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Classiques Garnier

Les différents programmes iconographiques Filiations entre les manuscrits de l’Ovide moralisé

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2015 – 2, n° 30
    . varia
  • Auteur : Clier-Colombani (Françoise)
  • Résumé : ­L’auteur présente ici les manuscrits enluminés de ­l’Ovide moralisé selon leur type de programme iconographique : dans les versions en vers, on distingue les programmes « narratifs » qui suivent les récits légendaires et leurs allégories, les programmes limités aux quinze images des dieux antiques au début de chaque livre, enfin ceux qui ­n’offrent ­qu’une illustration frontispice. Pour la prose, le manuscrit BnF fr. 137 est le plus richement illustré et certaines éditions incunables ­comportent aussi des images.
  • Pages : 21 à 48
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812460982
  • ISBN : 978-2-8124-6098-2
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-6098-2.p.0021
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/04/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Les différents programmes iconographiques

Filiations entre les manuscrits
de lOvide moralisé

Lune des caractéristiques spécifiques des manuscrits enluminés, pour abonder dans le sens des propos de R. Blumenfeld-Kosinski1, cest que, dun exemplaire à lautre, ils ne proposent jamais un programme iconographique équivalent. Cest pourquoi chacun nous offre, sur un même sujet, à travers un choix illustratif différent, une autre interprétation du texte quil illustre, une autre glose. Le pouvoir des images est tel que, si leur rapport aux passages quelles accompagnent peut être simplement illustratif, il peut aussi compléter linformation, ou encore la modifier en fonction dévénements ou didées implicites du texte. Pour ce qui concerne les rapports entre texte et image dans le cadre de lOvide moralisé2, les problèmes sont à la mesure de ce monument si complexe de la littérature médiévale.

Tout dabord, il faut distinguer les manuscrits glosés et non glosés, ceux qui bénéficient dallégories et ceux où elles sont supprimées, ceux qui privilégient un système dillustrations narratives fondé sur la reproduction de scènes mythologiques et allégoriques, et ceux qui se contentent de fournir un inventaire de divinités païennes sans que celles-ci aient forcément à voir directement avec le contexte ; ceux, enfin, qui limitent leur illustration à une seule image liminaire, à valeur programmatrice.

Je tenterai ici, en prenant appui sur la recensio des manuscrits de lOvide moralisé groupés par « familles » que propose M.-R. Jung dans son

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article « Ovide, texte, translateur3 », dinventorier à mon tour lensemble des manuscrits enluminés, en vers comme en prose, de lOvide moralisé.

Le stemma codicum de la tradition manuscrite de cette œuvre, tel que lont conçu C. De Boer et F. Branciforti4 (ce dernier dans la perspective dune nouvelle édition de Pyrame et Tisbé, poème inséré dans son œuvre par lauteur de lOvide moralisé), me servira de guide dans cette répartition des manuscrits enluminés par « familles », répartition qui présente toutefois linconvénient de laisser de côté les manuscrits en prose. Dans cette perspective, la toute récente étude de M. Cavagna, Y. Greub et M. Gaggero5 me sera dune aide précieuse.

Je tiendrai compte autant que possible des différents programmes iconographiques, des filiations que lon peut observer de lun à lautre des manuscrits, ainsi que des objectifs éventuels des enlumineurs, soumis aux desiderata de leurs commanditaires, aux instructions de leurs chefs datelier, aux attentes dun éventuel public élargi, contraints par des modèles ou patrons principalement religieux, peu adaptés à la représentation des divinités païennes et de leurs métamorphoses, et forcés de trouver par eux-mêmes des solutions nouvelles à des problèmes nouveaux.

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Les manuscrits en vers

Un programme dillustrations « narratives »

Parmi les manuscrits de lOvide moralisé en vers, les plus anciens sont aussi les plus abondamment illustrés, car ils contiennent un programme dillustrations « narratives », escortant le texte pas à pas, rubrique par rubrique, au fur et à mesure du déroulement des récits fabuleux « traduits », au sens médiéval du terme, des Métamorphoses dOvide, et de leurs moralisations successives6. Ce sont les manuscrits :

A1 : Rouen, Bibliothèque municipale, manuscrit O. 4 (Paris, vers 1315-1325), quatre cent trente-deux folios, quatre cent cinquante-trois miniatures (une à plusieurs miniatures par folio, donc, quoique certains folios en soient dépourvus).

G2 : Paris, Bibliothèque de lArsenal, manuscrit 5069 (1325-13507), trois cent deux miniatures.

: Lyon, Bibliothèque municipale, manuscrit 742 (vers 1390), cinquante-sept miniatures.

A1 : Rouen, Bibliothèque municipale, manuscrit O. 4
(vers 1315-1325)

LOvide moralisé de Rouen fut peut-être offert à Clémence de Hongrie lors de son mariage avec le roi de France Louis X le Hutin (1314-1316), comme pourraient lindiquer les grandes initiales dorées C et L8 qui ponctuent la table des rubriques.

Sur un support en parchemin, les 453 miniatures, dune facture soignée, sont petites (50 sur 70 mm). Si lon en croit F. Avril9, elles furent

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sans doute exécutées à Paris (1313-1315) et dénotent le style du Maître de Fauvel, qui a aussi enluminé le manuscrit plus récent de lArsenal10.

Cet artiste bien connu de la première moitié du xive siècle a notamment exécuté les dessins aquarellés du Roman de Fauvel (Paris, BnF, manuscrit français 146, vers 1320). Il a travaillé dans la capitale pour plusieurs libraires, en particulier Geoffroy de Saint Léger père et fils, Thomas de Maubeuge et Richard de Montbaston, entre 1310 et 1340. Il serait également lauteur de lillustration de lImage du monde (Paris, BnF, manuscrit français 574) et des Grandes Chroniques de France (Paris, BnF, manuscrit français 2615, vers 1316-1322).

Son œuvre prolifique compte actuellement une cinquantaine de manuscrits. Dabord minutieux, comme dans lOvide moralisé de Rouen, son trait devient plus lâche au fil du temps, le dessin prend lallure dune esquisse, la couleur semble posée à la hâte. Ces négligences neffacent cependant pas le caractère vivant des scènes les plus stéréotypées, et lui permettent même peut-être, comme dans lOvide moralisé de lArsenal, de se consacrer davantage au développement de certaines scènes plus originales, daméliorer la représentation des métamorphoses et lexpression des émotions par des cadrages plus serrés. Sa production se caractérise par des figures sveltes, aux gestes et aux expressions raffinés. Les couleurs prédominantes sont le bleu foncé et le rouge, le mauve, le doré pour les armures, lor pour les couronnes des dieux. Lartiste affectionne les fonds diaprés.

Un deuxième artiste appartenant au cercle de Jean Pucelle aurait secondé le premier pour les folios 48 et 55, 64 et 79. C. Lord le nomme le « Temporary Master » : il semble spécialisé dans les drapés, les plissés, les ombres dramatiques. Ses personnages aux visages fins et aux yeux mélancoliques sont susceptibles dexprimer, pour reprendre une expression de C. Lord, « une certaine diversité émotionnelle ».

Au début du volume, une table de 454 rubriques séquence le récit. Les miniatures, qui se répartissent sur les deux colonnes du texte, concernent autant les fables que leurs allégories, et le sujet quelles abordent correspond généralement au contenu textuel malgré labsence de rubriques internes.

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Dans ce premier manuscrit, le nombre, la variété, la précision des miniatures par rapport au texte sont impressionnants. Le programme iconographique, très ambitieux, accompagne le texte en lillustrant dimages allégoriques généralement puisées au texte même (mais pas toujours).

Certains mythes célèbres disposent dun registre dimages narratives et allégoriques important : de dix à vingt pour la Création, ou pour Persée par exemple, dont lhistoire se poursuit après chaque nouvel épisode secondaire mettant en œuvre dautres héros de moindre envergure.

Le manuscrit contient aussi des gloses latines. Ainsi, dès lentrée en matière, deux gloses, issues de saint Bonaventure, éclairent le projet de lœuvre. Placée au début du texte, près du frontispice qui présente sous la forme dun bandeau une série de huit quadrilobes annonçant les métamorphoses à venir (fig. 1), la première glose développe lidée que les métamorphoses peuvent être expliquées, au-delà du sens littéral et historique, par dautres voies : les voies allégorique, tropologique, anagogique.

Quant aux médaillons de limage frontispice, ils ont une fonction et une valeur programmatique : dans chaque quadrilobe et entre chacun deux, une figure hybride emblématise un des mythes fabuleux évoqués par Ovide, qui sera non seulement narré, mais dûment analysé selon les méthodes de lallégorèse. Dans une métamorphose à demi achevée nous reconnaissons Ocyrhoé muée en jument, Callisto en ourse, Glaucus en poisson, Arachné en araignée, Daphné en laurier, Alcyoné en Alcyon, ainsi que quelques autres victimes des dieux, changées en oiseau, en centaure, en vache, en chauve-souris.

