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Classiques Garnier

Ajax et Jean le Baptiste : pour une lecture franciscaine de l’Ovide moralisé ?

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2015 – 2, n° 30
    . varia
  • Auteur : Rouchon-Mouilleron (Véronique)
  • Résumé : Aux livres XII et XIII de ­l’Ovide moralisé, Ajax et saint Jean-Baptiste sont appariés dans la moralisation. Cet article recontextualise ce passage dans la ­culture visuelle et spirituelle du premier xive siècle. On souligne le mélange de canonicité et ­d’audace qui donne sa tonalité particulière à ­l’œuvre. À travers le thème étonnant ­d’une ­compétition entre le Baptiste et le Christ, il est suggèré que ­l’auteur peut avoir trouvé sa source dans la querelle des Franciscains autour de ­l’usus pauper.
  • Pages : 149 à 166
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812460982
  • ISBN : 978-2-8124-6098-2
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-6098-2.p.0149
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/04/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Ajax et Jean le Baptiste :
pour une lecture franciscaine
de lOvide moralisé ?

Dans lOvide moralisé tel quil est édité par C. De Boer1, saint Jean-Baptiste est convoqué aux livres XII et XIII pour que soit tirée la moralité des épisodes suivants : laffrontement verbal dAjax et dUlysse pour la récupération des armes du défunt Achille, et la défaite, puis le suicide dAjax. Si, stricto sensu, Ajax connaît une moralisation sous les traits du Baptiste, toutefois saint Jean est soumis à des distorsions de son image telles que, par un jeu de métamorphose réciproque, la figure biblique subit les effets de la moralisation du poème. Nous en préciserons les aspects inattendus, touchant parfois aux limites de la tradition exégétique. Il convient alors de resituer le personnage johannique dans la perception que pouvaient en avoir le concepteur et les lecteurs de lOvide moralisé dans le premier quart du xive siècle. Le saint a été façonné par une série de commentaires et par un corpus dimages narratives et dévotionnelles qui se sont élaborés au long des siècles. Toutefois, le déploiement des ordres Mendiants la spécialement réinvesti au xiiie siècle, avec une mention spéciale chez les frères mineurs2. Comme lappartenance de lauteur du poème à lordre franciscain mérite dêtre exploitée, tout en restant à prouver pleinement3, nous proposerons ainsi des hypothèses dune lecture contextualisée autour de 1300-1320, au risque douvrir plus de pistes

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que nous napporterons de certitude. Au cœur de lextraordinaire monde fictionnel élaboré par la fresque poétique, il a paru utile dévaluer ce Jean hybride mâtiné dAjax à laune de la culture visuelle et spirituelle du premier xive siècle.

À la fin du livre XII, « mors est Achille » (v. 4799). Ses armes, « qui sans seignor sont demorees » (v. 4810), deviennent immédiatement objet de convoitise, et les deux principaux antagonistes, bien connus, se nomment Ajax et Ulysse. Agamemnon décide que le sort des armes sera tranché par une joute verbale tenue devant lassemblée des barons, lui-même se refusant à juger. À lorée du livre XIII, au milieu de ladite assistance, Ajax développe sur plus de trois cents vers la narration de sa haute naissance et de ses hauts faits. À Ulysse en revient le double, soient six cents vers qui lui permettent non seulement délaborer un habile plaidoyer pro domo, mais aussi de procéder à la sape systématique des arguments favorables à Ajax. « Ulixes se set miex debatre / de langue que de main combatre » : cette analyse polémique dAjax (aux v. 25-26) se retourne en effet à lavantage dUlysse, appelé le « sage amparlier » (v. 930). Cest à lui finalement, en cinq simples vers disant leur unanimité, que les barons décident de remettre les armes du héros achéen (v. 925-930). En ce point, le récit troyen est suspendu, pour laisser place aux trois cent trente octosyllabes de linterprétation allégorique. Le débat dUlysse et Ajax signifie, pour le glossateur, la concurrence entre Jésus et Jean, que les Juifs prirent pour celui qui devait les sauver et considérèrent comme le Messie. Le commentaire développe alors un éloge à la vaillance et à la sagesse du Christ, tout en soulignant la grandeur et les mérites du Baptiste dans léconomie du salut. Dans la suite du poème, le rythme se resserre, fable et glose dialoguent plus étroitement : lhistoire dAjax reprend sur moins de cinquante vers, pour décrire son courroux, son désarroi, puis son suicide par lépée et, de son sang versé, la naissance dune fleur, à la manière de Hyacinthe. Immédiatement, en trente vers, sa mort est rapprochée des martyrs chrétiens et de la décollation du Baptiste. Puis reprend la narration de la prise de Troie (à partir du v. 1336).

Le manuscrit O. 4 de la Bibliothèque municipale de Rouen servira de référent visuel à lapproche iconographique et textuelle de ce récit et de sa moralisation4. Il passe pour le plus ancien exemplaire conservé

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de lOvide moralisé, daté des années 1315-13205. Il précède de peu une autre version enluminée du texte, moins riche et mutilée, conservée à la Bibliothèque de lArsenal (manuscrit 5069). Lillustration du manuscrit Rouen O. 4 est attribuée par les spécialistes à deux artistes différents : le Maître de Fauvel, qui a exécuté la plupart des enluminures, et un second peintre identifiable avec Pierre de Beverley, qui illustre un exemplaire de Végèce, conservé à la Bibliothèque nationale de France (manuscrit latin 7470)6. La main anonyme du Maître de Fauvel tire son appellation de lillustration du Roman de Fauvel de Gervais du Bus (interpolé par Chaillou de Pesstain) dans le manuscrit français 146 de la Bibliothèque nationale de France. Leur corpus démontre que lun et lautre peintres travaillent pour une clientèle parisienne, aristocratique et princière, voire royale. Une fois étayée la position de ces deux maîtres auprès de la cour de France dans le premier tiers du xive siècle, il est permis didentifier le manuscrit O. 4 avec lOvide Moralisé mentionné dans linventaire après décès des biens de la défunte reine Clémence de Hongrie en 13287. Son

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signalement est le suivant : « Premièrement, un grand “roman” couvert de cuir vermeil des Fables dOvide, qui sont ramenées à une moralité sur la mort de Jésus-Christ, prisé 50 l. [livres] parisis ; vendu au roi et livré comme ci-dessus8 ». Si le manuscrit de linventaire et le manuscrit O. 4 de la Bibliothèque municipale de Rouen ne font quun, il reste encore à démêler sa fortune et son déplacement depuis la librairie royale jusque dans la cathédrale de Rouen, où il est attesté après le xviie siècle9.

