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Classiques Garnier

Du modèle à la mode Science et expérience dans le Champion des Dames de Martin Le Franc

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2014 – 1, n° 27
    . varia
  • Auteur : Fritz (Jean-Marie)
  • Résumé : Dans un passage célèbre de son Champion des Dames, Martin Le Franc émet un jugement original sur la musique de son temps, en ce ­qu’il tourne le dos à la traditionnelle laudatio temporis acti. Le monde va peut-être mal, nous dit en substance Martin, mais la musique ­contemporaine est extraordinaire de créativité, de nouveautés et de surprises. Ainsi, les musiciens de la génération de Jean sans Peur ne sont plus à la mode sous Philippe le Bon, où triomphent Dufay et Binchois ; la musique ­n’est donc pas un art immobile ; les modèles ne sont posés que pour être dépassés. Et ces autorités du moment sont elles-mêmes fragiles, ­comme le montre le succès des jongleurs aveugles de la cour de Philippe le Bon. Seul ­compte ­l’effet produit sur ­l’auditoire : vérité ­d’une performance et ­d’une expérience en lieu et place de ­l’autorité ­d’un modèle. Cette valorisation du nouveau ­s’inscrit dans une ­conception de ­l’histoire qui est en partie déjà humaniste ou, du moins, qui ­n’est plus tout à fait médiévale.
  • Pages : 123 à 137
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812435164
  • ISBN : 978-2-8124-3516-4
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3516-4.p.0123
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 02/03/2015
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Du modèle à la mode

Science et expérience dans le Champion des Dames
de Martin Le Franc

Il est difficile, on le sait, de trouver dans les textes français du Moyen Âge des jugements dordre esthétique sur les écrivains ou artistes contemporains. Les auteurs se contentent de faire appel à la rhétorique de léloge ou du blâme sans se livrer à de véritables confidences. Léloge est souvent un tombeau ; on pense à Eustache Deschamps qui rend hommage à Guillaume de Machaut dans des ballades jumelles célèbres ou aux tombeaux du cimetière dAmour dans le Livre du Cœur dAmour épris de René dAnjou1. Quant au blâme, il sinscrit dans un registre idéologique plus questhétique si lon prend en considération les débats autour du Roman de la Rose ou de la Belle Dame sans Merci. Le texte que nous nous proposons danalyser, un extrait du Champion des Dames de Martin Le Franc, qui porte un jugement sur la musique et les musiciens du milieu du xve siècle et fait part dune véritable expérience esthétique, nen est que plus exceptionnel. Le passage a depuis longtemps intéressé les musicologues, mais pour lui-même, isolé de son contexte immédiat2 ; il mérite dêtre resitué dans cette vaste somme allégorique

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quest le Champion des Dames et dans le cadre plus général de la remise en question de la notion de modèle, de tradition et dautorité à la fin du Moyen Âge. Cest finalement une nouvelle conception de lhistoire des arts que lauteur nous propose dans ce texte.

Martin Le Franc est une figure importante de la littérature du milieu du xve siècle, sans doute injustement méconnue3. Il est né en Normandie, près dAumale, autour de 14104 ; cest avant tout un homme dÉglise, qui fait sa carrière dans la chancellerie des ducs de Savoie et plus particulièrement dAmédée VIII, qui, une fois veuf, sera nommé pape par le concile de Bâle en 1439 sous le nom de Félix V5. Il en sera le protonotaire et participera à ce titre en 1440 au concile, où il a eu comme collègue Æneas Sylvius Piccolomini, le futur pape Pie II, qui nhésitera pas à le mettre en scène dans un certain nombre de ses Dialogi sous le nom de Martinus Gallus. Il devient prévôt de Lausanne en 1443, poste quil conserve jusquà sa mort à Genève en 1461. De par sa formation, Martin Le Franc connaît sans doute bien le latin ; il fait tout autant appel aux autorités théologiques, depuis les premiers Pères jusquà saint Bernard ou saint Thomas, quaux auteurs de lantiquité païenne, Ovide, Valère-Maxime, Sénèque, Cicéron, mais également Juvénal et Perse quil cite dans le prologue du Champion des Dames. Trait plus original, Martin Le Franc est en contact avec la littérature italienne : il a vraisemblablement abordé la Divina Commedia ; il cite en tout cas le De casibus virorum illustrium de Boccace (traduit, il est vrai, en français par Laurent de Premierfait) et surtout le De remediis de Pétrarque à une

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époque, où, on le sait, la France était particulièrement imperméable à tout ce qui venait dau-delà des Alpes, si lon excepte le cas singulier de Christine de Pizan6. On a donc pu parler à juste titre dhumanisme ou de préhumanisme à son propos dans une France encore très médiévale. Æneas Sylvius Piccolomini le qualifie lui-même d« homme savant et doué dune culture non moins admirable que séduisante7 ». Cet éloge dun français par un grand humaniste italien en plein quattrocento est suffisamment rare pour quon le mentionne. À côté dune œuvre latine (une consolatio et des épîtres) et des traductions du latin en français perdues8, Martin Le Franc laisse deux grands textes vernaculaires, le Champion des Dames et lEstrif de Fortune et de Vertu, qui doit beaucoup au De remediis de Pétrarque dont il ne cite pourtant jamais le nom. Cest au Champion des Dames que je mintéresserai.

