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Classiques Garnier

Les Moyen Âge de Game of Thrones

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2014 – 2, n° 28
    . varia
  • Authors: Besson (Florian), Rideau-Kikuchi (Catherine), Troadec (Cécile)
  • Abstract: This paper discusses George R. R. Martin’s literary saga, A Song of Ice and Fire, and its now famous adaptation as a TV show, Game of Thrones. Critics have been keen to underline the “realism” of these cycles; but the authors of the present study seek to re-examine what kind of real is being represented and re-created here. Which Middle Ages are we talking about? Far from being a unified historical block, the Middle Ages are a rich and ­complex period, marked by many evolutions. The world created by Martin thus merits close analysis : which elements are being used or left out, and which play a crucial or marginal role in the story? Such questions will allow us to gain a better understanding of how Middle Ages are represented today.
  • Pages: 479 to 507
  • Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782812445682
  • ISBN: 978-2-8124-4568-2
  • ISSN: 2273-0893
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4568-2.p.0479
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 04-29-2015
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
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Les Moyen Âge de Game of Thrones

La réception mondiale de la série HBO Game of Thrones a permis à un public extrêmement large de découvrir la grande œuvre de George R. R. Martin, A Song of Ice and Fire, déjà célèbre certes, mais dont la réception avait certainement été plus réduite et limitée en grande partie aux lecteurs habituels de fantasy. Avec la série, on dépasse largement ce public traditionnel. À la suite de ce qui est devenu un véritable phénomène, les journalistes et les critiques se sont emparés de lœuvre pour comprendre son succès. Tous font la description dun monde au réalisme brutal1, un monde « médiéval » voire « moyenâgeux2 », cadre dune œuvre qui se déroule certes dans un univers inventé, mais dans lequel on trouve de nombreux traits du Moyen Âge occidental. Les intérêts historiques de lauteur sont clairement affirmés par celui-ci, notamment linspiration quaurait constituée la guerre des Deux Roses de la deuxième moitié du xve siècle en Angleterre pour lintrigue et les personnages. Et il y a bien une impression médiévale qui se dégage de lunivers qui nous est présenté, une « médiévalité diffuse » pour reprendre le concept de Francis Dubost, réutilisé dans le contexte de la fantasy par Anne Besson3. Lorsque lon regarde la série, lorsque lon lit quelques pages des livres, on sait immédiatement où et quand on se situe : le paysage sonore et visuel, le vocabulaire, nous plongent dans

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une ambiance médiévale. Murailles et batailles, chandelles et chevaux, épées et hauberts, seigneurs et honneurs4 : oui, il y a du Moyen Âge, et oui, cest le « nôtre », autrement dit loccidental, ce que reflète le nom même du continent où se passe lessentiel de lintrigue, Westeros.

À partir de ce constat évident, la question, en tant que médiéviste, est de comprendre, à partir de notre connaissance historique de ce qua été le Moyen Âge, comment est construite cette médiévalité dans le contexte de la fantasy. Il faut questionner cette impression diffuse qui est loin dêtre univoque ou innocente. À la différence dautres œuvres de fantasy5, Game of Thrones tout comme A Song of Ice and Fire ne reposent pas sur une période historique précisément définie et tous les éléments ne proviennent pas forcément de la seule période médiévale : le Mur reprend ainsi évidemment le mur dHadrien. Reste que ce que lon considère comme médiéval semble dominer. La mise en commun, pour la création dun monde doté de son épaisseur historique propre, de ces éléments venus de diverses temporalités ou aires géographiques pose parfois des problèmes de cohérence et dhistoricité. Mais il ne sagit pas ici de critiquer ces incohérences : Martin nayant jamais prétendu faire œuvre dhistorien6, ces éléments ne peuvent pas discréditer son œuvre. Lenjeu est ici différent : il sagit de comprendre ce qui se passe quand on parle de Moyen Âge dans un cycle littéraire et télévisuel. Si les critiques, on la dit, sont souvent prompts à souligner avec enthousiasme le réalisme de lœuvre de Martin, cest le réel de référence quil sagit

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dès lors dinterroger. Car, alors que les critiques parlent sans cesse dune série qui sinspire du Moyen Âge, pensé comme une période unifiée, les médiévistes au contraire parlent de périodes et de lieux différenciés, bref, de plusieurs Moyen Âge. À lheure où lon discute beaucoup des périodes et de leurs cohérences7, cest ce quil faut rappeler : un historien du vie siècle et un historien du xve siècle peuvent se définir tous deux comme médiévistes, mais ils ne travaillent pas sur le même monde – ce qui implique quun homme du vie siècle aurait été bien perdu au xisiècle, sans même parler du xve siècle8… Il sagit dès lors dinterroger le réalisme de lœuvre, non pas pour se demander si elle est réaliste, mais pour se demander à quel réel on renvoie, autrement dit pour déconstruire le rapport au Moyen Âge historique de lunivers créé par George R. R. Martin, le tout pour comprendre, peut-être, ce que cela nous apprend sur la façon dont aujourdhui le Moyen Âge est perçu et compris, au-delà des cercles universitaires9.

La prise en compte simultanée du cycle Song of Ice and Fire10 et de la série télévisuelle Game of Thrones – nous distinguerons les deux en les appelant par leur titre différencié – et ce bien quaucun des deux ne soit encore achevé, permet denvisager le Moyen Âge tant dans ses représentations littéraires que dans sa mise en scène visuelle. Il sagit de plus de réalisations parallèles : si la série HBO a débuté bien après le début de Song of Ice and Fire, il est néanmoins notable que George R. R. Martin ait participé activement à lécriture du scénario. Celui-ci

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étant toujours en train décrire les derniers tomes de son cycle, ce sont deux œuvres qui vont nécessairement sinfluencer réciproquement ; elles doivent désormais se penser non pas lune contre lautre, mais ensemble, dans une transmédialité féconde et complexe.

Notre réflexion sarticulera en trois temps : le monde imaginaire de Martin met en scène des personnages qui interagissent, le plus souvent sur le mode de la compétition ou du conflit, doù une attention portée tout dabord aux pouvoirs ; ces personnages évoluent dans un monde construit et extrêmement spatialisé, doù une nécessaire étude des territoires ; enfin, ce monde est doté dune histoire propre, qui participe puissamment de leffet de réel mais suscite également des questionnements et est révélatrice de la manière dont le Moyen Âge est perçu et utilisé, doù un dernier temps centré sur les histoires.

Pouvoirs

A Song of Ice and Fire est probablement lune des séries de fantasy les plus politiques : les grandes familles luttent pour le contrôle du Trône de Fer, dans des interactions toujours conflictuelles qui donnent son nom à la série télévisée et au premier tome : un jeu de trônes, en vérité. À bien des égards, un chevalier médiéval transporté à Westeros sy retrouverait. Il y retrouverait dabord très clairement sa position socialement supérieure : les nobles dominent des paysans réduits au rang de figurants, à qui est niée toute agency. On peut même se demander si ce nest pas là le cœur de la « médiévalité » de Game of Thrones : un monde dans lequel les guerriers agissent, et les autres subissent11. Pour compter sur léchiquier politique, il faut avoir une épée (ou des dragons). Cet échiquier politique, précisément, ressemble à celui du Moyen Âge occidental. On y croise des seigneurs et des dames, des vassaux plus ou moins fidèles – que lon pense à la félonie de Bolton vis-à-vis de Robb Stark –, une chevalerie ordonnée autour dun système de valeurs (que

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manifeste le titre de « ser ») même si la plupart des chevaliers savent prendre de la distance par rapport à ces codes moraux12. On se soucie de son honneur, du sien propre et de celui de son lignage. Le roi gouverne avec un conseil restreint, ce qui évoque le fonctionnement des monarchies européennes du xive siècle, même si chaque grand seigneur semble très libre par rapport à ce pouvoir royal. Le vassal prête lhommage à un seigneur, récupérant une fraction de la puissance publique (le ban), et lui devant aide et conseil (auxilium et consilium), en échange de sa protection et de son soutien13.

Les structures politiques sont ainsi globalement les mêmes. On est de toute évidence dans un monde féodal, dominé par les liens de personne à personne – Joffrey demande à tous les nobles de venir lui prêter hommage après son couronnement –, même si les différents fiefs semblent solidement entre les mains de grandes familles : les Stark tiennent ainsi Winterfell depuis plusieurs milliers dannées. Le roi a une autorité réelle, se montrant capable par exemple de confisquer son fief à un seigneur félon – cest la commise14 –, mais sans avoir darmée à lui. Il est significatif dailleurs dentendre Joffrey, mécontent de devoir dépendre de la pyramide féodale, en réclamer une15 : la série reprend ici le schéma de la « genèse de lÉtat moderne », qui se construit en récupérant à son profit le monopole de violence légitime. Westeros est ainsi un monde défini par des structures féodo-vassaliques familières à

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lhistorien des xe-xiiie siècles, et dailleurs fort bien utilisées par George R. R. Martin, celui-ci, en particulier, ne donnant pas un poids exagéré à la ritualité : si certains, tel Barristan Selmy, attachent de toute évidence un grand prix à un serment, la plupart savent se montrer pragmatiques16. Lauteur comprend bien la complexité des relations féodales : Stannis Baratheon nourrit ainsi une vieille rancœur contre son frère Robert, qui, après son accession au trône, ne lui a donné quun mauvais fief, Dragonstone, et pas Storms End, le payant mal de son fidèle service pendant la rébellion17. Mais cette rancœur ne suffit pas à lui faire oublier la triple fidélité quil doit à Robert, à la fois comme suzerain, comme roi, et comme frère aîné. Dans ce monde féodal, cest « lélément personnel » qui lemporte sur « lélément réel », pour reprendre la terminologie de Frédéric-Louis Ganshof 18, les capitaux symboliques et sociaux qui comptent plus que le capital économique : les fiefs, les châteaux, ont ici assez peu dimportance. « A man without friends is a man without power19 », déclare Varys, le maître des espions : un noble du temps féodal aurait été tout à fait daccord, mais il aurait ajouté quun homme sans terre est un homme sans ami.