Dans le manuscrit Rouen O. 4, que nous utiliserons donc comme document de référence, trois enluminures accompagnent la portion du poème consacrée aux deux moralisations successives, celle de la dispute pour les armes dAchille et celle du suicide dAjax10. Cette seconde moralisation retiendra dabord notre intérêt, car ses deux illustrations parallèles (fig. 59 et 60) appellent plusieurs commentaires, et sous le rapport du texte à limage, et sous celui de la fable à lallégorie.

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Suicide vs martyre : du récit à limage

Au folio 331v, dans la colonne de gauche, sachève la première glose autour des mérites respectifs de Jésus et Jean. La seconde colonne reprend le récit dOvide au moment du suicide dAjax11. Lhistoire est donc illustrée par lencart qui la précède, où lon voit Ajax seul sur un fond quadrillé pourpre se donner la mort par lépée (fig. 59). La deuxième image présente une Décollation de saint Jean sur fond or (fig. 60), encadrée par les vers qui concernent encore Ajax, et posée juste au-dessus du vers « Mors est Ajax. Ce fut grant perte » (v. 1289).

Ces interférences du texte et de limage sont nées dune pratique de la lecture du poème, et dun usage conscient des vertus du discours visuel. La lettre du texte renvoie, en écho interne, au vers qui disait la mort dAchille au livre XII en des termes très similaires (v. 4779 : « Mors est Achille. Cest damages »). Mais sa mise en exergue, obtenue par linitiale et la vignette peintes, en stimulent la mémoire par surcroît. Inscrit dans le prolongement de la ligne médiane qui traverse lenluminure de gauche, ce même vers 1289 remplit un rôle de légende pour limage latérale du Suicide dAjax. Force est de noter que sur cette page, le texte ne traite pas encore du Baptiste, et il faut attendre le milieu du folio suivant pour prendre connaissance de la glose johannique. Ainsi limage anticipe-t-elle avec audace lécriture, et ce pour le plus grand bénéfice de lallégorie. Car au vers « Mors est Ajax… » revient double valence, à la fois légende adjacente et fable sous-jacente. Son voisinage immédiat avec la Décollation du Baptiste instaure, dans ses interactions entre lettre et image, une confusion paradoxale entre les deux morts dAjax et de Jean.

Ce paradoxe exégétique néchappe pas au glossateur, qui parvient à lamener graduellement à travers son argumentation allégorique : la comparaison porte dabord sur la seule force et la vigueur dAjax dans la bataille, qui sont rapprochées du courage des premiers martyrs (v. 1307-1314) ; puis elle glisse vers le mépris de leur corps pour mieux

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obtenir leur salut (v. 1315-1318) ; puis, seulement après ce détour, est inséré le martyre de Jean. Lauteur nemprunte pas les quelques cas rapportés dans lAncien Testament de suicides par lépée, dont celui de Saül fournit lexemple le plus célèbre, sans doute parce quil nappartient pas au répertoire exégétique et figuratif commun12. En outre, la volonté mortifère dAjax est gommée comme donnée directe, mais réintroduite à travers la volonté du Baptiste de dénoncer la félonie dHérode. Car il était conscient denclencher lui-même la procédure qui le menait à sa mort, puisquaux dires du poème, il « se mist a temporel martire / dou glaive de sa propre bouche » (v. 1324-1325). Ce rapprochement de la bouche et du glaive me semble un dérivé poétique dun passage de lhymne de la Saint-Jean-Baptiste au 24 juin, chantée à lintroït, qui provient du prophète Isaïe13. Elle évoque aussi un autre répertoire fondamentalement visuel, celui de la Vision du Christ à Patmos dans le livre de lApocalypse. Le Fils de lhomme y apparaît à Jean lévangéliste, un glaive lui barre horizontalement les lèvres, ce qui veut signifier la vérité de la parole divine, parole de vie éternelle, mais aussi parole de mort temporelle14. Cette image nourrissait un sentiment de familiarité chez un chrétien de ce siècle, comme en témoignent plusieurs représentations dans la sculpture ou la peinture sur verre des cathédrales gothiques de la France du Nord15. On mesure mieux encore la force évocatrice de ce vers à travers la conjonction de ses occurrences textuelles et plastiques contemporaines.

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La métaphore reprend dans la suite du poème autour du thème de la fleur, la « jaunete flor » (v. 1292) qui naquit du sang répandu dAjax, et la fleur de sainteté qui sépanouit aux cieux en la personne du Baptiste (v. 1329-1332). Lauteur nignore pas que lÉglise le célèbre solennellement, non seulement à loccasion de sa mort (le 29 août) comme pour les autres saints, mais aussi au jour de sa naissance (le 24 juin) – ce dont lui seul, avec la Vierge, ont le privilège dêtre gratifiés au même titre que le Christ. La fleur dAjax est dite ressembler au lys, nétait sa couleur jaune (v. 1294-1295). Elle ne fait pas lobjet dun détail de lenluminure, ni dune description suffisante. On sinterrogera cependant sur lassociation que cette fleur jaune dAjax et du Baptiste pouvait éveiller chez le lecteur, à travers une réalité botanique de lEurope septentrionale, la plante nommée hypericum, et son appellation commune, lherbe de saint Jean, parce quelle pousse à la fin du mois de juin. Cest le millepertuis des herbiers, qualifié dès la fin du Moyen Âge d« herbe saint Jehan16 ».

Dans cette moralisation, de quel discours spécifique les illustrations sont-elles porteuses ? Si lécriture procède ici habilement, par petites touches successives, attentives à créer un simple réseau dassonances entre allégorie et fable, la mise en image, en revanche, instaure crument des parallélismes contraignants entre martyre et suicide. La représentation de la Décollation de saint Jean trouve dans liconographie johannique de nombreuses occurrences contemporaines de lexécution du manuscrit rouennais. Elle existe dans une variante à deux personnages, Jean penché hors de sa prison empoigné par son bourreau, ou à trois personnages, avec Salomé sapprêtant à recueillir dans un plat creux le chef du martyr, éventuellement accompagnée de sa mère Hérodiade17. Dans lenluminure de la France du Nord, un échantillon de manuscrits célèbres, choisi entre 1285-1290 et les années 1330, et dans le milieu princier, montre que le manuscrit de Rouen sinscrit bien dans cette lignée iconographique (voir fig. 61)18. Seuls sont cités dans lallégorèse Hérode et Hérodiade, sa

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belle-sœur quil prit pour femme (v. 1328), mais le choix de la version iconographique à trois personnages doit sinterpréter comme le moyen dinsinuer le lien direct entre le martyre du Baptiste et sa dénonciation de la situation familiale dHérode.