Dans la miniature du folio 16v sont représentés deux auteurs-créateurs (fig. 2) : à gauche, le Dieu de la Bible, auréolé dun nimbe crucifère, dessine le monde à laide dun grand compas. À droite, un scribe assis à son écritoire copie et/ou commente un autre volume ouvert à côté du sien : il peut sagir dOvide composant ses Métamorphoses, mais aussi de lauteur de lOvide moralisé, un auteur qui ne crée pas ex nihilo mais à partir dun texte préexistant, « prejacent ». Au folio 17r Dieu crée le monde, représenté comme un grand disque composé de quatre cercles concentriques : brun pour la terre, bleu pour leau, blanc pour lair, et rouge pour le feu céleste (fig. 3). Cette image, reprise au folio 17v, évoque lallégorie attribuée à Ovide à partir dun jeu de mots sur le nom du

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poète latin (Ovidus/ovum), allégorie qui ne trouve pas sa source dans les Métamorphoses mais a été inventée au Moyen Âge (on la trouve par exemple chez Giovanni del Virgilio). Lauteur médiéval sen est emparé dans un but purement didactique. Une deuxième peinture au folio 17r (fig. 4) montre Ovide présentant un œuf à un auditoire nombreux ; assis devant son écritoire, il explique lordre de la Création en sappuyant sur lœuf dont la forme parfaite, hermétique, cache un contenu représentatif dun sens caché, une vérité « muchee sous la fable », que lauteur veut nous faire découvrir. « En lœuf, ce me semble a trois choses / Qui sont dedens la coque encloses / Le moieuf, laubun, la pelete / Qui plus est pres de la coquete » (I, 209-212). Le moieuf, ou jaune dœuf, signifie allégoriquement la terre, laubun, ou blanc, figure leau, la pelete, ou peau mince qui lentoure, représente lair, et la quoque, ou coque, est limage du ciel.

G2 : Bibliothèque de lArsenal, 5069 (vers 1325-135011)

Ancienne possession de Charles de Croy12, ce manuscrit légèrement plus tardif que celui de Rouen présente une facture moins soignée. Il est aujourdhui amputé du début. Une cinquantaine denluminures savèrent très proches de celles du manuscrit Rouen O. 4, quoique parfois inversées ou recadrées autour des personnages principaux. Des images ont été reprises ou grattées et des épisodes ont été déplacés.

Labsence dun certain nombre de feuillets au début du volume nous empêche de savoir quelles images de la Création recélait ce manuscrit, mais on peut supposer des représentations analogues à celles du codex de Rouen puisquen fin douvrage, au livre XV, Pythagore utilise des figures similaires pour instruire ses disciples (fol. 222r). Au contraire de Rouen O. 4, le manuscrit de lArsenal possède des rubriques insérées au fil du texte et sans doute peut-on en déduire que le manuscrit de lArsenal na jamais possédé de tables liminaires, qui auraient fait double emploi.

Force est de constater que la grande majorité des peintures du manuscrit de lArsenal nentretient guère de similitudes avec lillustration des mêmes épisodes dans le manuscrit de Rouen : les compositions divergent,

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ou bien cest un motif différent que rend limage pour un même moment. Y aurait-il eu un archétype commun à Rouen et Arsenal ? Le Maître du Roman de Fauvel, enlumineur du manuscrit de lArsenal et déjà responsable du programme iconographique de celui de Rouen, a-t-il voulu varier ses interprétations ? En a-t-il reçu lordre ? À moins quil nait complété son inspiration dans dautres sources littéraires quOvide13.

Il faut encore noter que les 302 miniatures du manuscrit de lArsenal, plus grandes que celles du Rouen O. 4 et dun format carré (80x80 mm), présentent un coloris plus dilué et une gamme chromatique plus axée sur le rouge, et font un plus grand usage de lor ; leurs figures, allongées, se montrent plus créatives en ce qui concerne la représentation des métamorphoses : par exemple, Daphné au fol. 4r, ou mieux encore Callisto au fol. 15r (fig. 5 et 5bis), sont représentées en cours de mutation, alors que lartiste sétait contenté dans le manuscrit de Rouen de rendre compte des moments précédant et suivant la mutation. La jeune Callisto, encore vêtue jusquà la ceinture – et, semble-t-il, peu réjouie du sort que lui fait subir Jupiter pour cacher son infidélité à Junon – joint les mains en signe de supplication, tandis que le bas de son corps est déjà transformé en arrière-train dune ourse à la belle fourrure14

Lartiste ne conserve que les figures majeures et les personnages complémentaires disparaissent, tandis que les fonds diaprés restent

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abstraits. Le sol est grossièrement traité par une mosaïque de ronds bruns, comme le note C. Rabel15.

Souvent lartiste, soucieux de varier le choix des scènes à illustrer, choisit de développer ce qui ne lavait pas été dans le manuscrit de Rouen. Ainsi, quand ce dernier ne consacre quune seule miniature prudente à la fable de Pasiphaé – on y voit la jeune femme caresser les naseaux du taureau dont elle est tombée amoureuse –, celui de lArsenal va traiter le sujet en plusieurs illustrations dune inventivité qui ne manque pas de piquant ! Cest ainsi quil emprunte à la tradition courtoise la scène préliminaire où la dame observe tendrement, de la fenêtre de sa tour, lobjet de son amour (fol. 108v), pour ensuite oser représenter lirreprésentable : la scène de déguisement où Pasiphaé, la partie inférieure de son corps recouverte par celui dune « vache de fust » réalisée à sa demande par lhabile Dédale, trompe et séduit linnocent animal… (fol. 109v, fig. 6). Il est vrai quen cela, comme le remarque M. Possamaï-Pérez, il ne fait que suivre la narration détaillée que lauteur, après sêtre refusé à lévoquer, a complaisamment développée dans le texte16 ! Comme le montre C. Lord17, la liberté de lartiste sexprime donc par le fait que, pour rendre compte parfois dun même vers, il opte pour une composition différente, ou représente un autre moment de laction, surtout sagissant des allégories : ainsi, pour allégoriser lenlèvement dEurope par Jupiter, le manuscrit de Rouen choisit lAscension (fol 72r), et celui dArsenal le Christ portant la croix (fol. 27v).

De fait, pour A. Boinet et F. Bucher18, le manuscrit de lArsenal appartient à un groupe de manuscrits hâtivement exécutés dans un atelier renommé qui travaille vite, sur des copies de textes à illustrer, en utilisant un jeu de représentations exploitables dans nimporte quel contexte (aventure, dialogues, combats de chevalerie, bateaux en mer, scènes damour, nativités, lapidations, martyrs…), comme cela se fera plus tard dans les ateliers des imprimeurs, avec les erreurs que lon

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connaît : gravures inversées ou conçues pour un autre ouvrage, etc. Leur remarque est judicieuse, mais il savère, à regarder ce manuscrit de plus près, que si effectivement lexécution est moins soignée, elle commente le texte quelle accompagne dune manière différente, et dit souvent plus, voire mieux, que son homologue de Rouen.

B : Lyon, Bibliothèque municipale, manuscrit 742 (vers 1390)

Daté denviron 1390, il a appartenu au duc Jean de Berry (1340-1416) selon M. Meiss19. Plus récent que les manuscrits de Rouen et de lArsenal, il contient un nombre beaucoup plus restreint de miniatures du fait que les moralisations des fables sont réduites au premier niveau dinterprétation, celui des explications physiques et historiques.

Le cycle des illustrations compte cinquante-sept enluminures dun format presque carré (environ 59x60 mm), et une table liminaire de 3 feuillets annonce les 60 rubriques copiées à lintérieur du texte20. Les illustrations esquivent les représentations des métamorphoses en se limitant à décrire les moments antérieurs et postérieurs à lévénement. Elles sont lœuvre du « Maître du Policratique de Charles V21 », lun des enlumineurs les plus recherchés de son temps pour sa technique du « portrait dencre », cest à dire du dessin à la plume rehaussé de lavis. De gracieuses miniatures aux tons pastel se détachent sur un fond de paysage divisé parfois en deux ou trois plans ; les personnages, vêtus de façon contemporaine, sont pourtant les sujets des mythes ovidiens les plus populaires, ceux qui apparaîtront aussi bien dans les manuscrits de Pierre Bersuire22 que dans lÉpître à Othéa de Christine de Pizan23, et un peu plus tard sur les cassoni, ces coffres de mariage décorés de peintures, emblématiques du renouveau décoratif de la Renaissance italienne.