Bien que Martin Le Franc ne soit pas au service des ducs de Bourgogne, lœuvre est dédicacée à Philippe le Bon en 1442 et ne connaîtra dans un premier temps quun accueil mitigé à sa cour. Comment expliquer cet échec ? Dabord, en raison de ses attaques répétées contre les nobles et le clergé (notamment romain) et du parti-pris basiléen de lauteur que ne partageaient pas les milieux ducaux, restés fidèles à Rome9. De plus, ses prises de position féministes radicales, si lon peut dire, ont pu choquer. Elles ont même valu à lauteur lhonneur dune mention dans le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, mais sous le titre écorché de Chaperon des Dames10 ! Martin Le Franc prend en effet fait et cause pour les femmes attaquées dans le sillage du Roman de la Rose ; le texte se révèle ainsi atypique dans son siècle, puisque la défense des dames est

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ici le fait non dune femme (on pense à Christine de Pizan), mais dun homme, qui plus est, homme dÉglise important et influent11. Cette posture surprenante est souvent violente ; non seulement il défend les femmes, mais il attaque les hommes sur le modèle de la satire antiféministe : ils sont à lorigine de tous les maux, ce sont eux, et non les femmes, qui sont les fauteurs de toutes les guerres, à commencer par la guerre de Cent Ans ; et inversement, les femmes sont à lorigine de tous les biens de lhumanité et, en particulier, de tous les arts, comme le soulignent les figures des Muses, longuement décrites avec leurs instruments de musique12. Cette radicalité est sans doute lune des raisons dun premier accueil mitigé à la cour de Philippe le Bon, dont témoigne la Complainte du livre du Champion des Dames à maistre Martin Le Franc son acteur, texte là aussi intéressant et novateur, puisquil réfléchit à la réception houleuse du texte en donnant pour la première fois sans doute la parole au livre13. Dans le Livre de lAdvision Cristine, lors de sa longue complainte à Philosophie, Christine de Pizan évoquait, il est vrai, déjà la voix de ses volumes et les comparait au cri du nouveau-né à partir dune comparaison entre lengendrement de son œuvre et lenfantement, mais cette voix nétait pas explicitée14. Martin, lui, imagine une prosopopée : il cède longuement la parole à son livre qui sadresse à lauteur lui-même pour se plaindre de ses maladresses et du mauvais accueil

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quon lui a réservé. Une seconde édition paraît en 1451, représentée par le manuscrit de Paris, BnF, fr. 12476, et sera mieux accueillie ; le texte nest pas modifié, mais il est accompagné de la Complainte15 et, comme la bien montré Pascale Charron, la mise en page est repensée : Franc Vouloir, le Champion des Dames, est figuré sous les traits de Philippe le Bon, manière de sassurer les bonnes grâces du commanditaire, et les courtisans, à lorigine de la cabale contre le livre une décennie plus tôt, sont désormais de taille réduite16. Lœuvre connaîtra dès lors une diffusion moins confidentielle, mais géographiquement limitée, comme lattestent les neuf manuscrits, tous réalisés dans les milieux bourguignons, et les deux imprimés humanistes, celui de Guillaume le Roy (? ; Lyon, v. 1485) et de P. Vidoue pour Galliot du Pré (Paris, 1530)17.

Le Champion des Dames, bien quil suive le modèle très canonique du songe allégorique (deux camps saffrontent, celui de Malebouche, héritage du Roman de la Rose, et celui de Franc Vouloir, le Champion des Dames, pendant plus de 24000 vers !)18, est intéressant et novateur sur bien dautres plans que celui des gender studies, et notamment sur celui de la musique. Il nous offre dabord un répertoire très riche des mythes antiques qui mettent en jeu lart musical et les instruments :

mythes dinvention : invention ratée de la flûte par Athéna (v. 13801) ; invention du flajol, la flûte de Pan, par Siringue, (v. 17323) ; invention de la musique par Jubal en passant devant

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la forge de son frère Tubalcaïn, avatar biblique de la légende de Pythagore (v. 16250) ;

mythes de pouvoir : Argus endormi au son du flajol (v. 14767) ; Amphion qui par son chant permet lédification des murs de Thèbes (v. 23625) ; Arion et les dauphins (v. 13895), sans oublier évidemment Orphée aux Enfers (v. 12929) ;

mythes de compétition ou de jugement : jugement de Midas et châtiment des oreilles dâne (v. 13793 sq.) ; concours entre Apollon et Marsyas, où lauteur prend des libertés par rapport à ses modèles, puisque Apollon joue de la flûte, non de la lyre (v. 13825 sq.).