Les structures sociales elles aussi nous sont familières : un couple20, autour duquel sarticule une famille somme toute assez proche de notre famille nucléaire contemporaine. Les bâtards sont marginalisés ; la primogéniture lemporte partout ; les veuves ont une grande capacité daction21. Même sil y a un poids réel du lignage, quincarnent ces grandes familles, centrées autour dun chef de famille autoritaire et respecté, que sont les Frey ou les Lannister 22, ce qui compte avant tout, cest la famille, et en particulier le lien fraternel, qui est véritablement

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lépine dorsale de la série. À Westeros, on ne connaît pas la famille élargie, cette familia aristocratique qui unit dans un même mouvement le seigneur, ses parents, ses amis et ses dépendants les plus proches23. Il ny a guère quà Winterfell que lon voit des dépendants (ser Rodrick, maester Luwyn, Jory Cassel) évoluer au plus près du noyau familial et constituer ce qui se rapproche dune mesnie médiévale. Si la famille nest ainsi guère médiévale, lémotivité des personnages ne lest pas du tout : on tombe amoureux, on porte le deuil de ses proches en revêtant des habits noirs24, on aime ses frères et sœurs. On ne pleure guère, alors que les sources médiévales sont pleines de chevaliers qui passent leur temps à pleurer25. On a ici de toute évidence un effet dépoque : les larmes sont vues aujourdhui comme une faiblesse26, et sont dès lors réservées dans cette société aux femmes, comme Sansa Stark, et interdites aux guerriers : qui imagine Tywin Lannister en train de pleurer ? Un chevalier médiéval transporté à Westeros reconnaîtrait ainsi lunivers mais aurait du mal à y évoluer. Il saurait à qui obéir et à qui commander, mais il ne saurait pas forcément comment le faire, tant Martin – et, à sa suite, les producteurs de la série – greffe des structures politiques médiévales sur des réalités sociales contemporaines.

Ce monde est aussi un monde violent. Anne Besson souligne avec justesse que cette violence est au cœur dune nouvelle représentation du Moyen Âge27, que la série de Martin contribue puissamment à imposer. Westeros est médiévale parce que seuls les guerriers y agissent, on la dit, mais, plus encore, parce que leurs actions sont violentes. On y livre des tournois, pour samuser, et des duels judiciaires, pour se justifier28. La prouesse guerrière est au cœur de lidentité aristocratique : Jaime

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Lannister doit se recréer une nouvelle personnalité après avoir perdu sa « main dépée ». Une violence multiforme : on tue, on assassine, on viole, on torture. La devise des Targaryen, « Fire and Blood », serait le symbole de ce Moyen Âge frappé au coin de la violence. Une violence qui est aussi, très probablement, au cœur du succès de la série : Anne Besson parle ainsi dun rapport jubilatoire à cette sauvagerie qui nest plus la nôtre. Loin de critiquer cette violence omniprésente, il nous semble au contraire que la série rend ici justice à la société médiévale. Certes, il y a beaucoup de violence, mais celle-ci nest jamais gratuite, ni première ; elle nest jamais une pulsion, mais toujours une décision. On voit bien par exemple que lexécution dEddard Stark par Joffrey est une erreur, une faute politique qui va coûter cher aux Lannister. A contrario dune représentation plus insidieuse qui présente la violence médiévale comme étant naturelle, Martin insiste sur le fait quelle est toujours apprise, autrement dit socialisée : dès le premier chapitre du premier tome, on voit ainsi Ned Stark amener son jeune fils Brandon à une exécution publique pour quil sy habitue29. Autrement dit, A Song of Ice and Fire dépeint certes un monde violent, mais la violence y est toujours codifiée et normée : les Frey perdent tout honneur après avoir violé la règle de lhospitalité lors des Noces Pourpres. Autrement dit, et cest à notre avis une évolution importante et positive, la violence médiévale nest plus vue comme étant « débridée », « déchaînée » : il ny a plus danarchie féodale, mais au contraire un « ordre seigneurial30 » dans lequel la violence est toujours politique31.

On la souvent dit, et nous ne dirons pas autre chose ici : le Moyen Âge de Game of Thrones, cest celui du xive siècle32. Mais à partir de ce

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constat, se multiplient les décalages et les glissements. Martin greffe en effet des éléments venus de plusieurs époques : les Dothrakis sont des avatars des Mongols, Khal Drogo jouant comme un autre Gengis Khan33, donc un élément venu du xiiie siècle ; ces Mongols côtoient, dans le tome 5, la Compagnie Dorée, une compagnie de mercenaires typique du xve siècle, voire du xvie siècle. Les « Unsullied » de Daenerys quant à eux font penser à la fois à des phalanges spartiates et à des janissaires ottomans ; Tyrion brûle la flotte de Stannis avec du feu grégeois, ce qui peut faire penser au siège de Constantinople par les armées arabes en 678 et 718. Contrastant avec ces mélanges, les techniques de combat semblent étrangement figées dans le temps : la cavalerie est de toute évidence la reine des batailles, et les fantassins ne jouent jamais un rôle-clé – on est loin de Crécy où les archers du roi dAngleterre décidèrent du sort de la bataille34. On peut faire les mêmes remarques pour les fortifications : Kings Landing, pourtant la capitale du royaume, ferait ainsi tiquer nimporte quel archéologue médiéviste, puisquelle unit dimposants remparts de pierre35… et une absence de fossé défensif, ce qui permet aux troupes de Stannis de venir littéralement frapper à la porte. Heureusement pour les Lannister que les techniques poliorcétiques sont elles aussi rudimentaires, Stannis – pourtant un chef de guerre aguerri – ne déployant que quelques échelles et un bélier pour prendre la ville36

Plus encore que ces glissements ou ces incohérences, cest le degré même de la violence qui pose problème au médiéviste. La guerre entre les Stark et les Lannister commence pour une raison simple : il sagit pour les premiers de venger lexécution de Ned. On reconnaît là le schéma de la faide, cette justice vindicative qui structure en profondeur la société

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féodale37. Si le mécanisme du conflit est ainsi typique des xe-xiie siècles, son intensité, sa dureté, sa violence, le nombre de combattants mobilisés38, renvoient davantage aux grands affrontements des xive et xve siècles, comme la Guerre de Cent Ans ou plus encore la Guerre des Deux Roses, qui fournit véritablement la trame de lintrigue de Martin39. Car dans les batailles de lépoque féodale, on se tue peu : la bataille de la Brémule, en 1119, oppose ainsi neuf cent chevaliers, et ne cause, selon Orderic Vital, que trois morts40. Cest là lune des différences essentielles entre notre Moyen Âge et celui de Martin. « When you play the game of thrones, you win, or you die » explique Cersei à Ned Stark41 : non seulement bien peu de nobles du Moyen Âge auraient pu, vu leur position sociale, jouer à ce jeu des trônes, mais surtout les perdants ne mouraient que rarement. Dominique Barthélemy a ainsi pu parler de « viscosité féodale » pour décrire cette société dans laquelle la moindre avancée dun joueur suscite immédiatement une série de contre-poussées visant à rétablir léquilibre42. Au contraire, à Westeros, et il sagit ici évidemment dun enjeu narratif, nimporte qui peut gagner, et nimporte qui peut mourir.

Si les conflits qui déchirent Westeros sont à ce point violents, cest aussi parce quil ny existe pas ces médiateurs professionnels quont été les clercs, toujours prompts à sinterposer, à pousser à la réconciliation, à repriser le tissu social. En effet, notre chevalier plongé dans Westeros serait profondément perturbé par labsence de lÉglise. Les septons, prêtres pour le moins discrets, les septas, sortes de nonnes jouant le rôle de

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préceptrices auprès des jeunes filles nobles, les Sœurs du Silence enfin, en charge de lenterrement des défunts, ne correspondent que mal au clergé médiéval. Finalement, cest la Garde de Nuit, avec son ouverture à toutes les classes sociales et son serment de chasteté, de pauvreté, de désintérêt du monde (du siècle, diraient nos sources médiévales) et de service à vie, qui sapparenterait le plus à un ordre monastique, ce que symbolise aussi le port dune même couleur, le noir. Les frères de la Garde de Nuit, tels des Templiers, montent la garde sur le Mur, lépée à la main, tout comme les frères de la Garde Royale, sept chevaliers vêtus de blanc qui jouent clairement comme un écho des chevaliers de la Table Ronde43, protègent le roi. À part ces éléments, pas ou peu de clergé, donc. Même les « maesters », contrôlant lécrit, en charge du courrier et maîtrisant les arts médicaux, nont quun rôle de serviteur, au mieux de conseillers. Ce vide de clergé frappe évidemment le médiéviste : est-il besoin de rappeler le rôle-clé joué par lÉglise dans lhistoire du Moyen Âge occidental44 ? Celle-ci a su encadrer les populations, tisser un réseau de rites, de signes et dinterdits qui a profondément structuré la société occidentale et continue à définir la nôtre ; elle a inventé un temps chrétien45, participé activement à la vie économique46, joué un rôle-clé dans la structuration des grands lignages dynastiques47 ; elle a monopolisé la culture et le savoir, elle a pensé le pouvoir, et elle sest elle-même construite comme une institution centralisée, capable de rivaliser avec les empereurs, lors de la Querelle des Investitures, et dinspirer les rois48. Le roi des Sept Royaumes se présente

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comme « Protector of the Realm » : or Michel Foucault soulignait à quel point cétait le pastorat, cette forme de gouvernement sur les hommes pensé sur le modèle du berger encadrant son troupeau, qui avait pu jouer comme la matrice de la gouvernementalité moderne49.

