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Classiques Garnier

Difficile liberté Franc Vouloir, de la notion éthique à la figure poétique (xiiie-xve siècles)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2014 – 1, n° 27
    . varia
  • Auteur : Bouchet (Florence)
  • Résumé : Dans les derniers siècles du Moyen Âge, ­l’écriture allégorique ­contribue à ­l’exploration psychique et éthique de ­l’individu. Cet article étudie la figure de Franc Vouloir, personnification du libre arbitre individuel, dans un ensemble de textes littéraires des xiiie-xve siècles. Ses linéaments philosophiques sont ­d’abord retracés à travers le débat scolastique qui se noue au xiiie siècle sur la question de la liberté et de la responsabilité morale, débat dont la littérature française vulgarise les grandes lignes du xiiie au xve siècle, ­d’abord sous un angle ­conceptuel (Jean de Meung) puis sous la forme poétique de la personnification de Franc Vouloir, récurrente chez Eustache Deschamps ou parfois relayée dans le théâtre des moralités par Franche Volonté ou Franc Arbitre. Le choix de vie incarné par Franc Vouloir ­concerne également la vie sentimentale, dans le cadre du mariage ou de ­l’amour courtois, où il devient ­d’autant plus problématique ­qu’il ­s’agit de ­conjoindre deux libertés individuelles en un couple. Enfin, Franc Vouloir devient une figure émergente de ­l’intentio auctoris dans plusieurs textes du xve siècle.
  • Pages : 287 à 312
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812435164
  • ISBN : 978-2-8124-3516-4
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3516-4.p.0287
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 02/03/2015
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Difficile liberté

Franc Vouloir, de la notion éthique à la figure poétique
(xiiie-xve siècles)

Dans une étude fondamentale sur le « nouveau lyrisme » des xive et xve siècles, Jacqueline Cerquiglini a mis en évidence que « le je se dédouble ou se fend1 », faisant surgir une véritable polyphonie au sein du poème. Cet avis fécond engage plus largement (hors lyrisme) lexploration et lexpression de la subjectivité individuelle à la fin du Moyen Âge, dans son rapport à un monde en mutation. Il nest plus seulement question de réinvestir le schéma classique de la psychomachie à laide de personnifications destinées à décrire la vie sentimentale (Amour, Raison, Espérance, Tristesse, etc.). La littérature, chambre décho de lenseignement scolastique, convoque des figures plus « subtiles2 » qui analysent la vie de lesprit : ainsi de Pensée chez Charles dOrléans ou dEntendement dans la production allégorique des xive et xve siècles3. Une autre notion cruciale dans lexamen de lexistence humaine (et en quelque sorte cousine de la précédente) a fini par sincarner, cest Franc Vouloir, personnification du libre arbitre individuel, que je me propose détudier ici. À partir du xiiie siècle, la question de la liberté est au cœur dun profond débat didées qui ne sest pas cantonné à lUniversité. Ce nest pas la dimension sociale et juridique4

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de la question qui intéresse les clercs, mais son fondement ontologique et ses conséquences éthiques, à une époque où le moyen français senrichit (sous limpulsion, notamment, des traducteurs du latin) de mots relatifs à la vie psychique et intellectuelle. La notion de « franc vouloir » doit donc dabord être resituée dans la pensée philosophique et la vulgarisation quen propose la littérature à partir des années 1270. On verra ensuite que Franc Vouloir devient un acteur du débat à travers lequel la courtoisie en crise sinterroge sur sa propre validité. Enfin, il commence à incarner la volonté de lauteur en quête dauctoritas.

Un concept nécessaire à lévaluation
de la responsabilité éthique de lhomme

Quoique probablement incomplète, mon enquête repère les premières attestations littéraires du « franc vouloir » sous la plume de Jean de Meung, cest-à-dire à une époque où philosophes et théologiens sont engagés dans un débat de fond pour savoir si laction humaine est libre ou déterminée, débat doctrinal vif et complexe dont un moment sest cristallisé autour des condamnations formulées par lévêque de Paris, Étienne Tempier, en 1270. Boèce, commentateur chrétien dAristote, était depuis longtemps lu et proposait dans la Consolation de Philosophie (livre V, prose 6) de concilier prescience divine et libre arbitre humain par la théorie de la double nécessité5. Cétait une autre affaire dintroduire dans lenseignement universitaire un païen tel quAristote, susceptible de menacer les arts libéraux supposément inféodés à la théologie. Interdits en 1210 par larchevêque de Sens et lévêque de Paris, puis en 1215 par le Pape, les livres de philosophie naturelle dAristote entrent néanmoins au programme de la Faculté des arts le 19 mars 1255. Létude dAristote, complétée par le commentaire dAvicenne et dAverroès, entraîne les maîtres dans une controverse avec les théologiens. Le conflit