Limage dAjax, pour sa part, trouve sa série iconographique dans la représentation des Vices : non pas en tant que Suicide, puisquil nexiste pas en tant que tel dans le septénaire des vices, mais dans liconographie de la colère, Ira, ou plus rarement du désespoir lié à lacédie. Ainsi, dans les soubassements sculptés aux façades des grandes cathédrales du xiiie siècle, à Amiens ou à Paris, les médaillons représentent vertus et vices par couples antithétiques, comme à Notre-Dame de Paris, la Desesperatio qui se transperce dune épée (fig. 63).

Parce que toutes ces notions sont, en latin, des substantifs féminins et que depuis la Psychomachie de Prudence, elles sont personnifiées sous lapparence de femmes, la sélection est principalement féminine19 : dans le manuscrit du Roman de Fauvel exécuté vers 1320 (manuscrit BnF français 146 déjà cité, fol. 13v), Tristesse et Colère siègent à proximité, sous deux arcs à redents trilobés ; un exemplaire du Roman de la Rose (New York, Pierpont Morgan Library, manuscrit M. 324, fol. 89v) donne le suicide de Didon selon la même formule. Lattitude est plus proche de celle dAjax, le corps fléchi sur sa droite, mais la date plus tardive, dans les années 1345-1355. Il faut noter spécialement le geste de la main gauche, paume ouverte, qui marque apparemment labandon de la maîtrise de soi quentraîne la colère20.

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Si lillustration du poème charge nécessairement de tout son arrière-plan iconographique les comparaisons allégoriques que la rédaction voulait légères et pleines de doigté, elle a le mérite aussi de nous donner à voir la compréhension immédiate de ses lecteurs, moins nuancée et plus brute, et, doit-on croire, plus conforme à la réalité de la réception de ces moralisations. Pour les morts comparées dAjax et de Jean, ce rapprochement inédit ne pouvait que laisser le lecteur dans lembarras ou, tout au moins, dans la délicieuse perplexité de se trouver aux limites de la senefiance autorisée. En effet, le problème nest pas, fondamentalement, de suggérer les entrelacements du martyre chrétien et du suicide, en les translatant en léger décalage sur les deux colonnes du feuillet. Sans remonter aux temps primitifs de lÉglise, lhistoire récente peut suffire à prouver lambivalence de lauto-sacrifice. Il suffit de retenir lanecdote prise chez saint François lui-même, parti chercher le martyre auprès des Musulmans (en vain à son grand regret), ou lexemple de cinq frères de son ordre, dont lespoir de martyre fut couronné de succès21. Le glossateur pouvait donc miser, dans son texte, sur cette combinaison. En revanche, en examinant la série iconographique, on perçoit lamalgame visuel opéré entre Martyre et Colère, et, pour en tirer tous les fils, cest elle qui reconduit à la vérité du geste meurtrier dAjax que la moralisation avait voulu occulter : perclus de jalousie, fou de colère, voilà réellement Ajax lorsquil se perçait la poitrine dun glaive. Lassociation avec le Martyre du saint nen paraît que plus audacieuse.

Tradition iconographique,
hardiesse exégétique

La précédente enluminure de saint Jean se trouve au folio 329v (fig. 62), posée sous la ligne médiane de la colonne, où se referme visuellement le débat entre Ajax et Ulysse suivi de la décision des barons, et elle matérialise lintroduction de la première allégorèse johannique22.

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Sur un élégant fond où le quadrillage losangé alterne dor et de bleu, le Baptiste est représenté muni de son attribut iconographique le plus diffusé, un agneau, qui dérive de ses propres paroles rapportées dans lévangile de Jean, lorsquil désigne Jésus comme lAgneau de Dieu, celui qui enlève les péchés du monde (Jean 1, 29)23. Avec laction davoir baptisé le Christ lui-même, cette profession de foi le définit comme le prophète inspiré au tournant de lAncien Testament et des Évangiles, et elle lui vaut, à côté du surnom de Baptiseur, le titre de Précurseur, qui vient préparer les chemins du Seigneur. Dans lart, lEcce Agnus Dei a été reporté littéralement sous les traits dun agneau. Tête communément ceinte du nimbe crucifère et patte tenant une longue hampe terminée en croix (crux hastata), il apparaît tantôt figuré comme un animal vivant, tenu dans les bras de Jean ou avançant à ses côtés, tantôt sous la forme dun agneau héraldique, parfois inscrit dans un médaillon. Cest sous cette dernière variante quil est représenté dans notre manuscrit, montré de la main droite par le Précurseur24. Lindex du saint, qui désigna ainsi le Christ, est spécialement mentionné dans lhagiographie johannique, et au plus proche des années 1300, dans la Légende dorée du dominicain Jacques de Voragine, parce quil fait lobjet dun culte spécifique dans une église de Saint-Jean-de-Maurienne25.

La formule iconographique du manuscrit rouennais savère donc fort traditionnelle dans la sculpture et la peinture, par exemple aux piédroits des cathédrales gothiques françaises. Sans doute daprès un modèle sculpté, Villard de Honnecourt la copie sous cette forme dans son carnet de dessins (v. 1230), au point que, malgré la vacuité du médaillon et lanonymat du personnage qui le porte, rien nempêche dy reconnaître le type du Baptiste (fig. 64)26.

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Dans le Livre dimages de Madame Marie que lon a déjà signalé pour les années 1285-1290 (BnF, manuscrit Nouvelles acquisitions françaises 16251, fol. 58r), le médaillon est soutenu de lavant-bras gauche et calé au milieu de la poitrine, mais toujours désigné de la main droite. Lagneau inscrit dans un cercle, tête retournée vers la croix, correspond au type de la monnaie dor frappée à lagnel, dont la frappe aurait été mise au point sous Louis IX, mais dont la diffusion se déploie sous les règnes de Philippe le Bel et Philippe V, cest-à-dire au moment de lexécution probable du manuscrit de Rouen (fig. 65)27. On suspectera un effet de réciprocité iconographique. Il est probable que la monnaie a largement contribué à fixer lorientation de lagneau, par le fait quon voit encore, jusquau milieu du xiiie siècle, lagneau disposé encolure à droite, tandis quil est régulièrement orienté à gauche par la suite. En revanche, il nest pas possible dutiliser les variantes de frappe entre lagnel de Philippe IV (en 1311) et celui de Philippe V (1316), pour espérer dater notre enluminure de lun ou lautre règne28.