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Dans ce manuscrit – pour poursuivre notre analyse comparative des illustrations liminaires déjà amorcée avec le manuscrit de Rouen –, la scène de création du monde est traitée dune façon totalement différente : elle sapparente à la tradition figurative dune autre « famille » de manuscrits, la famille « Y ».

Le manuscrit Thott 399 de la Kongelige Bibliotek de Copenhague24 et le manuscrit BnF français 137, qui propose pour sa part une version en prose de lOvide moralisé, adopteront également, à lexemple du manuscrit de Lyon, un programme iconographique principalement fondé sur les aventures mythologiques et historiques des héros de la littérature antique. Ils osent cette fois la représentation des métamorphoses les plus spectaculaires dans un cadre élargi rassemblant sur la même image, au moyen dune mise en scène théâtralisée, les étapes successives de la mutation. Ainsi la métamorphose dArachné joue sur la « profondeur de champ » pour rendre compte des moments successifs du duel qui oppose la tisserande (Arachné) à la déesse (Pallas).

La tendance est en effet, au fil du temps, à une réduction prononcée des allégories, et donc de leurs illustrations. Alors que le manuscrit Rouen O. 4 compte encore 20 % dimages allégoriques, le manuscrit de lArsenal 5069 nen rassemble plus que 10 %, et celui de Lyon tout au plus 2 ou 3 % – à supposer quil sagisse encore dallégories, car selon M.-R. Jung ces images décrivent des événements considérés comme historiques par lauteur, tels que la création du monde ou lédification de la tour de Babel, auxquels on peut adjoindre la représentation du Dieu chrétien dans une mandorle, par opposition à Jupiter25. Comme le note R. Blumenfeld-Kosinski26, « cette absence croissante des images allégoriques et religieuses suggère une transformation dans la lecture de lOvide moralisé. Ce qui compte de plus en plus, semble-t-il, est la traduction française des Métamorphoses et dautres textes latins, plutôt que la christianisation de ces textes ».

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G3 : Copenhague, Bibliothèque royale, manuscrit Thott 399
(vers 1480)

Le manuscrit en vers de Copenhague propose encore à la fin du xve siècle un cycle dimages « narratives » très complet. En effet, son compilateur a choisi de reproduire une version longue du texte malgré la concurrence des versions « dépouillées » de lappareil allégorique initial, comme le remarque N. Koble27. Il est accompagné de gloses marginales en latin et en français, qui sont transcrites sur des « paperolles » se déroulant en trompe-lœil dans les marges préparées à cet effet (voir le premier folio, fig. 8). Ces gloses ont été copiées à partir du manuscrit BnF français 373, dun siècle antérieur au manuscrit Thott 399, mais on les trouve aussi dans le témoin le plus ancien de lœuvre, le manuscrit Rouen O. 4.

Le manuscrit Thott 399, lun des plus somptueusement illustrés de son temps par le Maître de Rambures – un contemporain et disciple de Simon Marmion28, actif dès 1454-1460 à Amiens et Hesdin – est le fruit dun travail déquipe mettant en relation un compilateur, un atelier denlumineurs et un commanditaire privé issu de laristocratie du Hainaut, en qui lon pense pouvoir reconnaître Wolfart de Borssele29. Le style du Maître de Rambures se caractérise par une maîtrise de la composition et une sûreté de trait remarquables. Son langage pictural est aisément identifiable avec ses personnages aux attitudes expressives, presque caricaturales, qui se distinguent par leur stature courte et trapue, leur grosse tête aux traits larges. Les drapés sont brossés à grands traits simplifiés, où dominent parallèles et obliques. Il travaille par larges aplats de trois teintes fondamentales – un rouge éteint, un azur soutenu et un vert mat, complétés de mauve, de lie de vin et dune gamme de gris-bruns dont lun tire sur le bronze doré, avec des rehauts dor liquide appliqués en filets ou en hachures.

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Dans des compositions savantes où il sattache à lessentiel, laction se concentre sur un premier plan privilégié par léchelle des architectures et des figures, complété par des arrières plans plongeants. Sa manière de brosser les ciels est unique : une barre horizontale dun bleu clair presque blanc est surmontée dune seconde bande dazur foncé, rarement uniforme, striée de blanc et de nuages ballonnés gravés à la pointe du pinceau retourné. En définitive, le Maître de Rambures est déjà moderne « par sa façon quasi cinématographique de privilégier les gros plans et le hors-champ pour exprimer la continuité du récit au-delà du cadre étroit de la miniature traditionnelle30 », terrain sur lequel le Maître de Marguerite dYork, peintre de lOvide Moralisé en prose BnF fr. 137 avec lequel il était en relation, lui fait aisément concurrence.

Le manuscrit Thott 399 est remarquable aussi par sa composition : en effet, lOvide moralisé proprement dit est précédé, en forme de « prologue », par la traduction en français du premier chapitre de la première version de lOvidius moralizatus de Pierre Bersuire31. Cette ouverture comprend dix-sept miniatures montrant les imagines deorum, les figures des dieux antiques de Bersuire. Suivent trente-trois miniatures consacrées au déroulement des fables dOvide.

Cependant, si les miniatures font la part belle à toutes sortes de métamorphoses, elles restent muettes quant aux illustrations des moralisations, qui ont été supprimées. Pour autant, elles ne manquent pas dêtre influencées par lesprit du texte. Ainsi, cest un diable quendort Orphée par son chant à la porte des enfers, et non Cerbère.

Du fait de sa composition particulière en deux parties distinctes, matérialisées par deux numérotations différentes (la première partie est paginée, la deuxième foliotée), et deux frontispices différents, lun ouvrant le prologue (page 1), lautre le texte (folio 1), le manuscrit Thott 399 peut être qualifié d« hybride », dans la mesure où il comporte dabord

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un programme dimages descriptives, inauguré par la figure de Saturne (conformément aux manuscrits dits « des figures des dieux antiques » copiés sur lœuvre de Bersuire), puis des illustrations narratives, précédées par limage de la Création du monde (deuxième partie).

Une rapide étude des frontispices introduisant chacune des deux parties du volume nous éclairera sur lillustration de la Création selon la version mythologique puis selon la version chrétienne.

Le premier frontispice (fig. 7) conjugue en une seule image dune demi-page le portrait dune famille divine, celle de Saturne lAncien, dieu païen, et une scène daction, la destitution de celui-ci par son fils Jupiter, comme lavait prédit le destin. Elle symbolise de ce fait la fin du « dorez age ».

Divisée verticalement en deux parties inégales, elle présente à droite une image synthétique regroupant au premier plan la figure patibulaire de Saturne, muni de ses attributs de dieu du Temps, la faux et le serpent Ourobouros, et avalant un petit enfant. À sa gauche, sa femme Rhéa nourrit les pauvres. À sa droite, une jeune femme, Junon, observe, impassible, Jupiter trancher les génitoires de Saturne et les jeter dans leau dune anse marine doù surgit Vénus nue, tenant son miroir.

À larrière-plan, dans un lointain paysagé – car le Maître de Rambures, artiste flamand renommé, proche de lentourage de Marguerite dYork et en lien avec Rogier van der Weyden, est plus peintre quenlumineur de métier et maîtrise les nouvelles données de la perspective –, on distingue les deux frères de Jupiter, Neptune et Pluton, reconnaissables à leur sceptre doré.

Neptune, personnage lourdement botté et coiffé dun turban, à peine sorti de la mer, met un pied sur la grève, tandis que Pluton reste « muché », tel un ermite, dans une grotte doù sortent des flammes infernales. Notons quoutre le sceptre, la nature divine de Saturne et de ses fils est symbolisée par une étoile dorée qui orne soit leur poitrine, soit leur dos.

À gauche de limage, un scribe installé à son écritoire dans une tour de style gothique puise la source de son inspiration dans de gros volumes in-folio rangés à plat derrière lui. Ce chroniqueur attentif qui nest autre que lauteur tient dune main sa plume, et de lautre convie le lecteur à observer la scène qui se déroule sous ses yeux.

Le second frontispice, au folio 1r (fig. 8), représente cette fois la création du monde par le Dieu de la Bible. Comme précédemment, un

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fort contraste oppose le scribe paisible installé à sa table de travail, à gauche, et la vision quil observe : Dieu le père, vieillard barbu auréolé de lumière, apparaît en haut de limage, dans un ciel ceinturé dune frange protectrice. Dune main, il bénit, et de lautre il tient un objet rond, le globe terrestre. Sous ses yeux un ange (larchange saint Michel ?), armé de son épée, chasse du paradis les anges rebelles qui dans leur chute à travers lespace se transforment en diables grotesques et sengouffrent en enfer, car la terre sentrouvre pour les engloutir. Cette grande miniature qui, dans son encadrement de monstres hybrides, nous entraîne demblée au sein de la mise en ordre du monde, anticipe au seuil du livre sur linterprétation quil convient den faire.