Cet intérêt pour la chose musicale ne se réduit pas à cette perspective scolaire et humaniste. Dans le livre IV, Martin Le Franc sort de sa réserve ; il se met en avant et porte un jugement tout à fait intéressant sur la musique et les musiciens de son temps. Il sy montre mélomane, fin connaisseur de musique, critique musical, pour la première fois sans doute dans la littérature française. Rappelons le contexte : le camp de Malebouche se lamente sur le temps présent et développe lidée que le monde est près de sa fin ; Franc Vouloir ne récuse pas la thèse dune fin du monde imminente, mais défend en même temps lidée dun progrès : le monde est faible, fragile, mais nous avons plus de savoir, plus dengin que les anciens. Les enfants ont plus de maturité quautrefois ; Nature, vicaire de Dieu, leur donne un « engin plus soubtil, / Agu, soudain et ravissant », comme si elle voulait compenser notre briefve vie et la fragilité du siècle par une intelligence plus précoce et plus vive (str. 2028-2030). On pourrait presque résumer la pensée du Champion de la manière suivante : bien que tout aille de mal en pis (ou peut-être parce que tout va de mal en pis ?), nous vivons une époque géniale ; les malheurs du siècle vont de pair avec une sorte dexcitation et de bouillonnement culturel. La strophe 2031 nous rappelle de loin la célèbre formule de Bernard de Chartres sur les médiévaux, nains juchés sur des épaules de géants :

[] des ancïens nous avons

Lart, lexperïence et lespreuve,

Et les choses prestes trouvons.

Si nest merveille se sçavons

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Plus tost ou plus quilz ne sçavoient,

Car encores nous adjoustons

Beaucop aux choses quilz trouvoient (str. 2031).

De loin seulement, car pour notre auteur, nous ne sommes plus des nains, mais nous profitons de la science des anciens pour ajouter beaucoup à ce quils trouvaient. On est loin de lhumilité du Chartrain et du xiie siècle. Lesprit de la Renaissance est proche.

Le texte se prolonge immédiatement par lexemple de la musique, qui va donc permettre à Martin Le Franc dappuyer ou dillustrer lidée dun progrès ou du moins dun processus daccélération de lhistoire des formes artistiques et corrélativement dune fragilité de la notion de modèle ou dautorité. Il procède pour cela à trois confrontations. La première compare non sans une pointe dhumour les deux extrêmes, la musique des origines, celle des patriarches, de Jubal, qui aurait découvert avant Pythagore les lois de la musique dans la forge de son frère Tubal19, et la musique du temps de maintenant :

Pour le temps du mauvais Caÿn,

Quant Jubal trouva la pratique

En escoutant Tubalcaÿn

Daccorder les sons de musique,

Lart ne fut pas si auctentique

Quelle est ou temps de maintenant,

Aussy ne fut la rethorique

Ne le parler si avenant (str. 2032).

Martin Le Franc valorise la musique (et, notons-le, aussi la rhétorique) du présent en la qualifiant dauctentique, soit digne dautorité et irréprochable au regard de lars musica ; le terme dauthentique est ici en quelque sorte subverti : lauthentique nest pas loriginel, le primitif, mais le nouveau, le récent20.

Dans une seconde étape, il resserre lécart temporel ; il compare le naguère et le présent et met face à face deux générations de musiciens : Tapissier, Carmen, Cesaris, compositeurs en vogue à Paris, à la cour de

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Bourgogne sous Jean sans Peur ou à celle de Berry dans les années 1400-1420 et la génération suivante qui va les supplanter, celle des Dufay et Binchois, à la mode dans les années 1440, au moment où écrit Martin Le Franc21. Deux huitains leur sont consacrés :

Tapissier, Carmen, Cesaris

Na pas long temps si bien chanterent

Quilz esbahirent tout Paris

Et tous ceulx qui les frequenterent.

Mais onques jour ne deschanterent

En melodie de tel chois,

Ce mont dit ceulx qui les hanterent*, * côtoyèrent

Que Guillaume du Fay et Binchois.

Car ilz ont nouvelle pratique

De faire frisque* concordance * vive

En haulte et en basse musique,

En fainte, en pause et en muance.

Et ont prins de la contenance

Angloise et ensuÿ Dunstable,

Pour quoy merveilleuse plaisance

Rend leur chant joyeux et notable (str. 2033-2034).

Lauteur insiste dabord sur la rapidité des évolutions et donc la fragilité du succès ; la mode est de courte durée (« Il ny a pas longtemps que… ») et est relative à un espace précis, ici Paris ; léphémère va de pair avec la limitation spatiale. Puis, alors que la première comparaison entre le temps de Caÿn et son temps relevait de la boutade, lon sappuie ici sur une expérience, certes non encore autoptique, mais de première main : « Voilà ce que mont dit ceux qui les ont côtoyés… ». Pour Martin Le Franc, la mode nest pas pour autant le domaine de larbitraire ou de laléatoire ; lauteur nen reste pas au lieu commun de la fragilité ou vanité de la gloire (vana gloria) quavait en son temps illustré Dante dans

