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Classiques Garnier

À l’intersection du genre et de l’âge Le cas des mulieres religiosae des Pays-Bas méridionaux du xiiie siècle

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2014 – 2, n° 28
    . varia
  • Author: Méril-Bellini delle Stelle (Anne-Laure)
  • Abstract: The originality of the religious movement of the mulieres religiosae from the thirteenth-century Southern Low Countries lies largely in a sociability born of unusual spiritual powers that were developed among these “young” people. An approach based on showing the intersection of gender and age allows us to gain a greater understanding of the role of these atypical devout women in society and in the Church, and their relationships with each other. The Vitae and the exempla devoted to these religiosae mulieres show that social hierarchies were ­constructed and ­continuously renegotiated depending on the individuals involved.
  • Pages: 461 to 478
  • Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782812445682
  • ISBN: 978-2-8124-4568-2
  • ISSN: 2273-0893
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4568-2.p.0461
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 04-29-2015
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
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À lintersection du genre et de lâge

Le cas des mulieres religiosae des Pays-Bas méridionaux
du xiiie siècle

Introduction

Voici que, de nos jours,

En Brabant et en Bavière

Lart a pris naissance chez les femmes.

Seigneur Dieu, quest-ce que cet art

Grâce auquel une vielle femme

Comprend mieux quon homme desprit ?

Rédigés vers 1250, ces vers (no 2838-2843) de La Fille de Sion du prédicateur franciscain Lamprecht de Ratisbonne ou von Regensburg (1215-ap. 1250) sont régulièrement cités par les historiens du phénomène béguinal pour mettre en lumière la place des femmes dans la spiritualité du xiiie siècle1. Toutefois, sils mettent effectivement laccent sur la question du genre, ils dépassent cette seule thématique en introduisant une autre caractéristique sociale : celle de lâge, ici féminin, pensé comme un pendant asymétrique à lintelligence masculine, permettant ainsi à Lamprecht de Ratisbonne de légitimer la mise en évidence de lordre social attendu : celui de la domination de l« homme desprit », tout en inscrivant son raisonnement dans un croisement du genre et de lâge.

À son instar, nous voudrions proposer ici une réflexion dintersectionnalité 2 de façon à rendre compte des hiérarchies qui modèlent la société médiévale,

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en interrogeant larticulation entre le genre – compris comme la construction sociale de la différence des sexes – et lâge – défini comme la durée écoulée depuis la naissance et qui est conçu au Moyen Âge comme un arc incluant une progression, une transition et un déclin.

Tout comme Lamprecht de Ratisbonne, nous nous appuierons sur le dossier des Pays-Bas méridionaux de la première moitié du xiiie siècle, quand cette région était lun des principaux foyers du phénomène religieux des mulieres religiosae. En effet, ces femmes pieuses très dévotes, bien que difficilement identifiables sur le plan institutionnel – certaines étaient moniales, dautres sœurs de léproserie, recluses ou dévotes vivant au domicile familial3 –, fournissent une matière riche et accessible grâce un corpus substantiel de Vitae et dexempla rédigés par des ecclésiastiques contemporains4. Cette littérature édifiante constitue une source privilégiée pour appréhender la complexité des normes comportementales et des codes sociaux alors en vigueur dans les cercles dévots des Pays-Bas méridionaux et plus précisément pour démêler lenlacement du genre et de lâge.

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À notre connaissance, une telle démarche na encore jamais été réellement envisagée5 et rares sont les travaux qui se sont aventurés sur le terrain de lâge au féminin pour la période médiévale. Elle ouvre pourtant de nouvelles perspectives sur la place des femmes dévotes dans lÉglise médiévale, tout en jetant un éclairage inédit sur les hiérarchies sociales et en particulier sur les rapports de genre.

Bien entendu, notre analyse a ici des ambitions plus modestes : nous restreindrons ainsi notre propos aux rapports sociaux induits par le genre et lâge aux débuts du phénomène béguinal dans la première moitié du xiiie siècle. Autrement dit, nous nous demanderons comment le genre et lâge participent à la sociabilité des mulieres religiosae et hiérarchisent les individus, à une époque durant laquelle ces femmes dévotes étaient relativement libres vis-à-vis des autorités religieuses.

Pour cela, dans un premier temps, il sagira de discerner quelles sont les dynamiques des hiérarchies sociales qui sélaborent ou se déconstruisent autour des deux catégories du genre et de lâge dans le cas des mulieres religiosae et de leur entourage. Puis, nous chercherons à en comprendre les ressorts, avant den délimiter les marges.

Le genre et lâge face à la « maturité de vie »

Si peu dhistoriens des mulieres religiosae se sont penchés sur la question de lâge, en revanche tous saccordent sur limportance du genre dans le phénomène béguinal. Quelle que soit la perspective adoptée, ouvertement féministe ou inconsciemment sexiste6, la plupart des spécialistes ont relevé une singularité chez ces femmes dévotes : celle de leur relation directe à Dieu. En effet, les rédacteurs des Vitae, cédant à

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un poncif de lhagiographie des saintes femmes7, décrivent les premières mulieres religiosae comme des femmes illettrées bénéficiant de lesprit de prophétie : elles sont alors les détentrices dun savoir sacré révélé par le Seigneur, comme cest le cas par exemple pour Marie dOignies (1177-1213) – considérée comme la première béguine – qui, selon le célèbre prédicateur Jacques de Vitry (1160/1170-1240)8, était directement instruite par lEsprit Saint9.

