-delà de son contexte originel et fut souvent intégré à partir du xie siècle dans les Commentarii de Macrobe : « Le diagramme du “nombre de lâme du monde” est un lambdoïde départageant les progressions binaires II, IIII, VIII, placés sur la branche de gauche et les progressions ternaires III, VIIII, XXVII, sur celle de droite ; la combinaison des deux séries donne les rapports numériques constitutifs des consonances musicales, dautant plus pures quelles sont plus proches de lunité, à la pointe du lambdoïde : 2/1 (diapason), 3/2 (diapente), 4/3 diatessaron, 9/8 (tonus)16 ». Dans le cas du manuscrit de Venise, il faut noter lintercalation de lepogdoa à lintérieur de lepitriton (le diatessaron ou quarte, à gauche) et du sesqualter (rapport de ½ à 1).

Daprès Irène Caiazzo, la première insertion de diagrammes de Calcidius dans un Commentaire au Somnium Scipionis de Macrobe apparaît dans le manuscrit dorigine champenoise Paris, BnF, lat. 6371, fol. 12v, de la première moitié du xie siècle, puis se répand au xiie siècle17.

Souvent, les diagrammes apparaissent ensemble, à lexception du diagramme IV, le deuxième du fol. 40v, associant harmonie céleste et musique instrumentale.

Quel peut être le contexte de copie de ces cinq diagrammes ? Ils se trouvent dans un manuscrit tout entier occupé par des textes astronomiques et cosmologiques, où figurent quelques annotations dune 38main anglaise, qui a aussi tracé les diagrammes finals. Le possesseur du manuscrit dans la première moitié du xiiie siècle devait être à la fois un musicien et un connaisseur de lastronomie et de lastrologie, qui a possédé un manuscrit du Liber Nemrod précédé de neuf vers du De spera celi semblable au manuscrit de Venise, Marc. VIII. 22. Je gage quil sagit de Richard de Fournival.

Isabelle Draelants

Institut de recherche et dhistoire des textes – UPR 841 du CNRS

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Venezia_Biblioteca_nazionale_Marciana_lat_VIII_022_090 rogné

Fig. 1 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40r, diagrammes I (= diagramme IX du In Timaeum de Calcidius) et II (diagramme des planètes et symphoniae) (© Biblioteca Nazionale Marciana).

40

Venezia_Biblioteca_nazionale_Marciana_lat_VIII_022_091 rogné

Fig. 2 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40v,
diagrammes III et IV (© Biblioteca Nazionale Marciana).

41

Venezia_Biblioteca_nazionale_Marciana_lat_VIII_022_092 rogné

Fig. 3 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 41r,
diagramme V (© Biblioteca Nazionale Marciana).

1 Descriptions dans :J. Valentinelli, Bibliotheca Manuscripta ad S. Marci Venetiarum. Codices MSS. Latini, Venetiis, 1872, vol. IV, p. 255 ;P. McGurk, Catalogue of Astrological and Mythological Illuminated Manuscripts, vol. IV, London, The Warburg Institute, 1966, p. 84-85 ;D. Blume, M. Haffner et W. Metzger, Sternbilder des Mittelalters : Der gemalter Himmel zwischen Wissenschaft und Phantasie, I. 800-1200, t. I.1, Text und Katalog der Hanschriften,Berlin, Akademie Verlag, 2012, no 62, p. 530-532, qui indique erronément « Oberitalien, Venedig (?), frühes 13. Jahrhundert ».

2 On en trouve une autre représentation dans le manuscrit St. Gallen, Stiftsbibl., Cod. Sang. 18, p. 43.

3 Cette constatation a été faite avec laide paléographique de Patricia Stirnemann, que je remercie vivement. On trouvera une description de ce manuscrit et de son contenu et une discussion sur sa datation dans : I. Draelants, « Le Liber Nemroth De astronomia : état des lieux et nouveaux indices », dans Revue dhistoire des textes, 2018 (à paraître).

4 Jai bénéficié, pour réaliser cette description, de laide bienvenue de Christian Meyer, musicologue au CNRS, et dAndrew Hicks, de la Cornell University, dont la thèse, en cours de publication, porte sur les traductions médiévales et les transformations de lancienne théorie harmonique grecque dans les traditions latine et arabo-perse.

5 Un volume sous presse dans la collection Micrologus Library est consacré à diverses contributions sur Richard de Fournival et les sciences ; il est édité par Ch. Lucken et J. Ducos.