À Westeros, le dominium lemporte de loin sur lEcclesia, alors que les recherches les plus récentes, à la suite notamment des remarques dAlain Guerreau50, font de cette dernière linstitution dominante de la société féodale. Martin crée ainsi quelque chose daberrant, mais aussi de fascinant pour tout médiéviste : un Moyen Âge occidental sans Église, autrement dit une Europe médiévale qui ne se définit pas comme Chrétienté. On peut y voir le poids du genre : la religion est souvent absente dans la fantasy51, et Martin néchappe pas à la règle, même sil sait inventer des dieux et des panthéons très divers. On peut aussi y voir le poids de la sécularisation, de cette sortie des religions quanalysait bien Marcel Gauchet52, qui conduirait lauteur à minorer, voire à oublier, le rôle joué par lÉglise dans les sociétés dhier. Les tomes 4 et 5, avec son Grand Septon arrogant et ambitieux, jugeant les reines, imposant une humiliante pénitence publique à Cersei Lannister, recréant une armée ecclésiastique qui mobilise limaginaire de la croisade53, jouerait ainsi comme un tardif remords de Martin, mais pourrait aussi témoigner du « retour du religieux » dans la sphère politique et sociale contemporaine.

Sous-estimer ainsi limportance de lÉglise, cest forcément passer, au moins en partie, à côté du Moyen Âge des médiévistes. Car sil y a une constante entre le ve siècle et le xvie siècle, bornes traditionnelles du Moyen Âge, cest bien dans le rôle structurant et central de lÉglise. Dans un essai récent54, Joseph Morsel montrait ainsi comment lÉglise

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avait construit le monde social contemporain, en promouvant une déparentalisation, puis une spatialisation du social : notre rapport à lespace est celui qua construit lÉglise médiévale. On peut dès lors se pencher sur la représentation de lespace dans la série de Martin.

Territoires

La géographie de A Song of Ice and Fire reprend de manière assez saisissante le modèle cartographique qui prévaut jusquaux xiie-xiiie siècles dans lOccident médiéval : la carte dite du « T dans lO » (ou Terrarum Orbis)55. La représentation du monde connu figure trois continents (lAsie, lEurope et lAfrique) qui sont situés de part et dautre de barres verticale et horizontale formant un T, le tout étant inscrit dans un cercle (le O), entouré par un Océan circulaire et bordé dîles. Dans lunivers de Game of Thrones, lœkoumène se divise également en trois continents : Westeros (lEurope, et en particulier lAngleterre), Essos (lAsie, ou peut-être lEurasie) et Sothoryos (lAfrique). Comme sur les cartes médiévales dites « T dans lO », sur lesquelles la hampe du T représente la Méditerranée et les deux autres branches du T, le Don et le Nil, les terres émergées sont séparées par trois mers intermédiaires, « Narrow Sea », « Summer Sea » et « Jade Sea ». Cette géographie climatique suit un gradient nord-sud strict, entre un désert polaire froid au nord et un climat méditerranéen voire tropical au sud. Au milieu règne un climat tempéré : « Riverlands », « the Vale of Arryn », « the Crownlands »… Leau, les terres fertiles et les forêts y sont abondantes. À lextrême sud de Westeros, la péninsule de Dorne est une contrée aride, balayée par le sirocco. La toponymie exprime très souvent des réalités climatiques : ainsi, la « mer grelottante » (« Shivering Sea »), au nord, les terres arides du sud-est dEssos dénommées « Red Waste ». Les saisons, qui

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rythment la temporalité binaire de Westeros, sont elles aussi ancrées dans la toponymie : « Summer Sea », « Winterfell »… Comme dans la géographie symbolique médiévale, les extrêmes climatiques sont rejetés en périphérie tandis quau centre prédomine la tempérance, léquilibre. Si la carte dessinée par Martin reprend le modèle du « T dans lO », elle nest pas « orientée », au sens étymologique du terme : alors que les planisphères médiévaux présentent souvent lest en haut de la carte, avec pour point de référence Jérusalem, larche de Noé ou le Paradis, souvent localisés en Orient, le monde de Game of Thrones est polarisé par le Nord – comme le sont les cartes ptolémaïques et nos mappemondes actuelles ! Cette différence dorientation du planisphère va de pair avec labsence de références chrétiennes dans lunivers de Martin : aucune ville ny revêt la fonction que joue Jérusalem pour lOccident médiéval ; on ny croise aucun pèlerin en route pour une ville sainte telle que le sont Jérusalem, Rome, Cantorbéry ou Saint-Jacques-de-Compostelle pour les hommes du Moyen Âge.

En revanche, aux côtés déléments bibliques, les cartographes médiévaux ont dessiné aussi des créatures légendaires, mythologiques, fantastiques, aux marges du monde connu. Ces mirabilia – cynocéphales, sciapodes, amazones, anthropophages56 – peuplent les confins du monde, lExtrême-Orient et les confins terrestres. Dans Game of Thrones, les « Wildlings », « Giants », « Others » et « Direwolfs » du Nord – région du reste non cartographiée – séparés de la civilisation par le Mur, en sont des avatars évidents. Au nord, dans lîle de Skagos, où lon peut rencontrer des licornes57, les habitants passent pour cannibales. À lextrême sud dEssos, sétendent les « Shadow Lands » doù proviendraient les œufs de dragon offerts à Daenerys. Contrées mystérieuses, où le nom des « Manticore Isles » connote sans doute la présence de ces créatures que lon rencontre dans quelques bestiaires médiévaux – Yi-Ti abriterait des basilics ; il nest pas étonnant que Mélisandre, lensorceleuse dombres, soit originaire de sa capitale, « Ashaii-by-the-Shadow ». Curieusement, le monde de Martin ne semble jamais envisager lexistence dantipodes,

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alors quelle constitue pour certains penseurs médiévaux comme Ramon Llull (1232-1315) lune des conséquences de la rotondité de la Terre : lidée que des sociétés méconnues puissent peupler un quatrième continent dans un autre hémisphère est absente de la géographie de la série. Dès lors, la Terre de Game of Thrones est-elle sphérique ? La cosmologie en est également imprécise : si lon a bien affaire à un monde sublunaire (« Mountains of the Moon », « Gates of the Moon »), il est difficile de déterminer si sa cosmologie obéit, comme au Moyen Âge, à un principe géocentrique. Dans le cadre dune géographie orientée par un gradient Nord-Sud, « Beyond the Wall » incarne particulièrement la notion de « confins », de frontière ultime au-delà de laquelle règnent les abysses. Dans Game of Thrones, le monde est un univers clos, fini, conforme à la manière dont limaginaire collectif contemporain se représente la cartographie médiévale : une Terre plate, un disque, dont les médiévaux se seraient représentés les bords comme un abîme peuplé de monstres et au-delà duquel ils sombreraient dans le néant58. Si les abysses de Westeros ne sont pas maritimes, la hauteur vertigineuse du Mur (environ 200 mètres de haut) figure bien cette idée de chute ; et Tyrion Lannister de déclarer : « I just want to stand on top of the Wall and piss of the edge of the world59. »

Dans lunivers de Martin, lOrient concentre tout ce que limaginaire collectif médiéval lui associait60 : cest le territoire de labondance, de lor et de la soie, du jade et des épices… La riche ville portuaire de Qarth regorge de produits de luxe. Mais cest aussi le territoire où survivent des sociétés esclavagistes. On découvre ainsi sur la côte orientale de la « Slavers Bay » les cités esclavagistes dAstapor, dont Meereen et Yunkaï. Cruauté et débauche caractérisent ces barbares nomades que sont les Dothrakis, venus de lEst : ils sont, au sens grec du terme,

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ceux dont on ne comprend pas la langue, des barbaroi. Dans le premier tome, Daenerys Targaryen dit de Drogo quil « ne parle pas la langue commune », la langue du monde civilisé de Westeros61. Par certaines images, la série renvoie aussi à la manière dont nous nous représentons des temps beaucoup plus archaïques, voire immémoriaux – dans un monde minéralisé et nu, où la roche se confronte directement à la mer, comme dans le monde archaïque de la Médée de Pier Paolo Pasolini. Lors de sa première apparition dans la série, Khal Drogo rappelle presque un centaure et réactive dans lesprit du spectateur un imaginaire puisé aux sources de la mythologie grecque.

Ces cartes médiévales auxquelles font écho à la cartographie de Martin nont bien sûr pas une visée réaliste : la mappemonde médiévale a pour fonction de proposer une lecture ordonnée et hiérarchisée du monde. Ainsi, la carte de Game of Thrones spatialise des éléments temporels, historiques, et concentre finalement sur un même planisphère des moments différents, empruntés aussi bien à la période médiévale quà des périodes antérieures de lhistoire. Au-delà du Mur, il y a des mammouths : symbole parfait que ce qui est pour nous dun temps davant est transposé dans un espace dailleurs. Espace aux frontières nettes, le monde de Martin se caractérise par des territoires bien individualisés et immédiatement identifiables par le spectateur, et dont les paysages très contrastés ne sont pas sans évoquer un plateau de jeu de société. Cest dailleurs, évidemment, ce que met en scène le célèbre générique de la série. À Essos, lunivers ressemble tantôt à celui de cités grecques antiques, telle Braavos dont le Titan nest pas sans rappeler le Colosse de Rhodes62, tantôt aux communes italiennes des xiie-xive siècles (« the Free Cities », cités-États indépendantes). Le cœur de Westeros se rattacherait plutôt à lépoque féodale, caractérisée par un (très relatif) morcellement territorial : très relatif en effet, car un médiéviste serait étonné par lunicité de chaque principauté63 là où la seigneurie médiévale nétait pas souvent dun seul tenant mais comprenait plusieurs territoires épars.

