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Classiques Garnier

Allégorie et subjectivité dans le Livre de l’Espérance

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteur : Delogu (Daisy)
  • Résumé : Cet article examine l’emploi que fait Alain Chartier dans son texte inachevé, le prosimètre Livre de l’Espérance, des figures allégoriques, d’une part pour présenter à son public sa version de la psychologie cognitive du Moyen Âge tardif, d’autre part pour fournir à son lectorat un exemple saisissant de la lutte d’un individu avec la dépression afin d’aider le lecteur à orienter ses sens internes vers l’acquisition de la connaissance et de la vérité divine.
  • Pages : 171 à 187
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0171
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Allégorie et subjectivité
dans le Livre de lEspérance

Laissé inachevé à la mort de lauteur advenue en 1430, le Livre de lEspérance dAlain Chartier nous livre seize poèmes qui alternent avec autant de passages en prose, ces derniers faits de dialogues entre le protagoniste et une série de figures allégoriques. Les interventions dun Acteur servent de didascalies, pour ainsi dire, qui relient les parties du texte entre elles, et qui orientent le lecteur. Quoique conservé dans 36 manuscrits, dont six avec des programmes denluminure1 qui témoignent de lintérêt envers ce texte des lecteurs du xve siècle et au-delà, lEspérance reste parmi les moins étudiés des ouvrages du père de léloquence française, dont le Quadrilogue invectif et La Belle dame sans mercy ont davantage retenu lattention de la critique. Parmi les travaux consacrés au Livre de lEspérance, un nombre important se concentre sur le lien entre le texte de Chartier et celui de Boèce2. Lemploi – novateur en langue vernaculaire – du prosimetrum3, le titre que porte louvrage de Chartier dans certains manuscrits (La Consolation des trois vertus), la présence dans les deux textes dun narrateur confus et maltraité par ceux quil cherche à servir, la visite de figures allégoriques aptes à transformer létat desprit de ce même narrateur, nous renvoient tous à louvrage du poète romain.

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Jouant un rôle tout aussi important que ce modèle classique intervient, selon nous, la tradition vernaculaire de la vision onirique, qui connaît un grand essor à la suite du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun. Du songe de lAmant de la Rose au ravissement du « Vieil Pelerin » (Mézières) ou à la vision de Christine de Pizan, le Moyen Âge tardif connaît un nombre important de visions de ce genre, amoureuses ou politiques. Dans son Livre de lEspérance, Chartier met en place des topoi et des enjeux bien connus dun public féru des expériences oniriques rapportées sous la plume de poètes écrivant à la première personne, au premier rang desquels le problème du rapport entre songe et mensonge. En effet, nous verrons que pour le sujet de la vision de lEspérance, distinguer entre les discours mensongers et véridiques (voire salvateurs) est dune importance centrale. Récit qui suit la transformation du narrateur dun état de désespoir à un état de force morale, le Livre de lEspérance doit peut-être plus à Dante quà Jean de Meun4. Pourtant la selva oscura5du Florentin exilé se retrouve ici à lintérieur même de lesprit du narrateur, qui reçoit les visites dIndignation, de Désespérance, et de Défiance, qui lui tiennent des propos trompeurs et maléfiques, faits pour le navrer. Ensuite, la figure allégorique de Nature vient réveiller celle dEntendement, pour lui permettre découter et de profiter des paroles salvatrices de Foi et dEspérance. Ainsi le Livre de lEspérance inscrit les catégories de songe et de mensonge dans le cadre des processus cognitifs et psychologiques de la perception, le discernement, lentendement, le jugement et la mémoire, tels que ceux-ci furent formulés au Moyen Âge tardif et éprouvés par le protagoniste6.

Nous proposons dexaminer ici deux questions distinctes, mais liées, quaborde lauteur dans son Livre de lEspérance, et toutes les deux présentées au moyen des figures allégoriques : celle de la psychologie de lêtre humain et celle de la condition mentale dun individu, le poète-narrateur. Quant à la première, Chartier fournit à son public un traitement vernaculaire de la science cognitive telle quelle était formulée à son 173époque, cest-à-dire des mécanismes physiologiques, épistémologiques et éthiques de la perception, de limagination, du jugement et de la mémoire. Ces mécanismes sont fortement somatiques, ancrés dans le corps de lindividu, et plus précisément dans son cerveau.

En ce qui concerne la seconde, Chartier se confronte à la difficulté, toute personnelle selon nous, de lindividu qui cherche à maîtriser les sentiments de confusion et de désespoir provoqués par un épisode de dépression. Le Livre de lEspérance retrace un voyage psychologique qui commence avec une crise de mélancolie menant le protagoniste au bord du suicide, suivie dune reprise de conscience, puis dun retour à léquilibre mental. Tous les mouvements de lesprit du protagoniste sont représentés au moyen de figures allégoriques et se déroulent non pas dans un espace extérieur, mais intérieur.

La théorie cognitive

Il est à remarquer quen tant que texte, le Livre de lEspérance est le produit dun esprit sain, le résultat dune activité de discernement et de jugement qui définit et annonce quelles voix doivent être écoutées, ou au contraire écartées. Les noms mêmes des figures allégoriques – Défiance par exemple, ou Foi – constituent déjà une interprétation de leurs discours, et indiquent clairement au lecteur quelle attitude il doit adopter à légard de chacune dentre elles. Et pourtant, comment peut-il être possible, pour un individu souffrant, de distinguer entre des voix diverses qui soufflent si doucement leur suggestion à son « oreille intérieure » ? Cest précisément ce problème que prend en charge Alain Chartier dans ce texte, saidant par ailleurs de figures allégoriques capables, selon les théories de la sensation et de la cognition prônées par Thomas dAquin et Nicole Oresme, entre autres, dagir sur limagination ainsi que la mémoire, et par conséquent de former lexpérience du lecteur de même que sa capacité à adopter une conduite éthique.

