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Classiques Garnier

Propagande et polémique après la défaite de Pavie (1525)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2016 – 2, n° 32
    . varia
  • Auteur : Rouget (François)
  • Résumé : Par le traité de Madrid (1526), François Ier sortait de sa captivité madrilène à laquelle l'avait conduit la défaite de Pavie. Aussitôt, il dénonça les conditions injustes de ce traité. Son parjure suscita l'approbation ou l'indignation. Le présent article examine les résonances de cette polémique dans l'opinion publique, en présentant les justifications des partisans du roi et les accusations de ses contempteurs qui répliquèrent pour démystifier l'image de François Ier.
  • Pages : 247 à 272
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406067450
  • ISBN : 978-2-406-06745-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06745-0.p.0247
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 28/01/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Propagande et polémique
après la défaite de Pavie (1525)

Lannée 2015 aura été marquée par la commémoration du cinquième centenaire de la victoire de Marignan au cours de laquelle les troupes de François Ier défirent les mercenaires suisses, victoire qui coïncida avec la reprise du duché de Milan et marqua lavènement du nouveau monarque. Cette date a quelque peu occulté la défaite du roi à Pavie, dix ans plus tard, sur laquelle louvrage de Jean-Marie Le Gall, LHonneur perdu de François Ier. Pavie, 1525, fait toute la lumière1.

On connaît les circonstances de ce revers militaire français. Alors que la Provence était menacée par linvasion des troupes du connétable Charles de Bourbon, passé au service de Charles Quint, le roi de France décida de les repousser et de les poursuivre en Italie. Après la prise de Milan (octobre 1524), larmée française assiègea Pavie mais subit une humiliante déroute le 24 février 1525. Elle perdit de nombreux hommes, dont ses chefs Bonnivet, La Trémoille et La Palice, et le roi fut fait prisonnier. Après un séjour de plusieurs mois à Pizzighettone et à Gênes, il fut transféré à Barcelone puis à Madrid où il demeura jusquà sa libération négociée par le traité de Madrid (14 janvier 1526). Selon les termes de laccord, la France devait restituer la Bourgogne à lempereur, renoncer à ses prétentions sur lItalie ; le roi saccordait à épouser Éléonore de Habsbourg, sœur de lempereur, rétablir le connétable de Bourbon dans ses privilèges, et échanger ses fils François et Henri contre sa liberté.

Cest peu de dire que cette défaite constitua un désastre pour la France. Humiliée à lextérieur de ses frontières, elle se retrouvait affaiblie politiquement et menacée par des troubles civils majeurs. Pendant labsence du roi, la régente et le Parlement prirent des mesures durgence 248et sefforcèrent de rassurer lopinion publique car les réactions populaires furent partagées entre la colère et le désarroi2.

Dès lannonce du désastre, les partisans du roi et ceux de lempereur colportèrent des informations contradictoires qui favorisèrent les rumeurs les plus folles. Après le retour du roi en France et lannonce quil nhonorerait pas les termes de laccord, car jugés injustes ou irréalisables, la polémique samplifia. Les rares placards et pamphlets de lépoque accusèrent ou défendirent la position du roi. LApologie contre le traicté de Madrid (Paris, Galliot du Pré, [ca. 1526]), publiée par un auteur anonyme, justifia la décision royale pour convaincre lopinion. Avec les poèmes de captivité attribués à François Ier, qui circulaient en manuscrits3, elle vient documenter la propagande royale qui fut entreprise à ce moment-là. Cette plaquette en prose est lun des rares témoignages dune entreprise éditoriale qui fut sans doute plus intense. Pour preuve, lexistence dune Epistre satiricque envoyée par Cognoissance au Roy de France (Anvers, Joannes Grapheus, 1527) qui répond du tac au tac à lApologie, et qui semble surtout répliquer à l« Epistre du Roy traictant de son partement de France en Italie et de sa prise devant Pavie4 », que le roi aurait composée à Madrid. Cette Epistre satiricque en vers, écrite par un partisan anonyme de lempereur et du connétable de Bourbon, qui semble être inconnue des historiens, entend déjouer la stratégie dautojustification par François Ier. Partisane, elle porte aussi un éclairage singulier sur le roi, vaincu mais orgueilleux. Surtout, ce long poème, prolongé par une autre épître louant Bourbon, constitue un témoignage précieux sur la première réception des poèmes de captivité, composés par François Ier ou en son nom, dont lapparition et la diffusion publique coïncident avec le début de la polémique et la propagande royale.

249

Autojustification et propagande du roi :
lApologie de 1526

Le 10 mai 1526, alors quil a rejoint la France depuis deux mois et quil ratifie le traité de Moore qui détache les Anglais de lalliance avec lEspagne, François Ier fait recevoir Lannoy, ambassadeur de Charles Quint, par le chancelier Duprat et lui notifie quil ne cédera pas les États de Bourgogne. En refusant aussi de revenir se constituer prisonnier et en concluant une ligue avec les États italiens, le roi déclare son refus de respecter les termes du traité de Madrid et montre son intention de riposter5. Cet affront conduit Charles Quint à le provoquer en duel au cours de lété. Rien ny fera, et ce parjure suscite un scandale dans le camp des vainqueurs de Pavie, et des inquiétudes, teintées de honte, dans celui des vaincus.

Dans ce climat de tension particulière, chacun organise la conquête de lopinion publique. Ce sont les arguments des deux camps (pro et contra la trahison du traité) qui vont nous arrêter ici. Face à létonnement des Français et à lhostilité de Espagnols, il semble que le camp du roi ait cherché à sexpliquer le premier. La meilleure défense étant lattaque, François Ier et ses conseillers prirent à témoin lopinion pour justifier sa décision de transgresser le traité de Madrid. Un document, publié le 31 juillet 1526, constitue lélément officiel de ce parjure : lApologie contre le traicté de Madrid dentre le treschrestien Roy de France et Charles esleu Empereur6. Pourvu dun privilège royal signé du roi, à Blois, et vendu au Palais, dans le milieu des Parlementaires, cet ouvrage ne pouvait connaître de meilleure exposition. Le privilège, reproduit en tête, et signé dHeroët7, pose demblée la raison dêtre du texte et parle au nom du roi. Celui-ci déclare avoir recouvré « une appologie pour respondre à 250ceux qui vouldroient nous inculper de navoir observé et gardé le traicté faict à Madrid entre lesleu empereur, dune part, et nous, daultre » (fol. a 1v). Dentrée, le livre sert à contre-attaquer face à lindignation suscitée par la violation du serment. Cest dire si la Couronne a craint pour sa dignité et cherché à contrôler les risques de contestation au sein même du royaume. De fait, lattitude du rédacteur de lApologie vacille entre la défense et laccusation, et sefforce de rétablir la (sa) vérité :

Il y a aulcuns qui par adventure mectent en doubte la foy du treschrestien roy parce quil na observé le traicté par luy fait avec lesleu empereur. Je leur prye quilz nen conçoyvent aucune chose en leur esprit ou preferent leur jugement premier quen congnoistre la verité et lordre du fait, lequel à ce quilz puissent plus à plain entendre, jay reputé chose louable si le tout je redigeoys par ces escriptz. (fol. a 2r)

Lauteur cherche dans les affaires diplomatiques antérieures, sources de désaccords (duché de Milan, royaume de Navarre, comtés dArtois et de Flandres), lorigine de la querelle qui a conduit au parjure de 1526. Contraint de signer un traité par la force, maltraité, le roi a fini par se résigner à défendre son pays, quitte à trahir la parole donnée.