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le Purgatoire : Cimabue qui croyait tenir la première place a dû seffacer devant la renommée (il grido) de Giotto, tout comme Guido Cavalcanti a ravi la gloire à Guido Guinizelli22. Martin, lui, cherche une explication à ce succès et lui consacre toute la strophe 2034, qui souvre par un car. Trois faisceaux darguments sont apportés. Dabord, lattrait du nouveau et plus précisément dune nouvelle pratique : Dufay ou Binchois renouvellent moins une ars musica quune pratique musicale ; notons que musique rimait déjà avec pratique dans la strophe consacrée à Jubal. Il avance ensuite un ensemble de considérations esthétiques : ils font preuve de fraîcheur et de vivacité (ce quexprime ladjectif frisque), leur chant est joyeux ; il est question de concordance, non plus simplement de melodie comme dans le huitain précédent, le niveau vertical ou harmonique enrichit le plan horizontal de la mélopée ; on peut noter la technicité du lexique qui vise à montrer que lauteur juge en connaissance de cause : fainte, pause, muance, haulte et basse musique23. Enfin, il interroge ce nouvel art en terme dinfluences, influence anglaise en loccurrence, celle dun Dunstable. Martin Le Franc se fait ici musicologue, réfléchit aux échanges et aux courants esthétiques qui traversent lEurope. Le modèle anglais sest en quelque sorte exporté sur le continent. Les formes et les styles circulent comme les hommes et les marchandises, comme Martin lui-même qui a sillonné lEurope au gré de ses missions diplomatiques… Ce quil noublie pas de nous rappeler en préambule à son éloge de Christine de Pizan :

Se jay erré parmy le monde

Pour demonstrer a ma puissance

La vertu, le sens, la faconde

De nos dames… (v. 18889-18892)24.

Les deux strophes suivantes permettent dintroduire la fameuse anecdote des musiciens aveugles de la cour de Philippe le Bon. Lon reste dans le même horizon bourguignon et dans le registre de la pratique, mais lon quitte les figures dautorité que sont Binchois ou Dufay pour sintéresser

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à un simple ménétrier du duc, Verdelet, virtuose inégalé du flageolet25. Ce praticien, mort il y a peu (naguère trépassé : on se maintient donc dans le quasi-présent), nest pas mis en concurrence avec un Binchois, mais permet de lancer une diatribe contre Orphée, musicien bien minable au regard dun Verdelet, et surtout contre les poètes qui usent et abusent de cette figure. Après la boutade sur la musique des patriarches et les mythes dorigine, voilà Martin Le Franc qui met à mal les poncifs des poètes et la figure mythologique par excellence du musicien :

Ne face on mencïon dOrphee

Dont les poetes tant escrivent,

Ce nest quune droicte faffee

Au regard des harpeurs qui vivent (v. 16281-16284).

Le paradigme mythologique est ici tourné en dérision et Orphée rime désormais avec faffee, mot familier, voire grivois, que lon peut traduire par « bagatelle26 ». La valeur nest plus dans le passé, encore moins dans le passé mythologique, mais dans le présent immédiat, dans le contemporain, celui des « harpeurs qui vivent ».

La dernière confrontation se situe précisément à lintérieur de ce présent. À Orphée Martin Le Franc substitue les deux mêmes sommités du moment – Dufay et Binchois – et Verdelet laisse la place aux vielleurs aveugles de la cour de Philippe le Bon ; les termes du rapport ont changé, mais lécart reste le même :

Tu as les avugles ouÿ

Jouer a la court de Bourgongne ?

Nas pas ? Certainement ouÿ

Fust il jamais telle besongne ?

Jay veu Binchois avoir vergongne

Et soy taire emprez leur rebelle*, * rebec

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Et Dufay despité et frongne* * grimaçant

Quil na melodie si belle (str. 2037).

Le ton et le registre sont différents. Martin Le Franc ne parle plus en clerc qui connaît Jubal, Tubal ou Orphée ou qui a entendu parler de Carmen ou Cesaris ; il évoque désormais sa propre expérience dauditeur ; il insiste sur lautopsie, le voir ou lentendre par soi-même : il a lui-même assisté à la performance musicale et à la réaction des autorités en la matière (« jai vu… »). Lon peut par chance retrouver les circonstances précises de cette rencontre insolite. Il sagit du mariage de Louis, fils du duc Amédée VIII de Savoie avec Anne de Lusignan, princesse de Chypre, en février 1434 à Chambéry. Philippe le Bon est invité, il se déplace comme de coutume avec sa cour, ses musiciens, avec Binchois ; quant à Guillaume Dufay, il vient de rentrer dItalie pour se mettre au service du duc de Savoie, qui voulait pour ces réjouissances être sur le plan musical à la hauteur de son hôte27. Martin Le Franc a donc assisté à cette rencontre au sommet pour ainsi dire entre Binchois et Dufay et pu voir leur réaction à laudition des joueurs de vielle aveugles du duc. Isabelle du Portugal, la duchesse, les a fait venir de Castille (et non du Portugal comme on la longtemps pensé) et lon connaît leur nom par les archives ducales – Jehan de Cordoval et Jehan Ferrandez (ou Fernandez) –, mais notre auteur maintient sans doute à dessein leur anonymat pour donner encore plus de relief à la scène : des sans-grade laissent pantois des grands noms de la musique28.