Pour certains chercheurs, lallégorie serait demblée incompatible avec la subjectivité, lexploration et lexpression de soi. Armand Strubel affirme par exemple que « [l]e sujet, le moi, na aucune valeur individuelle 174dans la tradition de lécriture allégorique7 ». Selon cette perspective la présence même de lallégorie fait pencher le texte vers luniversel, évacuant du même coup toute possibilité dexpression dune subjectivité individuelle. Dautres chercheurs en revanche reconnaissent le potentiel de lallégorie dans la négociation dun espace de rencontre entre lindividu et luniversel8. Pour ce qui est du texte qui nous intéresse, nous ne dirions pas que lallégorie permet un examen de soi, mais plutôt que la recherche dune connaissance de soi dépend de lécriture allégorique9. Pour formuler leurs discours, les figures allégoriques apparaissant à limagination et à la mémoire de lActeur puisent dans sa biographie, ses connaissances intellectuelles, ainsi que dans ses observations relatives à la situation historique et politique de la France. Autrement dit, cest précisément lallégorie qui nous permet de voir les processus internes de sensation, de cognition, dimagination, et de jugement éthique à lœuvre dans lindividu.

Au commencement du texte, le je décrit les sentiments damertume et de mélancolie que provoque sa lecture des chroniques de France, car les vertus et les hauts faits des anciens rois ne servent quà mettre en relief la corruption et la déchéance de sa propre époque. Les marqueurs temporels « jadis » (p. 2, v. 33) et « or » (p. 2, v. 34) soulignent la distance qui sépare ce passé glorieux du présent douloureux auquel appartient 175le « nous » des Français, « chetifz et de male heure nez » (p. 2, v. 29)10. Ensuite cette unité du moment présent, quoique forgée de malheur, est elle-même perdue, quand le je inscrit son activité décrivain au sein dune trajectoire selon laquelle « je souloye ma jonnesse acquitter / A joyeuses escriptures dicter ; / Or me convient aultre ouvrage tisser » (p. 2, v. 47-49, nous soulignons). Le poème se termine avec une référence métatextuelle à létat desprit du je et aux conditions de son travail décrivain : « par douleur ay commencé ce livre » (p. 2, v. 60). Le texte désigne du titre dActeur ce je qui est à la fois historiquement situé et présenté comme responsable de louvrage que nous sommes en train de lire.

La Prose 1 souvre sur les paroles de lActeur, qui évoque la peur, lincertitude et la douleur opprimant son « petit entendement » (p. 3, l. 5), émotions qui se manifestent physiquement à travers son « visage blesme, le sens troublé, et le sanc meslé ou corps » (p. 3, l. 12-13). Ainsi dès le début du texte les troubles psychologiques de lActeur sont inséparables de sa situation physique. Tout à coup, dit-il, une vieille daspect horrible surgit pour le couvrir entièrement de son manteau, de manière à ce quil ne puisse plus ni entendre ni voir. Les visions que décrit ensuite lActeur ne proviennent pas donc de lexpérience de ses sens externes, mais de ses sens internes. Cette figure inquiétante le jette sur « la couche dangoisse et de maladie » (p. 3, 1. 26). Il est à remarquer quaucune des phrases qui, selon les conventions du songe littéraire, affichent la frontière entre létat de veille et létat de somme – « Avis miere quil estoit mais », « Avis mestoit que je ve(:)oie / En mon dormant ou je songoie », « Avis mestoit que je veoye » – ne figure dans cette entrée en matière11. Rien dans le texte nindique que lActeur dorme, et par conséquent que les figures qui apparaissent devant lui sont le produit dun songe ; au contraire tout suggère que lActeur décrit une expérience lui étant arrivée réellement par le passé.

Suivant larrivée inattendue de cette vieille horrible, le « petit entendement » de lActeur se voit soudain extériorisé et doté dun corps, et cest à Entendement, « jeune et advisé bachelier » (p. 3, l. 27), qui a fidèlement suivi lActeur tout au long de sa vie, que la vieille donne un 176breuvage « confis en forcenerie et en descongnoissance » (p. 4, l. 29-30). Entendement se tient alors debout aux côtés de lActeur, tout aussi paralysé et privé de parole que lui. Nous assistons donc à la fragmentation du je qui parlait au début du texte. Devenu conscient dans le premier poème de la distance entre son état dâme dautrefois et son état dâme actuel, le je maintenant se fractionne en : 1o, un soi qui éprouve une crise psychologique et est réduit à létat dun corps inerte (que nous appellerons dorénavant le je-personnage) ; 2o, lentendement ou la raison, représenté par la figure allégorique, Entendement ; 3o, lActeur qui, bien conscient de ce qui se passe, consigne par écrit les expériences du je-personnage et dEntendement dans le texte que nous lisons. Au niveau du lexique, le texte ne distingue pas entre 1 et 3, mais emploie le pronom « je » pour les désigner tous deux. Ce déictique sert alors de récipient fragile dune identité instable qui est à la fois unique et multiple ou fracturée.