Ce constat conduit à sinterroger sur la représentation que donnent les Vitae des premières expériences directes du divin dont bénéficient les mulieres religiosae, expériences qui, à lévidence, constituent un tournant dans le parcours spirituel de ces femmes, les poussant à se convertir à Dieu. Ces scènes, présentes aux premières lignes des Vitae, se déroulent généralement durant lenfance ou ladolescence de la mulier religiosa, quand un décalage sopère entre leur relative jeunesse et leur degré de sagesse spirituelle. Ainsi, Béatrice de Nazareth (1200/1202/1204-1268) accède à la plénitude après sa première expérience mystique en 1217 à lâge de quinze ou dix-sept ans. Dans son monastère de Florival du diocèse de Liège, elle est alors vénérée par les cisterciennes de la communauté non seulement pour son attitude mais aussi pour sa « maturité de vie10 ». De fait, son expérience directe du divin lui confère une autorité habituellement octroyée par lâge. Cette rupture, liée à la maturité spirituelle, provoque un double renversement hiérarchique récusant aussi bien les compétences liées au genre que celles en rapport avec lâge.

En effet, au Moyen Âge, si linfériorité féminine est une évidence expliquée par la Bible dune part et justifiée par la physiologie féminine

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dautre part, elle ne semble pas évidente dans le cas des mulieres religiosae. En effet, grâce à leurs compétences spirituelles et leur savoir révélé, les mulieres religiosae sont en position de supériorité. Par exemple, Marie dOignies est dépeinte comme la directrice spirituelle dun marchand de Nivelles venu la voir à Willambroux – localité proche de Nivelles dans le diocèse de Liège – où elle réside alors. Après lavoir converti, elle lenvoie dans une église pour quil y vive sa nouvelle spiritualité11. Le dominicain Thomas de Cantimpré (1200-v. 1265/1270)12 va plus loin quand il décrit sa relation avec la cistercienne Lutgarde dAywières (1182-1246) : en effet, après que Lutgarde lui a un jour décrit lune de ses visions, il se sentit « idiot et incapable de comprendre ses paroles » et son étonnement fut tel quil pensa devenir fou13.

Les qualités spirituelles des mulieres religiosae leur permettent ainsi de devenir des relais efficaces de la formation religieuse dispensée par les clercs engagés dans la réforme de Latran IV (1215)14. À ce titre, les hagiographes insistent volontiers sur leur vocation à aider des individus qualifiés de « jeunes15 », notamment des ecclésiastiques inexpérimentés aux connaissances étendues mais encore mal maîtrisées et, par conséquent, souvent déstabilisés par leurs responsabilités sacerdotales, telle que la prédication. Jacques de Vitry, par exemple, rapporte que lorsquil était un jeune prédicateur il était très soucieux de bien préparer ses sermons. Marie dOignies, ayant connaissance de ses craintes, lui expliqua comment venir à bout de ses difficultés et régulièrement elle laidait de ses prières pour lui donner du courage16.

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Dans son Supplementum, Thomas de Cantimpré se montre plus explicite lorsquil fait le récit de leur rencontre survenue en 1208, faisant de Marie dOignies et de Jacques de Vitry des personnalités aux fonctions complémentaires17 :

Quand maître Jacques de Vitry, qui plus tard devint évêque dAcre et est aujourdhui évêque de Tusculum et cardinal du siège romain, entendit parmi les Français à Paris le nom de la bienheureuse servante du Christ, Marie dOignies, il abandonna ses études de théologie qui lintéressaient passionnément et se rendit à Oignies [dans le diocèse de Liège] où elle sétait récemment retirée. La servante du Christ se félicita de son pèlerinage avec une grande dévotion et lexhorta par des supplications insistantes à quitter la France et à demeurer avec les frères dOignies. Cest à lui-même que le vénérable Jacques fait référence dans la Vie de Marie, sans mentionner son propre nom, quand il rapporte que le Seigneur avait donné à sa servante un certain prédicateur, quà sa mort, elle recommanda au Seigneur par de nombreuses prières. La servante du Christ contraint cet homme vénérable à prêcher au peuple, afin de ramener les âmes que le démon essayait de détourner. Alors resplendit en lui un miracle spécial : par les prières et les mérites de cette très bienheureuse femme, il atteint en peu de temps une telle suprématie dans la prédication que peu de mortel pouvait légaler dans lexposition des Écritures et dans la destruction des péchés. Cétait juste. Pour lamour de la servante du Christ il avait quitté son pays, ses proches et la mère de tous les arts à Paris18.

La maturité spirituelle semble donc primer sur lautorité et le respect dû au sexe masculin et au corps ecclésiastique, comme en témoigne personnellement Jacques de Vitry quand il raconte comment il débattit avec Marie dOignies des jours de la semaine où elle devrait salimenter plutôt que de jeûner : celle-ci salimentait trois fois par semaine, notamment le vendredi, mais jeûnait le jeudi et le dimanche. Comme Jacques de Vitry lui faisait remarquer que ce nétait pas cohérent sur le plan religieux, Marie lui rétorqua quelle était si rassasiée de nourriture spirituelle le jeudi et le dimanche quelle navait aucunement besoin de manger par ailleurs. Cette réponse impressionna si fortement Jacques quil tint alors sa raison pour nulle19.

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La perfection spirituelle des mulieres religiosae établit ainsi une hiérarchie inhabituelle où la domination homme clerc-femme laïque est inversée. Le savoir inspiré dont bénéficient les mulieres religiosae les investit dune autorité qui simpose aux ecclésiastiques dont les connaissances semblent finalement de peu de poids20.

Cette situation « renversante » – pour reprendre lexpression de Jacques Dalarun – se joue également sur le terrain de lâge et des cycles de la vie. En effet, dans limaginaire médiéval, lâge biologique et la maturité spirituelle sont étroitement liés. Chez saint Augustin déjà, le sixième âge correspond à la vieillesse, époque où naît le nouvel homme qui désire vivre dans lEsprit, cest-à-dire lâge où il se prépare pour la vie éternelle. Pour Thomas de Cantimpré, la vieillesse est également associée à une forme de perfection spirituelle dans le cas des « vieillards émérites » :

Nous parlons de vieillards émérites, cest-à-dire lemportant sur le mérite des autres, car ils sont supérieurs aux autres par le respect dû à leur autorité. Le prophète parle à leur sujet de peuple grave [Ps. 34, 18] parce que, dans la maturité, Dieu se trouve célébré singulièrement, ainsi que la règle de toute vie religieuse.