Lauteur de cette déclaration ne fait que développer les trois raisons majeures qui avaient poussé le roi captif à décider et à confier, avant même sa libération, quil ne se plierait pas aux obligations du traité8. Elles sont présentées comme des arguments objectifs qui avèrent la conviction que le roi sest comporté dignement : tout homme emprisonné contre son gré ne peut être tenu de garder sa foi ; la maltraitance subie en prison et la crainte dabandonner sa famille le forcèrent de mentir ; enfin, par loffre de ses deux enfants, substituts de sa personne, le roi a respecté sa parole.

Mais au-delà de lexplication des faits et de la réponse aux insinuations des adversaires, lauteur construit une véritable apologie, cest-à-dire un éloge du roi et de sa politique étrangère. Il fait de lui une victime en dénonçant la trahison du connétable de Bourbon, puis linvasion de la Provence (fol. a 2v). Il le représente comme une victime du sort devant Pavie (« par cas et fortune contraire plus que par vertu ou sçavoir des ennemys », fol. a 3r). Mieux, il fait de chaque 251épreuve de la captivité les épisodes dune geste épique empreinte de dignité. Face aux « tres iniques conditions » imposées au roi, menacé « de perpetuelle prison » (fol. a 3v-a 4r, et a 4v), celui-ci fut près de mourir, et lapologiste multiplie les hyperboles pour tracer le portrait dun roi mélancolique : « par quoy troublé et tourmenté par longue angoisse desprit et de corps, il cheut en tres griefve et tres dangereuse maladie », « en maladie mortelle » (fol. a 4r). On ne saurait être insensible devant ce tableau dun prisonnier humble, et abusé par un César geôlier cherchant à « extorquer » de sa victime une rançon et des avantages excessifs. Lauteur de lApologie prend soin de garder le silence entourant les détails des négociations pour libérer le roi. Sil prétend présenter la vérité des faits, il omet de préciser quelles furent les « tres iniques conditions » imposées par César (« trop longues à reciter », fol. a 3v) et ne sétend guère sur « plusieurs aultres raisons » (fol. b 1r) qui conduisirent le roi à ne point restituer la Bourgogne. En revanche, il ne ménage pas ses forces pour souligner la menace que Charles Quint faisait peser sur lEurope et justifier lalliance nouvelle entreprise par le roi avec le pape et lAngleterre (fol. b 3r).

À lissue de cette Apologie, le lecteur éprouve le sentiment dassister à un curieux retournement de situation : injustement accusé, le roi est présenté en victime ; censé affaibli, il apparaît en position de force. LApologie est le récit dune infortune convertie en revanche, cela grâce au talent de lavocat qui prend à témoin toutes les cours dEurope :

Or puis Roys et princes que les choses sont telles que cy dessus ont esté recitées, il vous est facille de juger qui a meilleure et plus juste cause, ou lesleu empereur qui a imposé loix dures et impossibles, ou le roy treschrestien qui non les pouvant observer, toutesfois na voulu obmettre chose qui fust en luy pour monstrer sa foy ferme et inviolée. (fol. b 3v)

Dès lors, comment ne pas percevoir dans lexhortation finale un appel à lunion civile ainsi quune proclamation de victoire :

Or sus doncques, prenez et soustenez la cause du roy treschrestien et de ses enfans qui est commune de tous les roys et princes, à ce que telle dignité ne se perde et que les loix chrestiennes ne soient perverties. (fol. b 3v)

Le texte de lApologie ne resta pas lettre morte car, à Rome, peu après, une Defensio pro christianissimo francorum rege adversus calumniantes 252eum, quod conditiones cum Cæsare initas minime servaverit fut imprimée par Francesco Minizio Calvo, qui en reprit lessentiel.

Au cours de lannée 1526, lopinion publique était invitée à peser les arguments du roi et de ses adversaires sur une affaire aux ramifications politiques et sociales complexes. LApologie en exposait les enjeux en résumant les données objectives du traité international et en soulignant les scrupules dun homme dÉtat qui lavait transgressé. Elle donnait de lui limage du père du peuple, soucieux de ses enfants et de lavenir de son royaume, dun être déchiré mais ravi dêtre de retour dans sa patrie pour reprendre les commandes du pouvoir. Cette description correspond en partie à limage qui est donnée de François Ier dans son épître de captivité (Prison 1), longue de plus de quatre cents vers, et dans laquelle la critique a perçu la voix élégiaque dun prisonnier pleurant son infortune et déclarant la fermeté de sa foi à une belle dame de la cour de France9. Si lApologie défend les arguments du parjure à son retour de captivité, lépître est censée expliquer les raisons du désastre de Pavie sur un mode mineur. Car on suppose que ce texte, comme dautres composés pendant le séjour madrilène, a circulé en manuscrit à la Cour, pendant les mois de captivité ou peut-être peu après la libération10.

Lépître insiste sur les infortunes ou les caprices de la Fortune pendant le siège de Pavie. Le locuteur entame son poème au moment où le roi a constaté sa défaite et séplore sur son sort. Il cherche surtout à se justifier et à blâmer les autres : il dénonce la trahison de Bourbon (v. 49-52), invoque la volonté des officiers de pousser jusquà Pavie (v. 135-149), regrette la lenteur des troupes quil avait envoyées à Naples (v. 161-168), dénonce la fuite dAlençon (v. 223-233) et de ses gens (v. 258-262)11. Il se présente en victime, aussi soucieux de rejoindre la France que de retrouver sa maîtresse (double emblématique du royaume ?). Si le propos du roi est 253centré sur les événements qui ont conduit au désastre de Pavie, puis sa captivité et sa mélancolie, il a pour objectif de défendre son honneur. Sa ligne justificatrice rejoint celle de lApologie avec laquelle elle partage des motifs : la maladie du roi, son infortune, sa loyauté. À vrai dire, le temps de lénonciation qui fait alterner le récit passé de la bataille et la description présente de la prison, qui associe le présent de la captivité et celui de la réflexion morale, semble les mélanger, au point de brouiller lhistoire et de poser la question des origines de la composition du poème. Celui-ci, on la dit, développe les deux motifs de lélégie, la guerre et lamour. Sil sagit dune véritable épître en vers envoyée à une dame de la Cour, comme celles que le roi adressa à sa sœur et auxquelles elle répondit, on peut sétonner de la place quy occupe lhistoire politique. Convenait-elle à une lettre galante ? Par ailleurs, le va-et-vient aléatoire entre le présent et divers segments du passé permet de gommer les circonstances réelles de lécriture, au point quon se demande si lépître et les autres poèmes de captivité12 ont été rédigés à Madrid ou peu après, en France13.