LActeur précise que depuis ce moment il a su « que ceste vielle sapelle Melencolie » (p. 4, l. 33). Ce passage nous montre clairement la singularité de la perspective de lActeur. Se situant à un point indéterminé du futur et disposant dun recul et de connaissances supplémentaires, il est capable de comprendre ce qui arrive au je-personnage et à Entendement. Cest donc en conformité avec son rôle quil explique au lecteur que la mélancolie, daprès Aristote, peut avoir des effets néfastes sur la cognition des « haulx engins et eslevés entendemens [] après frequentation de trop parfondes et diverses pensees » (p. 4, l. 37-39). Les quatre pouvoirs sensitifs et cognitifs de lêtre humain, à savoir, « sensitive, ymaginative, estimative et memoire » (p. 4, l. 40-41), sont ancrés dans le corps de lhomme, et par conséquent se trouvent exposés aux maux et aux blessures. La voix détachée et érudite de lActeur, comme son discours philosophique, soulignent la distance émotionnelle, temporelle, et cognitive qui sépare cette figure du je-personnage.

La théorie cognitive à laquelle fait référence lActeur provient de sources aristotéliciennes aussi bien que platoniciennes (et néo-platoniciennes), correspondant à des idées commentées et diffusées au long du Moyen Âge par Augustin, Averroès, Avicenne, Albert le Grand, Thomas dAquin, et dautres. Par rapport à cette théorie on peut distinguer une tradition médicale, qui sintéresse aux parties du cerveau et à leur rapport au fonctionnement de lêtre humain, et une tradition philosophique, qui soccupe du rapport entre le corps et lâme, de la 177question de la matérialité de la raison, et du processus dintellection. La première identifie trois parties, ou chambres, du cerveau : la partie antérieure, où sont thésaurisées les impressions recueillies par les sens externes, la partie centrale, où se déroulent les activités dévaluation et de jugement, et la partie postérieure, emplacement de la mémoire12. La tradition philosophique, plus diverse et floue, saccorde sur cette division tripartite, mais attribue à chacune des parties des fonctions diverses, dun nombre variable (souvent 4 ou 5), et avec un vocabulaire qui nest pas stable (on voit employés les termes tels que fantasia, imaginatio, imaginativa, cogitativa, estimativa, et pas toujours pour désigner les mêmes pouvoirs).

Revenons donc au modèle de Chartier qui, ainsi que nous lavons vu, identifie quatre facultés : sensitive, imaginative, estimative, et mémoire. La première faculté récolte les informations recueillies par les cinq sens. La faculté imaginative conserve les formes des images, et est capable en outre de fabriquer de nouvelles images en recombinant les perceptions déjà recueillies (chez certains auteurs ces pouvoirs sont traités séparément)13. Celle que lActeur appelle estimative désigne la partie du cerveau où les perceptions sont évaluées pour que se détermine une réaction ou un jugement (semblablement, ce pouvoir se voit divisé, chez certains auteurs, entre la faculté estimative, également nommée instinct, qui est accordée aux animaux comme aux êtres humains, et la faculté cognitive réservée aux hommes). Enfin, la mémoire est la faculté la plus élevée chez lêtre humain. Cest elle qui lui permet dorganiser son expérience, den faire usage pour former des jugements au sujet des situations qui se présentent, et pour faire preuve de prudence dans le cas de celles qui ne sont pas encore advenues. Cest aussi la mémoire qui rend possible la réflexion sur les idées abstraites, ou universelles14.

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De la perception à la mémoire, tous ces mécanismes sont liés entre eux, et en outre sont fortement somatiques. Les images se trouvent inscrites, au sens concret du mot, à lintérieur du cerveau. Les métaphores employées pour expliquer le fonctionnement de la vision, telle celle de limpression du sceau dans la cire, nous font bien voir la compréhension très matérialiste de la perception, de limagination, de la cognition, et de la mémoire, qui caractérisaient ce champ théorique15. Ces théories de la vision, de la psychologie et de la cognition, ainsi que limportance des images, et par conséquent de lallégorie, servent de base conceptuelle à tout louvrage de Chartier.

Du particulier à luniversel

Toujours à la première personne, lActeur décrit en détail la maladie et laffaiblissement progressif du je-personnage, étendu sur son lit dangoisse. Mélancolie ouvre la tête de sa victime impuissante et lui sort la partie du cerveau qui « siet en la region de lymaginative » (p. 5, l. 8). Incontinent, trois femmes « se presenterent au devant de ma pensee » (p. 5, l. 9-10). Daprès les théories de la vision et de la cognition, la perception des sensibilia externes nest pas nécessaire à la production des images. Il est en revanche possible à limagination, dans des rêves ou sous linfluence de la maladie ou dun choc émotionnel, de se remémorer des images déjà inscrites dans le cerveau et de sen servir pour fabriquer des images des choses jamais contemplées. Ainsi les trois femmes, qui savèrent être Indignation, Désespérance, et Défiance, surgissent de limagination même du je-personnage16.