Selon lui, maturité et « mérites » personnels vont de paire, car les hommes sont « émérites à la fois par leur âge et par leurs vertus21 » .

Toutefois, selon les théoriciens médiévaux des âges de la vie, la maturité physique et spirituelle réside moins dans la vieillesse que dans la jeunesse. En effet, lâge parfait chez les hommes est généralement fixé autour de trente ans, car cest à la fois lâge du Christ mort et ressuscité et celui du prêtre mais également lâge auquel les hommes ressusciteront à la fin des temps. Néanmoins, cette période de jeunesse peut être élargie et inclure la quarantaine22. Pour les femmes, lâge parfait est plus précoce

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et se situe dans une période de transition entre lenfance et lâge adulte, plutôt au début de ladolescence, car cest le moment où les jeunes filles sont à lapogée de leur beauté physique tandis que leur corps, sexué, est désormais totalement épanoui23. Plus précisément, les femmes sinscrivent dans un cycle de vie qui distingue la vierge, lépouse et la veuve, trois moments de la vie féminine eux-mêmes hiérarchisés par lÉglise selon leur degré de pureté sexuelle : vierge, veuve et enfin épouse24.

Pour autant, dans le cas des mulieres religiosae, leur perfection spirituelle dépasse largement la sagesse tirée de la vieillesse. Ainsi, la mère de Gilles le prieur dOignies († 1233), qui était très âgée et aurait atteint lâge vénérable de cent ans aux dires de Thomas de Cantimpré, se trouve en désaccord avec Marie dOignies au sujet du retour de son fils, alors absent, dans la communauté. Alors que la vieille femme ordonne aux sœurs de passer immédiatement à table, Marie au contraire, recommande dattendre le retour imminent du prieur. Les sœurs se rallient alors spontanément à Marie, arguant quaucune de ses prédictions ne sétait encore jamais révélée fausse. La mère du prieur finit elle-même par céder et sexcuser auprès de Marie25.

Cette hiérarchie liée à la maturité spirituelle des mulieres religiosae place de fait les plus jeunes et les plus inexpérimentées dentre elles en position dinfériorité vis-à-vis de leurs aînées spirituelles parfois à peine plus âgées quelles. Ainsi, dans la Vita Beatricis, Ide de Nivelles (1197/1199/1200-1231), qui se lie damitié en 1216-1217 avec Béatrice de Nazareth venue se former au monastère de cisterciennes de La Ramée dans le diocèse de Liège, est qualifiée de « vénérable » par le rédacteur anonyme de la Vita en raison de ses nombreuses expériences spirituelles. Pourtant, elle est à peine plus âgée que son amie : Ide est née en 1197 ou 1199, tandis que Béatrice a vu le jour en 120026.

Cest en raison de ce même décalage lié à la sagesse spirituelle que les mulieres religiosae, encore enfant ou jeune adolescente, entrent en conflit

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avec leurs parents généralement dépeints comme tournés vers le siècle. Clichés de lhagiographie des saintes femmes, ces crises intergénérationnelles éclatent souvent à cause de lincompréhension des parents, qui ne saisissent pas les exigences religieuses de leur progéniture27. Ainsi, les parents de la jeune Marie dOignies sinterrogent quand celle-ci dédaigne les vêtements délicats quils lui proposent et se demandent « quelle sorte de fille allons nous donc avoir28 ? ».

De même, les mulieres religiosae, en raison de leur singulière spiritualité, transcendent en partie les cycles de la vie féminine et les normes qui leur sont associées. En effet, bien que sattachant toutes à préserver leur pureté sexuelle, elles peuvent toutefois recevoir des révélations divines bien quelles ne soient plus vierges, et elles osent même se regrouper sans considération pour leur différence de statut, comme le rapporte Jacques de Vitry lorsquil brosse un portrait global du phénomène béguinal :

Tu as vu (et tu ten es réjoui) dans les jardins de lis du Seigneur de nombreuses vierges (multas sanctarum virginum) regroupées en divers endroits qui, dédaignant pour le Christ les séductions charnelles tout comme elles méprisaient par amour du royaume céleste les richesses de ce monde, sattachaient à leur Époux céleste dans la pauvreté et lhumilité []. Tu as vu aussi (et tu ten es réjoui) de saintes femmes dévouées à Dieu (sanctas et Deo servientes matronas) préserver la chasteté de ces jeunes filles (juvencularum pudicitiam), et elles sefforçaient, par des conseils salutaires, de les affermir dans leur engagement religieux, dans le désir exclusif quelles vouaient à leur Époux céleste. Il y avait aussi des veuves (viduae) qui, servant le Seigneur par les jeûnes et les prières, les veilles et le travail des mains, les larmes et les supplications, mettaient autant voire davantage dardeur, dans lesprit, à plaire à leur Époux céleste, quelles nen avaient mis, dans la chair à plaire à leurs maris. [] Tu as vu également (et tu ten es réjoui) de saintes femmes, servant dévotement le Seigneur dans le mariage (sanctas etiam mulieres, in matrimonio Domino servientes), élevant leurs enfants dans la crainte de Dieu, veillant à leur pureté de leur union et de leur lit, et qui, lorsquelles sétaient consacrées pour un temps à la prière, revenaient ensuite pieusement à leurs maris, de peur dêtre tentés par Satan. Nombre dentre elles, au demeurant, sabstenant détreintes tout à fait légitimes avec le consentement de leurs maris, menaient une vie chaste et

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véritablement angélique, et elles sont dautant plus dignes dêtre couronnées quelles nont pas brûlé dans le feu29.