Une troisième miniature en pleine page (fol. 89r) est consacrée au combat de Cadmus contre le dragon, fils de Mars (fig. 9). Elle sinscrit dans un paysage résolument médiéval où lon voit, dans un lointain peuplé darchitectures civiles et religieuses, les prémices et la suite de lhistoire : la vache que suivait Cadmus désigne lendroit choisi pour la fondation de Thèbes, et Cadmus sagenouille devant une chapelle toute neuve, sanctuaire de sa protectrice la déesse Pallas. Le combat du héros contre le dragon, au premier plan, rappelle celui de saint Michel et de tous les saints saurochtones. Cependant, lépisode de la germination des guerriers qui vont sentretuer, pourtant bien représenté dans le manuscrit BnF fr. 137, contemporain du manuscrit Thott 399, est absent de limage. La figuration de la scène mythologique est à lévidence influencée par un modèle chrétien.

La conclusion que lon peut tirer de lobservation de ce groupe, cest que les manuscrits Rouen O. 4 (A1), Arsenal 5069 (G2), Lyon 742 (B) et Thott 399 (G3) présentent, au niveau de lillustration narrative et à des degrés divers, un grand nombre de points communs. En particulier, les manuscrits A1 et G2, où chaque rubrique saccompagne presque systématiquement dune miniature, qui plus est du même peintre, sont très proches, quoique le deuxième ouvrage soit plus inventif au niveau iconographique, et moins attaché à la représentation des allégories. Si, sur le plan de la narration en images, le manuscrit de Lyon (B), quoique plus brièvement illustré, reste proche des deux premiers, ainsi que du manuscrit Thott 399 (G3), il doit également être rapproché dun autre groupe que rassemble une figuration particulière de la scène liminaire

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de la création du monde, différente de celles étudiées dans les manuscrits Rouen O. 4 et Thott 399 : ce sont les manuscrits Y1 (BnF fr. 871), Y2 (BnF fr. 872) et Y3 (Londres, British Library, Add. 10324).

La première tradition, rappelons-le, consiste à inaugurer le programme iconographique du manuscrit par limage du Démiurge à lœuvre, accompagnée ou non dune figure dauteur en train décrire son livre. Cest le cas dans le codex Rouen O. 4, où la Création se déploie en plusieurs scènes successives, ainsi que dans les manuscrits Thott 399 et BnF fr. 137, lequel contient la deuxième version en prose de lOvide moralisé.

La deuxième tradition choisit de mettre en parallèle lœuvre de Dieu et celle de Prométhée. Elle concerne, outre la grande miniature frontispice du manuscrit de Lyon (B) (fig. 10), celle, assez proche en esprit, du manuscrit BnF fr. 871 (Y1) (fig. 11), et enfin celle du manuscrit British Library, Add. 10324 (Y3) (fig. 28), quasi identique à celle du BnF fr. 871, quoique simplifiée. Le frontispice lyonnais développe, en une seule grande scène de la largeur de la page, les épisodes de la Création, alors que les deux autres la diffractent en quatre vignettes. F. Avril attribue lillustration du manuscrit de Lyon au Maître du Policratique de Charles V (BnF fr. 24287, Policratique de Jean de Salisbury, copié en 1372 à lattention du roi), daprès la plus ancienne œuvre connue de cet artiste prolixe dont le travail se situe entre 1370 et 1395 environ. Le frontispice du manuscrit BnF fr. 871 serait, lui, lœuvre du Maître du Couronnement de Charles VI, qui doit son nom à lenluminure en pleine page ajoutée en tête des Grandes Chroniques de France (BnF fr. 2813, fol. 3v), et que F. Avril caractérise comme « un enlumineur habile mais superficiel ». C. Rabel note que la production de ces deux enlumineurs se situe dans le milieu artistique auquel on doit les plus grands chefs-dœuvre de leur temps : le Maître du Policratique et le Maître du Couronnement de Charles VI ont travaillé en collaboration pour lillustration en grisaille dun Rational des Divins Offices de Guillaume Durand32. On ne sétonnera donc pas que lillustration du manuscrit de Lyon et celle, inachevée, du Paris BnF fr. 871 présentent quelques ressemblances. Presque contemporains (fin xive), il semblerait toutefois que le codex lyonnais ait précédé celui de Paris et lui ait servi de modèle. Quant au troisième manuscrit, celui de Londres (British

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Library, manuscrit Add. 10324), son frontispice apparaît comme une version simplifiée du précédent.

Pour interpréter convenablement leur programme iconographique, il convient dabord de tenir compte dun problème dinterprétation du texte lui-même : selon lauteur de lOvide moralisé, Ovide aurait formé le dessein daborder « Les formes qui muees furent / En nouviaux cors », et non « Les cors qui en formes noveles / Furent muez » (I, 73-74 ; 79-80). Il argue du fait quavant la Création, il ny avait pas de corps dont Dieu eût pu tirer de forme, hormis lui-même. Et cest exactement ce que les scènes de Création au frontispice des manuscrits cités vont confirmer.

Arrêtons-nous tout dabord sur lillustration initiale du manuscrit de Lyon (fig. 10) : elle rend en une seule image lensemble des actions divines à lorigine du monde. À gauche, Dieu, la tête nimbée dune auréole, crée lair, en développant une nuée de sa main droite. Derrière lui, sur la droite de limage, se déploie un paysage de campagne prospère, peuplé danimaux plus ou moins fantastiques (une licorne) et exotiques (un lion). Des astres roulent au firmament tandis quau premier plan, non loin dune abbaye, un homme portant un bonnet phrygien, Prométhée, éveille un personnage nu, Adam, en lui présentant sa torche de feu.

Dans lillustration du manuscrit BnF fr. 871, limage (fig. 11) précédant le prologue occupe la moitié de la page et se découpe en quatre vignettes de dimensions égales. Dans la partie supérieure gauche, Dieu le père, vieillard barbu vêtu dune robe et dun manteau, nimbé dune auréole, agite de la main droite un bouquet de nuées censées représenter la création de lair. Derrière lui se trouve un paysage déjà terrestre, avec un pommier chargé de fruits. Une inscription manuscrite, intégrée à cette partie de limage, la définit comme le « chaos ». Dans la partie supérieure de limage, une délimitation horizontale jalonnée de petites « bulles » figure la représentation des étoiles.

La vignette de droite évoque la création de leau et de tous les animaux, oiseaux, poissons, bêtes sauvages et domestiques, conformément à lordre de la Genèse.

Mais dans la partie inférieure gauche de lillustration le contexte biblique est supplanté par le monde de la mythologie ovidienne. Ce nest plus Dieu, mais Prométhée – « Prometheus », comme le précise la légende – qui est représenté sans auréole mais coiffé dun bonnet phrygien. Il agite de la main droite une torche de feu, et de la gauche relève en le tirant

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par la main un homme étendu nu au sol. Grâce au feu volé au char du soleil, il insuffle lesprit de vie à cette « ymagete a la samblance / Des dieus » (I, 327-328)33 et lui ordonne de tourner son visage vers le ciel où, auprès des petites bulles déjà notées, sont figurés trois astres.

Enfin, la dernière vignette, en bas de limage, à droite, montre Dieu extrayant Ève du flanc dAdam endormi, ce dont ne parle absolument pas le texte : lartiste, prisonnier de la routine, a confondu le programme illustratif de lOvide moralisé avec celui, très proche ici, dune Bible.

Quant au Maître de Rambures, lorsque, dans le manuscrit Thott 399, plus tardif, il opère un cheminement entre une première représentation de Saturne, ancien roi du monde, et une seconde du Dieu de la Bible chassant du ciel les divinités démoniaques, il se place à la frontière de deux traditions iconographiques.

Les images des dieux

La deuxième famille qui se dessine dans lensemble des manuscrits de lOvide moralisé comprend les manuscrits illustrés par les images des dieux antiques – ils sont au nombre de quatre, sans compter le manuscrit Thott 399 qui, pour reprendre lheureuse formule de N. Koble34, rassemble dans son prologue les figures des dieux dOvide comme une liste dacteurs en introduction à une pièce de théâtre – soit, dans leur ordre dapparition, Saturne, Jupiter, Apollon, Vénus, Mercure, Diane, Minerve, Junon, Cybèle, Neptune, Bacchus, Pluton, Vulcain, Hercule, Pan et parfois aussi Esculape. Ces miniatures « descriptives » sont placées de façon très organisée, rigide et répétitive au début de chacun des quinze livres de louvrage, et rarement en fonction du contenu de chacun de ces livres.