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Il convient de resituer le passage dans son horizon de réception : le livre est précisément adressé et lu à la cour de Bourgogne et lauteur joue ici sur la spécularité. Le ton cesse dêtre celui de la sentence ou du sermon pour prendre un tour très oral : Franc Vouloir interpelle très familièrement son interlocuteur – tu as les avugles ouÿ… ? Ce tu sadresse dans la fiction à Malebouche, mais dans la réalité de la réception lon vise lentourage de Philippe le Bon et le duc lui-même et lon évoque un souvenir récent : les fêtes de Savoie et ces musiciens virtuoses aveugles qui vivaient encore en 1442 et même en 1451 lors de la seconde édition29. Comment interpréter cette scène surprenante qui voit les compositeurs Binchois et Dufay jaloux du succès de simples interprètes ? Scène qui a tellement surpris les premiers lecteurs que les deux imprimés humanistes ont remplacé – intentionnellement ? – les avugles par les Anglois, manière détablir la continuité avec la contenance angloise de Dunstable de la strophe 2034 !

Tu as bien les Anglois ouÿ

Jouer a la court de Bourgongne30 ?

Plusieurs explications peuvent être avancées. Martin Le Franc prolonge peut-être lidée des strophes précédentes : de même que Tapissier ou Carmen ont été supplantés par Binchois et Dufay, ces derniers passeront de mode et le succès reviendra aux vielleurs aveugles du duc, vielleurs rebelles (rebelle est qui aussi le nom de leur instrument, le rebec) en ce sens quils mettent à mal les hiérarchies établies. Mais les deux Espagnols ne sont pas des compositeurs et ne feront pas dombre à Dufay ; ils ne sont pour nous que des noms conservés dans les archives ducales. Une autre hypothèse nous conduirait à analyser ce passage comme un éloge de la pratique et dun art de limprovisation qui égale ou dépasse la

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musique écrite ou tout au moins composée dun Dufay, qui produit plus ou autant deffet quelle. Laveugle est celui qui na pas eu accès à lécrit, aux traités de musique, à lars musica, à Boèce ; il joue dinstinct, comme un musicien de jazz peut improviser avec génie sans connaître les règles de lharmonie et du contrepoint classique. Enfin, sur un registre moins polémique, on peut y voir un éloge sans fard de la cour de Bourgogne : les talents y sont multiples, le simple ménestrel anonyme force ladmiration du grand compositeur.

Concluons. Martin Le Franc procède dans ce passage célèbre à trois confrontations qui sont autant de remises en question. Lambitus temporel est progressivement resserré. Le premier parallèle réunit les deux extrémités du temps historique, les temps antédiluviens et lextrême contemporain, ce qui permet de valoriser le présent : la valeur, lauthenticité nest pas dans lancien ou loriginel, mais dans le nouveau. Martin Le Franc rejette le modèle dune figure archétypale idéale, quelle soit biblique avec Jubal ou mythologique avec Orphée ; seuls comptent le présent et lexpérience immédiate. La seconde confrontation met aux prises deux générations de compositeurs – celle des Carmen et Tapissier dun côté, celle de Dufay et Binchois de lautre – et permet de mettre en lumière les effets de mode, et lidée dun mouvement, dun progrès au sens de processus : la musique du temps de Jean sans Peur nest plus à la mode sous Philippe le Bon ; la musique nest pas un art immobile, figé, elle vit, se transforme ; les modèles ne sont posés que pour être dépassés. Le troisième face-à-face annule tout écart temporel – Dufay ou Binchois sont les contemporains des vielleurs aveugles – et vise à relativiser la notion dautorité : le petit, le sans-grade, lanonyme peut susciter ladmiration et plutôt la jalousie dune auctoritas comme Binchois. Seul compte leffet produit sur lauditoire : vérité dune performance et dune pratique en lieu et place de lautorité dun modèle. Cette valorisation du neuf, du nouveau, du petit également sinscrit dans une conception de lhistoire et du temps qui est en partie déjà humaniste ou, du moins, qui nest plus tout à fait médiévale : les sciences et les arts sont en progrès, en expansion ; ils évoluent vers plus de subtilité. Car ce progrès nest pas le privilège de la seule musica ; il se vérifie aussi dans les arts figurés ; en témoignent les tapisseries dArras qui sont évoqués, mais bien plus rapidement, dans la strophe qui suit celle des vielleurs :

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Se tu parles dart de paintrie,

Distorïens*, denlumineurs, * enlumineurs

Dentailleurs par grande maistrie,

En fust il onques de meilleurs ?

Va veoir Arras ou ailleurs

Louvrage de tapisserie,

Puis laisse parler les railleurs

De lancïenne pleterie (str. 2038).

Franc Vouloir réaffirme lourdement un peu plus bas lidée de progrès ; les jeunes esprits (ou engins) font progresser la science des Anciens assimilés à des vieillards et limage retenue est celle du puits :

Scïence est comme ung puis parfont

Que les Ancïens descouvrirent,

Ou les nouviaux engins parfont

Ce que les viellars ne parfirent.

Toudis avant piquent et tirent

Les jones engins moult appers

A trouver ce quonques ne virent,

Et tousjours se font plus expers (str. 2044).