Nous navons donc repéré aucune spécificité iconographique dans ce Baptiste du manuscrit rouennais, mais cette parfaite canonicité de limage nen rend que plus percutante la hardiesse de linterprétation qui suit dans le texte. Pour le moraliste, lantagonisme des deux Grecs préfigure la concurrence de Jean et de Jésus. Ou plus précisément, cette analogie binaire est contournée par lintroduction dun troisième terme, les barons juges de la dispute. Autour deux, assimilés aux chefs religieux juifs, sopère la mutation de sens. Le débat dAjax et Ulysse est rapporté à lhésitation des hommes du Nouveau Testament sur la véritable identité du Messie, qui du Baptiste, qui du Christ. Simples auditeurs de laltercation dans la fable, les barons fournissent le pivot essentiel au glissement dans lallégorèse. Les règles de la logique sont mises à mal, puisque cela revient à imputer lobjectivité du litige à la

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subjectivité du jury. Mais lanalogie, sans ce sophisme, serait insoutenable en termes dexégèse. Ce procédé rhétorique prouve, une fois encore si besoin en était, la grande maîtrise du glossateur, qui évolue aux marges de lorthodoxie exégétique, en repoussant au maximum les limites de la fantaisie typologique. Très libre dans ses comparaisons, voire dune imagination débridée, et simultanément solide dans son écriture et instruit de théologie, il reverse chez son lecteur ce trop-plein deffervescence intellectuelle, qui fait toute la séduction de son œuvre. Et par parenthèses, pour ce qui concerne les liens de Jésus et de Jean, il anticipe certaines analyses historiques modernes, qui sappuient évidemment sur dautres sources, à propos de la confrontation de diverses sectes messianiques dans la Judée du premier siècle de notre ère29.

Où lauteur trouve-t-il largument déclencheur de sa moralisation ? Il sappuie sur le premier chapitre de lévangile de Jean (1, 19), où les prêtres et lévites viennent interroger le Baptiste sur son identité réelle : « Qui es-tu ? Es-tu Élie, le prophète ? ». On notera que, stricto sensu, ces Juifs naffirment pas quil est loint du Seigneur, ils se contentent de linterroger. Cest Jean qui, à la première demande, répond : « Je ne suis pas le Christ ». Chez lévangéliste Matthieu (3, 15), cest le peuple, dans lexpectative, qui se demandait en son cœur sil nétait pas le Christ. Les deux mentions néotestamentaires sont présentes, mais très brèves, et les dénégations du Baptiste immédiatement opposées à lattente de ses interrogateurs. Nous sommes donc loin des prétentions dAjax, autant, vice versa, que le plaidoyer perfide dUlysse est éloigné des hommages nombreux que Jésus rend à Jean dans les évangiles.

Du reste, force est de constater que le commentaire allégorique revient très vite sur les rails de lexégèse traditionnelle, pour rappeler les principaux traits du Baptiste qui sont amenés graduellement en un premier mouvement à trois temps (environ cent trente vers). Un bloc dune quarantaine de vers décrit dabord sa vie érémitique et pénitente, puis ses appels au repentir des foules, à la purification et à la conversion, son combat contre les vices (v. 950 et suivants). Un second temps rassemble les paroles de Jean, citées au style direct (v. 997-1020) : il est la

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voix qui crie dans le désert ; il nest pas le Messie, car après lui vient un plus grand que lui, dont il nest pas digne de dénouer les courroies de la sandale. Enfin (v. 1025 et suivants) intervient la rencontre avec le Christ, le Fils de Dieu sans péché, venu néanmoins demander le baptême de Jean. Le poème met alors dans la bouche du Baptiste les mots de lEcce Agnus Dei. Puis se conclut lample mouvement ternaire par lidée initiale, qui déterminait la moralisation, sur les mérites extrêmes de Jean qui lavaient pu faire considérer comme le Sauveur. Ressurgit alors à lesprit du lecteur la vignette de Jean à lAgnus, introduite deux feuillets plus tôt, dont sépanouit tout le sens, comme en musique une note tenue longuement et devenue à peine audible, retrouve la ligne mélodique au point dorgue. Il ne fait aucun doute que lorganisation décorative du manuscrit relève dune parfaite intelligence du texte. Et liconographie dun classicisme un peu plat, que nous avions dabord signalée, sort renouvelée de son intégration dans la mise en page de lœuvre.

Lallégorie repart (au v. 1053) sur un deuxième mouvement (environ deux cents vers), clairement signalé dans la page par une initiale ornée, consacré alors au seul Christ et à son identification possible avec Ulysse, « plein de sens » face à sa « vraie sapience » divine. Jean est exclu de cette partie du commentaire, si ce nest lorsque le moraliste compare la lignée d« évêques » dont il est issu (pour dire, sous une plume chrétienne, la tribu des Lévites de son père Zacharie, le grand-prêtre) avec la plus haute naissance encore du Christ, quil décrit fils de rois et d« évêques » tout ensemble. Les évangiles mettent bien en valeur le lignage davidique et donc royal de Jésus ; en revanche, il ny a point d« évêques ». Le terme doit dériver du commentaire mystique de lépître aux Hébreux où le Christ est appelé « grand-prêtre dans lordre de Melchisédech » (Hébreux 7). En posant ce double lignage, le glossateur prévenait tout doute sur la supériorité de Jésus en termes de naissance. Il existe en effet une tradition exégétique moins favorable sur ce point au Christ quà Jean, que lon trouve transcrite dans un sermon consacré au Baptiste, au milieu du xie siècle, attribué à Pierre Damien. La comparaison y porte sur les annonces respectives des naissances du Précurseur et de Jésus rapportées à la qualité de leurs parents, et elle sinverse audacieusement au détriment du Christ : « digniore praemonstratione Joannes nuntiatur quam Christus30 ». Lannonce de

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la naissance de Jean eut lieu, dit-il, selon un mode opératoire plus digne que lannonciation de Jésus. Pour ce dernier, une chambre à coucher sans doute, mais pour Jean, le temple, et non seulement le temple, mais le saint des saints, et à lheure solennelle de lencens. Le même archange, mais un lieu plus digne, un temps plus sacré, un miracle plus visible aux yeux de tous, voilà les ingrédients de lannonce à Zacharie, selon Pierre Damien. À certains égards, ils relèvent dune comparaison dérivée des images mieux que des textes, et ils continuent dêtre valables en 1300, comme au xie siècle. Dans le poème, linsistance sur la généalogie royale et épiscopale du Christ éludait ainsi cette possible interprétation.