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Le concept même de frontière est bien sûr une construction historique, qui nacquiert son sens de limite spatiale quà la fin du xviie siècle64.

Ce monde féodal se voit ainsi doté de frontières très contemporaines : plus généralement, cest lensemble du sens des personnages à lespace qui est à interroger. On peut voir ainsi Robb Stark penché sur ses cartes pour préparer son plan de bataille65 : cest là une image qui nous est familière, celle du stratège déplaçant ses pions sur une carte, mais elle est en fait très contemporaine. De même, pour négocier avec les Lannister, Robb fait faire une carte représentant les nouvelles frontières de son royaume66 : encore une image qui nous semble évidente tant nous associons la politique aux cartes et aux frontières, mais qui nest en rien médiévale. Des cartes décorent les murs des demeures nobles67 ; Arya vole une carte pour se repérer lorsquelle fuit Harrenhal68. Les cartes sont ainsi dun réalisme étonnant et dune précision anachronique pour le médiéviste : en effet, les premières tentatives détablir des cartes réalistes ne remontent quau xiiie siècle pour les portulans, et au xve siècle pour les cartes terrestres. Bref, il y a trop de cartes, qui sont trop bien utilisées par tous les personnages : alors quon a souvent souligné que le roi de France ne pouvait que mal se représenter son royaume69, Stannis possède, à Dragonstone, une immense table peinte à limage des Sept Royaumes70. Un artefact qui renvoie à une appréhension à petite échelle de lespace, à une capacité dabstraction, de maîtrise du territoire, qui nest pas médiévale71. Cette omniprésence des représentations graphiques de lespace ne colle pas avec dautres indices :

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le roi de Westeros se présente toujours comme « king of the Andals and the Rhoynar and the First Men72 », son pouvoir reposant sur des peuples et pas sur des territoires. Il faut rappeler que le passage du « roi des Francs » au « roi de France », du peuple à lespace, se fait précisément au moment où le souverain commence à se représenter son royaume73 : la carte nest pas seulement un outil, elle renvoie à une représentation et à une organisation du monde. La carte est un langage que toutes les civilisations ou époques nont pas parlé. Dans un monde médiéval, Martin implante donc un rapport contemporain à lespace.

Ainsi, la cartographie de Game of Thrones réalise donc une sorte de synthèse entre une cartographie plutôt symbolique et chrétienne du monde connu, « orientée », qui prévaut en Occident jusquau xiie siècle, et des cartes plus réalistes, celles qui sont dessinées en Occident plutôt aux xive-xve siècles, grâce à la redécouverte de la géographie ptolémaïque et aux récits de voyageurs comme Marco Polo ou Jean de Mandeville. Comme les cartes médiévales, qui peuvent localiser aussi bien larche de Noé quAlexandre le Grand, la carte de Martin combine histoire et géographie, en spatialisant des éléments temporels : le Mur incarne dans lespace la frontière temporelle entre le progrès de la civilisation (lÉté) et le déclin (lHiver). Et par là, ces cartes symboliques invitent à la méditation : méditation sur le salut et la rédemption pour lhomme médiéval, sur le temps et larrivée de lhiver pour lhomme de Game of Thrones. Du rapport à lespace, on en vient donc logiquement à sinterroger sur le rapport au temps.

Histoires

Dans A Song of Ice and Fire, Martin reprend, en le transformant, le projet de Tolkien de créer un monde cohérent avec son histoire, sa langue, ses légendes et sa littérature. Ici, laccent est déplacé sur les intrigues, les familles et lhistoire politique à proprement parler. Cette profondeur

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historique est bien visible dans le cycle littéraire. Lhistoire de Westeros telle quelle est développée par Martin repose sur plusieurs supports : la mémoire familiale des grands lignages de Westeros ; les souvenirs des différents protagonistes ayant vécu divers épisodes historiques ; les contes et légendes, les mythes transmis oralement aux enfants ou mis par écrit. Pas de chroniques comparables aux grandes chroniques médiévales, mais des récits littéraires et des chansons courtoises mettant en scène rois, princes et chevaliers des Sept Royaumes, à limage des livres dhistoires de la fille de Stannis, Shireen74, ou des chants que Sansa garde en mémoire75 ; on trouve également des compilations des généalogies des familles, comme le livre que le Grand Maester Pycelle transmet à Jon Arryn avant que celui-ci ne soit empoisonné76. Au mieux, on voit Samwell Tarly fouiller dans les archives77, puis dans les annales de la Garde de Nuit78. Lhistoire que lon découvre alors oscille entre la généalogie et la poésie chantée des trouvères et troubadours. Elle se compose des hauts faits des seigneurs du royaume, que ce soient leurs amours, leurs prouesses guerrières ou leur succession. Mais sur une plus longue durée, lhistoire de Westeros est scandée par les successions de peuples, les invasions, les dynasties et enfin les souverains qui y règnent. Petit à petit, on voit apparaître limage dune terre peuplée dabord par les « Children of the forest » qui furent repoussés par les « First Men » au nord du Mur. Ceux-ci furent ensuite défaits par les « Andals » venus dOrient, à lexception du royaume du Nord sous la domination des

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Stark79. Un changement politique majeur intervient avec la conquête des Targaryen, dont la domination dura 280 ans pour céder la place à Robert Baratheon, « The Usurper ». Une histoire politique troublée donc, et dont lauteur dévoile les péripéties au fur et à mesure du déroulement de lintrigue. Lhistoire de Westeros ne semble être que politique.

En effet, lhistoire semble étonnamment immobile, ou du moins lente, à nos yeux dhistoriens habitués à chercher les évolutions des sociétés historiques. Les évolutions des structures politiques et sociales sont quasi-inexistantes depuis larrivée des « Andals » à Westeros. Les familles des Sept Royaumes sont étonnamment stables depuis cette même invasion, et même depuis les « First Men » dans le cas des Stark qui règnent sur le Nord depuis des milliers dannées80 : quelle grande famille européenne peut, au Moyen Âge, en dire autant ? Il ny a pas, ou presque, dévolution du point de vue de lurbanisme, de loccupation des terres. Les changements économiques ne sont pas visibles, de même que les changements dans la composition de la société. Enfin, aucune innovation technique napparaît à léchelle dune vie humaine : le Moyen Âge de Game of Thrones est un monde non mécanisé, pré-technologique.

La question de lhistoricité de ce monde est en elle-même problématique. Il y a une profondeur historique, mais les rythmes et les mécanismes historiques sont bien différents de ceux que lon connaît dans le monde réel. Ce que lon observe ici, cest une histoire dune extrême lenteur : les derniers bouleversements sociaux et techniques remontent aux invasions des « Andals » qui servent de facteur explicatif pour le caractère « médiéval » du monde dans lequel se déroule lhistoire. Ils auraient apporté dOrient la chevalerie ainsi que la religion des Sept81. Mais depuis plus de 6 000 ans, mises à part les alternances politiques et les diverses prises de pouvoir, la physionomie globale de la société reste inchangée : des seigneurs, entourés de chevaliers, et une population globalement rurale, si on excepte un maillage assez lâche de villes. Les nouveautés ne sont que des retours : les dragons reviennent, la magie réapparaît, et Asha Greyjoy peut significativement déclarer, au sujet du « kingsmoot » qui doit couronner le nouveau roi : « this is something

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new… or rather, something very old82 ». Les évolutions historiques, quand elles ont lieu, se déroulent avec la rapidité dune invasion-éclair ; dans les périodes intermédiaires, le rythme redevient lent. Les institutions restent inchangées pendant des millénaires : la Garde de Nuit et le Mur existent ainsi depuis des milliers dannées83 : or quelle institution dans lhistoire résiste à des milliers dannées ? Cette inertie trouve finalement sa meilleure illustration dans la très lente ronde des saisons, puisque celles-ci peuvent durer plusieurs années (lhistoire souvre sur la fin dun été qui a duré dix ans) : symbole même dun monde qui tourne au ralenti, dans lequel lhistoire va moins vite84.

Limmobilité des structures sociales est bien visible dans le cas de lhistoire sociale urbaine de Westeros. Les villes occupent une place importante dans lhistoire de A Song of Ice and Fire et servent largement de décor dans Game of Thrones. La plus importante est celle de Kings Landing qui est mise en valeur dans le générique de la série, dont de nombreux quartiers sont montrés et qui fait également lobjet de vues aériennes fréquentes. La ville est immense et conçue pour inspirer ladmiration et létonnement. Selon lhistoire de Westeros, elle aurait été fondée par Aegon le Conquérant à lendroit où il avait débarqué ; après la conquête, il décide den faire sa capitale85. La cité semble donc avoir été créée de toute pièce ; pourtant, à lépoque de lintrigue, sa population compte 500 000 habitants86, chiffre considérable au regard des standards médiévaux. À titre de comparaison, Paris, lune des villes

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les plus peuplées de la chrétienté occidentale, ne compte pas plus de 250 000 habitants au xive siècle87.