En tout cas, le nombre de manuscrits conservés dans lesquels ces poèmes figurent semble suggérer que ces textes ont circulé à la Cour, et peut-être au-delà, et quils ont servi à alimenter la propagande royale révélant un poète, courtois et politique, amant et moraliste. Ils pouvaient sans doute exprimer le désenchantement éprouvé par les hommes de lettres (comme Guillaume Crétin dans son Apparition du feu mareschal de Chabannes de 1525)14, mais aussi atténuer limage dun homme de guerre rustre et contribuer à apaiser linquiétude et la colère des courtisans, ébranlés par la nouvelle du désastre de Pavie. Ces poèmes, où le locuteur supposé royal disait je, rehaussaient la gloire ternie de François Ier 254en le montrant fort dans ladversité, mais encore en être souffrant qui suscitait la pitié.

Il est intéressant de constater que cette image piqua la curiosité populaire, fût-elle spontanée ou orchestrée par le pouvoir. La défaite de Pavie devint un thème dinspiration pour les chansonniers qui tantôt pleurèrent labsence du roi, tantôt persiflèrent. On a retrouvé dans les archives manuscrites la copie de ces vers. Certains dentre eux furent choisis pour constituer des anthologies comme La Fleur des chansons15. On y relève une chanson du roi16, non signée, qui est aussi mise en musique vers 1528 dans les Trente et sept chansons imprimées par Pierre Attaignant17. Cette médiatisation permettait de corriger limage du chevalier errant et de riposter sur le terrain de lopinion (la Cour, les officers royaux et les bourgeois) contre les chansons de victoire composées par les partisans de Charles Quint qui, de son côté, mobilisait tous ses efforts pour défendre et mettre en œuvre les termes du traité de Madrid.

255

Contestation et réprimande :
lEpistre satiricque de 1527

La publication de lApologie en faveur de François Ier ne passa pas inaperçue. Les libelles politiques qui nous sont parvenus sont les vestiges dune campagne de propagande durable. DAnvers, en particulier, les Habsbourg répliquèrent au roi de France en sollicitant les imprimeurs dont les placards pouvaient atteindre assez rapidement le nord de la France et Paris. Joannes Grapheus fut mis à contribution pour produire en latin et en français des tracts en faveur de Charles Quint18. Pour lannée 1527, on a pu répertorier plusieurs réponses et défenses contenues dans la Pro invictissimo cæsare Carolo augusto, Hispaniarum rege catholico et cætera ad epistolam Franci regis ad principes imperii transmissam, necnon ad apologiam Madriciæ, conventionis dissuasoriam, responsio. Ce volume de près de deux cents pages, publié le 19 août 1527, réunit neuf éléments de la querelle impliquant lempereur, le roi de France et le pape Clément19. Par lemploi du latin, il permettait aux lettrés de toute lEurope de comprendre les termes de la polémique et de prendre position.

Mais en marge de ces textes officiels, contrôlés par le pouvoir, fleurissaient dautres textes appuyant lempereur et composés par ses thuriféraires. Cest le cas dune plaquette en vers, imprimée par Grapheus en 1527, mais dont la langue est le français. On le verra, le contenu de ce petit volume, inconnu des historiens, apporte un éclairage inédit sur le conflit et ambitionne de démystifier limage du baladin François, captif malheureux de Madrid.

256

Il convient dabord de présenter succinctement la forme matérielle de cette plaquette :

VNE / Epistre Satiricque Envoyee de par / Cognoissance au Roy / de France. / Item une aultre de Lacteur au / Duc de Bourbon. / Imprime en la ville Danvers par moy / Jehan Grapheus. Lan M. D. / XXVII.

In-4, 8 feuillets A4-B4. fol. A 1v-B 2v : Epistre satiricque de Cognoissance au Roy de France ; fol. B 2v-4v : En apres sensuit une epistre par lacteur pour et au nom du tres illustre duc de Bourbon. Et ce, sur certaines choses quont esté de luy trouvées en une epistre mal dirigée, où tachoit sa vertueuse fame denigrer, ce quon ne peult aucunement.

Lunique exemplaire de cette plaquette a été retrouvée à la British Library (cote : c. 39 a.46) ; il a été relié au xixe siècle en maroquin rouge par Thompson pour Charles Nodier, écrivain et célèbre « bibliomane20 ». Il a figuré ensuite au Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés faisant partie de la Librairie de L. Potier (Paris, 1870, no 796, p. 162). Son intérêt mérite quon en reproduise le contenu intégral, que lon trouvera à la suite de la présente étude.

Lanalyse des deux parties révèle que lauteur anonyme a cherché à la fois à morigéner publiquement le roi de France et à prendre la défense de son ancien allié, le connétable de Bourbon. Comme il nest fait nulle mention de la mort de celui-ci, lors du sac de Rome le 6 mai 1527, on est en droit de penser que la plaquette a été publiée avant cette date, et après juillet 1526, date dimpression de lApologie.

Dans la première épître, lauteur choisit de prendre de la hauteur pour blâmer François Ier et rétablir la vérité historique. La prosopopée de Connaissance convient parfaitement pour conférer une gravité morale au discours public. Après une brève introduction (prologue des v. 1-14) au cours de laquelle se pésente Connaissance (comme lacteur dun drame scénique), se développe sur 250 vers une « remonstrance [] au Roy lui mectant avant sa premiere et plus belle fortune » (fol. A 1v). Lintertitre semble faire allusion aux poèmes de linfortune composés par ou pour le roi, et circulant sous son nom. En choisissant le décasyllabe aux rimes suivies, lauteur se place sur le même terrain poétique. LEpistre satiricque se présente en effet comme une contre-épître de François Ier21.

257

Elle est habilement divisée en plusieurs parties : après le prologue, le poète trace à grands traits le tableau de la France avant la bataille de Pavie (fol. A 1v-3v) puis après la défaite (fol. A 4r-B 2v). Il délègue à Connaissance, personnification morale, la mission de révéler la fausseté du tempérament du roi et son orgueil qui le conduisit à léchec. On voit que lauteur cherche à effacer sa personne et sa voix pour faire énoncer un jugement implacable. Il semble animé du seul désir de convaincre le lecteur au moyen darguments objectifs. À plusieurs reprises, il rappelle cette exigence de vérité :

Je ne lairay de la verité dire

Et ce faisant ne pense point medire. (v. 177-178)

Et à la fin de la seconde épître, il insiste non sans ironie :

Mais verité ne doit estre celée

Quoy que ne soit en tous lieux appellée. (v. 101-102)

Ces répétitions semblent répliquer aux affirmations péremptoires de lApologie et aussi aux confessions poétiques du roi, en déclarant fournir une information éclairée.