À la recherche dune compétition entre le Précurseur et le Christ, les éléments inventoriés dans le répertoire textuel ou iconographique portent donc uniquement sur les conditions spatio-temporelles de leurs deux conceptions miraculeuses, en termes de dignité et déclat. Le sondage mené est sans doute trop ponctuel, mais il laisse apparaître lopinion commune, orthodoxe et attendue : Jean est admirable, mais Jésus est Fils de Dieu, ils sont donc incomparables. Mis à part dans lannonce de leurs naissances, les sources de la Tradition nosent aucune comparaison, car le soupçon dune rivalité ne saurait même être soulevé. Difficile pour nous de récolter là où il y a seulement unanimité !

Essai dinterprétation franciscaine

Cest en cherchant à contextualiser la composition de lOvide moralisé dans la mouvance franciscaine des années 1300 que Jean et Jésus sont apparus dans une perspective de controverse, autour du thème de la pauvreté du Christ31. On sait que, dans les dernières décennies du xiiie siècle, les frères Mendiants sont traversés par de profonds mouvements de réflexion sur la légitimité de leur enrichissement, que lon a

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qualifiée de question de lusus pauper, cest-à-dire quelle porte non pas seulement sur la propriété collective et individuelle du frère, à laquelle par son vœu solennel il a déjà renoncé, mais sur les pratiques dune consommation limitée des biens, dun usage pauvre du monde, érigé en forme de quatrième vœu (avec la pauvreté, lobéissance et la chasteté) fait à lobservance de la règle franciscaine. Les répercussions de cette controverse touchèrent spécialement les régions de lItalie centro-septentrionale et du Sud de la France, et plutôt les hautes sphères du pouvoir ecclésial, et des penseurs de lordre Mendiant. Au centre de cette question, la figure de Pierre de Jean Olivi est emblématique, tant de son vivant, à partir des années 1270, quaprès sa mort et la condamnation de sa doctrine sous les papes Clément V et Jean XXII32. Autour de lui sest dégagé un groupe qualifié de spirituels, tandis que la majorité de la communauté franciscaine (appelée souvent conventuels) cherchait à justifier une voie moyenne. Sous la plume de deux intellectuels partisans de la communauté, on a trouvé à lœuvre une réflexion aiguisée sur les notions de pauvreté, dindigence et daustérité, forgée pour mieux définir lusus pauper dans la querelle franciscaine, mais riche dinterprétation pour le passage johannique de lOvide moralisé. Pour eux, lusage pauvre du monde constitue lune des formes incluses dans le vœu Mendiant de pauvreté, mais non la substance même de ce vœu. En considération de cela, un frère pouvait être nommé évêque et fréquenter les palais épiscopaux sans violer son vœu. Il y a fort à penser que notre auteur, qui côtoyait la cour royale où il reçut apparemment la commande de lOvide moralisé, sous Philippe IV ou sous Philippe V, devait se satisfaire dune telle argumentation.

Ces deux scolastiques Mendiants sont Richard de Conington, maître à Oxford puis à Cambridge de 1305 à 1310 (mort en 1330), et Pierre Auriol, maître à luniversité de Paris entre 1318 et 1320, puis archevêque dAix (mort en 1322). Ils rédigent respectivement un Traité sur la

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pauvreté franciscaine, que lon date des alentours de 1310, et une Question sur lusage pauvre (vers 1320 ?). Le Baptiste, écrit loxonien, connut une plus grande indigence que le Christ et les apôtres, car il ne mangeait ni ne buvait, tandis que le Christ et les apôtres mangeaient et buvaient et participaient à de nombreux banquets. Pourtant, le Baptiste ne connut pas une pauvreté substantiellement plus stricte, car personne ne se dépouilla davantage que le Christ. Cest pourquoi, conclut-il, lindigence ne définit pas la substance stricte de la pauvreté33. Pour Pierre Auriol, le Christ fut pauvre dans toute sa perfection et plus pauvre que Jean, mais non plus austère ; ainsi la pauvreté nest pas lusage, donc lusage ne définit pas la pauvreté. Et de comparer la tunique du Christ élaborée sans couture avec la rude peau de chameau de Jean, les repas de Jésus avec les sauterelles et le miel sauvage qui nourrissaient le Baptiste, les maisons de Simon, Marthe et Marie, où il trouva lhospitalité, avec le désert de Judée que hantait lascète. Par sa consommation, Jean fut plus pauvre que le Christ, mais, en vérité, conclut-il, cest le Christ qui le fut, car il abandonna ses droits et son dominium34.

Ainsi dans ces deux passages, la vérité de la pauvreté christique ne peut se réduire à son mode de vie, à un usage des biens de consommation, mais elle tient à lIncarnation, par laquelle Dieu renonce à son droit divin, à sa toute puissance. Pour le dire avec les mots du moraliste chrétien, « ce fu la sainte deité / conjointe a humaine nature » (v. 1220-1221). Pour le décrire dans les termes de la fable ovidienne, cest la statue de Pallas que dérobe Ulysse pour permettre la victoire des Grecs : aux v. 1215-1219, « Jesus en la Vierge pucelle / [] deigna prendre incarnacion, / si en traist le Palladion / le jor de la nativeté ». Il me semble que le ressort

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de lallégorèse johannique relève dun réseau similaire à celui employé par ces maîtres franciscains, où la réflexion subtile vise pareillement à distinguer pratique et droit, apparence et substance.

Pour finir, la date de composition des deux traités franciscains peut-elle servir à cerner la chronologie de la rédaction du poème ovidien ? Rappelons que les éléments de la datation reposent sur le prologue de Pierre Bersuire vers 1340, qui lie lOvide moralisé à une certaine reine Jeanne, un prénom partagé par les épouses de trois des rois de la première moitié du xive siècle – tous trois pareillement prénommés Philippe. Lexistence de lexemplaire de Clémence de Hongrie dans linventaire posthume de 1328 fait écarter lépouse de Philippe VI, qui accède au trône cette même année. Pour décider entre Jeanne de Navarre, reine aux côtés de Philippe IV de 1285 à sa mort en 1305 (neuf ans avant le roi), et Jeanne de Bourgogne, auprès de Philippe V, de 1316 à sa mort en 1329 (sept ans après son époux), dautres arguments ont été avancés, qui militent en faveur de Jeanne de Bourgogne35. Mais ils me semblent encore fragiles. Le premier utilise la convergence très probable entre le manuscrit O. 4 de la Bibliothèque municipale de Rouen et celui de Clémence de Hongrie, et lévaluation stylistique des peintures autour de 1320. Mais cest considérer abusivement que le manuscrit de Rouen serait non seulement la plus ancienne copie conservée, mais encore la première version existante de lœuvre. Il est hautement probable que Clémence a fait composer daprès modèle un exemplaire pour son usage personnel. Mais ce modèle pouvait provenir de sa défunte belle-mère, Jeanne de Navarre, autant que de sa belle-sœur, Jeanne de Bourgogne. Le second élément dépend de deux vers du livre XIV, interprétés comme une allusion à linstallation des papes à Avignon, qui induirait une rédaction postérieure à 1309, et disqualifierait la première Jeanne (morte en 1305)36. Lintérêt indéniable de largument doit toutefois être tempéré par la réalité historique du déplacement pontifical : dabord parce quil commence hors de Rome dès le début du règne de Clément V (en 1305), ensuite parce que le séjour avignonnais est longtemps considéré comme seulement

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temporaire, à linstar des nombreux séjours que les papes opèrent hors de lUrbs au cours du xiiie siècle37.