De toute évidence, les mulieres religiosae bousculent les canevas habituellement imposés aux femmes et elles sastreignent à des cycles de vie plus spécifiquement religieux, comme le suggère Thomas de Cantimpré en structurant la Vita Lutgardis Aquiriensis autour de trois phases dascension spirituelle – inchoans, proficiens, perfecta – reprises très vraisemblablement du cistercien Guillaume de Saint-Thierry (1075-1148) dans son Exposition du Cantique des Cantiques30.

Le savoir révélé et la « maternité spirituelle »

En définitive, quel que soit le niveau de perfectionnement spirituel que les mulieres religiosae ont atteint, elles semblent surtout être des figures dautorité dans la mesure où elles sont les dépositaires dun savoir sacré directement délivré par le Seigneur. Lorigine de leur savoir – et par là même sa qualité – renvoie au second plan les questions du genre et de lâge et, de fait, lélaboration des hiérarchies sociales se trouve déplacée sur le terrain de la valeur de leur savoir.

Or, les hommes du Moyen Âge distinguent trois formes dacquisition et de transmission du savoir : celle de lexpérience terrestre en lien direct avec lâge biologique ; celle des livres, cest-à-dire de la lecture et de lécriture propre au monde scolaire et universitaire, réservée aux clercs ; enfin celle de linspiration divine que partagent surtout les illettrés – ce qui inclut évidemment les femmes31. Dans la première moitié du xiiie siècle, ce savoir dordre prophétique est nettement valorisé dans le milieu dévot, dans la mesure où il est transmis directement par le

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Seigneur, au détriment des autres types de savoirs. Concevant les qualités de ces femmes mystiques comme un complément nécessaire à la religion telle quelle est alors proposée par lÉglise, les jeunes ecclésiastiques concèdent aux femmes dévotes et prophétiques une place de choix dans la société des Pays-Bas méridionaux.

Dépeintes alors comme de véritables « mères spirituelles », les mulieres religiosae se dévouent totalement au bien-être spirituel de femmes et dhommes, de laïcs et de religieux. Ainsi, en 1228, lorsque lévêque de Cambrai Godefroid de Fontaines (1220-1237) fait de Thomas de Cantimpré le confesseur de la cathédrale, celui-ci est profondément troublé par cette charge qui le contraint à écouter maints et maints péchés. Il se tourne vers Lutgarde dAywières dont il fait la connaissance en 1230 alors quil est encore un « jeune homme32 » – il a trente ans tandis quelle est âgée de quarante-huit ans – et la cistercienne devient alors sa mère spirituelle33.

Plus quune simple métaphore, cette « maternité spirituelle » est le cadre dune parenté et dune filiation assurant la transmission dun savoir sacré : elle sinscrit pleinement dans la sociabilité du milieu dévot de la région. Prenant la forme dun maternage imité de la Vierge Marie et du Christ, cette maternité spirituelle garantit compassion et douceur, exhortations et consolations de la part des mulieres religiosae pour leurs enfants spirituels. La structuration de cette maternité spirituelle met ainsi en lumière les liens entre générations et révèle la puissance des rapports dâge, plus déterminants que ceux liés au genre. Au sein du milieu dévot des Pays-Bas méridionaux du xiiie siècle, le savoir révélé et lâge se combinent donc pour garantir une forte cohésion sociale ardemment recherchée par lÉglise dans un contexte de « mise en ordre34 ».

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Cette quête se traduit par la construction de réseaux centrés sur une mulier religiosa inspirée ayant déjà acquis une solide expérience spirituelle et prophétique, tandis quà ses côtés gravitent des disciples des deux sexes.

Les jeunes filles pieuses sont particulièrement nombreuses dans lentourage de la plupart des mulieres religiosae, formant avec elles une véritable « chaîne » de transmission dun savoir révélé. Jacques de Vitry rapporte ainsi que Marie dOignies était liée à une sainte jeune fille (sancte iuvencule) de Willambroux, prénommée Heldewide ou Helwide35, tout comme Béatrice de Nazareth, encore jeune fille (iuuencula), sétait attachée par un lien damour à Ide de Nivelles36. Cette maternité spirituelle prodiguée à des jeunes filles pieuses forge un esprit de corps axé sur une figure dautorité féminine.

Cest le cas notamment de la recluse Yvette de Huy (1157/1158-1228), qui, tout au long de la Vita Ivettae, est présentée à la fois comme une femme vénérable (venerabilis femina) mais aussi comme une mère spirituelle pour les jeunes filles venues vivre pieusement autour et dans la léproserie de Huy, dans le diocèse de Liège. Souvent, elle les sermonne et leur donne des conseils pour progresser ; quelquefois elle écourte ses prières pour les instruire plus avant dans la discipline du Christ. Tantôt en privé, tantôt en public, elle les châtie, les admoneste, les réconforte et les exhorte afin quaprès son décès elles sachent comment se conduire en persévérant toujours dans lamour du Christ. Parmi ces vierges il en est même une (virgo quaedam iuuencula) quelle adopte comme sa fille et quelle exhorte et instruit personnellement37. Ces groupes de femmes dévotes se trouvent donc renforcés par ces relations spirituelles et les communautés féminines sont ainsi davantage structurées, à la grande satisfaction de lÉglise qui observe avec curiosité, sinon un certain scepticisme, ces femmes encore très libres dans la première moitié du xiiie siècle38.

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Quant aux relations mixtes, à un moment où les différents ordres monastiques sinterrogent sur les liens quils doivent entretenir avec les mulieres religiosae et sinquiètent de la cura monialium en raison des dangers auxquels elle exposerait les ecclésiastiques qui en ont la charge, elles sont stabilisées par le cadre que fournit la maternité spirituelle et ses normes comportementales (douceur bienveillante de la mère, obéissance de lenfant spirituel), qui sont dautant plus respectées que la maternité et la filiation spirituelles participent à un projet de perfectionnement de lâme. La différence dâge entre la mulier religiosa et son élève clerc joue un rôle tout aussi capital que dans le cas des relations entre femmes, mais pour des raisons différentes. Si dans le cas des femmes, il sagit dune sociabilité composée et recomposée de génération en génération dans un entre-soi féminin, pour les relations mixtes entre femmes laïques et hommes clercs, la différence dâge a une double fonction.