Mais lauteur de lEpistre satiricque, comme lindique le titre, entend dénoncer et condamner le caractère présomptueux et lentêtement du roi. Le portrait de François Ier est sans concession : selon Connaissance, celui-ci nest quun naïf, orgueilleux et aveuglé, un ambitieux (fol. A 2r-3r) trompé par sa propre lâcheté (fol. B 1v-2r), un égoïste qui a sacrifié ses troupes, ses nobles et même ses enfants otages (fol. A 4v). Injuste à légard de Bourbon, il sest avili en parjurant sa promesse (fol. A 4r). Ce portrait découvre lenvers du personnage que sefforçait dembellir le poème de la Prison 1.

Bien informé de la situation politique et sociale en France, lauteur dessine une image menaçante : « les subjectz lon voit cryer et brayre » (v. 152), « chascun crye que la France est malade » (v. 156). Il place ensuite sur les lèvres de Connaissance une série de reproches qui visent la légèreté du roi, amateur de galanterie, et son inconscience :

258

Me mis-tu pas en trop grant mesprison

Durant le temps que tu tenois prison ?

Que tu devois à moy tes peines dire,

Et tu te mis à tamye rescrire,

Blasmant tes gens que peult estre ont bien fait

En extollant et privant ton effect. (v. 162-166)

Ici, lauteur satirique renvoie au début de la Prison 1 où François écrivait à sa maîtresse et lui expliquait léchec de la campagne sur Pavie par lincompétence de ses chefs :

Tu te pourrois ores esmerveiller

Pourquoy je vueil maintenant travailler

Tescripre vers [].

Bien je cuidois la victoire certaine

Et le triumhe emporter pour estrene,

Mais, quoy, le sort de ma felicité

Fut converty en infelicité

Par le vouloir de mes chefs, en effect,

Fut empesché le fruit de mon effect ! (v. 1-3, et 135-140)

À lévidence, les épîtres versifiées composées pendant sa captivité navaient laissé indifférents ni les partisans ni les adversaires du roi. Et lauteur de lEpistre satiricque montre quil nest pas dupe de la stratégie royale visant à gagner la compassion et le soutien de son peuple. Cest lui quil cherche à atteindre à travers sa vitupération ; cest sa politique entreprise après sa libération quil dénonce en révélant les manœuvres auprès du pape et des Turcs (fol. B 1r et B 2r).

Forte de cette démystification, la conclusion du poème porte le coup fatal. Ladmonestation de Connaissance au roi chrétien (fol. B 2r-v) souligne linutilité de sa justification par les revers de la Fortune, mais le conjure dadmettre sa défaite comme un châtiment que Dieu réserve aux méchants, et lexhorte à corriger sa conduite.

Comme si la condamnation morale adressée au roi ne suffisait pas, lauteur ou « lActeur » réserve une seconde épître pour prendre la défense du connétable de Bourbon et – comme lindique le titre – répondre aux fausses accusations ou « certaines choses quont esté de luy trouvées en une epistre mal dirigée, ou tachoit sa vertueuse fame ». On est tenté dy lire une réplique contre les insinuations énoncées dans lApologie (1527) 259mais aussi dans lépître de François (Prison 1)22 « maudissant Bourbon et ses pratiques, / Connoissant bien ses trahisons iniques23 ». Lauteur de la défense déclare agir au nom de la vérité et « pour et au nom du tres illustre duc de Bourbon », ce qui laisse supposer quil était un secrétaire à son service. En tout cas, cest en poète quil écrit son éloge (v. 22-28), soulignant les services passés, son dévouement (v. 33-48), et lingratitude du roi dont il se vit payé. Après le blâme de François Ier développé dans la première épître, léloge de Bourbon dans la seconde prend tout son éclat. Limage centrale de son malheur (v. 70-80) vient faire oublier les infortunes subies par son ancien maître à Madrid, et leffet de la Providence quil ressentit à la fin contraste étonnamment avec lindignité de la libération du roi obtenue au prix du parjure.

On le voit, les deux poèmes français de 1527 alimentent la polémique entamée par le traité de Madrid. Leur auteur, qui fit imprimer ses vers à la hâte (comme semblent le montrer les lacunes entachant limpression)24, sest engagé dans la mêlée en prenant le parti de lempereur et du connétable. Ce faisant, il invoque le droit à la vérité contre linformation véhiculée par le parti adverse dans lApologie et lun des poèmes de captivité du roi. Il révèle notamment la dimension sombre de François Ier par un portrait à charge et des attaques ad hominem quil fait assumer par Connaissance, dont lautorité ne peut être discutée. Cette fiction lui permet aussi de réhabiliter limage du connétable, désavoué du roi et présenté devant lopinion comme un traître.

Celui-ci neut pas le temps den profiter, ni même peut-être de lire ce vibrant éloge, car il mourut peu après. La polémique, elle, était loin de séteindre, pendant que les fils du roi demeuraient otages à Madrid (ils ne seront libérés quen 1530) et que se dessinaient en Europe de nouvelles alliances qui devaient conduire à la guerre en Italie, à la paix de Cambrai et au couronnement impérial. La multiplication des pamphlets en prose 260et des poésies, orchestrées de part et dautre, montre leffort des deux camps pour gagner le terrain de lopinion. Après la défaite de Pavie, la lutte prenait la forme dune guerre diplomatique et médiatique. De cette querelle est née peut-être lune des images de lhistoriographie française, ou lune des « mythologies » modernes (R. Barthes) : celle de François Ier en poète captif25.

François Rouget

Queens University

261

NOTE SUR LÉDITION

Nous reproduisons à la suite les deux poèmes contenus de la plaquette imprimée en 1527. Pour létablissement du texte, nous avons respecté scrupuleusement la graphie et la ponctuation de loriginal mais nous sommes intervenu pour en corriger les erreurs évidentes. Conformément aux habitudes de lédition savante, nous avons désagglutiné les mots, distingué le i du j et le u du v, et accentué le e final tonique (-ée, etc.). Nous avons aussi ajouté en marge et entre crochets la numérotation des vers pour en faciliter la lecture. Enfin, nous avons annoté les passages qui méritaient un éclaircissement.

UNE EPISTRE SATIRICQUE
ENVOYÉE PAR COGNOISSANCE AU ROY DE FRANCE
.

Item une aultre de lacteur au Duc de Bourbon.

Imprimé en la ville dAnvers par moy Jehan Grapheus,
lan M. D. XXVII.

*

[A 1v]

Epistre Satiricque de Cognoissance au Roy de France.