Au regard de lurbanisation médiévale, même une fondation royale ne se développe pas avec une telle ampleur sans un phénomène de fond qui lentretient. Si la ville antique, à limage de Rome, était un lieu de consommation vivant sur les produits des provinces, la ville médiévale au contraire sest construite comme un lieu de commerce et de production, à travers le développement de lartisanat urbain et des mécanismes commerciaux88. Le développement des villes médiévales sappuie ainsi sur le rôle de marché quelles jouent pour leur environnement immédiat, à limage du contado des communes italiennes, et sur le développement dactivités de transformation. La ville médiévale est ainsi le réceptacle de populations rurales venant commercer et sinstaller dans ce lieu moteur de léconomie régionale ; elle est de ce fait le lieu dinnovations sociales, qui compliquent le schéma des trois ordres89. À partir des xiiie et surtout xive et xve siècles, on a au contraire lémergence dune nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, qui senrichit par ses activités artisanales et surtout commerciales, et possède un poids politique croissant dans les cités. Le dernier ouvrage en date de Jean Favier sur les bourgeois de Paris montre bien comment lurbanisation et le développement de la capitale se sont faits en lien avec laffirmation dun nouveau groupe social, actif dans des secteurs aussi divers que le commerce, les finances et la politique90.

Or, qui habite Kings Landing ? En dehors de la cour, limage qui nous est donnée tant dans les livres que dans la série est plutôt limage dhabitants relativement pauvres, actifs dans le commerce de proximité

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comme les boulangeries, les prostituées et le commerce des armes91 ; on nous parle à loccasion dune guilde des marchands92, mais ceux-ci semblent étonnamment peu présents. Les artisans, mis à part les armuriers qui ont une importance évidente pour lintrigue, sont rarement mentionnés. Leur richesse semble très réduite et leur importance politique inexistante à Westeros. Ils nont pas de statut comparable à celui de bourgeois de la ville, qui leur accorderait des droits spécifiques et une reconnaissance sociale. Les choses sont un peu différentes dans les Cités Libres, où par contre les marchands ont accumulé une richesse considérable et ont un rôle politique majeur, sur le modèle évident des communes italiennes. On a ainsi lexemple de Braavos qui est une ville de canaux et de marchands, descrimeurs et dassassins, rappelant étrangement Venise à la fin du Moyen Âge et à lépoque moderne ; Syrio, le maître de danse braavosi dArya a également un singulier accent italien dans la série93.

Par contraste, limage de Kings Landing est celle dune ville créée par volonté politique, pour asseoir une domination dynastique nouvelle. Le principe même dune capitale créée de toute pièce est inenvisageable pour le Moyen Âge occidental : le pouvoir dérive de processus de long terme, dune assise territoriale et des structures sociales de la ville même, quand on pense à la prise de pouvoirs des princes italiens sur les communes au cours des xive et xve siècles. Cette création ex nihilo souligne bien que les villes de Westeros existent indépendamment de tout phénomène social et économique de fond, qui pourtant est indispensable à la pérennité des fondations urbaines.

Il serait certainement de mauvaise foi que de considérer quil ny a aucun changement historique dans lunivers construit par George R. R. Martin. Mais lun des seuls que nous puissions observer directement dans les temps qui nous sont décrits, tant dans lœuvre littéraire que dans la série, repose sur la religion. Larrivée des « New Gods » apportés par les « Andals » nest pas vue comme un problème en soi : le Nord garde ses « Old Gods » ; le reste des Sept Royaume vénère les « New Gods », mélange de Trinité chrétienne et de polythéisme romain :

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les sept divinités correspondent à peu de choses près aux divinités les plus importantes du Panthéon gréco-romain94 mais représentent en réalité les différentes facettes dun seul Dieu95. La cohabitation paisible des différentes religions nest pas simplement due au fait quelles ont des territoires bien délimités, puisque lon trouve également un « Gods Wood », sanctuaire des « Old Gods », à Kings Landing, où les « New Gods » dominent. La situation rappelle la cohabitation des sectes dans lEmpire romain. La comparaison prend tout son sens avec lélément perturbateur que représente lintroduction de Rhllor ou « Lord of Light » par lintermédiaire de la prêtresse rouge, Mélisandre dAsshaï. Le prosélytisme, phénomène nouveau à Westeros, est bien représenté par Mélisandre et liconoclasme parfois violent qui laccompagne : le Seigneur de la lumière ne supporte pas la cohabitation avec les autres fausses religions. Cette rhétorique de lerreur et de la « vraie religion » est un écho direct à lintroduction du christianisme dans lEmpire romain qui, contrairement aux autres sectes présentes à la même époque, prétendait détenir la seule vérité96 ; son universalisme posait un problème politique ; de même, la conversion de Stannis pose un problème politique, notamment pour ses propres partisans, à limage des hésitations de Davos Seaworth.

Lintroduction de cet élément perturbateur transforme les structures religieuses de certaines parties de Westeros, en particulier autour de Dragonstone, le siège de Stannis. Mais mis à part cet élément, les évolutions sociales, culturelles ou techniques sont rarement visibles. On observe davantage une superposition de strates historiques pêle-mêle ou une division géographique, là où la réalité historique opère plutôt une division chronologique. Lailleurs remplace lautrefois, le géographique

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se substitue au diachronique97. Dans le même temps coexistent, à des distances finalement assez faibles, des cités esclavagistes à lapparence plutôt antique ; des hordes de Dothraki qui rappellent les Mongols ; des cités libres comme Pentos qui rappellent les communes italiennes des xiiie et xive siècles, vivant du commerce et dirigées par un conseil des grandes familles ; les « Ironborn » des « Iron Islands » qui rappellent les royaumes vikings des viiie-xie siècles ; et enfin une monarchie en construction dont le siège est à Kings Landing mais a vocation à asseoir sa domination sur les Sept Royaumes, ce qui se rapproche de la mise en place des monarchies françaises et anglaise au xve siècle contre les velléités des princes régionaux, la Bourgogne dans le cadre de la France notamment. Ce sont des images historiques très fortes et stéréotypées qui coexistent ici. Elles renvoient à des réalités qui, historiquement, ont pris place parfois dans des lieux, mais surtout dans des temps différents, alors quelles sont contemporaines ici.

Cette superposition se marque visuellement dans la série Game of Thrones par les éléments de décor qui mélangent bien souvent des éléments dépoque très diverses. À Pentos, de lautre côté de la « Narrow Sea », le palais dans lequel vivent Daenerys et Viserys rappelle larchitecture renaissante voire néo-classique. La façade du palais est richement décorée de bas-reliefs floraux et végétaux ; les jardins sont décorés de vases rappelant les imitations néo-classiques des céramiques grecques. Pour autant, la fresque ornant le bain de Daenerys est dune facture assez rudimentaire rappelant davantage les conventions picturales du xive siècle98. Les vues de Kings Landing font écho aux vues de Constantinople, en particulier avec les tours rappelant celles de Sainte-Sophie ; la salle du trône quant à elle reprend davantage déléments romans, même si son aspect très décoratif pourrait rappeler certaines caractéristiques du gothique international. Enfin, à Winterfell, larchitecture du château en lui-même est assez difficile à caractériser mais un élément artistique retient lattention : la statue de Lyanna Stark dans la crypte, qui rappelle

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les sculptures des façades déglise de lépoque gothique, notamment allemande99.

Tout se passe comme si on avait condensé une série dexpériences politiques, sociales et artistiques différentes, qui se sont déroulées dans un long Moyen Âge qui sétend parfois de lAntiquité jusquau début de lépoque moderne, et qui reprennent des distinctions géographiques plus ou moins figées : les cités-États et lesclavagisme au Sud, les royaumes maritimes au Nord. Il sagit dun resserrement de lhistoire dans une époque et un espace plus restreints ; la variété des emprunts permet une diversité dans un monde qui présente peu dévolutions en lui-même.

Ce nest pas, de la part des créateurs et des auteurs de ces œuvres, une simple incohérence historique ou un oubli des mécanismes sociaux, que lhistorien aurait beau jeu de souligner dun point de vue surplombant. Lhistoire de ce monde dinspiration médiévale est en elle-même très significative de limage du Moyen Âge qui nous est proposée à travers A Song of Ice and Fire. Certes, George R. R. Martin reprend le « lexique visuel » bien connu du public pour recréer la « couleur locale100 » dun « Moyen Âge secondaire » composé de « princesses, de monstres, de chevaliers, de rois barbares aux cheveux longs101 ». Mais son image du Moyen Âge va au-delà de cette simple mise en scène frappante et reconnaissable. On retrouve ici un Moyen Âge immobile quil est possible de condenser en quelques années et en quelques lieux symptomatiques, qui correspondent à autant dimages dÉpinal de limaginaire collectif sur le Moyen Âge102.

Un monde sans évolution, un monde clos également, à limage du Mur qui forme la barrière du « monde civilisé », et à limage des cartes, tant celles qui accompagnent les livres de Martin que celle, animée, qui forme le générique de la série : il sagit dun « petit » monde, qui ne connaît que ses environs immédiats, dont les espaces à lest sont inconnus et les espaces à louest inexistants… pour linstant. Il sagit

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du monde fermé et restreint davant la découverte de lAmérique par les Occidentaux, qui agit comme un multiplicateur dhorizons et justifie souvent lutilisation de cette date pour clore le Moyen Âge. Après que Christophe Colomb pose son pied sur le sol américain, le monde peut connaître des changements majeurs et sortir du sommeil dans lequel il était plongé durant toute lépoque médiévale. Le Moyen Âge de Game of Thrones nest donc pas traité comme période historique avec ses mécanismes, ses évolutions et ses transformations, mais comme un réservoir de formes exotiques. La compatibilité de ces formes issues de lieux et dépoque diverses suppose implicitement leur appartenance commune à un monde qui névolue quà la marge. Il est dailleurs significatif que lévolution sociale majeure introduite par les « Andals » soit justement le fruit dune invasion, donc dun élément violent extérieur, et non dune évolution interne : le monde pré-moderne est soumis à des éléments perturbateurs qui viennent des autres mondes mais ne se transforme pas de lui-même – monde stable, monde ordonné, monde immobile. Martin reprend finalement notre conception occidentale de lhistoire pensée en termes de progrès, qui pose le Moyen Âge comme le « temps davant », avant limprimerie, avant lÉtat, avant les Grandes Découvertes, un temps où lévolution nexiste pas.