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de laristotélisme et de laugustinisme est un raccourci6, certes, mais commode pour rappeler lenjeu crucial du débat : pour Aristote, le bien suprême (et avec lui la liberté) réside dans lexercice de lintellect, tandis que la doctrine augustinienne du péché repose sur la volonté de lhomme, capable de choisir le mal au lieu du bien sil nest pas secouru par la grâce divine7. Saint Thomas dAquin opère la synthèse dans la question de la Somme théologique consacrée au libre arbitre : lhomme jouit du libre arbitre du fait quil est doué de raison et avec laide de Dieu8. Dans quelle mesure le jugement, fondement du choix, est-il déterminé par le monde sensible ou linfluence des astres ? Lâme, immatérielle, et lexercice de sa « puissance raisonnable9 », propre à lhomme, ne libèrent-ils pas celui-ci de lemprise de la matière ? Dun point de vue théologique, il faut bien préserver le libre arbitre de lhomme pour que soient justifiés son salut ou sa damnation. Mais saint Paul est toujours là pour rappeler la faiblesse de lhomme sous lemprise du péché, tiraillé entre la chair et lesprit :

vouloir le bien est à ma portée, mais non pas laccomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce nest pas moi qui agis, mais le péché qui est en moi10.

On le voit, psychologie, éthique et théologie sont inextricablement liées dans lexamen du problème soulevé par le libre arbitre11.

Cest dans ce contexte que Jean de Meung, par la bouche de Nature et en sinspirant de Boèce, démontre que la prédestination et le libre arbitre sont conciliables, la prescience divine ne dépossédant pas lhomme

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de sa liberté12. « Tuit homme oevrent par franc voloir / Soit pour joïr ou pour doloir » (v. 17495-17496), et aucune cause universelle ne peut faire peser sur eux un déterminisme absolu, pour peu quils usent de « bon entendement » (v. 17716) :

Car frans vouloirs est si poissanz,

Sil est de soi bien connoissanz,

Quil se peut touz jors garentir,

Sil puet dedenz son cuer sentir

Que pechiez vueille estre ses mestres

Comment quil aut des cors celestres. (v. 17577-17582)

La notion de « franc vouloir » nest jamais personnifiée dans le Roman de la Rose ; cependant les vers cités ci-dessus lui confèrent la puissance dun abstractum agens. Elle reste aussi un concept dans le Livre du Chevalier errant de Thomas de Saluces (fin du xive siècle), qui retrace une quête allégorique du sens de la vie menant à un long exposé de Connaissance, laquelle explique au Chevalier :

Dieux ta donné franche voulanté pour ce que tu aymez salvacion et que tu haÿes dampnacion, car ainsi comme Dieux a donné a ton corps tous les membrez qui appartiennent a corps domme, et a donné a larme toutes les puissancez qui a larme sont couvenablez, aussy Dieux donne a ton franc vouloir tout ce que appartient a desirer a salvacion et haïr dampnacion, pour ce que desirez salvacion par le don et largece de Dieu glorieux13.

Conformément à la doctrine augustinienne, la grâce divine favorise le progrès de lhomme vers son salut, mais celui-ci reste libre de son choix de vie14. La faculté délire le bien ou le mal correspond au premier

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degré de « franchise », que frère Laurent, dans la Somme le Roi (1279), nomme « de nature » :

La premiere est franche volonté par quoi il [lhomme] puet eslire et fere franchement et le bien et le mal. Ceste franchise il tient de Dieu franchement, que nus ne li en puet tort fere, ne tuit li deable denfer ne pourroient volenté domme forçoier a fere un pechiez senz son accort, car se homme fesoit le mal dou tout maugré suen, il navroit point de pechié, car nus ne peche en ce que eschiver ne puet, si com dit saint Augustins15.