6 P. Zambelli, « Da Aristotele a Abu Mashar, da Richard de Fournival a Guglielmo da Pastrengo », Physis, 15, 1973, p. 375-400 (qui affirme que la source du Speculum astronomiae devait être la Biblionomia elle-même) ; S. J. Livesey et R. Rouse, « Nimrod the Astronomer », Traditio,37, 1981, p. 203-266, ici p. 248.

7 P. Zambelli, The Speculum Astronomiae and its Enigma,Dordrecht, 1992 (Boston Studies in the Philosophy of Science, 135), p. 212.

8 Éd. par R. Steglich, Die Quaestiones in musica. Ein Choraltraktat des zentralen Mittelalters und ihr mutmasslicher Verfasser Rudolf von St. Trond (1070-1138),Leipzig, Breitkopf & Hartel, 1911.

9 Signalés par M. Huglo, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium, 62, 2008, p. 185-230 ; B. Bakhouche, « Lectures médiévales de lharmonie musicale de lâme selon Platon (Timée 35b-36b) : linfluence de Calcidius », Revue de Musicologie,98, 2012, p. 339-362 ; Ch. Meyer, « Lâme du monde dans la rationalité musicale, ou lexpérience sensible dun ordre intelligible », Harmonia mundi :Musica mondana e musica celeste fra Antichità e Medioevo. Atti del convegno internazionale di studi (Roma, 14-15 dicembre 2005), éd. M. Cristiani, C. Panti et Gr. Perillo, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2007, (Micrologus Library, 17), p. 74-75 et illustration 4 (qui ne connaissent pas ce manuscrit).

10 Ces occurrences ont été relevées par A. Hicks, Myth, and Metaphysics : Harmony in Twelfth-Century Cosmology and Natural Philosophy, Thèse de doctorat, University of Toronto, Centre of Medieval Studies, 2012, p. 177.

11 A. Hicks ma indiqué les deux manuscrits de Paris et dOxford ainsi que les manuscrits comparables pour les autres diagrammes ; je lui exprime toute ma reconnaissance. Sur le ms. Paris, BnF, lat. 6370, voir B. Obrist, La cosmologie médiévale, I. Les fondements antiques. Textes et images,Florence, SISMEL-Edizioni del Galuzzo, 2004 (Micrologus Library, 11), p. 174.

12 I. Caiazzo, à qui jai signalé ce diagramme, connaissait la copie de Turin, reproduite dans le cahier dillustrations non numéroté après la p. 96 dans ses Lectures médiévales de Macrobe. Les glosae colonienses super Macrobium, Paris, Vrin, 2002 (sur la même page est reproduit aussi le diagramme V présenté ci-dessous, qui se trouve aussi dans le manuscrit de Turin).

13 Pline lAncien, Histoire naturelle, livre II, texte établi, traduit et commenté par J. Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1950, p. 36.

14 Voir Obrist, La cosmologie médiévale,p. 180 sq. ; B. Eastwood, Ordering the Heavens. Roman Astronomy and Cosmology in the Carolingian Renaissance, Leiden, Brill, 2007(Medieval and Early Modern Science, 8), p. 43 sq., sur le rôle de Dungal à ce propos ; B. Eastwood et G. Grasshoff, Planetary Diagrams for Roman Astronomy in Medieval Europe, ca. 800-1500, Philadelphia, 2014(Transactions of the American Philosophical Society, 94, 3), p. 49-53, sur les variations de ce diagramme zodiacal-planétaire chez Macrobe.

15 On peut trouver une reproduction de la roue de solmisation de ce manuscrit provenant de Lambach sur le site en ligne « Musicologie Médiévale », dans un billet posté par Dominique Gatté le 29 juin 2016.

16 Citation de I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 258, n. 2, avec reproduction du diagramme du ms. Torino, Biblioteca nazionale universitaria, D.V.38, fol. 50r dans le cahier dillustrations non numéroté après la p. 96. Elle se réfère à M. Huglo, « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à lépoque carolingienne », Scriptorium,44, 1990, p. 3-20, ici p. 4. Voir Ead., « Harmonie et mathématique dans le cosmos du xiie siècle », Micrologus,25, 2017, p. 121-147 (avec la reproduction du diagramme du ms. Torino à la p. 128 et commentaire p. 129).

17 Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe,p. 258, n. 2.