Congnoissance parle :

A toy salut maintenant si tenvoye

Ceste-là quas fouye en toute voye,

Combien naye la raison de ce faire

Si ce nestoit pour deplaisir tactraire,

5 Veu que en tous temps que mieulx te devoye duyre,

Tu tes voulu sans ma vertu conduire,

Et si de mon nom te mectz en doubtance.

Je mappelle la vraye Cognoissance

262

Laquelle doit tousjours honnourée estre

10 Envers lhomme tant soit-il plus grand maistre,

Et pour aultant que tu es des grigneurs,

Et es cellui qui mieulx fouyst mes honneurs,

A Dieu a pleu ainsi le me permectre

De racompter à ung chascun ton estre.

Remonstrance de Congnoissance au Roy
lui mectant avant sa premiere et plus habille fortune.

15 Ne scez-tu pas, premier à ta naissance,

Que tu fuz né lung des moindres de France,

Du sang royal et ainsi je lentends ?

Si venu test par aulcun laps de temps

Ung si gros bien dont tu as joyssance, [A 2r]

20 Et ung tel heur que destre roy de France,

Lors tu me dois te tant plus fort priser ;

Au contraire mas voulu mespriser

Et vrayement fortune taveugla,

Dempres de toy secretement membla,

25 Et te faisant prendre tous tes plaisirs,

Te promectant quaurois tous tes desirs,

Ce queusses eu, les prenans raisonnables,

Et teussent peu estre longtemps durables.

Cy narre son voyaige dYtalie et expdition contre les Suysses.

Tu entreprins voyaige dItalie,

30 Lequel tu feis revenant à chiere lye,

Comme celluy qui estoit le vainqueur.

Ne te partoit pas aussi de vain cueur

Quant tacquictas si bien de ta personne

Que de ce temps le tien hault bruyt en sonne,

35 Et sy estois partout tant renommé

Que seullement ton nom estoit nommé26.

Bien souffisoit de tel honneur conquerre ;

263

Tu estoit crains tant par mer que par terre,

Et sil teust pleu me vouloir retenir

40 Et pres de toy tousjours entretenir,

Tu neusses faict legieres entreprinses

Que bien souvent de toy-mesmes a prinses, [A 2v]

En delaissant les experimentez

Pour ceulx questoient faictz à tes volentez,

45 Et te semblant riens nestoit impossible

Car bon conseil trop testoit invisible.

Qui furent ceulx-là quy te conseillerent

Oppinion tant folle te baillerent

De supporter une simple couronne

50 Contre celle maison qui est tant bonne,

Et dont tu es sorti du seur costé,

A laquelle tu as tant chier costé,

Et aussi dont trop moings je textime

Porter ung bastard contre ung legitime

55 Quy a bouté sa parsonne et chevance

A bien servir ceste maison de France,

Et nonobstant ne la veu repentir :

A bien faire, vray sang ne peult mentir.

Vouldrois-tu mieulx avoir veu son vouloir,

60 Voyant Suysses avec leur gros povoir,

Desquelz estoit ancien allyé

Et son pays en leur dangier lyé

En gros hazard si eussies eu du pire

Trestout son bien confisqué à lempire,

65 Ce nonobstant lors il tencompaigna,

Sa parsonne ny estat nespargna,

Et tout ce faict pour toute recompence

Pour ung presté luy feis la desfiance. [A 3r]

De quoy deusses bien fort te repentir

70 Quant lon te voit à ton vray sang mentir,

Et puis apres achevant ton bonheur

Vint à mourir le tres noble empereur.

Duquel certes ne me puys trop douloir,

Car envers tous a eu entier vouloir,

264

75 Ny oncques homme service ne luy feit

Que de son bien il ne le satisfeit,

Mais son povoir nestoit satisfaisable

A son hault cueur et son renom durable.

Tu pourchassas, nespargniant ton avoir,

80 Pour ce tiltre quest dempereur avoir27,

Ce que ne puez, lAustriche lemporta,

Que trop gros dueil au cueur si tapporta,

Dont à lheure tu feiz mener pratiques

Quy vrayement estoient trop inicques

85 Contre ceulx quy te tenoient amis,

Et le tyen filz du tout il sestoit mis,

Vueillant tenir lallyance promise

Que pour mourir à rompture neust mise.

Mais à grand tort tu le parmis offendre

90 Par ung Robert dont le convint deffendre

En soy fiant de ta bonne amytié.

Sans Dieu aydant il y eust eu pitié,

Mais tous vrays cueurs quenvers luy ont fiance

Poinct ne parmect venir à grant souffrance. [A 3v]

95 Toy, non content de tousjours le poursuyvre,

Et lui, contrainct de sa deffense suyvre,

Parmist le hault Dieu que larmée de Mesieres28

Par ce cop-là ne le servit de guyeres,

Car pour argent on sceut des siens attraire,

100 Qui fut cause son armée retraire,

Dont puis apres te voiant le plus fort,

En assemblant ton camp horrible et fort,

Pour le tien cueur contenter et souler,

Ung grant pays par les tiens feis brusler,

105 Dont lempereur qui ne sen donnoit garde

Et qui estoit pour lors à Oudenarde29,

Meist grant peine à ses gens assembler

Pour obvier de son pays ambler.

265

Tu taprouchas lors de Valenciennes

110 Où lon scavoit vray des nouvelles tiennes,

Et si raison eust esté de ta part,

De ses pays prinses la plus grant part.

Mais bien souvent on voit tres mal comptant

Quy de son droit ne se va contentant.

115 Tu ten revins sans furnir ton emprinse

Et fut Tournay devant ta barbe prinse30.

Toy retournant, ennemis ont respit

Et toy faillant nas eu que le despit,

Et en ce point tu retournas en France

120 Quoncques de moy tu neuz de souvenance. [A 4r]

Combien de fois depuis quas peu regner

As veu tes gens dItalie retourner,

Tousjours estans par leurs ditz les plus fors

Et les moindres rompoint leurs grans effors.

125 Tout ce voiant en oubly tu mas mise

Et de nouveau tu feis une entreprinse,

Dont me laissant, perdis un serviteur31

Que mectre veulx pour toy un grief malheur

En dangier a esté perdre la vie

130 Par son moyen dans le parc de Pavie.

Dont lors cuidois de moy eusses remort

Par le moyen du dangier de la mort,

Car te voyant en prison et servaige,

Estoit lors temps que tu devinses saige

135 Et actendis la fin de ta prison,

Si me mectrois apres en mesprison.

Malade fus perdant de vie espoir,

Dont souvenir de moy devois avoir,

Et Dieu parmist moyennant ta promesse

140 Quà ton malheur fortune meit lors cesse

Tes filz laissant en prison trop longtaine,

Que à maymer occasion tameynne.

266

Tu fus dehors et de prison delivre

Moins que jamais deliberant me suyvre

145 En oubliant la foy quavois promis,

Et le tien sang que en gaige tu as mis, [A 4v]

Trop plus subgect à tes plaisirs complaire

Que nest craintif à me vouloir desplaire,

Dont je crains fort que trop pir ne taviengne,

150 Moyen nauras que de moy te souviengne.

Tu mas laissée : Dieu te sera contraire,

Car les sujectz lon voit cryer et brayre.