Conclusion

La série de George R. R. Martin fusionne ainsi diverses temporalités, en sorte que son monde imaginaire est un concentré, au sens chimique, de Moyen Âge. Martin pioche ainsi dans plusieurs moments médiévaux pour composer un monde qui du coup nous est forcément familier. Cest peut-être là, dailleurs, une partie de la raison du succès de la série : elle offre au lecteur/spectateur plusieurs Moyen Âge, en sorte que chacun y reconnaît le sien. Westeros contient à la fois le Moyen Âge dArthur et celui de Robin des Bois, le Moyen Âge féodal du xie siècle, tissé de faides et de négociations entre grandes familles, et le Moyen Âge monarchique du xve siècle, parcouru de grands conflits, étatiques déjà, nationaux

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bientôt. Un Moyen Âge kaléidoscope103 donc, ce qui permet ainsi à chacun de reconnaître au moins un élément, et donc, forcément, de sy reconnaître. Dans ces mélanges qui ne tournent jamais au patchwork, cest clairement le haut Moyen Âge qui disparaît complètement : on passe de lempire de Valyria à ce monde féodal, sans transitions – ce qui est dommage, vu la richesse de cette période souvent négligée104.

Si le réalisme de la série est unanimement salué, cest ainsi parce que Martin sait, avec talent, fondre ensemble plusieurs réels. Cette fusion de strates temporelles, qui nest pas sans présenter parfois de véritables contradictions, doit être expliquée et analysée : à lheure où une grande majorité du public, et notamment des étudiants, découvrent le Moyen Âge à travers Game of Thrones, le risque est que cette fusion devienne confusion.

Le médiéviste doit dès lors rappeler trois choses. Tout dabord, face à labsence de lÉglise et du clergé dans Westeros, il faut rappeler leur rôle absolument fondamental dans lhistoire de lOccident médiéval, au cœur de la production culturelle, de la structuration sociale, et de la vie politique, et faire comprendre que le Moyen Âge se joue au moins autant sur les champs des batailles que dans les grands monastères, et que les manuscrits enluminés en sont un symbole à part entière, au même titre que lépée. Ensuite, il faut souligner à quel point le Moyen Âge a été une civilisation autre, pas seulement dun point de vue militaire, mais aussi car cette époque était articulée sur un autre rapport à la famille, aux émotions, à lespace : bref, là où Martin plaque souvent des réalités sociales contemporaines sur des structures politiques médiévales, il faut rappeler la grande altérité, anthropologiquement parlant, du monde médiéval105. Enfin et surtout, il faut refuser la tentation, très présente dans cette série, de penser le Moyen Âge comme un bloc, en en niant la diversité et les évolutions, notamment sociales et économiques. Impossible, aujourdhui moins que jamais, de parler « du » Moyen Âge : sil y a bien des cohérences et des continuités dans cette période, qui se

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prolongent dailleurs au-delà de la date limite de 1492 et autorisent à parler dun « long Moyen Âge », reste que les différences entre les siècles sont nombreuses. Poser le Moyen Âge comme une unité relève moins de lenquête scientifique que du fantasme, celui dun monde socialement figé, économiquement replié, géographiquement clos. Contre cette vision dun monde (dé)limité, il faut donc réaffirmer à quel point le Moyen Âge est une époque riche et complexe, tissée dévolutions nombreuses qui se répondent les unes aux autres, à quel point, aussi, lEurope médiévale est déjà ouverte sur le monde, et en étroite connexion avec les autres espaces106. Le Moyen Âge nest pas une parenthèse que viendraient fermer les Grandes Découvertes, ce nest pas non plus un moment où lhistoire allait moins vite quaujourdhui. Contre toute tentation essentialiste, il faut donc, plus que jamais, conjuguer le Moyen Âge au pluriel.

Florian Besson
Catherine Kikuchi
Cécile Troadec

Université Paris-Sorbonne

1 Cest notamment le titre dun article daté du 24 mars 2013 de T. Holand dans The Guardian : « Game of Thrones is more brutally realistic than most historical novels ».

2 B. Nilset, « Pourquoi la série Game of Thrones marquera son époque », LExpress, 28.10.13 : « En effet, au moment où souvre le récit, Westeros ressemble à première vue en tous points à notre Europe moyenâgeuse : une organisation féodale, une société violemment inégalitaire et fondée sur les rapports de force. » A. Borde, « Game of Thrones : pourquoi un tel succès ? », Le Point, 20.8.2013 : « Son atmosphère Moyen Âge ne vante pas le modèle occidental et sexporte très bien en Asie. »

3 F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale xiie-xiiie siècles : lAutre, lAilleurs, lAutrefois, Paris, Honoré Champion, 1991, p. 2 : « Cette “médiévalité diffuse” fournit encore à limaginaire contemporain une référence fantastique satisfaisante. », et A. Besson, La fantasy, Paris, Klincksieck, 2007, p. 156.

4 A. Rochebouet et A. Salamon écrivent ainsi : « Le Moyen Âge de Fantasyland est, en fait, moyenâgeux et pourrait se résumer souvent à quelques mots : féodalité, château/citadelle, cheval, épée. », dans « Les réminiscences médiévales dans la fantasy : un mirage des sources ? », Cahiers de recherches médiévales, 16, 2008, p. 319-346, ici p. 332.

5 Par exemple Ash: A Secret History, de M. Gentle (Londres, Gollancz, 2000-2001, 4 t.), qui se situe dans la Bourgogne de Charles le Téméraire ; les romans de G. G. Kay, comme Tigana (New York, Viking, 1990), The Lions of Al-Rassan (New York, Harper, 1995), Sailing to Sarantium (New York, Harper, 1998), Under Heaven (Toronto, Viking Canada, 2011), se situent à chaque fois dans un moment historique clairement identifiable.

6 Voir par exemple un post de forum daté du 27 novembre 1998 de G. R. R. Martin largement repris pour expliquer son rapport à lhistoire de lauteur : « The Wars of the Roses have always fascinated me, and certainly did influence A Song of Ice and Fire, but theres really no one-for-one character-for-character correspondence. I like to use history to flavor my fantasy, to add texture and versimillitude, but simply rewrite history with the names changed has no appeal for me. I prefer to reimagine it all, and take it in new and unexpected directions. » Propos collectés sur http://www.westeros.org/Citadel/SSM/Entry/More_Wars_of_the_Roses.

7 Citons J. Le Goff, Faut-il vraiment découper lhistoire en tranches ?, Paris, Seuil, 2014.

8 Ce que reflète, par exemple, le fait que la grande collection « Histoire de France » chez Belin (Paris, 2010-2012) ne consacre pas moins de quatre tomes à la période couramment identifiée comme « le » Moyen Âge : G. Bührer-Thierry et C. Mériaux, La France avant la France 481-888 ; F. Mazel, Féodalités 888-1180 ; J. Cassard, Lâge dor capétien 1180-1328 ; et B. Bove, Le temps de la guerre de Cent Ans 1328-1453.

9 Rappelons que les livres de Martin se vendent à plusieurs dizaines de millions dexemplaires, ce qui est, est-il besoin de le souligner, bien plus que nimporte quel livre dhistorien. À bien des égards, le Moyen Âge de Martin lemporte sur celui des historiens – notamment chez les étudiants, et les auteurs de cet article, tous trois chargés de TD à luniversité, sen rendent bien compte.

10 Les numéros de pages des livres sont tirés de lédition Bantam, New York, format poche, version originale. Nous avons également choisi de nous référer aux différents volumes de la série par leur titre abrégé : AGOT pour A Game of Thrones, ACOK pour A Clash of Kings, ASOS pour A Storm of Swords, AFFC pour A Feast for Crows, et ADWD pour A Dance with Dragons. Nous nous réfèrerons aux épisodes de la série en donnant simplement le numéro de la saison et de lépisode.

11 AGOT, p. 233 : « It is no matter to them [the common people] if the high lords play their game of thrones, so long as they are left in peace []. They never are. » Saison 3, épisode 10, Varys déclare : « Here, only the family name matters. »

12 Voir D. Barthélemy, La chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, Fayard, 2007 ; J. Flori, Lidéologie du glaive, Paris, Droz, 2010 (1983).

13 AGOT, p. 16 : « One day, Bran, you will be Robbs bannerman, holding a keep of your own for your brother and your king, and justice will fall to you. » ; p. 467 : « By the grace of his liege lord, he holds a stout keep and lands of his own. » ; p. 483 : « Each had been welcomed into friendship and allowed to retain honors and office for a pledge of fealty. » ; ACOK, p. 99 : « I was his man, a Baratheon man. » Martin va jusquà nous faire entendre un serment dallégeance, quaucun chevalier médiéval naurait désapprouvé : « To Winterfell we pledge the faith of Greywater []. Heart and heart and harvest we yield up to you, my lord. Our swords and spears and arrows are yours to command. Grant mercy to our weak, help to our helpless, and justice to all, and we shall never fail you. », ACOK, p. 329. Un peu plus loin, on a un rite dhommage en bonne et due forme : p. 563 : « As she clasped the other womans hand between her own… » (saison 2, épisode 5). Ailleurs encore, une enseigne dauberge représente ASOS, p. 147 : « A king upon his knee, his hands pressed together in the gesture of fealty. »

14 AGOT, p. 470 : « I [Ned] strip him [Gregor] of all rank and titles, of all lands and income and holdings… » ; saison 1, épisode 6.