Les activités intellectuelles de Pierre Auriol et Richard de Connington se sont exercées au cours de la deuxième décennie du siècle. Mais, disent les spécialistes, leurs travaux sont élaborés en des termes qui auraient pu servir à lidentique dès les années 1280. Il nest donc pas non plus possible de produire leurs opuscules comme des preuves contraires à lhypothèse dune rédaction sous Jeanne de Navarre. En outre, il sagit non douvrages consacrés au Baptiste, mais dune incise dans la somme de leur production, et nous ninférons pas que le moraliste ait lu lun ou lautre traité. Mais on ne saurait nier que létonnante glose johannique du livre XIII de lOvide moralisé sinscrit dans ce courant de pensée comparatiste, qui a été suscité à la fin du xiiie siècle et sest déployé dans le cadre de la controverse franciscaine sur lusus pauper.

Véronique Rouchon-Mouilleron

Université Lumière – Lyon 2

CIHAM (UMR 5648)

1 Ovide moralisé. Poème du commencement du xive siècle publié daprès tous les manuscrits connus, éd. C. De Boer, 5 vol., Amsterdam, 1915-1918.

2 A. Vauchez, François dAssise, entre histoire et mémoire, Paris, Fayard, 2010, p. 31-32, 298, 469 ; et, ponctuellement, V. Rouchon Mouilleron, « Entre Orient et Occident : limage de saint Jean du xie au xive siècle », Revue de lart, numéro spécial 158, 2007-4, Art médiéval de la Méditerranée, p. 35-45.

3 M. Possamaï-Pérez, LOvide moralisé. Essai dinterprétation, Paris, Champion, 2006, spéc. p. 717-782 ; S. Douchet, « La Genèse entre création et mutacion. Remarques sur lOvide moralisé et la pensée de saint Bonaventure », Nouvelles études sur lOvide moralisé, éd. M. Possamaï-Pérez, Paris, Champion, 2009, p. 49-68.

4 Rouen, Bibliothèque municipale, manuscrit O. 4 (1044 dans H. Omont, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Départements, tome I : Rouen, Paris, 1886, p. 263), 350x270 mm, 432 folios, 55 cahiers, rédigé sur deux colonnes, 453 enluminures (de la largeur dune colonne, sauf au fol. 1r).

5 Pour resituer ce manuscrit parmi les différentes versions conservées, M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de lOvide moralisé », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte, 20, 1996, p. 251-274. Sur les versions rattachées au même groupe, C. Lord, « Three manuscripts of the Ovide moralisé », Art Bulletin, 57, 1975, p. 161-175 ; J. Drobinsky, « La narration iconographique dans lOvide moralisé de Lyon (BM ms. 742) », Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux dOvide, éd. L. Harf-Lancner, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2009, p. 223-259. Sur lusage dOvide dans lart médiéval, C. Rabel, « Ovidio Nasone, Publio », Enciclopedia dellarte medievale, IX, Roma, Treccani, 1998, p. 38-41 ; Ovid in the Middle Ages, éd. J. G. Clark, F. T. Coulson, K. L. McKinley, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, en part. C. Lord, « A survey of imagery in medieval manuscripts of Ovids Metamorphoses and related commentaries », p. 257-283.

6 Nous renvoyons aux descriptions et à la bibliographie qui entourent ce manuscrit chez : F. Avril, Les fastes du gothique, Le siècle de Charles V, Paris, RMN, 1981, p. 284-285, notice 230 ; R. H. Rouse et M. A. Rouse, « Thomas of Wymondswold », Journal of the Walters art gallery, 54, 1996, p. 61-68 ; R. H. Rouse et M. A. Rouse, Illiterati et uxorati. Manuscripts and their makers, Londres, Miller, 2000, spéc. vol. I. p. 209-217, et notices de Pierre de Beverley (Peter de Beverlaco) et Maître de Fauvel, vol. II, p. 109 et p. 195-200 ; F. Avril, Lart au temps des rois maudits, Philippe le Bel et ses fils, 1285-1328, Paris, RMN, 1998, notice 194, p. 289.

7 Cette possible identification a été proposée par F. Avril dans les catalogues cités et reprise chez R. H. Rouse and M. A. Rouse, Illiterati et uxorati, aux mêmes pages. À noter cependant que, pour les époux Rouse (Illiterati et uxorati, vol. II, p. 380, n. 60), le manuscrit 5069 de la Bibliothèque de lArsenal, également dû à la main du Maître de Fauvel, pourrait aussi être rattaché à Clémence de Hongrie. Dans tous les cas, les deux manuscrits ne sont pas antérieurs au veuvage de la reine, ni sans doute à 1320. Quoique lexécution du manuscrit O. 4 perde en qualité à partir du folio 126, et quil soit même dépourvu dillustrations à partir du folio 406, ce phénomène de détérioration nest pas rare (même dans des exemplaires de luxe), ce qui nélimine pas lhypothèse dune commande de la reine Clémence. Identification également examinée par C. Lord, « Marks of ownership in medieval manuscripts : the case of the Rouen Ovide moralisé », Source. Notes in the history of art, 18/1, 1998, p. 7-11.

8 Sur linventaire des livres de Clémence de Hongrie, « livres de chapelle, “romans” et autres livres », voir en dernier lieu J.-P. Boudet, « La bibliothèque de Clémence de Hongrie : reflet de la culture dune reine de France ? », La cour du prince. Cour de France, cours dEurope, xiie-xve siècles, éd. M. Gaude-Ferragu, B. Laurioux, J. Paviot, Paris, Champion, 2011, p. 499-514, citation p. 512. À noter que lauteur (p. 506, et note 19) considère lexemplaire cité comme disparu et ne mentionne pas lidentification de F. Avril. Dun avis identique sur cette perte, M.-R. Jung, « Ovide, texte, translateur et gloses dans le manuscrit de lOvide moralisé », The medieval opus. Imitation, rewriting and transmission in the french tradition, éd. D. Kelly, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1996, p. 75-98 (p. 77, note 10).