Tu te debvrois appeller tres chrestien :

Les Turcqz venans lon dira à toy tien.

155 Decimes prens sans excepter croisade,

Chescun crye que la France est malade.

Qui bien te sert et se mect en dangier :

Compte nen tiens mais le fais estrangier.

Tu nextimes parsonne que toymesmes :

160 Crois de certain quon te tiendra telz termes.

Me mis-tu pas en trop grant mesprison

Durant le temps que tu tenois prison ?

Que tu devois à moy tes peines dire,

Et tu te mis à tamye rescrire,

165 Blasmant tes gens que peult estre ont bien fait

En extollant et privant ton effect.

Cestoit bien loing de ton Dieu recognoistre,

Considerant le tien tant piteux estre,

Mais quant Dieu veult daulcun faire vengeance,

170 Il luy oste du tout la congnoissance.

Or es venuz oires en ton pays

Où as trouvé des gens bien esbahis [B 1r]

De toutes pars des pays dItalie,

Te pourchassant quavec eulx tu tallie,

175 Aiant espoir de toy se faire fort

Et que pour eulx tu mecte ton effort.

Je ne lairay de la verité dire

Et ce faisant ne pense point mesdire.

267

Cellui qui est nostre chief en lÉglise32

180 Dissention et guerre nous a mise,

Où il debvroit fort pourchassa la paix,

Mais bien vouldroit que tous fussent defaictz

Et lempereur toy et toute la France

Pour dItalie avoir la joyssance.

185 Comme veulx-tu donc à luy te fier,

Quant tu las veu tant de fois varier ?

Ne scay-tu pas comment voulut user

En te cuidant pour Napples habuser,

Et cuidoit bientost apres la bataille

190 Avoir marchiet aussy bon que de paille ?

De lung de deux pour faire son vouloir,

Raison avez tous deux vons en douloir.

Veneciens sur tous usurpateurs

Oires vueillent estre tes serviteurs ;

195 Pour la craincte quilz ont de perdre terre,

Si te vouldroient avec eulx mectre en guerre

Jusques avoir achevé leur affaire,

Et puis apres pour toy ne vouldroient faire [B 1v]

Chose qui peust tourner à ton prouffit ;

200 Ains contre toy et les tiens diroient fy.

Tu ne le vois ou ne le veulx congnoistre,

[manque un vers]

De tout ton mal avenir et passé,

Causse en sera ce que mas delaissé.

205 Or me dis vray si oires lempereur

Vouloit vers toy user de sa rigueur,

Veu que lui as failly à ta promesse,

Et vers tes filz vouloit faire rudesse,

De ton deffault prendre sur eulx vengeance,

210 En quel regrect mectrois-tu toute France.

Je confesseque tu ayes promis

Entre les mains de tous tes ennemis

Chose que peust à ton peuple desplaire,

268

Mais tu devois ta diligence faire,

215 Leur remonstrer cellui qui sa foy donne,

Plustost mourrir que si celle habandonne,

Et puis apres ne pouvant aultre avoir,

Dois retourner à rendre ton devoir

En degectant de la captivité

220 Le tien vray sang et mectre en liberté.

Quy teust esté une gloire infaillible

[manquent deux vers ?]

Apres ta mort tousjours claire et durable.

225 Or me dis voir où est la recompense

Que tu as faicte à ceulx qui ont fait despense,

Mectant leurs corps, leurs biens avec la vie, [B 2r]

Taccompaignant dans le parc de Pavie ?

Les ungs sont mors, les aultres en prison,

230 Dont de bien peu as payé la rançon.

Des ungs tu dis que alors sen sont fouys,

Et aux aultres bonne chiere ne feis.

Depuis lheure que fus à delivrance

Qua faict cecy faulte de congnoissance.

235 Tu mas laissé et ne ten donnes garde,

Et ne scais pas que encoires Dieu te garde.

Si bien as leu le livre de Bocasse33,

[manque un vers]

Pour la peine de tes maulx douloureux,

240 Que ne fusses des nobles malheureux.

Congnois-tu point la fortune contraire ?

Tousjours les tiens sont contrainctz se retraire ;

Tes ennemis vont tousjours prosperant,

Et tes amis se vont desesperant.

245 Veulx-tu partir, toy qui es tres chrestien,

Cellui qui loy ny aussi foy ne tient,

Et que au Turcq as assemblé alliance

269

En lui donnant à trop grande habondance34,

A force harnoys toute monicion,

250 Que ung jour sera griefve confusion

En christienté, si Dieu ny mect la main.

Advise-toy et me viens recongnoistre !

Laide de Dieu implore pour ton aide [B 2v]

En mectant ordre en ton cas et remede.

255 Considere que Dieu est tout puissant,

Et les maulvais et ingratz pugnissant :

Ton grant avoir ny grande corpulence

Ne te pourront de gueres servir en ce.

Plus ne ten dis, bien pir pourras avoir ;

260 Quant tu vouldras, ne pourras ravoir.

Or tay-je dict, plus que personne née,

Bien tout au vray la vie que as menée,

Si bien ten vient, à ta gloire le prens ;

Si mal aussi, fors que toy nen reprens.

Fin de lepistre de Congnoissance
au roy de France.

*

En apres sensuit une epistre par lacteur pour et au nom du tres illustre duc de Bourbon. Et ce, sur certaines choses quont esté de luy trouvées en une epistre mal dirigée, où tachoit sa vertueuse fame denigrer, ce quon ne peult aucunement.

Considerant daulcuns lingratitude,

Ay pourpensé mis ma peine et estude,

Combien que scay ne test trop aggreable

A escripre chose de toy louable, [B 3r]

5  Comme cellui qui a le cueur humain,

Tousjours pensant du jour au lendemain,

Toutes vertuz et cas dhaultain renom

270

Que vif et mort fera florir ton nom,

Et les tiens faitz passez tant vertueulx,

10 Hault eslevez se tiendront sumptueulx.

Si aura loz dont elle est tres bien digne

Ta grant vertu triumphante et insigne,

Qui au povoir de Dieu haultain espere,

Dont le conduict en tout le tien affaire.

15 Te plaise donc, ceste ma foible epistre,

Où jay voulu mon intention titltre

Par ta doulceur la prendre en bonne part,

Car de despit presque le cueur me part

Dune epistre dressant à une dame,

20 Où à grant tort en icelle te blasme

Cellui qui na de ce faire raison.

Car services grans sans comparaison

Tu luy as faiz, dont pour la recompence

A son grant tort tu as laissé la France,

25 En toy vuillant de ton bien faire tort,

A lappetit daucun secret rapport,

En oubliant tes services passez

[manque un vers]

Où avois mis ton bien et la parsonne,

30 Si tres avant que le hault bruit en sonne.

Et despendis pour amis luy acquerre [B 3v]

Le revenu de trois ans de ta terre,

Et demeuras qui te faict grant honneur

En resistant en la grosse fureur

35 De lempereur qui Milan assiegea,

Et nonobstant tant fis quil deslogea.