15 Saison 1, épisode 3.

16 Que lon pense par exemple à la tirade de Jaime Lannister à Catelyn sur le sens de ses vœux de chevalier, ACOK, p. 796 ; saison 2, épisode 7.

17 ACOK, p. 14.

18 F. L. Ganshof, Quest-ce que la féodalité ?, Paris, Tallandier, 1983 (1943).

19 Saison 2, épisode 4.

20 Pas de polygamie, cérémonie publique avec manifestation du consentement de la femme, importance de la consommation charnelle, union jusquà la mort : on reconnaît évidemment notre mariage chrétien, celui qui, précisément, sest inventé au haut Moyen Âge et sest imposé entre le xie et le xiiie siècle. Voir G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre : le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette, 2010 (1981).

21 Quon pense par exemple à lautorité de Lisa Arryn, de Catelyn Stark, ou de Cersei Lannister elle-même.

22 ACOK, p. 121 : « The Lannisters of Casterly Rock were a damnably large and fertile family. »

23 Voir J. Morsel, Laristocratie médiévale : la domination sociale en Occident, ve-xve siècle, Paris, Armand Colin, 2004.

24 AGOT, p. 545 : « All of them were clad in black []. Mourning clothes. »

25 Voir Piroscka Nagy, Le don des larmes au Moyen Âge. Un instrument en quête dinstitution, Paris, Albin Michel, 2000.

26 AFFC, p. 169 : « Tears were a mark of weakness for a man. »

27 Voir A. Besson, « Le Moyen Âge de Game of Thrones, un Moyen Âge de synthèse », Le Magazine Littéraire, 542, avril 2014. Un grand merci à Anne Besson de nous avoir communiqué à lavance le texte de cet article, ainsi que dune conférence quelle avait donnée à Grenoble sur ce même thème ; ses remarques pour cet article nous ont également été très précieuses.

28 Un motif de toute évidence très séduisant puisque Martin le réemploie plusieurs fois, deux fois pour Tyrion : AGOT, p. 438 (saison 1, épisode 6) ; et ASOS, p. 970 (saison 4, épisode 8) ; et une fois pour Sandor Clegane ASOS, p. 468 (saison 3, épisode 5).

29 AGOT, p. 13 : « This was the first time he had been deemed old enough to go with his lord father and his brothers to see the kings justice done. » ; saison 1, épisode 1.

30 D. Barthélemy, Lordre seigneurial, Paris, Seuil, 1991 ; F. Mazel, Féodalités 888-1180, Paris, Belin, 2010.

31 La série reprend donc une vision du Moyen Âge construite par des travaux récents : voir par exemple B. Rosenwein, Angers Past, The Social Uses of an Emotion in the Middle Ages, Londres, Cornell University Press, 1998. Contre la vision de Nobert Elias du « procès de civilisation », le Moyen Âge des médiévistes, tout comme celui de Westeros, ne se définissent plus comme des pré-civilisations.

32 Les indices de temporalité interne vont dailleurs dans ce sens là : si Westeros est, par sa forme même, un avatar de lAngleterre, alors sa « conquête » par Aegon Targaryen évoque irrésistiblement la conquête de lîle par Guillaume le Conquérant, en 1066 : or, dans la série, cette conquête a eu lieu 300 ans avant le début de lintrigue, ce qui nous place au milieu du xive siècle. De même, le grand empire de Valyria, qui a légué au monde une langue et des routes bien droites – avatar évidemment de lEmpire romain – sest « effondré » il y a plusieurs siècles.

33 Il y a ici une intertextualité qui, si elle est volontaire, nous semble particulièrement féconde : le héros du Désert des Tartares de Dino Buzzati sappelle Drogo ; et, au Moyen Âge, on parle souvent des Tartares pour désigner les Mongols.

34 Voir K. Mondschein, « Strategies of War in Westeros », janvier 2013, sur le site Deremilitari.org.

35 AGOT, p. 168 : « The city walls rose in the distance, high and strong. »

36 La série télévisée simplifie ici la série de livres, puisque Martin insiste sur la présence dengins de siège dans lost de Renly : ACOK, p. 338.

37 Voir D. Barthélemy, « La vengeance, le jugement et le compromis », Actes des congrès de la Société des Historiens Médiévistes de lEnseignement Supérieur Public, 31e congrès, Angers, 2000, p. 11-20 ; S. White, « Un imaginaire faidal. La représentation de la guerre dans quelques chansons de geste », La vengeance 400-1200, éd. D. Barthélemy, F. Bougard et R. Le Jan, Rome, École française de Rome, 2006, p. 175-198.

38 Voir Ph. Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Étude sur les armées des rois de France, 1337-1494, Paris et La Haye, Mouton, 1972.

39 Stark contre Lannister évoque York contre Lancastre ; Tyrion ne peut que faire penser, par son physique comme par son intelligence, à Richard III.

40 Orderic Vital, The Ecclesiastical History of Orderic Vital, éd. et trad. M. Chibnall, Oxford, Clarendon Press, 1972-1980, vol. VI, XII, p. 240.

41 Saison 1, épisode 8 ; AGOT, p. 488.

42 Voir, dernièrement, D. Barthélemy, Nouvelle histoire des Capétiens : 987-1214, Paris, Seuil, 2012, p. 24 par exemple. Marcel Granet avait déjà pu écrire au sujet de la Chine que « lordre féodal repose sur le principe que familles et seigneuries ne doivent pas être anéanties ou absorbées, mais se sentent obligés à lutter pour prendre le pas », M. Granet, La féodalité chinoise, Paris, Imago, 1981, p. 188.

43 Martin en joue discrètement : les frères de la Garde Royale sassoient autour dune table blanche (en forme de bouclier et non pas ronde), et lun des anciens membres sappelle ser Gwayne (ASOS, p. 915), évoquant évidemment Gauvain. Martin mobilise un autre élément central de limaginaire médiéval, le mythe de Robin des Bois, avec la Fraternité sans bannières de Beric Dondarrion comme avec les hors-la-loi du Kingswood avant le début de lhistoire : ASOS, p. 232 et p. 464 ; saison 3, épisode 4.

44 Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de lOccident médiéval, 1179-1449, éd. M. M. Cevins et J. M. Matz, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

45 Voir J. Le Goff, À la recherche du temps sacré. Jacques de Voragine et la Légende dorée, Paris, Perrin, 2011.

46 Voir notamment G. Todeschini, Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, Lagrasse, Verdier, 2008.

47 Voir par exemple M. Lauwers, La mémoire des ancêtres, le souci des morts : morts, rites et sociétés au Moyen Âge, diocèse de Liège, xie-xiiie siècles, Paris, Beauchesne, 1997.

48 Voir par exemple E. Kantorowicz, « Mystères de lÉtat. Un concept absolutiste et ses origines médiévales (bas Moyen Âge) », dans E. Kantorowicz, Mourir pour la patrie, éd. P. Legendre, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 75-103.

49 M. Foucault, Sécurité, territoire, population : cours au collège de France (1977-1978), Paris, Seuil, 2004 ; voir la belle relecture quen propose J. Dalarun, Gouverner cest servir. Essai de démocratie médiévale, Paris, Alma, 2012.

50 Voir A. Guerreau, Le féodalisme, un horizon théorique, Paris, Le Sycomore, 1980, et « Fief, féodalité, féodalisme. Enjeux sociaux et réflexion historienne », Annales. Économie, Sociétés, Civilisations, vol. 45, no 1, 1990, p. 137-166.

51 Pas de religion chez Tolkien, ni dans limmense cycle de Robert Jordan The Wheel of Time.

52 Voir M. Gauchet et L. Ferry, Le religieux après la religion, Paris, Grasset, 2004.

53 AFFC, p. 594 : au sujet des « sparrows » : « They had sewn red stars upon their bleached white surcoats. »

54 J. Morsel, Lhistoire (du Moyen Âge) est un sport de combat… Réflexions sur les finalités de lhistoire du Moyen Âge destinées à une société dans laquelle même les étudiants dhistoire sinterrogent, Paris, LAMOP (texte disponible en ligne), 2007.

55 Dont les plus célèbres sont la carte de lApocalypse de Saint-Sever (xie siècle), celle du Liber floridus de Lambert de Saint-Omer (xiie siècle), ou encore celle de Gossuin de Metz (LImage du monde, xiiie siècle). Voir C. Grataloup, Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde, Paris, Armand Colin, 2007 ; P. Gautier-Dalché, La géographie de Ptolémée en Occident (ive-xvie siècle), Turnhout, Brepols, 2009 ; C. Craecker-Dussart, « La cartographie médiévale : dimportantes mises au point », Le Moyen Âge, t. CXVI, no 1, 2010, p. 165-175.

56 À contempler sur la carte dEbstorf par exemple, réalisée sans doute entre 1223 et 1234, détruite dans le bombardement de Hanovre en 1943 et dont on a conservé un fac-similé photographique. Voir C. Knappler, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Âge, Paris, Payot, 1981.

57 AFFC, p. 314.

58 Est-il besoin de rappeler ici que les médiévaux, des Étymologies dIsidore de Séville (visiècle) à lImage du monde de Gossuin de Metz (xiiie siècle), ont toujours pensé la rotondité de la Terre ?