Dans un premier temps, il sagit de mieux faire accepter aux ecclésiastiques le renversement hiérarchique qui sopère à leurs dépens, en conservant les normes comportementales liées à lâge, ce qui, de fait, réduit léventuelle remise en cause de lordre social que cette situation suggérerait. En effet, limage de la femme vieille et sage sinscrit dans une tradition remontant à lAntiquité : les veuves, femmes éprouvées par la vie, étaient alors considérées comme les meilleures des tutrices pour les jeunes générations39. Au Moyen Âge, cette pratique a été conservée, les veuves âgées étant tenues dêtre des modèles de vertus pour les plus jeunes40. La vieillesse ou du moins la relative maturité de la mulier religiosa semble donc lui garantir une certaine forme de pouvoir : lexpérience de lâge associée à celle tirée du savoir révélé en font donc une femme dexception au sein des hiérarchies sociales, au point même de contrebalancer lautorité des ecclésiastiques. Toutefois, même quand un renversement hiérarchique entre mulier religiosa et ecclésiastique a lieu, celui-ci ne débouche aucunement sur une prise de pouvoir des femmes dévotes, car leur rôle de mères spirituelles les

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lie dans une relation de confiance et déchanges qui réduit dans le même temps leur liberté. Aussi, dans les Pays-Bas méridionaux de la première moitié du xiiie siècle, le savoir sacré des mulieres religiosae et sa transmission par ces dernières ne sont finalement pas contestés par les clercs réformateurs41, qui entendent plutôt les poser comme des compléments aux connaissances scolaires et au savoir-faire sacerdotal, du moins tant que les hiérarchies générationnelles sont respectées. En somme, être un ecclésiastique disciple dune femme dévote plus âgée et plus expérimentée est « spirituellement méritoire, sans être socialement humiliant42 ».

Enfin, cette différence dâge apporte une double garantie : dune part, elle constitue une protection contre les tentations charnelles qui pourraient assaillir le jeune clerc, lâge ayant fané les charmes physiques des mulieres religiosae ; dautre part, elle facilite lidentification de la mulier religiosa à la figure de la mère spirituelle. Les relations entre les dévots des deux sexes sont donc possibles sans que leur idéal de chasteté soit mis en péril.

Aux marges de lintersectionnalité du genre et de lâge

Le croisement du genre et de lâge investit les mulieres religiosae – dotées dun savoir révélé – dun ascendant spirituel important mais dans un cadre très étroit, ce qui invite à réfléchir plus avant aux marges de cette intersectionnalité. En effet, on peut légitimement sinterroger sur la place que lÉglise entend réserver à une jeune fille disposant dun savoir dexception. Mieux encore : quid des femmes dévotes en général quand le savoir révélé et la relation directe au divin sont moqués, voire remis en question ?

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Sur le rôle des jeunes mulieres religiosae inspirées par le Seigneur, les rédacteurs des Vitae sont assez circonspects. Sils cèdent, comme on la vu, aux lieux communs hagiographiques de la sainteté manifeste dès la tendre enfance, ils maintiennent toutefois lâge comme un fondement de la hiérarchie entre les ecclésiastiques et les dévotes et ils font un portrait très nuancé de la puissance des plus jeunes dentre elles, quels que soient leurs charismes et la force de linspiration divine, comme lillustre le cas de la relation nouée entre la jeune Marguerite dYpres (1216-1237) et le dominicain Siger ou Schier de Lille († v. 1250). Si Marguerite, qui vit sa spiritualité au foyer maternel à Ypres (dans le diocèse de Thérouanne), bénéficie dun savoir révélé qui lui a fait oublier toutes les connaissances quelle avait acquises auparavant mais qui lui vaut de recevoir les visites régulières de femmes religieuses, elle demeure toutefois soumise au dominicain qui la convertie et dont elle a fait la connaissance à ses dix-huit ans. Malgré les fréquentes révélations dont jouit Marguerite, aucun renversement hiérarchique ne sopère avec frère Siger, qui dailleurs est désigné tout au long de la Vita comme son « père spirituel ». Le rôle de la mulier religiosa dans le perfectionnement de son office de prédicateur est même réduit. Ainsi, un jour que frère Siger rend visite à Marguerite dYpres, il se plaint de manquer de temps pour préparer son sermon. Aussitôt une main dor apparaît au-dessus deux pour leur donner une bénédiction commune et alors frère Siger prononce un sermon dune grâce si exceptionnelle que son public est empli de ferveur spirituelle. Ce nest quavec sa mort, à lâge de vingt-et-un ans, après une vie dintense piété et de pénitences sévères, que Marguerite a finalement la capacité dexercer sa puissance spirituelle sur frère Siger. En effet, elle apparaît dans une vision post-mortem à un dominicain – vraisemblablement Siger – qui par la suite donne un beau sermon43. À lévidence, la jeunesse de Marguerite dYpres semble amoindrir son autorité, quelle que soit limportance de son savoir révélé, et par conséquent la relation entre la mulier religiosa et lecclésiastique est confinée à un lien classique de direction spirituelle. La jeunesse semble être définitivement une convention sociale plus pesante que celle du genre.

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Mais au-delà même de la question de lâge et de la maturité spirituelle des mulieres religiosae, le véritable ressort de cette sociabilité est bien lattitude des ecclésiastiques vis-à-vis de ces femmes dévotes et de leur inspiration prophétique. Si les clercs réformateurs reconnaissent des qualités aux charismes des mulieres religiosae, dautres, plus conservateurs et souvent issus du monde séculier, refusent de sy soumettre. Cest particulièrement évident pour la recluse Yvette de Huy qui multiplie les échecs : elle convoque le chef sacristain de léglise Notre-Dame de Huy qui ne daigne même pas se présenter à son reclusoir ; elle fait venir un diacre usurier qui ne veut pas se corriger, car il estime ne pas avoir commis de faute, tandis que le prêtre de Huy quelle a fait appeler est dabord terrifié par son péché et promet dentrer dans lordre cistercien mais, aussitôt parti, oublie ses vœux44.