Ces quelques relais textuels manifestent la puissance de médiation culturelle entre clercs et laïcs que revêt alors la littérature : le Roman de la Rose16 et le traité du frère dominicain ont diffusé les grandes lignes du débat scolastique jusquà un écrivain amateur, Thomas de Saluces, qui na pas reçu de formation cléricale mais a beaucoup lu. Dans le sillage du Roman de la Rose, plus dun texte réaffirme linaliénabilité de la « franche volonté » de lhomme qui, associée au don dentendement17, rend lhomme responsable de ses péchés. Dans la littérature du xive siècle, P.-Y. Badel retrouve des développements consacrés à cette idée dans un songe anonyme (« Le temps qui est passé »)18, dans Renard le Contrefait19, dans le Roman des Deduis20. En 1442, Le Champion des Dames de Martin Le Franc se fait encore lécho du même raisonnement. Nature admoneste les hommes pécheurs en leur rappelant leur responsabilité : « Vos ames sont en vostre main, / Vous les pouez perdre ou sauver » ; il nest que d« User de france volonté », confortée par le puissant « franc arbitre » et l« engin » dont Dieu a doué tout homme21. À la même époque, la ballade prononcée par Sens

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(à la suite de Franchise) dans le Psautier des vilains de Michault Taillevent détaille les vertus qui aident lindividu à choisir le bien :

Car ou Honneur a dominacion,

Villonie nAbominacion

Ne puet manoir ne nulle chose infame

Qui tiengne ung cuer en sa subgection

Mais Franc Volloir, Noble Condition,

Gentillesse, plus souefve que basme ;

Il ny remaint daultres, homme ne fame22.

Le dernier vers cité invite à maintenir le choix éditorial des majuscules personnifiantes pour Franc Vouloir et ses pairs, mais ils restent, dans le poème, à létat de concepts.

Franc Vouloir devient une personnification récurrente23 dans les poésies dEustache Deschamps. Plusieurs ballades affirment que Franc Vouloir est capable de résister à linfluence des astres :

Aucunes gens sont des cieuls ordonnez,

Les aucuns mal, autres selon droiture

Par les signes qui leur sont destinez

Ausquelz ilz sont plus enclins de nature ;

Mais Franc Vouloir leur toult la couverture

Des cours du ciel, tant est de grant valour,

En resistant ; selon vraie escripture,

Je tien que Dieux fait tout pour le meillour24.

Lhommage rendu à Dieu dans le refrain tient à ce que le libre arbitre (« Franc Vouloir que Dieux a nul ne vée25 ») est un don divin accordé à lhomme, qui se doit den bien user. Franc Vouloir, « arbitre de pensée26 », apparaît comme une puissance de discernement « qui fait

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distinction27 » et permet de choisir le bien et déviter le mal : « Bien et mal est a chascun balancé, / Dont Franc Vouloir tient la queue et lestrainte28 ». Ainsi Fortune peut être contrecarrée, « Par Franc Vouloir qui est en [lhomme] enté29 », mais à condition de se montrer sage et de ne pas abdiquer face à Fortune30. Lhomme est donc responsable de son sort, de ses qualités comme de ses défauts, « car Frans Vouloirs ne puet / Soy excuser des vices ou donnours : / Nulz nest vilains se du cuer ne li muet31 ». La conséquence théologique est clairement signifiée dans La fiction du lyon :

Car aultrement ne vauldroit rien

Franc vouloir, qui sauve ou qui dampne,

Tout homme absoult ou le condempne

Selon ce quil en veult ouvrer :

[]

Et se franc vouloir navoit lieu,

La cause de tout, cest un dieu,

Ne seroit pas guerredonnant,

Ne mal ne merite donnant32.

En effet, Franc Vouloir nagit pas toujours sagement, car il représente aussi les passions spontanées de lhomme susceptibles de lentraîner sur une mauvaise pente. Aussi Deschamps constate-t-il, dans une ballade dont le refrain révèle significativement que « Len ne fait pas tout ce quom presche », que

Verité ne puet nullement

Avoir de fait cohercion

Sur Franc Vouloir, fors seulement

De blasmer sa folle action33.

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La réalité désenchantée du xive siècle donne à mesurer le hiatus entre théorie et pratique, qui rejoint le constat désolé de saint Paul : lhomme est doué de la liberté de choisir le bien, mais cest le mal qui règne.