59 Saison 1, épisode 2 ; AGOT, p. 91. Ce quon retrouve ailleurs : dans ASOS, p. 755, Bran parle du Mur comme « the end of the world », et dans ADWD, p. 65, le Mur est qualifié de « hinges of the world ».

60 Voir J. Richard, « LExtrême-Orient légendaire au Moyen Âge : Roi David et Prêtre Jean », Annales dÉthiopie, 2, 1957, p. 225-244 ; C. Rouxpetel, « Croisades et prophétie : la figure du Prêtre Jean, entre souverain chrétien providentiel et paradigme de lorientalisme médiéval », Questes, no 28, p. 99-120.

61 AGOT, p. 102 ; saison 1, épisode 1.

62 AFFC, p. 128 ; saison 4, épisode 6.

63 AFFC, p. 571 : « the stream that formed the boundary between the lands that did fealty to Kings Landing and those beholden to Riverrun ». On est loin de la vision dun Moyen Âge aux frontières floues que critiquait P. Boucheron dans « Représenter lespace féodal : un défi à relever », Espaces Temps, 1998, vol. 68-70, Histoire/géographie, 2, p. 59-66.

64 On lira L. Febvre, « La frontière : le mot et la notion », Revue de synthèse historique, 45, 1928, p. 31-44, et P. Toubert, « Frontière et frontières : un objet historique », Frontière et peuplement dans le monde méditerranéen au Moyen Âge, éd. J.-M. Poisson, Castrum, 4, 1992, École Française de Rome – Casa de Velázquez, p. 9-17.

65 ASOS, p. 624 ; saison 3, épisode 5, épisode 9. Dans la série, on voit aussi les Greyjoy faire de même : saison 2, épisode 3.

66 ACOK, p. 111.

67 ADWD, p. 433 : « the sheepskin map that adorned Lord Wymans wall ».

68 ASOS, p. 46.

69 R. Fawtier, « Comment le roi de France, au début du xive siècle, pouvait-il se représenter son royaume ? », Mélanges offerts à M. Paul E. Martin, Genève, Société dhistoire et darchéologie, 1961, p. 65-77.

70 ACOK, p. 13. « The Painted Table [] shaped after the land of Westeros. » Ses dimensions sont également notables : plus de quinze mètres de long pour huit de large. Saison 2, épisodes 2 et 10.

71 Voir P. Zumthor, La mesure du monde. Représentation de lespace au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1993, p. 36 : « lespace médiéval est moins perçu que vécu ».

72 Parmi de nombreuses autres citations : AGOT, p. 36 ; saison 1, épisode 6.

73 Voir L. Dauphand, Le royaume des quatre rivières : lespace politique français (1380-1515), Paris, Champ Vallon, 2012.

74 ASOS, p. 733 ; saison 3, épisode 5 et épisode 10.

75 Le titre Song of Ice and Fire renvoie ainsi directement à ce type de littérature célébrant les prouesses des membres des hauts lignages, puisquil sagit de lexpression utilisée par Rhaegar Targaryen dans une des illusions de Daenerys dans la « House of the Undying », en parlant de son fils : sa femme qui vient daccoucher lui demande sil lui composera une chanson, et il lui répond : « He has a song []. He is the prince that was promised, and his is the song of ice and fire. », ACOK, p. 701. On retrouve dailleurs dans limage de Rhaegar, chevalier et prince troubadour, le modèle de Charles dOrléans. À titre de comparaison, on pourra se référer à M. Zink, Les troubadours. Une histoire poétique, Paris, Perrin, 2013.

76 AGOT, p. 254 : « A pondorous tome by Grand Maester Malleaon on the lineages of the great houses » ; saison 1, épisode 6.

77 ACOK, p. 95. Notons que Samwell fait ici véritablement œuvre dhistorien, comparant ces archives à un « trésor » – et suscitant, dune façon significative, le scepticisme de Jon : « Jon was doubtful. Treasure meant gold, silvers, and jewels, not dust, spiders, and rotting leather. »

78 AFFC, p. 114.

79 Samwell en donne un condensé, tiré des Annales que lon vient de citer.

80 AGOT, p. 732.

81 « Those old histories are full of kings who reigned for hundreds of years, and knight riding around a thousand years before there were knights », AFFC, p. 114.

82 AFFC, p. 234.

83 ASOS, p. 1075 : « The Nights Watch has been choosing its own leader since Brandon the Builder raised the Wall [] a tradition many thousands years old. »

84 Il est frappant de remarquer quil ny a pas de calendrier à Westeros, pas de découpage du temps, à part les saisons (même si Martin évoque une fois un jour de fête religieuse, AFFC, p. 834) : lhomme de Game of Thrones na pas prise sur le temps. Voir F. Hartog, « Ordre des temps : chronographie, chronologie, histoire », Recherches de Sciences Sociales, 1910-2010. Théologies et vérités au défi de lhistoire, Louvain-Paris, Peeters, 2010, p. 279-289.

85 AGOT, p. 168 : « Three hundreds years ago, Catelyn knew, those heights had been covered with forest, and only a handful of fisherfolk had lived on the north shore of the Blackwater Rush where that deep, swift river flowed into the sea. The Aegon the Conqueror had sailed from Dragonstone. It was there that his army had put ashore, and there on the highest hill that he built his first crude redoubt of wood and earth. » Lhistoire précise après la conquête sera notamment racontée par Martin dans The World of Ice and Fire, éd. G. R. R. Martin, E. Garcia, L. Antonson, Londres, Harper, 2014.

86 ASOS, p. 528 ; saison 2, épisode 1.

87 R. Cazelles, « La population de Paris avant la Peste Noire », Compte rendus de lAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 110, no 4, 1966, p. 539-550.

88 Voir notamment les analyses de M. Weber dans La ville, Paris, Aubier, 1994, p. 21-22 où il distingue les villes de consommateurs, que lon observe spécialement dans lAntiquité, et les villes de producteurs, qui naissent du développement de lindustrie artisanale. Dans La ville médiévale, Paris, Odile Jacob, 2003, Thierry Dutour souligne bien les évolutions qui amènent de la ville antique à la ville médiévale et les transformations sociales qui en découlent.

89 Ce schéma est élaboré par les clercs à partir du ixe siècle en France et en Angleterre : voir D. Iogna-Prat, « Le “baptême” du schéma des trois ordres fonctionnels : lapport de lécole dAuxerre dans la seconde moitié du ixe siècle », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 41, no 1, 1986, p. 101-126.

90 J. Favier, Le bourgeois de Paris au Moyen Âge, Paris, Tallandier, 2012.

91 On a la mention dune corporation des armuriers dans ACOK, p. 234.

92 ASOS, p. 426 : « Well return on the morrow with the guild masters to go over their plans. »

93 Saison 1, épisode 3.

94 Le Père pour Jupiter ; la Mère pour Junon ; le Guerrier pour Mars ; lÉtranger pour Mercure… Voir à ce sujet M. Attali, « Rome à Westeros : éléments dhistoriographie des religions romaines dans A Song of Ice and Fire de George R. R. Martin », Actes du colloque LAntiquité gréco-latine aux sources de limaginaire contemporain (7-9 juin 2012), à paraître.

95 ACOK, p. 495 : « God is one [] with seven aspects. » Les suiveurs du « Drown God » des « Iron Islands » rejettent, parfois violemment, les autres dieux, mais sans prosélytisme, puisquil sagit avant tout du Dieu propre aux « Ironborn », avec une connotation ethnique très forte : saison 2, épisode 3.

96 Entre autres références possibles, Mélisandre parlant à Davos « Why cling to these false gods? », ASOS, p. 347 ; saison 2, épisode 4. Pour la comparaison avec le christianisme dans lempire romain, voir notamment S. Claure Mimouni et P. Maraval, Le christianisme des origines à Constantin, Paris, PUF, 2006.

97 On peut aussi le remarquer pour lémotivité : alors que les hommes ne pleurent pas à Westeros, les seuls hommes qui pleurent sont des hommes dailleurs, par exemple les habitants de Qarth : ACOK, p. 576 : « The Qartheen wept often and easily; it was considered a mark of the civilized man. » Dans un monde qui névolue pas et ne change jamais, la différence ne peut être que dans lailleurs.

98 Saison 1, épisode 1.

99 Ibid.

100 Pour reprendre les concepts utilisés par D. Couégnas dans Introduction à la paralittérature, Paris, Seuil, 1992, p. 143.

101 Pour citer V. Groebner dans Das Mittelalter Hört Nicht Auf, Munich, Beck, 2008, p. 9-23.

102 Cette immobilité historique est aussi un trait caractéristique du genre de la fantasy : tout y dure plus longtemps, se comptant en millénaires. Comme nous la indiqué Anne Besson, ce qui compte dès lors, et ce que va raconter Martin, cest le moment où on passe de lordre au désordre, de léquilibre au chaos.

103 V. Groebner, op. cit.

104 On lira par exemple C. Wickham, Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean (400-800), Oxford, Oxford University Press, 2005.

105 On lira par exemple J.-Cl. Schmitt, Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essai danthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001 ; ou encore M. Sot, A. Guerreau-Jalabert, J.-P. Boudet, « Létrangeté médiévale », Pour une histoire culturelle, éd. J.-P. Roux et J.-F. Sirinelli, Paris, Seuil, 1997, p. 167-182.

106 Voir Histoire du monde au xve siècle, éd. P. Boucheron, Paris, Pluriel, 2009 ; F.-X. Fauvelle-Aymar, Le rhinocéros dor. Histoires du Moyen Âge africain, Paris, Alma, 2013.