Certains contestent même très clairement lesprit de prophétie et le savoir révélé, quils assimilent à un déséquilibre mental. Si lon en croit Jacques de Vitry, cest dailleurs une critique fréquente vis-à-vis des dévots inspirés de la région, y compris quand il sagit dhommes :

Nombreux sont les hommes animaux qui ne connaissent pas lesprit de Dieu, bien quils se considèrent mutuellement comme prudents. Ils refusent de voir ce quils ne peuvent comprendre par un raisonnement humain. [] Ils éteignent par tous les moyens lesprit qui est en eux et ils méprisent les prophéties car ils honnissent les gens spirituels, pensant quils sont fous ou idiots et ils considèrent les prophéties et les révélations des saints comme des fantasmes ou des illusions dues au sommeil45.

De fait, la complexe hiérarchie proposée par les clercs réformateurs permettant la reconnaissance dun pouvoir des mulieres religiosae dotées dune certaine maturité biologique et spirituelle ne semble pas faire lunanimité. Ce point de vue paraît dailleurs finir par lemporter à partir du milieu du xiiie siècle : le savoir universitaire prenant le pas sur le savoir révélé46,

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limportance sociale des mulieres religiosae tend quelque peu à se réduire dans les Pays-Bas méridionaux47.

Conclusion

Au final, les Vitae des mulieres religiosae témoignent clairement de la place occupée par ces dévotes atypiques, qui ont été portées au rang de partenaires spirituels du clergé réformateur des Pays-Bas méridionaux du xiiie siècle, chahutant, sans les remettre en question, les hiérarchies sociales à lœuvre dans lÉglise médiévale. Cependant, pour cela, elles devaient répondre à deux conditions : dune part, détenir un savoir sacré tiré dun contact direct avec le Seigneur et, dautre part, attester dune maturité spirituelle, éventuellement doublée dune maturité biologique, en particulier dans le cas des relations mixtes avec des ecclésiastiques, mais aussi dans le cas de liens entre mulieres religiosae.

Compétentes en matière dinstruction religieuse et de transmission de leur savoir révélé, elles forment non seulement les laïcs aux idéaux spirituels de la réforme religieuse amorcée au xiie siècle, mais également de jeunes dévotes et de jeunes clercs fraîchement émoulus. Cette apparente promotion des mulieres religiosae est, en fait, soumise à des normes comportementales agencées dans un engrenage complexe dans lequel le rouage de lâge spirituel ou biologique semble finalement jouer un rôle bien plus décisif que celui du genre. En effet, si les régimes de genre peuvent être brouillés par la maîtrise dun savoir révélé par une femme, les rapports entre aînée et cadet, eux, ne le sont pas totalement, car la maturité spirituelle ou biologique stabilise plus efficacement que le genre les relations sociales dans un milieu spirituel encore quelque peu en marge des institutions. En dernière analyse, lâge est un agent

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majeur de hiérarchisation sociale et par là même de différenciation dans le milieu dévot.

Ces quelques considérations, bornées aux cas de certaines mulieres religiosae, réclament louverture un chantier danalyse plus large, reposant sur une démarche comparative. Des recherches portant sur le cas dhommes inspirés tels que des convers cisterciens contemporains des mulieres religiosae pourraient être entamées, afin non seulement de vérifier les hypothèses présentées ici, mais également de clarifier le cas de la « puissance des faibles » de la société médiévale48. Sur le plan méthodologique, il serait également utile dexaminer comment la notion dintersectionnalité peut enrichir les outils de lhistorien, en particulier en amendant ou du moins en affinant lusage habituellement fait en médiévistique des dichotomies homme-femme et laïc-ecclésiastique.

Anne-Laure Meril-Bellini
delle Stelle

Docteur en histoire de lUniversité de Toulouse II – Le Mirail

Laboratoire Framespa

1 Pour une synthèse récente sur le mouvement béguinal féminin, consulter W. Simons, Cities of Ladies. Beguine Communities in the Medieval Low Countries, 1200-1565, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001.

2 En sociologie, lintersectionnalité étudie le croisement ou lintersection de différentes formes de domination et de discrimination, à partir de lentrecroisement de plusieurs caractéristiques sociales. Pour une présentation générale : Introduction aux gender studies. Manuel des études sur le genre, éd. L. Bereni, S. Chauvin, A. Jaunait et A. Revillard, Bruxelles, De Boeck, 2008.

3 Lexpression mulier religiosa, utilisée tout particulièrement entre la fin du xiie siècle et le début du xiiie siècle, semble préférable à celle de béguine, du fait de sa connotation péjorative au Moyen Âge, sans compter que cette formulation est lune des plus usitées au début du phénomène béguinal ; sur les recluses, voir les travaux de P. LHermite-Leclercq, notamment « Reclus et recluses dans la mouvance des ordres religieux », Les mouvances laïques des ordres religieux. Actes du 3e colloque international du CERCOR, Tournus 17-20 juin 1992, Saint-Étienne, Publications de lUniversité de Saint-Étienne, 1996, p. 201-218 ; sur les cisterciennes des Pays-Bas méridionaux du xiiie siècle, consulter les monographies de Hidden Springs, Cistercian Monastic Women, (vol. 3), éd. J. A. Nichols et L. T. Shank, Kalamazoo, Cistercian Publications, 1995.