9 Le manuscrit Rouen O. 4 porte lécu des comtes de Valentinois-Poitiers exécuté au xve siècle (au fol. 14v) : H. Omont, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Départements, tome I : Rouen, p. 263 ; J. Dupic, « Ovide moralisé. Manuscrit du xive siècle (Bibl. de Rouen Ms. O. 4). Discours de réception de Melle Dupic (23 mars 1946) », Précis des travaux de lAcadémie des sciences, belles lettres et arts de Rouen, 1945-1950, 1952 [consulté en tiré-à-part, p. 1-12]. Lanalyse doit être menée aussi pour le manuscrit Arsenal 5069, dont la circulation nest pas davantage clarifiée ; voir H. Martin, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de lArsenal, Paris, Plon, 1889, tome V, p. 35-36.

10 Dans la partie supérieure figure une numérotation peinte en chiffres romains qui correspond aux enluminures et renvoie à la table des chapitres des premiers feuillets. En chiffres arabes sur les rectos des feuillets figure aussi la foliotation à lencre noire. Foliotation des pages examinées, et numérotation originelle des enluminures : folio 399v, enluminure 399 [CCC IIII(XX) XIX]. Fol. 331v, enluminures 400 et 401 [CCCC et CCCCI].

11 Fol. 331v, colonne de gauche : v. 1217 à 1254. (de « Deigna prendre incarnacion » à « Qui sauva toute creature ») ; vignette CCCC (Suicide dAjax). Colonne de droite : v. 1255 à 1288 (de « Ajax li fors, li viguereux » à « La roidors dou sanc len traist fors ») ; vignette CCCCI (Décollation de Jean) ; v. 1289 à 1291 (« Mors est Ajax. Ce fut grant perte » à « Li dieu por remembrer sa mort »).

12 A. Bayet, Le suicide et la morale, Paris, Alcan, 1922, p. 208 ; D. de Chapeaurouge, « Selbstmorddarstellung des Mittelalters », Zeitschrift für Kunstwissenschaft, 14, 1960, p. 135-146 ; J.-C. Schmitt, « Le suicide au Moyen Âge », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1976, 21/1, p. 3-28, spéc. p. 2 et suivantes ; J. Paul et W. Busch, « Saul », Lexikon der christlichen Ikonographie, éd. E. Kirschbaum, G. Bandmann, W. Braunfels (†) [dorénavant cité LCI], Rome-Fribourg-Bâle-Vienne, 1968-1976, rééd. 1990, vol. 4, col. 50-54.

13 Isaïe 49, 2 : « Dominus posuit os meum quasi gladium acutum », utilisé pour signifier la parole tranchante du Baptiste. Voir la version en vulgaire de cette même hymne de la Saint-Jean conservée dans un graduel de Limoges et datée de la seconde moitié du xiiie siècle : « Li biaus sires plens de pitié, / Ausins come glaive aguisié, / Mola ma boche quant li plot / Et il molt bien faire le pot », dans L. Guibert, « Le graduel de la bibliothèque communale de Limoges », Bulletin historique et philologique du comité des travaux historiques et scientifiques, année 1886, Paris, Imprimerie nationale, 1887, spéc. p. 353-354.

14 Apocalypse 2, 16 (qui renvoie aussi à Isaïe 49, 2).

15 É. Mâle, Lart religieux du xiiie siècle en France, Paris, Livre de poche, 1990, daprès rééd. 1948 (1898), p. 643-644.

16 Les encyclopédies modernes de botanique qualifient dherbe de saint Jean plusieurs autres plantes ; cependant nous renverrons à un livre des simples médecines daté des années 1480 (Paris, BnF, Français 9136, fol. 150r), où cest lune des appellations communes de lhypericum (colonne de gauche, troisième et quatrième ligne), reproduit en peinture dans la colonne de droite, et dont les fleurs sont jaunes.

17 E. Weis, « Johannes der Täufer (Baptista), der Vorläufer (Prodromos) », LCI, vol. 7, col. 170-190, spéc. col. 184, n. 28.

18 Les manuscrits envisagés sont facilement consultables sur le site Mandragore de la Bibliothèque nationale de France. Pour la décennie 1285-1295 : Livre dimages de Madame Marie (Paris, BnF, manuscrit Nouvelles acquisitions françaises 16251, fol. 57v où figure Hérodiade) ; Bréviaire de Philippe le Bel attribué à Maître Honoré et son atelier (Paris, BnF, manuscrit latin 1023, fol 414r). Pour la première moitié du xive siècle : Bible historiale de Guiart des Moulins (Paris, BnF, manuscrit français 152, fol. 399v) ; Vie de saints de latelier de Richard de Montbaston (Paris, BnF, manuscrit français 185, fol. 75r, vers 1330) (fig. 61). À propos de latelier de Richard et Jeanne de Montbaston, voir R. H. Rouse and M. A. Rouse, Illiterati et uxorati, vol. I, p. 192-193, et p. 235-260.

19 C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Aubier, 2009, p. 93-125 ; M. Evans, « Laster », LCI, vol. 3, col. 15-27.

20 Ces manuscrits sont accessibles en ligne sur le site Mandragore ou sur celui de la Morgan Pierpont Library à New York. Sur le Maître de Fauvel, voir R. H. Rouse and M. A. Rouse, Illiterati et uxorati, vol. I, p. 203-233 ; J.-C. Mühlethaler, Fauvel au pouvoir : lire la satire médiévale, Paris, Champion, 1994, spéc. p. 419 ; Le roman de la rose, lart daimer au Moyen Âge, Paris, BnF, 2012. Sur Didon comme lun des visages littéraires du suicide, voir M. Desmond, Reading Dido. Gender, textuality and the medieval Aeneid, University of Minnesota Press, 1994.

21 Thomas de Celano, Vita prima, 55, traduction française dans François dAssise. Écrits, vies, témoignages, éd. J. Dalarun, Paris, Sources franciscaines-Cerf, 2010, vol. I, p. 534-538 ; J. V. Tolan, Les Sarrasins. LIslam dans limagination européenne au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 287-310.

22 Pour une lecture politique de cette moralisation, voir V. Minet-Mahy, « Odyssées maritimes et translatio vers la cité de Dieu dans le manuscrit de lOvide Moralisé, Rouen BM O. 4 », Cahiers de recherches médiévales, 15, 2008, p. 307-332.