LActeur peint lapparence physique, les vêtements, les expressions, les gestes, et les attributs de ces femmes. Indignation, « [s]a face []179vermeille et enflambee, ses yeulx estincelans et tresperçans de regart », porte « unes tres singlans escourgeez » et « unes tables ouvertes, en quoy elle lisoit et ramentevoit les ingratitudes, lez faultes et les injures que on lui avoit faittez » (p. 6, l. 29-35) et cest elle qui parle en premier. Elle sadresse directement au je-personnage inerte, ce qui nempêche pas ses paroles davoir été recueillies et consignées par lActeur. Indignation insiste avec colère sur le fait que le je-personnage ait gaspillé sa jeunesse au service dun bien public qui se passerait aisément de lui. Elle dénonce la cour, lieu où la vérité frappe inutilement à la porte, et où la loyauté nest pas reconnue. Tout cela, le je-personnage devrait bien le savoir, « si las tant essaiee ! » (p. 7, l. 72). En faisant référence à lexpérience personnelle du je-personnage, Indignation le situe historiquement et suggère un lien, voire une identification possible, entre ce personnage et lActeur, ou encore entre ce personnage et Chartier, lui aussi critique de la cour17. Sadressant toujours au je-personnage, Indignation affirme quà la cour, Fortune règne en maîtresse suprême, et elle cite des philosophes de lantiquité qui ont souffert de ce lieu et des logiques qui le caractérisent, comme Sénèque, Cicéron, Démosthène, sans oublier Boèce (p. 10, l. 138-152). Pour quelle raison, sexclame Indignation, le je-personnage sestime-t-il plus heureux que les autres ?

En termes formels et mimétiques, Indignation se distingue clairement du je-personnage, à qui elle soppose au niveau de lintrigue. Pourtant au niveau du discours, de lérudition, de la connaissance intime des détails de la vie du je-personnage, et de son attitude anti-curiale, on peut établir un parallèle entre Indignation et lActeur, voire entre Indignation et Chartier lui-même. Nous pouvons dire de même des diatribes de Défiance et de Désespérance, qui évoquent des détails biographiques de la vie de Chartier, et font écho à ses observations relatives à la condition de la France, ou font les mêmes références savantes que lui aux situations dEnéas, de Caton, de Lucrèce, et dautres. Ainsi ces voix se confondent avec celle de lActeur. Force est de constater que la dénonciation de la corruption, de linjustice, et de la déchéance morale qui affligent la France fait écho aux lamentations de lActeur au commencement du texte quand il constate que les bons « Povres, chassés, a honte viellissons, / Desers, despiz, nuz et desherités, / Pour droit suir et amer verités » (p. 2, 180v. 38-40). Le je-personnage ne reçoit pas, tel Boèce, la visite dune figure allégorique qui lui est étrangère ou extérieure. Ce sont plutôt les figures allégoriques qui proviennent de son propre esprit qui lui adressent la parole. Ces figures surgissent des facultés cognitives propres de lActeur, et plus précisément de son imagination ; elles ne lui sont pas étrangères, mais intimes. Cet emploi de lallégorie pour figurer les mouvements de la pensée, pour représenter un état desprit dans toute sa complexité et contrariété, témoigne, à notre avis, de loriginalité de Chartier.

À la suite de la diatribe de Défiance, lActeur observe que

[t]andis que ma povre fantasie tormentee de diverses considerations recuilloyt lez parolles en la prose dessus récitée [], je demouray tout suspens et surprins, et mes pensees vagues et esgarees, sans ordre et sans certaine fin, ne vraye election (p. 17, l. 1-7, nous soulignons).

Dans le passage cité ci-dessus, les pensées du je-personnage manquent totalement dordre, et sont dailleurs liées aux sentiments dangoisse et de tourment qui laffligent. Or, pour être efficaces, les images thésaurisées dans le cerveau doivent être organisées ; ici en revanche les pensées du je-personnage ne sont pas susceptibles de bien diriger sa conduite. En outre, ce passage met en évidence la faille qui sest ouverte entre le je-personnage et lActeur, ce dernier étant capable de parler en termes métatextuels du discours de Défiance ainsi que de le transcrire dans le récit que nous lisons, et dont il est responsable. Le je-personnage, quant à lui, plongé dans la confusion, demeure muet et immobile face au produit de son imagination. LActeur constate le désordre et la détresse du je-personnage (quil désigne dailleurs en employant le premier pronom personnel du singulier), sans partager aucun de ses états dâme. Un individu en proie à des pensées effrayantes, voire dangereuses, comment peut-il passer de la perspective du je-personnage à celle de lActeur, et acquérir la capacité de reconnaître et de juger des voix intérieures ?

Au niveau de lintrigue, cest la figure allégorique de la Nature qui intervient pour sauver le je-personnage. Comme Nature ne supporte pas « la violente destruction de son ouvrage » (p. 22, l. 9), elle mobilise « toutes ses vaines, ses nerfz et ses arteriques, spondilles et musculles » (p. 22, l. 13-14) pour, dun grand coup de pied, réveiller Entendement. Pour des lecteurs qui connaissent la Nature dAlain de Lille, avec sa couronne cosmique et lumineuse, sa robe ornée de tous les éléments du 181monde créé, la Nature énergique de Chartier a de quoi surprendre. La description très physique de la Nature rappelle au lecteur la corporalité de lêtre humain, créature rationnelle faite à limage de Dieu, mais également, à linstar des animaux, un assemblage dorganes, dos, et de systèmes physiologiques. Quant aux facultés de sensation et de cognition, les êtres humains et les animaux partagent un nombre non négligeable de pouvoirs. Les animaux sont évidemment capables, par exemple, de sensation, aussi bien que dune forme propre de jugement. Des facultés de la raison et de la mémoire pourtant, les animaux sont exclus18. Dans le cas du je-personnage, ce sont précisément ces facultés supérieures qui lui font défaut, tandis que les pouvoirs inférieurs, ceux que se partagent lhomme et lanimal, notamment linstinct de la conservation de sa propre vie, réussissent à tirer Entendement de son sommeil.