4 Sur lexceptionnel dossier hagiographique des Pays-Bas méridionaux du xiiie siècle, consulter S. Roisin, Lhagiographie cistercienne dans le diocèse de Liège au xiiie siècle, Louvain, Les Presses de Belgique, 1947, et B. Newman, « Preface. Goswin of Villers and the Visionary Network », Send Me God: the Lives of Ida the Compassionate of Nivelles, Nun of La Ramée, Arnulf, Lay Brother of Villers, and Abundus, Monk of Villers, by Goswin of Bossut, éd M. Cawley, Turnhout, Brepols, 2003, p. XXIX-XLVII. Sur les exempla tirés du Bonum Universale de Apibus de Thomas de Cantimpré, voir « Introduction », dans Thomas de Cantimpré, Les exemples du livre des abeilles, éd. H. Platelle, Turnhout, Brepols, 1997, p. 5-56. Nous nous permettons également de renvoyer à notre thèse de doctorat : A.-L. Méril-Bellini delle Stelle, Caritas et familiaritas à lombre du Seigneur : les relations des mulieres religiosae des Pays-Bas méridionaux du xiiie siècle avec leur entourage, thèse de doctorat, Université de Toulouse, 2012.

5 La seule exception connue est : A. Mulder-Bakker, « The Prime of their Lives. Women and Age, Wisdom and Religious Careers in Northern Europe », New Trends in Feminine Spirituality. The Holy Women of Liège and their Impact, éd. J. Dor, L. Johnson et J. Wogan-Browne, Turnhout, Brepols, rééd. 2009, p. 215-236.

6 Un exemple de lecture féministe : Gendered Voices: Medieval Saints and Their Interpreters, éd. C. M. Mooney, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1999 ; un exemple dapproche traditionnelle : K. Bücher, Die Frauenfrage im Mittelalter, 2e éd., Tübingen, H. Laupp, 1910.

7 Sur lévolution de la sainteté médiévale, y compris celle des femmes, consulter A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge daprès les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, École française de Rome, 1981, et sur la place des laïcs dans la spiritualité médiévale, voir du même auteur Les laïcs au Moyen Âge, pratiques et explications religieuses, Paris, Le Cerf, 1987.

8 Pour une biographie de Jacques de Vitry, voir entre autres C. Renardy, Les maîtres universitaires dans le diocèse de Liège : répertoire biographique, Paris, Les Belles Lettres, 1979, et du même auteur Le monde des maîtres universitaires dans le diocèse de Liège (1140-1350). Recherches sur sa composition et ses activités, Paris, Les Belles Lettres, 1979.

9 La Vita Mariae Oigniacensis et son Supplementum, abrégés respectivement en VMO et VMO-S, figurent dans R. B. C. Huygens (éd.), Iacobus de Vitriaco. Vita Marie de Oegnies, Turnhout, Brepols, 2012 ; VMO II, 4.

10 La Vita Beatricis, abrégée en VB, a été éditée par R. de Ganck, The Life of Beatrice of Nazareth 1200-1268, Kalamazoo, Cistercian Publications, 1991 ; vite maturitas VB 60.

11 VMO-S III.

12 Sur Thomas de Cantimpré, voir C. Renardy et H. Platelle, « Le recueil des miracles de Thomas de Cantimpré et la vie religieuse dans les Pays-Bas et le Nord de la France au xiiie siècle », Actes du 97e congrès national des sociétés savantes Nantes 1972, Paris, 1979, p. 469-493.

13 La Vita Lutgardis Aquiriensis, abrégée en VLA, se trouve dans les Acta Sanctorum juin, III, 1867, p. 187-209 ; VLA I, 15.

14 M. Lauwers, « Expérience béguinale et récit hagiographique. À propos de la Vitæ Mariae Oigniacensis de Jacques de Vitry (vers 1215) », Journal des savants, janvier-juin 1989, p. 61-103, ici p. 90.

15 Par exemple pour Lutgarde dAywières, une jeune recluse in puellarii aetate (VLA II, 37) et le jeune Thomas de Cantimpré aetate iuvenis (VLA II, 38).

16 VMO II, 6. Sur la différence dâge entre Marie dOignies et Jacques de Vitry, il est difficile de trancher car la date de naissance de Jacques de Vitry nest pas connue avec précision ; il sagirait soit de 1160 soit de 1170. Dans le premier cas, il est plus âgé que Marie dOignies née en 1177 ; dans le second cas, il serait son cadet de sept ans.

17 J. Coakley, « Jacques of Vitry and the Other World of Mary of Oignies », Women, Men, and Spiritual Power: Female Saints and Their Male Collaborators, éd. J. Coakley, New York, Columbia University Press, 2006, p. 68-88.

18 VMO-S I.

19 VMO II, 4.

20 Pour J. Coakley, les Prêcheurs sont littéralement fascinés par les femmes mystiques et par leurs charismes au point daccepter ce renversement dautorité. Voir J. Coakley, « Friars as Confidants of Holy Women in Medieval Dominican Hagiography », Images of Sainthood in Medieval Europe, éd. R. Blumenfled-Kosinski et T. Szell, Ithaca, Cornell University Press, 1991, p. 222-246. B. P. McGuire avance une thèse plus nuancée à partir du dossier cistercien : B. P. McGuire, « Holy Women and Monks in the Thirteenth Century: Friendship or Exploitation? », Vox Benedictina, no 6/4, 1989, p. 434-374.

21 Thomas de Cantimpré, Miraculorum et exemplorum sui temporis, éd. G. Colvénère, Douai, 1605, abrégé en BU ; BU II, 1, 1 et II, 1, 24.

22 A. Paravicini Bagliani, « Âges de la vie », Dictionnaire raisonné de lOccident médiéval, dir. J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Paris, Fayard, 1999, p. 7-19.

23 K. M. Phillips, « Maidenhood as the Perfect Age of Womans Life », Young Medieval Women, éd. K. J. Lewis, N. J. Menuge et K. M. Phillips, Stroud-New York, Sutton-St Martins, 1999, p. 1-24, et du même auteur Medieval Maidens. Young Women and Gender in England, 1270-1540, Manchester-New York, Manchester University Press, 2003.