Martin Le Franc inverse le rapport au temps et subvertit le modèle dun monde vieux, près de sa fin : pour lui, le siècle est jeune, subtil et cest le monde des Anciens qui est celui de la vieillesse. Rappelons la célèbre ballade dEustache Deschamp sur le monde-vieillard :

Le monde a la proprieté

De ce vieillart : trop innocent

Fut aprés sa nativité,

Et puis fut saiges longuement,

Justicier, vertueus, vaillant ;

Or est lasches, chetis et molz,

Vieulx, convoiteus et mal parlant :

Je ne voy que foles et folz31.

En cette aube de la Renaissance, le monde de Martin Le Franc a comme subi une cure de jouvence : il est jeune, subtil, expert et sa science nest plus le simple ressassement des autorités antiques ou médiévales, mais sappuie sur une expérience. Il ne faut certes pas être naïf et faire

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de lauteur du Champion des Dames un précurseur de la méthode expérimentale, mais Franc Vouloir nhésite pas à mettre les deux termes de science et expérience à la rime à la fin de son discours avant de redonner la parole à son adversaire, Malebouche :

Mais pour fin en ce propos mettre,

Je dis et diray plainement

Quon treuve maintenant maint mestre

Ouvrant plus excellentement

Quon ne fist anciennement,

Car on scet bien quExperïence

Euë, continuellement

Nourrist et accroist la scïence (str. 2048)32.

La science se nourrit de lexpérience selon un processus continu. Si Martin Le Franc accorde tant de place à la musique au détriment des arts figurés dans cette partie de son œuvre, cest que la musique relève plus nettement de la performance et donc dune expérience. Car cest bien une expérience musicale qui est au cœur de ce passage, celle que Martin Le Franc a faite à Chambéry en 1434 en écoutant les vielleurs aveugles du duc subjuguer leur auditoire et en voyant la mine défaite dun Binchois. Et cette expérience où le praticien et limprovisateur lemportent sur le musicus, sur celui qui suit les lois de lars musica, montre la fragilité de la notion dautorité et de modèle en ce milieu du xve siècle. Lobjet de cette expérience est bien lexpérience : lauteur expérimente le pouvoir de la pratique, de la nouvelle pratique, celle dun Binchois au regard dun Tapissier et, dans un jeu de surenchère, celle dun vielleur aveugle au regard du même Binchois.

Jean-Marie Fritz

Université de Bourgogne

1 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. marquis Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, SATF, 1878-1904, 11 vol., t. I, p. 243-246 (Ballades 123-124) ; René dAnjou, Le Livre du Cuer dAmours espris, éd. F. Bouchet, Paris, Le Livre de Poche (« Lettres Gothiques »), 2003, p. 354-368 (les six tombeaux sont ceux dOvide, Machaut, Boccace, Jean de Meun, Pétrarque et Alain Chartier). Sur cette constitution progressive dune conscience littéraire en France à travers entre autres cette rhétorique de léloge, voir S. Bagoly, « De mainctz aucteurs une progression. Un siècle à la recherche du Parnasse français », Le Moyen Français, 17, 1985, p. 83-123.

2 Il est déjà cité par A. Piaget dans sa monographie consacrée à lauteur (Martin Le Franc, prévôt de Lausanne, Lausanne, Payot, 1888, reprint Caen, Paradigme, 1993, p. 121-123). Nous citerons la seule édition complète, celle de R. Deschaux : Martin Le Franc, Le Champion des Dames, Paris, Honoré Champion, 1999, 5 vol. On trouvera une édition critique des six strophes consacrées à la musique (str. 2032-2037 de lédition Deschaux) avec variante de sept manuscrits et des deux éditions humanistes en appendice à larticle de D. Fallows, « The contenance angloise : English Influence on Continental Composers of the Fifteenth Century », Renaissance Studies, 1, 1987, p. 189-208 (repris comme chap. v dans Fallows, Songs and Musicians in the Fifteenth Century, Aldershot, Ashgate, 1996). Lanalyse musicologique de D. Fallows doit être complétée par celle, profondément renouvelée, de M. Bent, « The Musical Stanzas in Martin Le Francs Le Champion des Dames », Music and Medieval Manuscripts. Paleography and Performance (Mélanges A. Hughes), éd. J. Haines et R. Rosenfeld, Aldershot, Ashgate, 2004, p. 91-127.

3 Louvrage pionnier dA. Piaget est évidemment dépassé. Pour une bonne approche de larrière-plan humaniste avec bibliographie, voir M.-R. Jung, « Situation de Martin Le Franc », Pratiques de la culture écrite en France au xve siècle, éd. M. Ornato et N. Pons, Louvain-la-Neuve, 1995, p. 13-30. LEstrif de Fortune et de Vertu a donné lieu à une monographie : O. Roth, Studien zum Estrif de Fortune et Vertu des Martin Le Franc, Bern, Peter Lang, 1970.

4 Il fait allusion à la doulce conté dAumalle dans le Champion des Dames (v. 19883).

5 Ce sera le dernier antipape de lhistoire de lÉglise ; il fait en 1449 sa soumission à Nicolas V, qui le nomme cardinal.