G1 : Paris, BnF, manuscrit français 373 (vers 1380)35

Ancienne possession du duc de Berry, il ne contient pas de tables et rassemble quinze miniatures des dieux ainsi que des gloses marginales en latin et en français et des « lemmata » pour toutes les parties traduites des Métamorphoses.

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E1 : Genève, Bibliothèque de Genève, manuscrit 176
(vers 1390)

Il a appartenu à Gilbert de Bourbon. Les rubriques sont plus nombreuses dans le texte que dans les tables et les miniatures, placées au début de chaque livre, sont au nombre de quinze comme dans les manuscrits E2, E3 et G1.

E2 : Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana,
Regensi Latini 1480 (vers 1390)

Ce manuscrit comprend quinze miniatures figurant les dieux antiques. Il est, par son dessin, très proche de celui de Paris, et même de celui de Genève, avec toute une série de petites variantes assez fascinantes, car elles ne modifient en rien la composition générale des miniatures, ni lexpression des personnages.

E3 : London, British Library, Cotton Julius F.VII, fol. 6r-13v
(vers 1400)

Ancienne possession du duc de Berry, il ne comporte que la table des rubriques, interrompue desquisses au trait figurant les dieux à lamorce des titres de chaque livre – sauf en tête du livre XV où subsiste un blanc réservé à cet effet. Il contient quatorze dessins à lencre accompagnés dindications manuscrites dans la marge, et plus ou moins achevés. Ces figures restent globalement très proches de celles illustrant les manuscrits du De formis figurisque deorum de Pierre Bersuire36.

G3 : Copenhague, Bibliothèque royale,
manuscrit Thott 399 (1480)

Ce manuscrit, déjà décrit plus haut, mérite de figurer dans cette liste pour son « prologue », ou « commentaire » selon C. De Boer, qui décrit

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et contient treize miniatures représentant les dieux antiques, au plus près des représentations des dieux figurés dans les manuscrits de Pierre Bersuire, à quelques petites variantes près. Rappelons par ailleurs que le manuscrit Thott 399 contient des gloses identiques à celles de G1 (Paris, BnF fr. 373), même si la graphie et les miniatures diffèrent. Les figures du texte de Bersuire passèrent ensuite dans le traité anonyme De deorum imaginibus libellus37, une version abrégée du De formis, dépouillée de ses moralisations, et qui circula de manière indépendante comme une sorte de petit manuel de mythologie. Cest à partir de ce texte purement profane que sinstalla une tradition iconographique stable où les images des dieux de Bersuire se muèrent en étalons visuels permettant de mémoriser les différents attributs mythologiques prêtés à chaque personnalité du panthéon antique par la fantaisie médiévale, comme lexplique A.-M. Legaré dans son étude du Livre des Échecs amoureux38.

Une seule illustration liminaire

La famille Y

Les manuscrits rassemblés dans cette famille sont en rapport avec le manuscrit B (Lyon, Bibliothèque municipale, manuscrit 742).

Y1 (Paris, BnF, manuscrit français 871) et Y3 (Londres, British Library, manuscrit Add. 10324, pourvu dune table des rubriques mais sans allégories) proposent chacun une miniature frontispice dune demi-page, quasiment identique, quoique celle du manuscrit londonien soit dune facture plus négligée. Contrairement à Y3, Y1 poursuit son programme iconographique, même sil reste modeste : sur les trois folios qui leur sont exclusivement consacrés, une série de quatre élégants dessins à la plume rehaussés de couleurs narrent les épisodes essentiels du cycle dOrphée. Sur le premier, Apollon joue de la harpe pour Pallas et les muses à la

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fontaine de Pégase. Le deuxième décrit les noces dOrphée et dEurydice, puis, au même folio, un troisième représente la mort dEurydice. Enfin, la quatrième et dernière image met en scène Orphée charmant les animaux, dans un jardin paradisiaque quentoure un ruisseau. La quête dEurydice aux Enfers a été omise. Le fait que lensemble de ces illustrations rappelle fortement le style iconographique de lenluminure frontispice de Lyon nest guère étonnant, puisque, nous lavons vu, elles sont probablement de la même main, celle du Maître du couronnement de Charles VI.

Y2 (Paris, BnF, manuscrit français 872, vers 1370-1380) présente au début du prologue une lettrine « S » historiée du thème de la Création. Dans la courbe supérieure du « S », Dieu, reconnaissable à lauréole qui nimbe sa tête, installe les luminaires célestes. Dans la partie inférieure, sous le regard des animaux déjà créés et regroupés à gauche de la courbe du « S », il extrait Ève du flanc dAdam en un large geste théâtral qui rappelle les scènes de Création du BnF fr. 871. Le trait, léger et élégant, rappelle également ces images.

La famille Z : des manuscrits de nature hybride

Z1 (Berne, Bibliothèque de la Bourgeoisie, manuscrit 10, du xve siècle) contient une table des rubriques dépourvue de rubriques pour les allégories et souvre au folio 4 par une miniature liminaire présentant lauteur entouré de ses élèves, occupés à étudier louvrage quil leur commente (les Métamorphoses ?). Z2 (BnF fr. 374, avant 1456) ne contient pas dillustrations.

Le prologue de Z3 (Paris, BnF, manuscrit français 870, traditionnellement daté du xive siècle)39 souvre, après la table des rubriques, sur une initiale filigranée que jouxte au-dessus de la colonne de texte une figure liminaire représentant, dans un style très différent de tout ce que lon a vu auparavant, raide et monolithique, un scribe à son pupitre. Pour retrouver Saturne, qui devrait logiquement inaugurer le manuscrit, il faut, comme dans le manuscrit de Rouen (ou dans la version en prose, BnF fr. 137), chercher dans les folios suivants. Suivent en effet quelques

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petits dessins à la plume, grossièrement esquissés et insérés sans cadre au fil du texte, représentant respectivement Saturne, petit personnage couronné, barbu, court vêtu et armé de sa faux, qui tient de lautre main le monde (fol. 3r) ; puis Saturne conversant avec un personnage féminin, Rhéa (fol. 4r) ; enfin la scène habituellement attendue au début de lœuvre, celle où Saturne est vaincu par Jupiter et où Vénus naît de la mer (fol. 8r) : dans le même bandeau historié se trouvent, à gauche, Jupiter sur son trône, au centre Vénus, et à droite, Jupiter chassant son père nu mais toujours armé de sa faux. Le manuscrit, daspect assez fruste, compte quarante espaces réservés laissés vides à la suite de ces quelques dessins. Par ailleurs, il ne contient pas dallégories, mais des explications historiques et des moralisations.

Z4 (Paris, BnF, manuscrit français 19121, du xve siècle), ancienne possession de la famille dAlbret, comporte une table des rubriques et une miniature liminaire représentant Saturne assis sur son trône, vieillard hiératique et triste avec, à ses pieds, Vénus sortant de leau.

On retrouve dans cette famille Z les deux personnalités inaugurales représentées au début de la plupart des manuscrits de lOvide moralisé : lauteur ou le copiste au travail, et/ou Saturne, lancien dieu.

La famille D

D2 (Cambrai, Bibliothèque Municipale, manuscrit 973, du xive-xve siècle) nest décoré que de quelques grotesques à la plume et de lettres ornées témoignant dune origine nordique.

D4 (New York, Pierpont Morgan Library, manuscrit M. 433, vers 1400) et A2 (Rouen, Bibliothèque municipale, manuscrit O. 11bis, vers 1400) offrent chacun une miniature de présentation aux armoiries de leurs possesseurs : D4 présente une peinture où figurent les portraits de Charles VI, Jean de Berry, et Jean sans peur, tous trois grands bibliophiles ; le livre contient des lacunes importantes et sinterrompt au vers 1475 du livre X. A2 présente les armoiries de Jean de Derval. Cest le seul manuscrit de lOvide Moralisé en deux volumes aujourdhui conservé. Il ne possède pas de tables liminaires, mais des rubriques dun contenu sensiblement comparable à celui des tables du Rouen O. 4 (A1), ainsi que des blancs prévus pour des illustrations.

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Conclusion

On peut conclure de cet inventaire, même superficiel, de tous les manuscrits illustrés en vers, que le regroupement par « familles » opéré par M.-R. Jung après modification des stemmas de C. De Boer et de F. Branciforti peut aussi fonctionner, du moins en partie, au niveau de lillustration. Il permet même denvisager des rapprochements entre les différents manuscrits en fonction de modèles récurrents dimages, ne serait-ce quà partir de lobservation des images liminaires. Cest ainsi que lon peut regrouper Y1 Y 2 et Y3 à la fois par le texte et par lillustration, en loccurrence limage initiale de la Création. De même, M. Cavagna, Y. Greub et M. Gaggero ont mis en évidence des liens entre E1, E2, E3 et G1 que lexamen iconographique confirme.