24 C. Beattie, « The Life Cycle: The Ages of Medieval Women », A Cultural History of Women in the Middles Ages, éd. K. M. Phillips, Londres, Bloomsbury Academic, 2013, p. 15-38.

25 VMO-S X.

26 venerabilem VB 50.

27 M. Goodich, Vita perfecta: The Ideal of Sainthood in the Thirteenth Century, Stuttgart, A. Hiersemann, 1982, et D. Lett, « Le corps de la jeune fille. Regards de clercs sur ladolescente aux xiie-xive siècles », CLIO, Histoire, Femmes et Sociétés, 8, 1996, p. 2-14.

28 VMO I, 1.

29 VMO, prologue.

30 M. H. King, « The Dove at the Window: the Ascent of the Soul in the Thomas de Cantimprés Life of Lutgarde dAywières », Hidden Springs, Cistercian Monastic Women, (vol. 3), éd. J. A. Nichols et L. T. Shank, Kalamazoo, Cistercian Publications, 1995, p. 225-253.

31 Sur la distinction entre savoir révélé et connaissances scolaires au Moyen Âge, voir A. Mulder-Bakker, « Introduction », Seeing and Knowing: Women and Learning in Medieval Europe 1200-1550, éd. A. Mulder-Bakker, Turnhout, Brepols, 2004, p. 1-19.

32 Aetate juvenis VLA II, 38.

33 « Empli de terreur et de crainte, je vins vers la pieuse Lutgarde, comme vers une mère très intime (sicut ad specialissimam mihi matrem, acessi), et touché par la douleur, je lui découvris mon tourment. Elle eut pitié de moi et se mit à prier. Et revenant, elle me dit pleine de confiance : “Retourne, mon fils, là où tu étais et ne ménage pas ta peine pour le soin des âmes. Le Christ, protecteur et docteur, sera près de toi” » VLA II, 38.

34 J. Le Goff, « Contexte socio-culturel du xiiie siècle en Europe », Fête-Dieu (1246-1996), éd. A. Haquin, Louvain-la-Neuve, Publications de lInstitut dÉtudes Médiévales, Textes, Études, Congrès, 19/1, 1999, p. 11-18.

35 VMO prologue et VMO II, 6.

36 VB 50.

37 La Vita Ivettae (de Hui), abrégée en VIH, se situe dans les Acta Sanctorum, janvier, II, 1643, p. 863-887 ; VIH XLV (114) et XXIV (72).

38 Le prêtre et prédicateur proche des premières mulieres religiosae, Jean de Liroux, décède en 1216 lors de la traversée des Alpes alors quil se rend justement à Rome pour présenter le cas des mulieres religiosae au pape. La même année, Jacques de Vitry obtient un privilège pontifical dHonorius III pour les béguines qui ont alors la permission de vivre ensemble dans leur propre maison et de sexhorter mutuellement, privilège étendu du diocèse de Liège à lEmpire et à la France.

39 A. Mulder-Bakker, « Ivetta of Huy : Mater et Magistra », Sanctity and Motherhood: Essays on Holy Mothers in the Middle Ages, éd. A. Mulder-Bakker, New York, Garland Publishing, 1995, p. 224-258, ici p. 239.

40 C. Casagrande, « La femme gardée », Histoire des femmes en Occident, éd. G. Duby et M. Perrot, t. 2 : Le Moyen Âge, dir. Ch. Klapisch-Zuber, Paris, Perrin, 1991, p. 99-142, ici p. 105-107, et D. Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge. Histoire du genre xiie-xve siècle, Paris, Armand Colin, 2013, notamment p. 46-48.

41 A. Forni, « La nouvelle prédication des disciples de Foulques de Neuilly : intentions, techniques et réactions », Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle, Rome, École française de Rome-Paris, De Boccard, 1981, p. 19-37.

42 De nouveau, nous empruntons à J. Dalarun, qui emploie cette formule à propos de frères Mineurs en charge de femmes religieuses : J. Dalarun, « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire ». La religion faite femme, xie-xve siècle, Fayard, Paris, 2008, p. 179.

43 La Vita Margarete de Ypris, abrégé en VMY, a été éditée par G. G. Meersseman, Vita Margarete de Ypris, « Les Frères prêcheurs et le mouvement dévot en Flandre au xiiie siècle », Archivum Fratrum Praedicatorum, 18, 1948, p. 106-130 ; VMY 22-23 ; VMY 7 ; VMY 33 ; VMY 57.

44 VIH XXVI (82), XXVIII (84), XXXII (93).

45 VMO prologue.

46 A. Vauchez, « Les pouvoirs informels dans lÉglise aux derniers siècles du Moyen Âge : visionnaires, prophètes et mystiques », Mélanges de lÉcole française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, 96/1, 1984, p. 281-293, et 98/1, 1986, p. 7-11, et, du même auteur, Saints, prophètes et visionnaires, le pouvoir surnaturel au Moyen Âge, Paris, Albin Michel, 1999.

47 Toutefois, il est certain quà la fin du Moyen Âge, certaines béguines semblent avoir conservé un ascendant considérable sur quelques grands mystiques rhénans et flamands issus majoritairement du monde dominicain. À ce sujet, lire G. Épiney-Burgard, « Linfluence des Béguines sur Ruusbroeck », Jan van Ruusbroec, The Sources, Content and Sequels of his Mysticism, éd. P. Mommaers, Louvain, University Press, 1984, p. 68-65, et B. McGinn, Meister Eckart and the Beguines Mystics: Hadewijch of Brabant, Mechtild of Magdeburg, and Marguerite Porète, New York, Continuum, 1994.

48 Power of the Weak: Studies on Medieval Women, éd. J. Carpenter et S.-B. MacLean, Urbana-Chicago, University of Illinois Press, 1995.