Par ta vertu lors ne te peult riens faire,

Car oncques paour ne sceut ton cueur deffaire.

Depuis tu vins triumphamment en France

40 En aiant faict tant extreme despence,

Dont tost apres pour te recompenser

De ton estat lon veit grant part casser.

Le tien seigneur par sa mescongnoissance

Te donna cause alors de deplaisance.

271

45 Tout ce venoit par envye mauldicte

Que verité gardoit ne testre dicte ;

Ce nonobstant ainsi comme scavant

Le tien devoir allas tousjours suivant.

Les nobles gens te tenans pour leur pere

50 Ayant desir tout service te faire,

Taccompaignant, maulgré en fut la court,

Comme cellui de tout vray protecteur

Que de plus fort lors fus enraciné,

Les faulx vouloirs toy vueillant dominer.

55 Tant quil advint par espace de temps,

Par le pourchas de ton bien mal contens

Que lon tacha de toster ton avoir [B 4r]

Dont par raison en devois dueil avoir.

Mais jà pource ne laissas adroit suyvre

60 Le tien honneur et ennemis poursuyvre,

Jusques à ce que vins en Picardie

Là où fut fait ne scay si je le dye,

[manque un vers]

Ou de nommer vertueuse conqueste

65 Possible nest faire chose louable

Ceulx qui se font appeller tous les diables.

Lors te fut faict grant tort de lavant-garde,

Cest le regrect quà bon droit ton cueur garde,

Et bien en print par lors aux ennemis

70 Quant en ton lieu ung aultre y estoit mis ;

Lequel leur fut misericordieux,

Mais peult estre le faisoit pour le mieulx.

Et puis apres si bien tourna la chance

Que justement lors tu veis la vengence,

75 Car Dieu permist si tres terrible armée

En peu de jours aller comme fumée ;

Dont puis apres Dieu si te conseilla

Et le chemin que tu tins te bailla

Où as souffert peines insupportables

80 Qui te seront belles vertuz durables.

Congnoistre peuz que Dieu vertuz conduict,

272

Foibles et fors à icelle conduict.

Tu las peu veoir ; ne le prens en ta gloire

Car tu as eu dessus cellui victoire [B 4v]

85 Qui te cuidoit bien mectre à fin honteuse,

Mais pas nest seur la sienne avoir heureuse.

Prosperité la faict mescongnoissant ;

Adversité te face congnoissant,

Comme tu es et crois que tu seras,

90 Et ce chemin tu persevereras.

Ainsi lentend, Dieu ten donne la grace,

Et ton desir justement il parface,

Te suppliant me vouloir pardonner

Mon audace quay volu adonner.

95 Ceste escripre mais mon vouloir parfait

Cause a esté que tout ainsi jay faict,

Aiant regrect ouyr de toy mesdire,

Saichant de vray quil ny a que redire ;

Et ne le diz pour flater ny complaire,

100 Car tel ne suis, seigneur, tu le peulx croire.

Mais verité ne doit estre celée,

Quoyque ne soit en tous lieux appellée ;

Si te requiers avec toy bien la garde

[manque un vers]

105 Tu suyz vertuz, lon ty voit maintenir,

Veoir te desire à tes fais parvenir,

Ce que je prye au vray Dieu te conduire,

Et avec luy au paradis reduire.

Fin de lepistre.

1 Paris, Payot, 2015. Pour situer cet événement dans la vie politique de cette époque, on consultera aussi R. J. Knecht, Renaissance Warriors and Patron : The Reign of Francis I, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, en particulier le chapitre 11, « Defeat and captivity », p. 216-248.

2 Ce que résume bien le titre du chapitre 6 (« Peurs sur la France ») du livre de J.-M. Le Gall, p. 155-198.

3 Prisons 1 à 10, dans les Œuvres poétiques de François Ier par J. E. Kane, Genève, Slatkine, 1984, p. 148-178. Toutes nos références renvoient à cette édition.

4 Texte édité sous le titre Prison 1 par J. E. Kane, Œuvres poétiques de François Ier, p. 148-164. Incipit : « Tu te pourrois ores esmerveiller ».

5 Voir J.-M. Le Gall, LHonneur perdu de François Ier, chap. 13, p. 339-360.

6 Ce petit in-quarto de huit feuillets composés en caractères gothiques est rarissime, et nous navons pu en localiser que trois exemplaires à la Bodleian Library (Oxford), au Musée Condé (Chantilly) et à la Bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence).

7 Sagit-il dun membre de la famille des Heroët qui était au service des Valois ? De Jehan, secrétaire du futur Louis xii, qui avait été trésorier à Milan, ou du fils, Antoine (ca. 1492-1567), le poète, qui fut pensionnaire de Marguerite de Navarre (1524), puis auditeur au Châtelet (1527) ? (Sur ce personnage, voir Par élévation de lesprit. Antoine Héroët : le poète, le prélat et son temps, Actes du colloque de Cercanceaux (26-27 septembre 2003), éd. A. Gendre et L. Petris, Paris, H. Champion, 2007). Heroët, signataire du privilège, pourrait bien être le rédacteur de lApologie.

8 Voir J.-M. Le Gall, LHonneur perdu de François Ier, chap. 15 (« Madrid ou le déshonneur du roi-chevalier »), p. 376-383, qui évoque lApologie.

9 Voir notamment J.-M. Colard, dans « Le courage : la veine royale de François Ier poète », Devenir roi. Essais sur la littérature adressée au prince, éd. I. Cogitore et F. Goyet, Grenoble, Ellug, 2001, p. 119-146, et E. Ahmed, « Francis I and the Body Natural », Bibliothèque dHumanisme et Renaissance, LXV (3), 2003, p. 589-599.

10 Voir léd. Kane, p. 148 (notice de lépître), et lIntroduction (p. 15-49) qui retrace la genèse de composition et lhistoire de la diffusion de ce poème ; voir aussi F. Rouget, « Figurations de François Ier poète daprès les albums manuscrits de son temps », François Ier imaginé (1515-1547), Actes du Colloque international de Paris-BnF (avril 2015), éd. B. Petey-Girard, Genève, Droz, à paraître.