23 Un autre attribut peut revenir au Baptiste, mais plus rarement : la hache au pied de larbre. Voir V. Rouchon Mouilleron, « Una scure per lasceta (migrazione e reinterpretazione di un tema figurativo tra XII et XV secolo) », Atlante delle Tebaidi, éd. A. Malquori, Florence, Centro Di Gli Uffizi, 2013, p. 241-250.

24 Pour liconographie johannique, toujours E. Weis, « Johannes der Täufer », LCI, vol. 7, col. 182.

25 Jacques de Voragine, La légende dorée, éd. A. Boureau et alii, Paris, Gallimard, 2004, chapitre 121, spéc. p. 716-717.

26 Paris, BnF, manuscrit français 19093, fol. 25v, fig. 64 (consultable sur Mandragore). En dernier lieu, C. F. Barnes Jr, The portfolio of Villard de Honnecourt (Paris, Bibliothèque nationale de France, manuscrit français 19093). A new critical edition and color facsimile, Farnham-Burlington, Ashgate, 2009, p. 172.

27 Y. Coativy, « Aux origines des agnels et moutons dor royaux », Bulletin de la société française de numismatique, février 2005, p. 6-9 ; du même, « Les monnaies de Philippe le Bel et leurs avatars », Monnaie, fiscalité, finances au temps de Philippe le Bel, éd. P. Contamine, J. Kerhervé et A. Rigaudière, Paris, Comité pour lhistoire économique et financière de la France, 2007, p. 141-156, spéc. p. 144-145.

28 La principale variante entre les deux règnes tient à la présence dun trèfle (ou marteau) sous linscription Ph(ilippus) Rex située aux pattes de lagneau. Il sagit dun élément trop discret pour être susceptible dêtre répercuté incidemment dans cette enluminure. Voir A. Blanchet et A. Dieudonné, Manuel de numismatique française, tome II, Monnaies royales françaises depuis Hugues Capet jusquà la Révolution, Paris, Picard, 1916.

29 Sur cette rivalité historique dans les premiers temps du christianisme, voir Jean Daniélou, Jean-Baptiste, témoin de lAgneau, Paris, Cerf, 2013 (1964) ; Josef Ernst, Johannes der Täufer. Interpretation. Geschichte. Wirkungsgeschichte, Berlin-New-York, De Gruyter, 1989 ; en dernier lieu, Edmondo Lupieri, Giovanni e Gesù. Storia di un antagonismo, Rome, Carocci, 2013.

30 Pierre Damien, Sermo XXIII. I. In nativitate S. Joannis Baptistae, Patrologia latina, éd. J.-P. Migne, tome 144, Paris, 1880, § 117, col. 628. La paternité de ce sermon lui est contestée par léditeur G. Lucchesi (Turnhout, Brepols, 1983, Corpus christianorum. Continuatio medievalis, 57), qui ne retient que les sermons XXIV, p. 148-153, et XXV, p. 154-161.

31 D. Burr, The spiritual Franciscans. From protest to persecution in the century after saint Francis, University Park, Pennsylvania State University Press, 2001, spéc. p. 142 (et note 18, p. 367), p. 231 et 385.

32 Pierre de Jean Olivi (1248-1298). Pensée scolastique, dissidence spirituelle et société, éd. A. Bourreau et S. Piron, Paris, Vrin, 1999, en part. D. Flood, o. f. m., « Poverty as virtue, poverty as warning, and Peter of John Olivi », p. 157-172. On consultera aussi les numéros de la revue en ligne Oliviana. Mouvements et dissidences sprirituels, xiiie-xive siècles, réalisée sous la responsabilité éditoriale de S. Piron : voir en particulier le numéro 4/2012, autour du Traité dUbertin de Casale sur la pauvreté du Christ et des apôtres, spéc. sur la lignée olivienne de la réflexion sur lusus et le dominium, la contribution de Gian Luca Potestà, « Ubertino da casale e la altissima paupertas, tra Giovanni XXII e Ludovico il Bavaro ».

33 « Ergo egestas non est de integritate substantiae paupertatis », dans A. Heysse, « Fr. Richardi de Conington, ordo fratrum minorum, Tractatus de paupertate fratrum minorum », Archivum Franciscanum Historicum, 23, 1930, p. 57-105, 340-360, spéc. p. 71-72 (Quaestio I. De paupertate simpliciter).

34 « [] Christus fuit perfectissime pauper et pauperior Ioanne Baptista, sed non austerior [] Christus fuit Ioanne pauperior quoad abdicationem dominii et iuris, sicut de se testabatur », dans E. Longpré, « Le quodlibet de Nicolas de Lyre, o. f. m. », Archivum Franciscanum Historicum, 23, 1930, p 42-56. Lidentification avec Nicolas de Lyre est fausse selon F. Pelster, « Nikolaus von Lyra und seine Quaestio de usu paupere », Archivum Franciscanum Historicum, 46, 1953, p. 211-250 et « Zur Überlieferung des Quodlibet und anderer Schriften des Petrus Aureoli o. f. m. », Franciscan Studies, 14, 1954, p. 408-411. Sur Pierre Auriol, on pourra aussi consulter en ligne The Pierre Auriol Homepage, sous la direction duniversitaires américains.

35 Ces arguments sont rassemblés chez M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites », p. 252-253.

36 « Vendront a Rome, ou jadis iere / li chiez de la crestienté », livre XIV, v. 3422-3423. Que signifie lemploi de « jadis » avec cet imparfait duratif : « il y a longtemps », « pendant longtemps » ou « depuis longtemps » ?

37 Sur la fixation des papes dans Avignon, dun point de vue administratif et résidentiel, remarques synthétiques dans Histoire du christianisme des origines à nos jours, éd. J.-M. Mayeur, C. Pietri, A. Vauchez, tome VI, Un temps dépreuves (1274-1449), éd. M. Mollat du Jourdin et A. Vauchez, Paris, Desclée-Fayard, 1990, p. 72-76. Voir aussi P. Montaubin, « De quoi donc Rome fut-elle capitale ? », Les villes capitales au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 391-428. À noter enfin que, dans une perspective polémique, les vers cités pourraient tout aussi bien faire écho, dun point de vue français, à la querelle qui oppose jusquen 1303 Philippe le Bel à Boniface VIII, accusé par le roi dêtre hérétique et usurpateur, et donc illégitime à la tête de la chrétienté ; voir A. Paravicini Bagliani, Boniface VIII. Un pape hérétique ?, Paris, Payot, 2003, spéc. p. 299-367.