Les manuscrits en prose

Paris, BnF, manuscrit français 137

Lunique version illustrée en prose de lOvide moralisé est le somptueux manuscrit qui a appartenu à Louis de Bruges et date du xve siècle40. Il sagit de la deuxième mise en prose de lOvide moralisé – la première, conservée dans le manuscrit Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Regensis Latini 1686, nétant pas illustrée, même si un espace réservé existe en tête du premier feuillet41.

Lexemplaire de Paris, BnF fr. 137 doit son illustration au Maître de Marguerite dYork, enlumineur à Bruges avant 1480. Il nexiste que deux autres manuscrits de cette version, plus faiblement illustrés, dont les commanditaires étaient des proches de Louis de Bruges : lun, resté

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inachevé, fut produit pour Wolfart de Borssele, son beau-frère (Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale de Russie, manuscrit F.v.XIV.1), lautre pour le roi dAngleterre Édouard IV (Londres, British Library, manuscrit Royal 17.E.IV), hôte de Louis de Bruges lors de son exil en Flandre pendant lhiver 1470-1471.

Le manuscrit BnF fr. 137, dont on peut penser quil fut le premier des trois, se distingue par labondance de son illustration, qui compte cent dix-neuf miniatures. Il ne présente pas de rapport évident avec lédition brugeoise de 1482 due à Colard Mansion : lincunable en effet ne reproduit pas le même texte et comprend seulement trente-quatre xylographies autorisant des parallèles rares et peu convaincants. Enfin, la version manuscrite est antérieure à 1480, date de sa traduction par William Caxton. Loriginalité du manuscrit réside dabord dans lalternance de miniatures à mi-page, de miniatures plus petites et dinitiales historiées plus nombreuses. Les premières sont de facture rapide, offrant des compositions raffinées se déployant sur plusieurs registres. Les deuxièmes offrent un cadrage plus serré sur les protagonistes. Enfin, les dernières, en grisaille, se caractérisent par un fin dessin noir à la plume, nerveux et précis. Ces saynètes révèlent le talent du Maître de Marguerite dYork lorsquil saffranchit des sujets convenus pour se consacrer à la traduction plastique des mythes.

De fait, ce manuscrit est le seul à pouvoir rivaliser, sur le plan iconographique, avec les manuscrits en vers les mieux illustrés, en ce qui concerne linventivité en matière de traitement des métamorphoses, notamment quand elles sont en cours daccomplissement. Cependant, il fait léconomie de toutes les images allégoriques et se transforme donc en un magnifique manuel de mythologie illustré.

Comme Rouen O. 4, mais surtout comme le manuscrit Thott 399, le codex parisien affiche au frontispice une image liminaire divisée verticalement en deux parties, montrant dun côté Ovide présentant son œuf, de lautre Dieu – figuré sous lapparence du Christ – créant lunivers et Adam, dans un cadre divisé en quatre parties (fig. 13). Dans la partie supérieure gauche, on distingue le ciel étoilé dans lequel se dessine langle dune éblouissante architecture flamboyante : sans doute la demeure de Dieu. À droite on assiste à la création du feu42, présenté

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comme un brasier géant dans lequel niche un oiseau, le phénix, symbole de résurrection.

La partie inférieure gauche de limage est réservée à la représentation de lespace marin, tandis que la dernière vignette à droite est occupée par Adam, à genoux devant le Christ qui, au centre des quatre vignettes, le bénit. Cette disposition semble traduire la volonté du peintre de montrer la puissance créatrice de lesprit divin.

À la fois fantastique et raffinée, cette réalisation est la marque dun artiste confirmé. De fait, le style léger et gracieux des miniatures et des figures un peu grêles représentées dans les lettres grisées, est bien particulier. Les dieux entre autres apparaissent souvent dans le ciel comme de petits personnages ailés aux membres contractés, semblables à des insectes virevoltant sans relâche au-dessus de lhumanité.

Par ailleurs, à partir de la miniature du folio 111r, dans le cycle troyen, la description image par image du bouclier dAchille permet à lillustrateur de faire défiler de façon plus naturelle que dans les manuscrits des familles G et surtout E les figures des dieux antiques : Hercule et Bacchus (fig. 73), Saturne (fig. 74), Jupiter (fig. 75), Mars, Apollon (fig. 76), Vénus (fig. 78), Mercure et Diane. La liste reste cependant incomplète.

La traduction de cette deuxième mise en prose
en Moyen Anglais, en 1480, par William Caxton
(Cambridge, Magdalene College, Old Library,
manuscrit F.4.34 et Cambridge, Magdalene College,
Pepys Library 2124)43

Ce manuscrit dépourvu dallégories comptait quinze miniatures programmées, mais seules les quatre premières ont été réalisées : ce sont, au fol. 16r, Ovide couronné, priant (fig. 81) ; au fol. 34v, la chute de Phaéton (fig. 82) ; au fol.71r, Cadmos semant les dents du dragon (image endommagée) ; au fol. 98v, Pyrame et Thisbé.

Daprès Diana Rumrich qui a édité cette traduction, Caxton sest inspiré du manuscrit BnF fr. 137. Si cette information est exacte, elle

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suggère lincroyable émulation qui devait régner alors entre ateliers dimprimeurs et de copistes. Cest ainsi que sont apparues les premières éditions incunables enluminées de lOvide moralisé, parallèlement aux éditions simplement ornées de gravures sur bois, parfois rehaussées de couleurs.

Saint-Pétersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, manuscrit F.v.XIV.I44

Ce codex était destiné à un grand seigneur flamand, Wolfart de Borssele, beau-frère du célèbre bibliophile Louis de Bruges, dont les armoiries figurent au début du recueil. Manuscrit frère de lexemplaire de la BnF, il provient de la collection de Louis de Bruges. Malheureusement, son programme iconographique est inachevé : il reste des blancs à lintérieur des initiales et quarante-huit emplacements vides en tête des livres et des chapitres, destinés aux enluminures. La seule miniature achevée est lœuvre du Maître de Louis de Bruges, ou Maître de Marguerite dYork. Sa datation est forcément antérieure à 1487, date du décès de son possesseur. Cette peinture à demi-page, au folio 13, représente une scène de dédicace : un seigneur, probablement Wolfart de Borssele, accompagné de son épouse et de leur suite, rend visite à lauteur. Caractéristique du style de la cour de Bourgogne, la scène déploie à larrière-plan en une sorte de fresque murale les sept planètes astrologiques : Vénus, Mars, Mercure, Neptune, Saturne, Uranus, et Jupiter, qui rappellent à notre souvenir les figures des dieux peints sur le bouclier dAchille dans le manuscrit Paris, BnF fr. 137, mais aussi les astres que la Sybille montre dans le ciel à lavant-dernière miniature du manuscrit Thott 399 (fol. 365r). Or, il se trouve justement que cette miniature du Thott 399 fait partie des quelques images qui ne semblent pas être de la main du Maître de Rambures, mais se rapprochent plutôt de celles du BnF fr. 137.

Il est donc permis de supposer que les deux images se rapportant aux astres dans les deux manuscrits, qui se rapprochent également par le style (trait du dessin plus fin, silhouettes plus élancées, couleurs plus brillantes et plus tranchées que celles du Maître de Rambures, mais

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aussi scènes plus statiques, moins animées), caractérisent un autre peintre, peut-être même le peintre du manuscrit BnF fr. 137, le Maître de Marguerite dYork. Cette remarque pourrait apporter la preuve que les trois manuscrits ont transité par les mêmes ateliers, et donc que les gravures de lédition de Colard Mansion sont autant redevables au manuscrit de Copenhague quau manuscrit parisien, comme le supposait déjà D. Rumrich45.

Londres, British Library, manuscrit Royal 17.E.IV

Ce codex contient une version en prose de lOvide moralisé illustrée de quinze miniatures introduisant à chacun des quinze livres.

Les premières éditions incunables

LOvide moralisé de Colard Mansion46

Cest la première édition de la version romane en prose des Métamorphoses dOvide, illustrée de bois gravés, auxquelles Colard Mansion ajoute les moralisations puisées dans Bersuire au livre XI de son Reductorium Morale (tout en croyant les tirer de Thomas Walleys), adaptées et en partie réécrites par Colard Mansion lui-même, et publiées à Bruges en mai 1484. Cette édition est le dernier travail connu de léditeur, sans doute à lorigine de sa faillite, selon M.-R. Jung, car trop onéreux. Selon M.-R. Jung encore, Mansion aurait repris la version en prose du manuscrit BnF 137.