Revenu à lui-même, Entendement cherche à ranimer le je-personnage, qui reste toujours immobile, sans sensation ni parole. Pourtant, dit lActeur, « je [] ne povoye ses parolles [i.e., dEntendement] imprimer en ma pensee []. Car javoye [] ma fantasie fichee vers ces troys monstres » (p. 23, l. 41-45, nous soulignons). Nous observons à nouveau le même pronom personnel employé pour désigner à la fois le je-personnage et lActeur, malgré toutes les différences émotionnelles, psychologiques, et cognitives qui les distinguent. En outre, le vocabulaire de lActeur continue demprunter au domaine de la philosophie de la perception et de la cognition. Le verbe « imprimer » dénote linscription de limage de lobjet vu dans le cerveau, ce qui lui permet de faire partie de la mémoire, et dintégrer par conséquent la cognition, le jugement, et la prudence. Le choix du mot « fantasie » est aussi à noter, car ce terme suggère le pouvoir ou le travail de limagination en dehors dactivités cognitives, dans les songes par exemple, ou sous linfluence de la maladie.

Quoique le je-personnage soit incapable de le comprendre ou de lui répondre, Entendement lui adresse tout de même la parole, nommant et dénonçant les figures maléfiques qui ont cherché à le mener en « tentacion dyabolique » (p. 22, l. 31). À la fin, Entendement « se retrait vers la partie de ma memoire, et ouvrit [] ung petit guichet dont les varroux estoient compressés du rooil de oubliance » (p. 23, l. 45-48). On 182peut remarquer la spatialité du cerveau qui correspond aux divisions de la tradition médicale ; on doit se retirer pour arriver à la mémoire. Ce « petit guichet » nous renvoie en outre à la théorie de Costa ben Luca, ou Constantin lAfricain, qui avait proposé dans un traité la présence, entre le ventricule central et le ventricule postérieur du cerveau, du vermis, une petite porte qui sépare la cognition de la mémoire19. Le « rooil », enfin, souligne la matérialité de cette porte, tombée, apparemment, en désuétude. Le seuil de ce guichet franchi, trois nouvelles figures apparaissent à la mémoire du je-personnage : Foi, Espérance, et Charité, dont les discours occuperont tout le texte qui suit20.

Puisant dans le vocabulaire et les idées de la philosophie naturelle inspirée dAristote, Foi reproche vertement à Entendement son abandon du je-personnage, au corps de qui il fut joint par Dieu « pour gouverner la partie vegetative [] et lappetit sensitif » (p. 24, l. 77-78). Lâme végétative, qui gouverne les processus de croissance et de reproduction, et lâme sensitive, qui gère le mouvement, appartiennent aux animaux comme aux êtres humains. Lhomme seul possède une âme rationnelle. Cest grâce à Nature et à la « Puissance Vegetative » de toute créature vivante, qui « jamais ne repose » (p. 24, l. 82-83), que le je-personnage est encore en vie, en dépit de sa réduction à un état végétatif. Dans la suite de louvrage de Chartier tel quil nous reste, le je-personnage ne sortira pas de cette situation. Pourtant, Entendement sera transformé par le mouvement de Nature, et larrivée des trois dames bienveillantes, tandis que lactivité même de lActeur témoigne de lefficacité des propos de ces dernières.

Il est nécessaire de souligner les différences importantes qui séparent les deux parties de louvrage de Chartier quant aux théories de la psychologie cognitive. Tandis que les figures menaçantes de Défiance, de Désespérance, et dIndignation sadressent au corps inerte du je-personnage, comme à la figure, également impuissante, dEntendement, celles de Foi et dEspérance parlent directement à celui-ci. Dailleurs, les diatribes des figures maléfiques restent sans réponse, car ni le je-personnage ni Entendement ne sont en mesure dévaluer leurs discours ou dy répondre. Foi et Espérance sadressent en revanche à Entendement 183dune manière qui lui permet de leur retourner des questions, lesquelles suscitent dautres explications, et servent à orienter la discussion qui sensuit21.