6 Sur cette relation avec lItalie, voir O. Roth, « Martin Le Franc et le De remediis de Pétrarque », Studi Francesi, 15, 1971, p. 401-419, et du même, « Martin Le Franc et les débuts de lhumanisme italien. Analyse des emprunts faits à Pétrarque », Il Petrarca ad Arquà, éd. G. Billanovich et G. Frasso, Padoue, Antenore, 1975, p. 241-255. O. Roth pense quil a connu lœuvre de Dante, même si ses propres écrits ne manifestent pas demprunts directs ou explicites.

7 [] virum gnarum ac doctrina non minus mirabili quam amabili praeditum, cité par M.-R. Jung, « Situation de Martin Le Franc », p. 15.

8 Voir Jung, « Situation de Martin Le Franc », p. 13-14. Nous avons en revanche conservé sa traduction du prologue de Jérôme à Jérémie pour la Bible de Jean Servion.

9 Le Champion défend longuement au début du livre V la doctrine de lImmaculée Conception qua adoptée le concile de Bâle en septembre 1439 et que récuse Rome.

10 Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, t. I (Les faits et les mythes), Paris, Gallimard, 2004 [1949], p. 139. Elle parle plus précisément de lindigeste Chaperon des Dames, qui, à sa décharge, nétait pas encore édité en 1949.

11 Voir H. J. Swift, Gender, Writing, and Performance : Men Defending Women in Late Medieval France, 1440-1538, Oxford, Clarendon Press, 2008, qui consacre une large place au Champion (notamment p. 22 sq.). Notons que lon y trouve aussi un éloge appuyé de Jeanne dArc qui, on sen doute, ne pouvait guère plaire à lentourage du duc (v. 16809 sq.).

12 Sur ce passage, qui figure dans le livre IV (v. 18233 sq.), voir S. M. Taylor, « Down to Earth and Up to Heaven : the Nine Muses in Martin Le Francs Le Champion des Dames », Fifteenth Century Studies, 32, 2007, p. 164-175. Cette scène donne lieu à des enluminures intéressantes sur un plan organologique dans les manuscrits Paris, BnF, fr. 12476, fol. 109v, et Grenoble, B.M., 352, fol. 365.

13 Ce poème strophique de 472 vers a été édité par G. Paris, « Un poème inédit de Martin Le Franc », Romania, 16, 1887, p. 383-437 (p. 423-437). Pour Helen Swift, cette Complainte rentre plutôt dans une stratégie habile dauto-promotion du livre (Gender, Writing, and Performance, p. 2).

14 « Or vueil que de toy naissent nouveaulx volumes [], lesquelz en joie et delit tu enfanteras de ta memoire, non obstant le labour et traveil, lequel tout ainsi comme la femme qui a enfanté, si tost que elle ot le cry de son enfant, oublie son mal, oublieras le traveil du labour oyant la voix de tes volumes » (Christine de Pizan, Le Livre de lAdvision Cristine, éd. C. Reno et L. Dulac, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 110). Nous soulignons. On retrouve le même rapport filial chez Martin Le Franc : il interpelle son livre « Ha ! Mon filz tendre… » (éd. G. Paris, p. 425, v. 62).

15 Elle figure en fin de codex dans ce seul manuscrit 12476 à la suite de la copie du Champion. De plus, plusieurs manuscrits postérieurs à 1451 ont supprimé le passage sur lImmaculée Conception au début du livre V, sans doute dans le but de ne pas heurter les milieux bourguignons : cette autocensure apparaît dans le manuscrit de Grenoble, dans le ms. Bruxelles, B.R., 9281 ou encore Paris, BnF, fr. 841. Le passage sur Jeanne dArc a aussi donné lieu à des censures dans la tradition manuscrite. Voir P. Charron, « Les réceptions du Champion des Dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », Bulletin du bibliophile, 1, 2000, p. 9-31, ici p. 17.

16 Voir lanalyse comparée des frontispices des mss Bruxelles, B.R., 9466 (première édition) et Paris, BnF, fr. 12476 par P. Charron, Le Maître du Champion des Dames, Paris, CTHS/INHA, 2004, p. 60-61 et 196-201, et surtout « Les réceptions du Champion des Dames ». Lentourage du duc aurait demandé à ce que le livre soit brûlé, si lon en croit la Complainte du livre à son acteur, éd. G. Paris, p. 428, strophe 18.

17 LEstrif de Fortune et de Vertu sera mieux diffusé (une trentaine de manuscrits) : voir lédition de P. F. Dembowski, Genève, Droz, 1999. Sur les imprimés du Champion et leur programme iconographique, voir Swift, Gender, Writing, and Performance, p. 73 et 79-99.

18 Pour la tradition littéraire du songe allégorique, voir A. Strubel, « Grant senefiance a ». Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 208 sq.

19 Sur Jubal et Pythagore, voir J.-M. Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge. Le versant épistémologique, Paris, Honoré Champion, 2000, p. 131-135.

20 Le terme authentique apparaît dès le xiiie siècle surtout dans un sens juridique : actes ou écrits qui font foi, sceaux, reliques… (voir Tobler/Lommatzsch, Altfranzösische Wörterbuch, t. I, s.v. Autentique).