Cependant, une étude attentive des illustrations dans les premières éditions conservées à la BnF montre que, en ce qui concerne les images, enluminées ou simplement gravées, le manuscrit source est bien le manuscrit Thott 399 de Copenhague : il semble en effet que Mansion sen soit inspiré pour la représentation des dieux antiques, comme

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lindique D. Rumrich47, indépendamment du style des enluminures. Ainsi, en représentant la « figure de Saturne », lartiste na pas oublié, mais a au contraire disposé au premier plan le personnage de Pluton, son sceptre royal à la main, brûlant sur un petit bûcher qui symbolise lenfer. Rappelons que dans le manuscrit Thott 399, à larrière-plan de limage, Pluton figurait dans la même posture au fond dune grotte doù sortaient des flammes infernales. Puis cest Ovide avec son œuf qui partage la page avec Dieu organisant la chute des anges rebelles. Enfin, une série dillustrations correspondant à chaque tête de chapitre, et dans lordre observé par le manuscrit Thott 399, réapparaissent dans les éditions successives de Mansion à Bruges (1484), puis de Vérard à Paris (1493), avec parfois des variantes, et un choix thématique différent. Les enluminures dorigine, adaptées au procédé de la gravure, sont peu fidèlement reproduites. On observe en effet de fréquentes inversions des images, des doublons, des emprunts à dautres programmes iconographiques appartenant à des sujets et à des styles totalement différents48.

Le livre de Mansion a été réimprimé sous le titre La bible des poètes de methamorphosee au moins à quatre reprises à Paris entre 1493 et 1531 chez Antoine Vérard, avec des allégories49.

Une version plus authentique, qui élimine les allégories introduites par Mansion, mais en conservant ses adaptations, sera publiée à de nombreuses reprises entre 1532 et 1570 chez limprimeur lyonnais Denys Harsy sous le titre Le Grand Olympe des histoires poëtiques du prince de poésie Ovidius Naso en sa Métamorphose.

Suivront un nombre conséquent déditions du Grand Olympe jusquen 158650.

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Conclusion

Des plus anciens programmes iconographiques aux premières éditions illustrées, les diverses versions illustrées actuellement connues de lOvide moralisé tissent un écheveau parfois difficile à débrouiller, mais limportant est de pouvoir mettre en relation des manuscrits appartenant à une même « famille », tant au niveau de la tradition textuelle que de lillustration.

Les liens ainsi créés restent cependant à létat débauche, dans lattente de plus amples recherches concernant dune part la tradition manuscrite de lœuvre, dautre part le fonctionnement des ateliers de copie et denluminure.

Cependant, de notre point de vue de « modernes », cest avec délectation que nous pouvons observer, dans le cadre des directives très strictes en matière de représentation et dallégorisation des fables dOvide, la grande habileté et le talent incontestable des miniaturistes pour transposer en images, commenter, interpréter des textes quils devaient connaître parfaitement, même sils ne les avaient pas lus. Ils permettaient ainsi à des lecteurs de ressentir un véritable plaisir esthétique tout en suivant par limage les aventures des dieux et héros de lAntiquité et, éventuellement, den tirer lenseignement moral qui leur était soufflé.

Les autres manuscrits illustrés des « figures des dieux » présentaient, eux, lavantage de faire intégrer à leurs lecteurs lorthodoxie de la religion antique, telle que la leur avaient transmise les mythographes médiévaux, et qui allait être à lorigine de si belles œuvres dart à la Renaissance en Italie, puis dans lEurope entière. En effet, plus on avance dans le temps, vers la fin du Moyen Âge, moins les allégorisations intéressent les lecteurs, doù une évolution irrésistible des programmes iconographiques vers un recueil de fables mythologiques à valeur principalement culturelle et divertissante.

Françoise Clier-Colombani

Chercheur indépendant

1 R. Blumenfeld-Kosinski, « Illustration et interprétation dans un manuscrit de lOvide moralisé (Arsenal 5069) », Lectures et usages dOvide (xiiie-xve siècles), éd. E. Baumgartner, Cahiers de recherches médiévales, 9, 2002, p. 71-82.

2 Ovide moralisé, poème du commencement du quatorzième siècle, publié daprès tous les manuscrits connus, éd. C. De Boer, Amsterdam, Müller, 1915-1938, vol. I-V.

3 M.-R. Jung : « Ovide, texte, translateur et gloses dans les manuscrit de lOvide moralisé », The Medieval Opus. Imitation, Rewriting, and Transmission in the French Tradition, éd. D. Kelly, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1996, p. 75-98 ; voir aussi du même auteur : « Aspects de lOvide moralisé », Ovidius redivivus. Von Ovid zu Dante, éd. M. Picone et B. Zimmerman, Stuttgart, Metzel, 1994, p. 149-172 ; « Les éditions manuscrites de lOvide moralisé », Cahiers dHistoire des Littératures Romanes / Romanische Zeitschrift für Literaturgeschichte, 20, 1996, p. 251-274 ; « LOvide moralisé : de lexpérience de mes lectures à quelques propositions actuelles », Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux dOvide, éd. L. Harf-Lancner, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2009, p. 107-122.

4 Piramus et Tisbé, éd. F. Branciforti, Florence, Olschki, 1959.

5 M. Cavagna, M. Gaggero et Y. Greub, « La tradition manuscrite de lOvide moralisé. Prolégomènes à une nouvelle édition », Romania, 132, 2014, p. 176-213. Voir aussi M. Gaggero, « Variantes de rédaction dans la tradition du Piramus et Tisbé », Critica del Testo, 13, 2010, p. 67-72.

6 En suivant lexemple de Cavagna et al., « La tradition manuscrite de lOvide moralisé », nous appellerons A1 le manuscrit O.4 de la Bibliothèque municipale de Rouen, A2 le manuscrit O.11bis de la même bibliothèque, et B le manuscrit 742 de la Bibliothèque municipale de Lyon.

7 Cette datation est en cours de réexamen par léquipe OEF. Une datation nexcédant pas les années 1330 semblerait plus juste.

8 Voir Jung, « LOvide moralisé : de lexpérience de mes lectures », p. 115.

9 Dans son introduction à Le Roman de Fauvel, ed. of Messire Chaillou de Pestain : A reproduction in Facsimile of the Complete Manuscript, Paris, BnF, manuscrit français 146, éd. E. Roener, F. Avril et N.F. Regalado, New York, Broude Bros, 1990.

10 Voir C. Lord, « Three manuscripts of the Ovide moralisé », Art bulletin, 57, 1975, p. 141-175.

11 Voir n. 2 p. 23.

12 Voir encore Lord, « Three manuscripts ».

13 En effet, dans lOvide moralisé, les cycles iconographiques les plus disparates sinspirent de sources autres que les Métamorphoses et déjà illustrées, comme le cycle troyen (lHistoire universelle et le Roman de Troie), lhistoire de Jason et Médée dans les Héroïdes, etc. En revanche, des œuvres comme Pyrame et Thisbé ou la Philomène de Chrétien de Troyes, admirablement racontées en images dans le manuscrit Rouen O.4 en particulier, nont dû leur survie littéraire et artistique quà leur insertion dans lOvide moralisé.

14 Curieusement, limage représentant Callisto à demi transformée en ourse dans ce manuscrit se répète dans celle de Pasiphaé (pourtant, elle à demi déguisée, et non muée en vache) et correspond exactement à lune des figures du bestiaire fantastique décorant le Portail des Libraires de la cathédrale de Rouen, où par ailleurs Dieu est également représenté créant le monde et présidant à toutes les péripéties de la Genèse jusquà la Chute. Lartiste responsable des miniatures du manuscrit de lArsenal partageait donc vraisemblablement avec le maître sculpteur du portail des Libraires une vision très soumise aux codes de représentation de son époque, concernant la métamorphose en bête sauvage de type lion ou ours (ou en femme serpent ou dragon, voir Mélusine) comme marque davilissement de la femme. Voir L. Pillon, Les Portails latéraux de la cathédrale de Rouen, Paris, 1907 ; et plus récemment, F. Thénard-Duvivier, « Hybridation et métamorphoses au seuil des cathédrales », Images Re-vues. Histoire, anthropologie et théorie de lart, 6, 2009 (en ligne), ainsi que Images sculptées au seuil des cathédrales. Les portails de Rouen, Lyon et Avignon (xiiie-xive siècles), Rouen, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2012.

15 C. Rabel, Lillustration de lOvide moralisé dans les manuscrits français du xive siècle. Essai pour une étude iconographique, mémoire de maîtrise, Université Paris IV-Sorbonne, 1981.

16 Voir M. Possamaï-Pérez, « Mythologie antique et perversions sexuelles : le regard dun clerc du Moyen Âge », Anabases, 9, 2009, p. 123-137.

17 Voir Lord, « Three manuscripts », n. 13.

18 A. Boinet, « Les manuscrits à peintures de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris », Bulletin de la Société française de reproduction des manuscrits à peintures, 5, 1921, p. 5-43 ; F. Bucher, The Pamplona Bibles, New Haven and London, 1970.