Car le mal na point de loien.

Puet il loier Franc Vouloir ? Non.

Si fait. Pour quoy ? Cest le moyen

Qui sauve ou dampne sanz pardon ;

Pour ce fist Dieux a homme don

Que chascun du droit benefice

De bien usast, mais regardon :

Au jour duy ne regne que vice34 !

Le refrain est sans appel. Le moralisme amer de Deschamps est lié au contexte décriture ; « si le monde en cette fin du xive siècle est troublé par des crises politiques, religieuses et morales graves, la responsabilité des hommes est entière35 ». Franc Vouloir est en danger (« Entendement est failli / Quant Franc Vouloir est assailli36 »), dans un monde bestourné où le poète voit – dans une posture de témoin qui lui est chère – « Le serf franchir, lever le nice, / Et le noble franc asservir37 ». Sans repère fiable, lexercice du libre arbitre na plus de sens :

Les loys sont en destruction ;

Il fault que Franc Vouloir perice,

Les.vii. ars, leur instruction,

Excepté celle ou est tout vice38.

Lhomme perd aussi son « franc vouloir » en saliénant par cupidité à la recherche effrénée de biens39, en sorte que la véritable liberté – et avec elle le bonheur – réside dans une vie modeste aux champs, autarcique mais éloignée des tentations, dont Robin résume le bénéfice en affirmant « Jay franc vouloir sanz os et sanz arreste », « Jay franc vouloir et bonne souffisance40 », « Jay Franc Vouloir, le seigneur de ce

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monde41 ». On reconnaît là lidéal de vie proposé par Philippe de Vitry dans le « Dit de Franc Gontier » dans la seconde moitié du xive siècle et que confirmera (malgré le titre) Pierre dAilly à la fin du siècle dans les « Contredits de Franc Gontier », avant que Villon ne le tourne en dérision dans son Testament42. On rejoint aussi lidéal social de moyen estat souvent vanté par Deschamps car il permet déchapper aux vicissitudes de Fortune43, idéal aristotélicien vulgarisé par la traduction de la Politique par Nicole Oresme en 1372.

Mais ailleurs Deschamps adopte un point de vue plus aristocratique et dépeint un petit peuple soumis au déterminisme astral, incapable de résister à ses mauvaises inclinations44. Comme le remarque J.-P. Boudet,

Franc Vouloir représente donc un modèle de sagesse théoriquement proposé à tous, mais accessible en fait seulement à une petite élite socioculturelle, dont lastronome-astrologue constitue, dune façon paradoxale, le modèle le plus achevé45.

Le « franc vouloir » nest pas une garantie en soi, il faut en user sagement pour espérer contrecarrer linfluence des planètes :

No nature est de legier encline

A ensuir les signes de lassus ;

Mais li saige, ce nous dit Tholomée,

Les estoilles seigneurit de ça jus.

Resister puet, et est noble vertus,

A leur effect, et nen faictes doubtance ;

Car puisquil a delles la congnoissance,

Il puet fuir leur male entencion,

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Et convertir en bien leur mauveuillance

Par Franc Vouloir, selon moppinion46.

Deschamps allègue ici une sentence indûment attribuée à lastronome et astrologue alexandrin Claude Ptolémée, quil a pu lire dans le Livre de divinacions (1356 ?) de Nicole Oresme :

Et a ce propos dit Ptholomee que un homme sage a seignourie sur les estoilles, cest a dire que par sa prudence et par sa franche voulenté, il puet resister au mal qui est signifié par les estoilles47.

Cet avis est proche des vues de saint Thomas dAquin qui conclut, dans une question de la Somme théologique, que « lhomme sage domine les astres, en tant quil domine ses passions48 ». Villon, qui garde peut-être un souvenir imprécis de ses études, attribue lidée à Salomon ; il la fait prononcer par son cœur pour réfuter le déterminisme dû à Saturne et prêcher une morale de la responsabilité49. La sagesse même ne peut protéger de tout : Deschamps, dressant la liste des héros fameux qui ne purent échapper à leur mort, note que Jules César « qui saige fut ne se sceut pas deffendre50 », ce qui amène le poète à limiter laction de Franc Vouloir dans lenvoi. Sans doute faut-il distinguer le bien, que lhomme peut théoriquement toujours choisir, du malheur, quil ne peut toujours éviter. Une part de déterminisme naturel continue donc de sexercer, malgré les efforts humains.