21 On peut noter quun seul des manuscrits du Champion des Dames présente ici une enluminure représentant Dufay et Binchois, le ms. Paris, BnF, fr. 12476, fol. 98r. Dufay figure à gauche à côté dun orgue portatif, symbole de la musique religieuse, Binchois à droite avec une harpe, emblème de la musique profane. Cest ainsi la seule représentation connue de Dufay en dehors de la pierre tombale ; elle est dautant plus intéressante que lenlumineur a travaillé à Cambrai et a ainsi pu croiser Dufay : voir A. E. Planchart, « Du Fay, Guillaume », The New Grove Dictionary of Music and Musicians, 2e éd., Londres, 2001, t. VII, p. 651 ; Charron, « Les réceptions du Champion des Dames », p. 16, et Bent, « The Musical Stanzas », p. 93.

22 Purgatoire, XI, 91-99.

23 On trouvera une analyse précise de ces termes dans Fallows, « The contenance angloise », p. 201-204 ; analyse reprise dans une perspective différente par Bent, « The Musical Stanzas », p. 98-100 et 104-111 (y voit des termes renvoyant à la pratique plus quà la composition ou la musique notée).

24 Nous soulignons.

25 Sur ce personnage, Jehan Boisard, dit Verdelet, mort vers 1430, voir J. Marix, Histoire de la musique et des musiciens de la cour de Bourgogne sous le règne de Philippe le Bon (1420-1467), Strasbourg, Heitz, 1939, rééd. Genève, Minkoff, 1972, p. 106 et 115-116, et F. Crane, Materials for the Study of the Fifteenth Century Basse Dance, New York, 1968, p. 89.

26 Le mot a souvent une connotation érotique : voir G. Di Stefano, Dictionnaire des locutions en Moyen Français, Montréal, CERES, 1991, p. 322, et R. M. Bidler, Dictionnaire érotique. Ancien français, Moyen français, Renaissance, Montréal, CERES, 2002, p. 250-251 (notamment lexpression faire la faffee que lon retrouve dans le Testament de Villon, éd. J. Rychner et A. Henry, Genève, Droz, 1974, v. 1802). On retrouve la rime faffee/Orphée dans la Complainte du livre à son acteur, éd. G. Paris, p. 423-424, strophe 2.

27 Guillaume Dufay quitte Rome et la cour papale en août 1433 et est mentionné comme maistre de chapelle du duc Amédée VIII le premier février 1434 ; il y restera peu de temps, car on le retrouve au service du pape à Florence en juillet 1435 : voir A. E. Planchart, « Du Fay, Guillaume », The New Grove, p. 648b. Sur cette fête somptueuse, voir Marix, Histoire de la musique, p. 29-30, et C. Wright, « Dufay at Cambrai : Discoveries and Revisions », Journal of the American Musicological Society, 28, 1975, p. 175-229, ici p. 179-181. Elle est évoquée avec force détails dans la Chronique de Jean Lefèvre de Saint-Rémy, éd. F. Morand, Paris, 1876-1881, 2 vol., t. II, p. 287-297, mais sans allusion précise à cette performance musicale ; le chroniqueur se contente de noter lintervention répétée de musiciens lors des repas et fait une fois allusion à leur origine étrangère : « A icelluy soupper avoit pluiseurs trompettes et menestreux de divers pays jouans devant la grant table » (p. 292). Mathieu dEscouchy les mentionne en revanche lors des Vœux du faisan en 1454 : « Ou pasté juerrent les aveugles de vielles, et aveuc eulx ung leu (luth) bien acordé » (Chronique, éd. G. du Fresne de Beaucourt, Paris, 1863-1864, 3 vol., t. II, p. 149).

28 Sur ces vielleurs aveugles, voir Marix, Histoire de la musique, p. 30 et 117-118 ; A. Van der Linden, « Les aveugles de la cour de Bourgogne », Revue belge de musicologie, 4, 1950, p. 74-76 (montre quils sont castillans à partir du témoignage du voyageur espagnol Pero Tafur de passage dans les Pays-Bas en 1438) ; D. Fiala, « Les musiciens étrangers de la cour de Bourgogne à la fin du xve siècle », Revue du Nord, 84, 2002, p. 367-387, ici p. 383-385 ; ajoute, signe dune hérédité étrange, que les fils de Jean Fernandez, également aveugles (!), seront des virtuoses de la viole qui forceront ladmiration de Tinctoris ; Bent, « The Musical Stanzas », p. 100-101.

29 Ils figurent chaque année de 1433 à 1456 dans les comptes ducaux en tant que « joeurs de luz ou de vielles » ou « menestrels de bas instrumens » ; voir Marix, Histoire de la musique, p. 117. Jean Fernandez meurt en 1460, Jean de Cordoba en 1476 (voir Fiala, « Les musiciens étrangers », p. 385-386).

30 Lyon, Guillaume le Roy (?), v. 1485 et Paris, P. Vidoue pour Galliot du Pré, 1530, fol.o272v.

31 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, t. I, p. 203 (Ballade 95, str. 2).

32 Nous soulignons.