Au surplus, les figures malveillantes simposent à limagination, tandis que celles qui disent la vérité apparaissent devant la mémoire, une distinction qui suggère à la fois le danger de limagination – une force redoutable, mais ambivalente – et la nécessité du travail de lentendement et de la mémoire pour atteindre la vérité. Dans les diverses théories cognitives de la tradition philosophique, le rôle de limagination nest pas fixe. Quoiquelle occupe toujours la place entre le sensus communis et la mémoire, et serve dintermédiaire entre eux deux, ceux qui écrivent à son sujet ne saccordent pas sur ses pouvoirs. Limagination sert-elle uniquement à conserver les images des objets vus ? Conserve-t-elle également les intentiones ? Est-elle capable de recombiner les images pour en faire de nouvelles ? Agit-elle indépendamment des sens externes ? Et si oui, doù viennent les images quelle présente et quel est leur statut ? Nous avons constaté que Mélancolie couvre la tête du je-personnage de manière à ce quil ne puisse ni voir, ni entendre. En outre, nous avons vu que les femmes maléfiques emploient certains des mêmes discours et exemples que lActeur, et que Chartier lui-même. Ainsi Défiance, Indignation et Désespérance sont le produit de limagination du je-personnage, malgré quelles échappent à son contrôle22. Elles offrent au je-personnage des possibilités de réalité, mais non pas des certitudes, et celui-ci risque de fonder son jugement sur des choses illusoires23. Aussi voyons-nous que Défiance, par exemple, évoque le futur du je-personnage sous les couleurs les plus sombres et comme sil sagissait dun destin inéluctable : « ny pourras vivre sans doubte » (p. 13, l. 44), « plaindras tousjours la ruine de ta nation » (p. 14, l. 76), « seras en servitude comme esclave » (p. 14, l. 80). Les trois figures maléfiques ne voient que le suicide pour mettre fin à la série de malheurs qui se dessinent à lhorizon de la vie 184du je-personnage. Ainsi, comme le dit Nicholas Watson, « nécessaire mais non pas fiable, limagination sert donc de figure et de symptôme de la miseria condicionis humanae, la misère dêtre humain, à un niveau particulièrement profond24 ».

Si le Livre de lEspérance souligne la menace de limagination, il ne faut pas pour autant y voir une dénonciation de cette faculté en tant que telle. Limagination est liée en revanche au statut décrivain de Chartier. La ressemblance même entre certains de ses écrits et les discours des trois femmes met en relief le lien entre ces figures et la production littéraire de Chartier. Ailleurs, le rôle de limagination est explicite. Au commencement du Quadrilogue invectif par exemple, lActeur nous dit que « [lui] vint en ymaginacion la douloureuse fortune et le piteux estat de la haulte seigneurie et glorieuse maison de France, qui entre destruction et ressource chancelle douloureusement soubz la main de Dieu25 ». En outre, limagination peut rendre lesprit humain apte à contempler les choses divines, et peut permettre la conception didées abstraites ou universelles26. Thomas dAquin va encore plus loin en insistant sur la nécessité des perceptions des sens (ce quil appelle phantasmata) et de limagination pour le travail de lintellect et la compréhension des choses abstraites ou universelles. Limagination a besoin de la raison justement – représentée ici par la figure dEntendement – pour être salutaire, et louvrage de Chartier met en relief les dangers que représente une imagination déréglée pour léquilibre psychologique et moral de la personne.

Ce sont les figures de Foi, dEspérance (et, on suppose, de Charité) qui apparaissent, comme nous lavons vu, devant la mémoire, et qui représentent la révélation divine. La mémoire implique toujours un engagement de la raison, et par conséquent est capable de bien ordonner les expériences et les connaissances de lindividu pour construire à partir delles des discours profitables, véritables, salvateurs. Mary Carruthers a montré que la mémoire nest pas simplement un lieu, mais un pouvoir 185actif, qui inscrit les images dans le cerveau, interprète et ordonne ces images pour quelles puissent servir de fondement sûr à lexpérience et au jugement, enfin fait appel aux expériences pertinentes afin de pouvoir parer à toute éventualité. « Lexpérience », écrit-elle, « cest-à-dire les souvenirs généralisés et interprétés, donne lieu à toute connaissance, tout art, toute science, et au jugement éthique27 ». Elle relie ainsi le passé, le présent, et le futur, non pas, pour ce dernier, sur le mode de la détermination, mais sur celui de la prudence.

La mémoire ne fonctionne pas seule cependant. Daprès Thomas dAquin, cest à partir des images des choses sensibles conservées dans, et produites par, limagination que la mémoire peut établir une corrélation avec les idées abstraites ou universelles. Comme la connaissance se fait à partir des perceptions sensibles, et que la capacité de raisonner de manière abstraite ou universelle dépend dune opération cognitive consistant à se remémorer, comparer et recombiner des choses aperçues pour en dégager des principes généraux, lexemple facilite la compréhension dun concept en sinscrivant directement dans le cerveau et en fournissant un point de comparaison. Les exemples, parce que concrets, sinscrivent plus aisément dans la mémoire que les discours théoriques ou abstraits, et nous permettent dapprendre plus facilement. Comme lexemple dépend du mouvement entre la pratique et la théorie ou, en termes philosophiques, entre le particulier et luniversel, il permet aussi la comparaison de soi avec lautre : les cas particuliers, dit Entendement, « empraingnent fort au courage pour la proporcion et equalité que nos singuliers cas ont avecquez lez privees avantures dez aultres » (p. 134, l. 9-11). À la requête donc dEntendement, qui loue lutilité des exemples quil faut « gard[er] fermement en memoire » (p. 133, l. 6), Espérance allègue des cas dindividus qui ont conservé ou retrouvé leur espoir dans des circonstances terribles. Pour trouver ces exemples, elle puise dans lÉcriture sainte, lhistoire de lAntiquité et de France, et même lhistoire contemporaine, terminant avec le roi Charles V.

Il nous semble quEntendement, qui reprend lui aussi espoir, et sous les yeux même du lecteur, pourrait très bien se joindre à cette illustre compagnie. Le cas particulier du je-personnage, accompagné des captivantes figures allégoriques de Chartier et de lhistoire dramatique 186qui anime le tout, sinscrira avec force et clarté dans la mémoire du lecteur. Les images allégoriques du Livre de lEspérance agissent sur les sens internes du lecteur, son imagination et sa mémoire, façonnant son expérience afin quil devienne capable de faire face aux revers de la Fortune sans céder au désespoir.