Franc Vouloir, personnifié sous la plume de Deschamps, natteint cependant jamais le statut de personnage. Cest dans le théâtre des moralités que la personnification peut essentialiser la notion jusquà lui conférer une présence scénique. Deux pièces qui proposent un scénario

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instructif concernant la vie morale de lhomme et ses conséquences théologiques mettent en scène non pas Franc Vouloir (quon retrouvera dans une autre pièce) mais deux personnifications équivalentes quant au sens, Franche Volonté et Franc Arbitre. La moralité de Bien Advisé, Mal Advisé (1439 ?) est basée sur le double voyage de vie humaine. Franche Voulenté se présente à Bien Advisé en ces termes :

Je vous respons que lon mappelle

Par mon nom Franche Voulenté.

Dieu me forma et me fit dame

Des ames des que Adam fut né.

Par moy tout homme et toute femme

Certes est sauvé ou dampné ;

Tous biens et maulx sont fais par moy

Car je conseille et desconseille51.

À Bien Advisé qui lui demande ensuite si le diable peut contraindre à pécher un homme qui ne le voudrait pas, Franche Volonté répond catégoriquement que

Quant ung homme crestien est,

Lennemy na sur luy puissance.

Pour certain, se il ne luy plaist

Et de sa bonne voulenté

Homme ne sabsente a mal faire52.

Voici de nouveau posée la thèse de lentière responsabilité de lhomme ; la volonté ne doit pas seulement être libre, mais bonne, pour aboutir au bien. Franche Volonté, en elle-même, reste foncièrement ambivalente :

Je ne vueil nul homme contraindre ;

Je suis une voulenté franche

Qui par force nul ne consomme.

Aussi nay je corne ne branche

De quoy heurter femme ne homme.

Qui veult faire son sauvement

Ma tantost tourné a sa corde

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Et quant il veult son dampnement

Aussi voulentiers my accorde53.

Franche Volonté montre ensuite aux deux protagonistes deux voies possibles : « le droit chemin », quempruntera Bien Advisé et qui le mènera, par la pratique des vertus et de la pénitence, jusquà Bonne Fin ; « le chemin senestre », voie de perdition qui mènera Mal Advisé à Malle Fin. Elle expose aussi bien les difficultés du premier chemin que le péril ultime de lautre, mais laisse à chacun le choix : « Or en fay a ta voulenté54 ». Cest quand Bien Advisé sest décidé quelle lui conseille de se rendre dabord chez Raison, qui laidera. LOmme pecheur (vers 1494), ample de près de 22 000 vers, affiche une ambition similaire à celle des grands mystères contemporains. La pièce évite le manichéisme simplificateur de la précédente en incarnant lhumanité au travers dun seul personnage qui résiste dabord aux tentations mondaines, puis cède au péché, avant de faire pénitence et dassurer son salut. Au début, Charité, inquiète de ce que tout homme est « de legier courage / et mal pourveu de resistance55 », intercède auprès de Dieu, qui décide denvoyer à sa créature un ange gardien et dautres renforts :

Ladolescent luy et sa vie

Ordonneray en grant arroy

A celle fin quil ne devie

Mes commandements ne ma loy.

[]

Car je veult quil tiengne la voye

DEntendement et de Raison

[]

Car de vous je foys donnoison

A ladolescent seurement

Pour le regir entierement.

Vous yrés aussi, Conscience,

Franc Arbitre semblablement ;

Donnez luy confort et fiance56.

Les noms dEntendement, Raison et Conscience signifient clairement leur statut dadjuvant moral. Franc Arbitre, symptomatiquement « habillé

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en Rogier Bon Temps57 » comme lindique une didascalie, est beaucoup moins fiable puisquil se contente dacquiescer au désir de lhomme :

Je suis ton franc arbitre,

Que de toy sois arbitre

A ton vouloir, et vis

Pour faire a ton devys

Tout selon ton advys,

Bien ou mal a ton choix58.

Il répète cette position laxiste jusquà sa dernière réplique :

Tout tel nom, tel fait et tel tyltre

Et tout au long a ton plaisir

Ainsi quil te vient a desir

Execute. Jen suis content :

Ton franc arbitre ne pretent

Si non accomplir ton souhayt59.