19 M. Meiss, French Painting in the Time of Jean de Berry : The Limbourgs and their Contemporaries, New-York, 1974, p. 23-41.

20 J. Drobinsky, « La narration iconographique dans lOvide moralisé de Lyon (BM Ms. 742) », Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux dOvide, éd. Harf-Lancner, Mathey-Maille et Szkilnik, p. 223-244.

21 Voir en particulier F. Avril, « Le parcours exemplaire dun enlumineur parisien de la fin du xive siècle : la carrière et lœuvre du Maître du Policratique de Charles V », De la sainteté à lhagiographie. Genèse et usage de la Légende dorée, éd. B. Fleith et F. Menzoni, Genève, Droz, 2001, p. 265-282.

22 P. Berchorius, De formis figurisque deorum, textus e codice, éd. J. Engels, Utrecht, 1966.

23 Christine de Pizan, Épître dOthéa, trad. H. Basso, Paris, PUF, 2008.

24 Voir F. Clier-Colombani, « Prologues en images dans lOvide moralisé », Prologues et épilogues dans la littérature du Moyen Âge, Bien dire et bien aprandre, 19, 2001, p. 57-76 ; N. Koble, « Les dieux dOvide dans un manuscrit du xve siècle de lOvide moralisé en vers (Copenhague, Kongelige Bibliotek, Thott 399) », Lectures et usages dOvide, éd. Baumgartner, p. 157-175.

25 Voir Drobinsky, « La narration iconographique dans lOvide moralisé de Lyon », p. 228-230.

26 Voir Blumenfeld-Kosinski, « Illustration et interprétation dans un manuscrit de lOvide moralisé », p. 77.

27 Voir Koble, « Les dieux dOvide dans un manuscrit du xve siècle », p. 157.

28 Voir F. Avril et N. Reynaud, Les manuscrits à peinture en France (1440-1520), Paris, 1994, p. 93-97 ; A.-M. Legaré, Lhéritage de Simon Marmion en Hainaut (1490-1520), Valenciennes, 1996, p. 215-224.

29 N. Koble (citant F. Avril et N. Reynaud) rappelle quon a pu attribuer au même couple copiste-enlumineur trois autres manuscrits de la même période : un Livre du roi Modus, un manuscrit de lHistoire de Jules César et un exemplaire du Quadriloge invectif dAlain Chartier (voir « Les dieux dOvide dans un manuscrit du xve siècle », p. 160).

30 Miniatures flamandes, 1404-1482, éd. B. Bousmanne et T. Delcourt, Paris-Bruxelles, Bibliothèque nationale de France, 2011.

31 Voir Le Commentaire de Copenhague de lOvide moralisé, avec lédition du VIIe livre, éd. J.Th. Vant Sant, Paris-Amsterdam, 1929, première édition de la traduction du texte de Bersuire entièrement reprise par C. de Boer dans son édition de lOvide moralisé, 1938, Appendice II, vol. V. Pour le texte latin de Bersuire, se reporter à lédition citée de J. Engels (la traduction française suit la version avignonnaise du texte qui inventorie 17 divinités). Voir enfin J. Seznec, La Survivance des dieux antiques, Paris, Flammarion, 1993, p. 204-210.

32 Voir Rabel, LIllustration de lOvide moralisé, p. 37-38.

33 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. I, p. 68.

34 Voir Koble, « Les dieux dOvide dans un manuscrit du xve siècle de lOvide moralisé ».

35 Cest la datation proposée par M.-R. Jung, repoussée par léquipe OEF (M. Besseyre) au début du xve siècle.

36 Ainsi le manuscrit 344 de la Bibliothèque communale de Trévise (Ovidius moralizatus, De formis figurisque deorum) ou celui du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, manuscrit Reg. lat. 1290, fol. 1r, étudiés par H. Ost, « The mythographical images in the Roman de la Rose of Valencia », De la Rose. Texte, Image, Fortune, éd. C. Bel et H. Braet, Louvain-Paris, Peeters, 2006, p. 141-181.

37 Le mythographe auteur du De deorum imaginibus libellus na pas encore été identifié ; il sappelait peut-être Albéric. Voir Mythographi Latini, éd. T. Munckerus, Amsterdam, 1681.

38 Voir A.-M. Legaré, « Splendeur de la miniature de Hainaut », Le Livre des Échecs amoureux, éd. A.-M. Legaré et B. Roy, Paris, Chêne, 1991, chap. « Les dieux antiques et leur représentation au Moyen Âge » et « Les images de mémoire », p. 87-90. Voir aussi M. Jeay, « La mythologie comme clé de mémorisation : la glose des échecs amoureux », Jeux de mémoire. Aspects de la mnémotechnie médiévale, éd. B. Roy et P. Zumthor, Paris –Montréal, Vrin – Presses de lUniversité de Montréal, 1985, p. 157-168.

39 Cest la datation proposée par M.-R. Jung, repoussée par léquipe OEF (M. Besseyre) au milieu du xve siècle. Voir lanalyse codicologique et stylistique des cycles enluminés des manuscrits de lOvide moralisé développée dans lintroduction du volume de prolégomènes à lédition critique préparée par léquipe OEF, à paraître en 2016.

40 Voir, dans le catalogue de lexposition Miniatures flamandes, 1404-1482, éd. B. Bousmanne et T. Delcourt, Paris/Bruxelles, BNF/KBR, 2011, p. 304-305, la notice de P. Schandel, qui situe la version en prose de lOvide moralisé du manuscrit fr. 137 à une date antérieure à 1480, date à laquelle C. Mansion lédite. Voir aussi T. Voronova et A. Sterligov, Manuscrits enluminés occidentaux du viiie au xvie siècle à la Bibliothèque nationale de Russie de Saint-Pétersbourg, Bournemouth – Saint-Pétersbourg, Parkstone – Éditions dart Aurora, 1996, p. 285-286.

41 Voir E. Langlois, « Une rédaction en prose de lOvide Moralisé », Bibliothèque de lÉcole des Chartes, 62, 1901, p. 251-255.

42 Voir Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. I, p. 65 : « li celestiaus feus sailli / Ou plus haut siege, et empres li / Li air, qui de leu le resamble / Et de legierete ensamble / Plus que la terre ne mer ne font » (I, 189-193).

43 Voir The Middle English Text of Caxtons Ovid, Book I, edited from Cambridge, Magdalene College, Old Library, MS F.4.34, with a Parallel Text of The Ovide moralisé en prose II, edited from Paris, BnF, MS fonds français 137, éd. D. Rumrich, Heidelberg, Winter, 2011 ; William Caxton, The booke of Ovyde named Methamorphose, éd. R. J. Moll, Toronto / Oxford, Pontifical Institute of Mediaeval Studies / Bodleian Library, 2013.

44 Voir Voronova et Sterligov, Manuscrits enluminés occidentaux, qui contient une reproduction de limage.

45 Voir The Middle English Text of Caxtons Ovid.

46 Voir Jung, « LOvide moralisé : de lexpérience de mes lectures », p. 121-122. Voir aussi J.-C. Moisan et S. Vervacke, « Les Métamorphoses dOvide et le monde de limprimé : la Bible des poëtes, Bruges, Colard Mansion, 1484 », Lectures dOvide, publiées à la mémoire de J.-P. Néraudau, éd. E. Bury, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 217-237.

47 Voir The Middle English Text of Caxtons Ovid.

48 La BnF possède plusieurs exemplaires illustrés de lédition de Bruges, dont lexemplaire Rés. g. Yc. 1002, variante A, et le Rés. g. Yc. 1028, variante B de lédition de 1484 (en fac-similé). Cette édition présente lintérêt dêtre richement enluminée.

49 La BnF en possède également plusieurs exemplaires, dont le Rés. g. Yc. 425, ainsi que deux exemplaires imprimés sur vélin et également enluminés : Rés. Velins 599 et Rés. Velins 560, provenant de la Bibliothèque royale. Lexemplaire Rés. g. Yc. 426, provenant de la Bibliothèque royale, est numérisé ; voir le site Gallica.

50 Venise, Zoane Rosso, 1497 ; Paris, Antoine Vérard, 1498, français ; Tusculanum, A. Paganini, 1526, latin ; Venise, Bernardinum de Birdonibus, 1540, latin ; Mayence, Jörg Wickram, allemand, 1551 ; G. Rouillé, 1556, ill. des 3 premiers livres, français ; Lyon, Jean de Tournes, 1557, huitains de Barthélémy Aneau, Ch. Fontaines, J. Vauzelles, bois gravés de Salomon. Voir Jung, « LOvide moralisé : de lexpérience de mes lectures », p. 122-123.