Lavant-dernier poème du Livre souligne le rapport entre la mémoire, le jugement, léthique, et lécriture de la poésie et de lhistoire. Daprès ce poème ce sont les textes, et surtout les fictions poétiques, qui offrent la possibilité de former le jugement et la conduite du lecteur. Le poème 15 proclame que « [] lez hystoires / Et poesiez fictoires, / Narratoires » ont le potentiel de « ramener en noz memoires » les cas notoires ainsi que les hauts faits, et ainsi servent à « noz sens ediffier » (p. 148, v. 8-10, 5, 7, nous soulignons). Les histoires et les poèmes agissent sur nos sens internes, limagination et la mémoire, en y inscrivant de bonnes images, des images utiles avec la capacité de nous illuminer. La connaissance et la compréhension des expériences des autres (« aultruy faitz », p. 149, v. 25) nous permettent de « [] clarifier, / Monstrer, exemplifier, / et trier, / Noz presens cas [] » (p. 149, v. 25-28). Cette série dactions met en évidence les processus dévaluation et de comparaison qui constituent le fondement de la connaissance et du jugement moral. En outre, il relève de lobligation des « clercs », comme lActeur, comme Alain Chartier, détudier les exemples du passé et de les « versifier » pour le public, produisant de cette manière des textes utiles, et même salvateurs, qui font clairement voir aux lecteurs leurs « presens cas ».

Les figures et les lieux du paysage intérieur que dépeint Chartier dans le Livre de lEspérance nous permettent de voir la compréhension et la diffusion de la pensée philosophique sur lépistémologie à la fin du Moyen Âge, notamment les rôles respectifs de la raison, de limagination et de la mémoire. Nous apercevons pourtant, presque malgré le travail de lActeur, tout ce qui échappe au pouvoir de lintellect. Quoique nous nayons pas insisté sur ce point, il est important de reconnaître que cest larrivée inopinée de Mélancolie qui déclenche la crise du je-personnage, et que, en dépit de lefficacité de laction de Nature au niveau de lintrigue, il est beaucoup plus difficile pour un être humain dans la vie réelle déchapper à linfluence néfaste de cette émotion. En outre, toutes les figures allégoriques qui apparaissent devant le je-personnage 187représentent les dispositions de lâme. Comment les émotions influent-elles sur les processus cognitifs ? Jusquà quel point lêtre humain est-il capable de diriger les mouvements et les activités de ses sens intérieurs ?

Nous soutenons que louvrage de Chartier représente une tentative au moins de montrer au lecteur comment il peut maîtriser ses émotions et son imagination. Les images allégoriques de Chartier, aussi bien que les miniatures qui accompagnent certains manuscrits du Livre de lEspérance, sinscrivent avec force et clarté dans la mémoire du lecteur afin que lexpérience du je-personnage puisse constituer un cas exemplaire pour le lecteur. La transformation de lexpérience personnelle en œuvre dart universalise le particulier de manière à le rendre apte à former lentendement du lecteur. Si dune part lallégorie du Livre de lEspérance permet à Chartier dexaminer la psychologie de lêtre humain et dagir sur limagination, la mémoire, et lentendement de son lecteur, dautre part son ouvrage fournit un point de repère au lecteur vulnérable qui se trouverait, comme le je-personnage, chancelant au bord du désespoir.

Daisy Delogu

University of Chicago

1 C. Serchuk, « The Illuminated Manuscripts of the Works of Alain Chartier », Alain Chartier c. 1385-1430 : Father of French Eloquence, éd. D. Delogu, J. McRae et E. Cayley, Leiden, Brill, 2015, p. 98-137.

2 Voir par exemple G. M. Cropp, « Boethius and the Consolatio philosophiae in XIVth and XVth Century French Writing », Essays in French Literature, 42, 2005, p. 27-43 ; S. Huot, « Re-fashioning Boethius : Prose and Poetry in Chartiers Livre de lEsperance », Medium Ævum, 76, 2, 2007, p. 268-284 ; D. Kelly, « Boethius as Model for Rewriting Sources in Alan Chartiers Livre de lEsperance », Chartier in Europe, éd. E. Cayley et A. Kinch, Cambridge, Brewer, 2008, p. 15-30.

3 T. Van Hemelryck, « Le modèle du prosimètre chez Alain Chartier : texte et codex », Le prosimètre à la Renaissance, Paris, Éditions Rue dUlm (Cahiers V. L. Saulnier, 22), 2005, p. 9-19.

4 Ou peut-être à Christine de Pizan, dont Chartier connaissait bien les ouvrages.

5 Daprès M. Carruthers, limage de la silva peut désigner la mémoire désordonnée. Voir The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 (1re éd., 1990) ; trad. française : Paris, Imago, 2002.

6 Voir par exemple E. R. Harvey, The Inward Wits. Psychological Theory in the Middle Ages and the Renaissance, London, Warburg Institute, 1975 ; A. Kenny, A New History of Western Philosophy, vol. 2, Medieval Philosophy, Oxford, Oxford University Press, 2005.

7 A. Strubel, « Le Songe du viel pelerin et les transformations de lallégorie au xive siècle », Perspectives médiévales, 6, 1980, p. 54-74, ici p. 69. De manière similaire, H. R. Jauss constate que pour fonctionner allégoriquement, les figures doivent être privées de leur individualité. Voir « La Transformation de la forme allégorique entre 1180 et 1240 : dAlain de Lille à Guillaume de Lorris », Lhumanisme médiéval dans les littératures romanes du xiie au xive siècle, Paris, Klincksieck, 1964, p. 107-146.