Il nest en mesure de préserver le jeune homme d« aucun exces60 », et sa seule remontrance à valeur catéchétique survient alors que lhomme est déjà devenu pécheur :

Pecheur, cest par ta grant folye,

Je taffie,

Qua labeur as subgection,

Car ton peché ad ce te lye

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Et delye

Ta grande dominacion61.

Le grand problème, pour le chrétien, reste de discipliner sa volonté pour résister au péché. Les tentateurs de la pièce singénient constamment à extorquer le consentement du pécheur, comme lindique la didascalie « adonc il a pechié par consentement62 ».

On le voit, le théâtre des moralités est un relais certainement efficace de la prédication63, capable de proposer à un public populaire un catéchisme « par personnages ». Le ou les personnages incarnant lhumanité sur scène agissent comme des figures spéculaires du spectateur, qui sera amené à sinterroger à son tour sur son libre arbitre et ses choix de vie.

Lamour à lépreuve de Franc Vouloir

La difficulté à choisir la bonne voie rejaillit sur la vie sentimentale. Franc Vouloir est ainsi le héros du Miroir de mariage de Deschamps. Il incarne le célibataire qui se demande sil a intérêt à se marier. Nest-ce pas « la manière la plus sûre de perdre sa liberté64 » ?

Suis plus frans que loisel du rain,

Qui peut ou il lui plaist voler :

Aussi puis je par tout aller

Franchement et sansz nul lien.

Or veulent mon eage moien

Lier en puissance dautrui65 !

Indécis, Franc Vouloir écoute conseils et admonestations, débat avec ceux (Folie, Désir, Servitude, Faintise) qui lincitent à prendre

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épouse et Répertoire de Science qui lui conseille une autre voie. Laura Kendrick a mis en évidence que le Miroir de mariage expose « la bonne manière de prendre conseil et de prendre une décision », Franc Vouloir représentant « la capacité dun individu à prendre une décision libre et raisonnée malgré ses pulsions ou les contraintes de la société66 ». Ce processus délibératif mène au rejet des noces charnelles et au choix des noces spirituelles prôné par la sagesse érudite quincarne Répertoire de Science. « La liberté desprit idéalisée par les pré-humanistes se paie du refus du monde, symbolisé par la femme ou, plus précisément, par le lien permanent du mariage et son résultat : le ménage67 ». Le moraliste plutôt aigri quest Deschamps – on la vu plus haut – est assez enclin au contemptus mundi ; son texte contribue à la tradition antiféministe qui alimente la satire du mariage68. Il a certainement tiré parti aussi de la traduction de lÉthique et de la Politique dAristote réalisée entre 1370 et 1374 par Nicole Oresme pour Charles V, en particulier du développement sur la « continence » (maîtrise de soi)69. Par lintermédiaire du traducteur, le poète devient un autre relais de la vulgarisation de la réflexion philosophique. Dans un registre plus léger, celui de la Farce de Regnault qui se marie à Lavollée, Franc Arbitre met en garde Regnault contre un mariage qui va le réduire en une pénible servitude ; en vain : Regnault se marie à Lavollée, cest-à-dire « à la volée », sans réfléchir70.

La satire du mariage est liée à un vieux fonds de misogynie cléricale qui fournit une abondante matière à débat au sujet des femmes. Christine de Pizan, à partir de 1399 (Epistre au dieu dAmours), sest

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attachée à répondre avec force arguments et exemples aux diatribes célèbres de Jean de Meun dans la continuation du Roman de la Rose. Reprenant le procédé du songe-cadre, Martin Le Franc retrace dans Le Champion des Dames la guerre de Malebouche contre Amour et les dames. Le « champion » qui remportera la victoire en faveur de la cause féminine nest autre que Franc Vouloir. Il apparaît monté sur un destrier impétueux, Ardent Désir, que Raison semploie à brider pour le maîtriser71 ; armé par les vertus cardinales, Franc Vouloir peut ensuite partir à lassaut de ses adversaires et remporter ses premiers succès72. Ce nouveau scénario confirme que pour agir convenablement, le libre arbitre doit contrôler ses désirs par lexercice de la raison – la passion nest pas bonne conseillère – et des vertus. Contrairement au Miroir de mariage, Franc Vouloir fait lapologie du mariage, à condition que les deux conjoints soient assortis :

Heureux sont qui en ung voloir

Et en condicions semblables,

Lesquelles font amours valoir,

Sont en mariage accordables.