11 Sur la responsabilité du roi, voir les commentaires de R. Knecht, Renaissance Warriors and Patron, p. 225.

12 Voir léd. Kane, p. 164-178.

13 J.-M. Le Gall pose utilement cette question, p. 240 et 243.

14 Voir lanalyse de S. Duc, « Le Roy est pris ? Nasse des mots et piège milanais (1515-1525) », François Ier et la vie littéraire de son temps (1515-1547), Actes du Colloque international de Kingston (septembre 2015), éd. F. Rouget, Paris, Classiques Garnier (à paraître) : « Conscient du potentiel libérateur des mots, Guillaume Crétin défait la nasse en définissant Milan comme un cimetière. Conquérir Milan nest plus un champ dhonneur mais une impasse mortelle pour la France autant quune guerre injuste menée par le roi ». Voir G. Crétin, Œuvres complètes, éd. K. Chesney, Paris, Firmin Didot, 1932, no XXIX, et le commentaire de M. Randall, « Un roi, deux portraits, trois freins : Lapparition du Mareschal sans reproche, feu messire Jacques de Chabannes de Guillaume Crétin et La Monarchie de France de Claude de Seyssel », éd. G. Defaux, La Génération Marot : Poètes français et néo-latins (1515-1550), Actes du Colloque international de Baltimore (5-7 décembre 1999), Paris, H. Champion, 1997, p. 131-153.

15 La Fleur des chansons. Les grans chansons nouvelles qui sont en nombre cent et dix, ou est comprinse la chanson du Roy, la chanson de Pavie, la chanson que le Roy fist en Espaigne, la chanson de Romme, la chanson des Brunettes, s. l. s. n., [1528]. Voir la Bibliothèque Condé de Chantilly, cote : IV-D-050. Leroux de Lincy a édité cinq des chansons sur la bataille de Pavie dans son Recueil de chants historiques français depuis le xiie jusquau xviiie siècle, Paris, C. Gosselin, 1842, t. II, p. 86-95 (Genève, Slatkine Reprints, 1969).

16 Cest la Prison 8 de léd. Kane, p. 172-173 : « Si la nature en la diversité » (Répertoire International des Sources Musicales, [Anon. c15288, no 3], éd. F. Lesure, Munich-Duisberg, 1960). Sur les poèmes du roi adaptés en musique, voir F. Lesure, « François Ier : un roi-poète et ses musiciens », « … La musique de tous les passetemps le plus beau… ». Hommage à Jean-Michel Vaccaro, Paris, Klincksieck, 1998, p. 281-288, et F. Dobbins, « Poésie et musique pour François et Françoise (de Foix) : changement des genres et des manières de poésie chantée en musique », in La Poésie à la Cour de François Ier, éd. J.-E. Girot, Cahiers V.-L. Saulnier 29, Paris, PUPS, 2012, en particulier les p. 145-156.

17 BnF, Rés. VM7-178, no 3, fol. 2r. É. Picot signale une réédition des Trente et sept chansons en mars 1531 chez p. Attaignant, dans son recueil des Chants historiques français du seizième siècle, Paris, A. Colin, 1903, p. 40. Chanson reprise par Leroux de Lincy, Recueil de chants historiques français, p. 94-95.

18 Joannes Grapheus (ca. 1502-ca. 1571), imprimeur et libraire, fut actif entre 1527 et 1571. Il publia surtout les ouvrages dhumanistes (Boèce, Boccace, C. Agrippa, Érasme, G. Budé, etc.) et occasionnellement des ordonnances. Voir le Universal Short Title Catalogue (dir. A. Pettigree, M. Walsby et G. KempUniversity of St. Andrews), accessible en ligne (ustc.ac.uk).

19 Le livre a connu plusieurs éditions la même année : lune, en 88 feuillets, imprimée par J. Grapheus ; lautre, en 76 feuillets, imprimée par Michael Hillenius Hoochstratanus pour le compte de Grapheus. Le volume fut aussi diffusé par Merten de Keyser (Anvers) et Miguel de Eguia (Alcala de Henares). Il se compose de : 1. Epistola Cæs. Ma. ad Principes Sa. Ro. Imperii electores ; 2. Apologia Madriciæ [] ; 3. Eiusdem Aologiæ, pro Invictiss. Cæsare [] ; 4. Capitula fœderis [] inter Clementem Pont. [] ; 5. Epistola Regis Galli, ad Principes Germaniæ ; 6. Responso pro Invictiss. Cæsare, ad ea quæ per oratores Pont. Clementis [] ; 7. Epistola Invictiss. Cæsaris ad collegium Cardinalium [] ; 8. Instrumentum publicum, de his quæ Romæ acta sunt [] ; 9. Item secundæ Pontificis literæ, quas pœnitentia ductus [].

20 Voir la Description raisonnée dune jolie collection de livres, Paris, J. Techener, 1844, no 505, p. 200.

21 Cela navait pas échappé au rédacteur de la notice du Catalogue des livres rares et précieux du libraire Potier qui décrit ainsi le contenu de louvrage : « Pièce satirique contre François Ier. [] La seconde épître, adressée au connétable de Bourbon, paraît être une réponse à quelques passages dune Epistre (en vers) du roi François I [sic] traitant de son partement de France en Italie et de sa prise devant Pavie [] ».

22 Celle-ci est décrite aux v. 19-20 comme « une epistre dressant à une dame / Où à grant tort en icelle te blasme » (f. B 3r). On ne sait quand cette épître et les autres poèmes de captivité commencèrent à circuler en manuscrits. Il nexiste aucune trace, à lexception de la Prison 8 adaptée en musique, de diffusion imprimée avant 1528, mais lauteur anonyme de lEpistre satiricque montre quil connaissait une version de la Prison 1 dès 1527. On a peut-être ici un écho de la première réception des poèmes de captivité du roi au xvie siècle.

23 Œuvres poétiques de François Ier, p. 149, v. 51-52.

24 Outre la ponctuation lacunaire, voire absente, les graphies capricieuses ou fantaisistes, on constate lomission fautive de plusieurs vers (fol. B 1V, B 2r, B 3r, B 4r-v).

25 Sur cette question, voir B. Petey-Girard, Le Sceptre et la plume. Images du prince protecteur des Lettres de la Renaissance au Grand Siècle, Genève, Droz, 2010, surtout le chapitre « François Ier ou la naissance dun mythe », p. 171-262, et la conclusion de F. Rouget dans « Figurations de François Ier poète daprès les albums manuscrits de son temps », François Ier imaginé (1515-1547).

26 À lissue de la bataille victorieuse de Marignan (1515).

27 Charles Quint fut élu Empereur le 28 juin 1519.

28 Mézières fut assiégée par les troupes de Charles Quint en 1521.

29 Résidence de lEmpereur pendant le siège de Douai (1521).

30 Le 3 décembre 1521.

31 Le connétable de Bourbon.

32 Le pape Clément VII.

33 Il sagit Des nobles malheureux, dans la traduction de Laurent de Premierfait, qui fut édité à Paris par Antoine Vérard, en 1494. Un manuscrit de cette traduction figurait dans la bibliothèque de François Ier (De Casu nobilium virorum et feminarum, trad. fr., conservé à la BnF, Fds. fr. 16694).

34 Allusion à lalliance entreprise entre décembre 1525 et février 1526, par J. Frangipani avec les Turcs, pour tenter de faire libérer le roi.