8 Voir par exemple le chapitre 7, « Songes et apparitions », de louvrage de P.-Y. Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle. Étude de la réception de lœuvre, Genève, Droz, 1980, où il montre quil y a toujours une tension entre luniversalité de lenseignement qui est offert par le songe et la singularité de lexpérience du je-narrateur qui léprouve et le consigne par écrit. M. Zink, M. Miner et K. Brownlee, « The Allegorical Poem as Interior Memoir », Yale French Studies, 70, 1986, p. 100-126, ici p. 119, ont écrit que « [a]llegory, which aspires to convey a general truth, attempts at the same time to be, in its particular expression, the product of the narrators state of consciousness. » Voir aussi lintroduction de V. Minet-Mahy à son ouvrage Esthétique et pouvoir de lœuvre allégorique à lépoque de Charles VI. Imaginaires et discours, Paris, Champion, 2005.

9 « Pour Chartier, lécriture allégorique est un instrument dinvestigation du moi. » Cf. J.-Cl. Mühlethaler, « Le “rooil de oubliance” : Écriture de loubli et écriture de la mémoire dans Le Livre de lEspérance dAlain Chartier », Études de Lettres, 1-2, 276, 2007, p. 203-222, ici p. 207.

10 Alain Chartier, Le Livre de lEspérance, éd. F. Rouy, Paris, Champion, 1989.

11 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. F. Lecoy, Paris, Champion, 1965-1970, v. 45 ; Guillaume de Machaut, La Fontaine amoureuse, éd. J. Cerquiglini-Toulet, Paris, Stock Moyen Âge, 1993, v. 1569-1570 ; Christine de Pizan, Le Chemin de longue étude, éd. A. Tarnowski, Paris, LGF (Lettres gothiques), 2000, v. 458.

12 Voir Harvey, The Inward Wits ; M. Camille, « Before the Gaze. The Internal Senses and Late Medieval Practices of Seeing », Visuality Before and Beyond the Renaissance, éd. R. Nelson, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 197-223.

13 Sur limagination, voir M. Karnes, « Marvels in the Medieval Imagination », Speculum, 90, 2, 2015, p. 327-365 ; A. J. Minnis, « Medieval Imagination and Memory », The Cambridge History of Literary Criticism,vol. 2 : The Middle Ages, éd. A. J. Minnis et I. Johnson, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 239-274 ; N. Watson, « The Phantasmal Past : Time, History, and the Recombinative Imagination », Studies in the Age of Chaucer : The Yearbook of the New Chaucer Society, 32, 2010, p. 1-37.

14 Voir Carruthers, The Book of Memory.

15 En ce qui concerne les théories de la vision au Moyen Âge, voir D. Lindberg, Theories of Vision from Al-Kindi to Kepler, Chicago, University of Chicago Press, 1976 ; sur la cognition, voir K. Tachau, Vision and Certitude in the Age of Ockham. Optics, Epistemology and the Foundations of Semantics, 1250-1345, Leiden, Brill, 1988.

16 Augustin souligne la nature volontaire de la vision intérieure comme extérieure, qui sont toutes les deux des opérations de la volonté. Pourtant, quand on dort, ou sous linfluence de la frénésie, les images peuvent simposer à la vue intérieure. Voir Kenny, A New History of Western Philosophy.

17 Par exemple dans le Curial ; dans son introduction F. Rouy remarque que le Livre de lEspérance fut souvent confondu avec le Curial.

18 Quoique cette distinction napparaisse pas au niveau anatomique, ainsi que Galien lavait remarqué. R. Harvey décrit les efforts de la tradition médicale pour expliquer physiologiquement la capacité rationnelle de lêtre humain.

19 Voir Harvey, The Inward Wits, p. 37-38.

20 On peut le supposer en tout cas. Louvrage demeurant inachevé, seuls les discours de Foi et une partie de celui dEspérance nous restent.

21 J.-Cl. Mühlethaler observe que Foi et Espérance emploient « les vertus didactiques du dialogue ». Voir « Le “rooil de oubliance” », p. 210.

22 M. Karnes a écrit au sujet de telles images que « imagination implies powers greater than itself through images that overperform themselves. They overperform themselves in the sense that they act like, and on, bodies, even though they are not bodies themselves ». Voir « Marvels in the Medieval Imagination », p. 329.

23 Sur les incertitudes quoffre limagination, voir A. J. Minnis, « Langlands Ymaginatif and Late-Medieval Theories of Imagination », Comparative Criticism, 3, 1981, p. 71-103.

24 « Essential but unreliable, imagination is thus figure and symptom of the miseria condicionis humanae, the wretchedness of being human, at an especially deep level. » Cf. Watson, « The Phantasmal Past », p. 11.

25 Le Quadrilogue invectif, éd. F. Bouchet, Paris, Champion, 2011, p. 6.

26 R. Di Lorenzo, « Imagination as the First Way to Contemplation in Richard of St. Victors Benjamin Minor », Medievalia et Humanistica : Studies in Medieval and Renaissance Culture, 11, 1982, p. 77-98.

27 « Experience – memories generalized and judged – gives rise to all knowledge, art, science, and ethical judgment. » Cf. Carruthers, The Book of Memory, p. 86.