Ainsy sont leurs joyes durables

En fortune doulce et perverse73.

Lunion matrimoniale scelle non seulement lunion des corps, mais celle des volontés et des âmes (unitas mentium)74, garante dune fidélité à toute épreuve. Le défi est bien daboutir à « ung voloir » à partir de deux êtres dotés de libre arbitre. Sans quoi – et là cest le point de vue féminin qui est adopté –, « La femme est bien de lomme esclave75 », ce que rappellent maintes histoires de « mal mariée ». La joute oratoire de Franc Vouloir sachèvera par léloge de la plus sainte des femmes, la

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Vierge Marie. La victoire du Champion des dames est aussi celle de la culture : toute largumentation de Franc Vouloir est sous-tendue par dabondantes lectures76. André de La Vigne, lui, a certainement lu le Roman de la Rose et Le Champion des Dames avant décrire sa moralité de LHonneur des dames77 (fin du xve siècle). Voilà Franc Vouloir promu personnage de théâtre ; lui et Cœur Loyal, en « vrays champions », font vœu de garder « lonneur des dames » (p. 91). Envie, Mallebouche et Dangier, les opposants bien connus de lAmant dans le Roman de la Rose, attaquent Franc Vouloir et son compagnon. Agression dabord repoussée en paroles : « Lonneur des dames garderay / Maulgré voz visages breneux », sexclame Franc Vouloir (p. 95). La logomachie78 vire au combat pur et simple ; Dangier et ses acolytes sont bientôt terrassés et senfuient. Franc Vouloir, emporté par son élan, continue de vociférer : « La mort bieu, jen tueray quatre ! » et conclut fièrement

Vive tousjours lonneur des dames

Maulgré Envie et Mallebouche ;

Et si Dangier dessus luy touche,

Voy nous cy pour combattre en armes79.

En écho au Champion des Dames, la pièce sachève sur une série de poèmes à la louange de la Vierge Marie.

René dAnjou, lui, a privilégié le scénario de la quête amoureuse dans son Livre du Cœur damour épris (1457). Dans le rêve de lauteur, le Cœur (son alter ego), à linstigation de Désir, part à laventure… monté sur son destrier Franc Vouloir ! Voilà redistribuées les forces psychiques que Martin Le Franc avait associées à son Champion des dames. Dans ce roman dinitiation allégorique doux-amer, le Cœur, précédé par Désir (signe dimpulsivité), reste bien longtemps naïf et devrait apprendre à tenir par le frein sa volonté par trop débridée, incarnée par sa monture,

ung moult grant, fort et hault destrier a merveilles qui avoit nom Franc Vouloir, lequel estoit a fin souhait parfait a tous bouhours, faiz darmes et rencontres de

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lances. [] Alors le Cuer broche le destrier des esperons damoureux souvenir, et Franc Vouloir par force le transporte comme mal enfrené80.

Dans la configuration allégorique choisie par René dAnjou, Franc Vouloir, subordonné au Cœur et guidé par Désir, reste problématiquement privé dune instance de contrôle raisonnable81 ; la force de la volonté qui préside à lexercice du libre arbitre risque dêtre mal employée. Le premier duel du Cœur, contre Souci, est un cuisant échec qui le précipite avec son cheval82 dans le fleuve de Larmes. Heureusement, Espérance vient à sa rescousse :

Elle descendit prestement et tant lui aida quelle le mist hors de leaue ; et desja sestoit son destrier tiré hors et sestoit mis a paistre lerbe83.

Le cheval se débrouille mieux que son maître – ici pointe lhumour teinté dautodérision de René dAnjou. Le Cœur amoureux a encore du mal à faire fructifier conjointement les forces de lespérance et de la volonté. Après plusieurs aventures, au moment dembarquer pour lîle dAmour, le Cœur, Désir et Largesse abandonnent leurs montures ;

quant lesditz chevaulx furent laissez aller et quilz eurent les frains hors de la bouche et la bride hors du coul, et dautre part que nulli aussi ne les tenoit pour lors, ilz commencerent fort a eulx entrebattre, tant des piez que des dens, et a hannir et mener grant tempeste84.

Si les chevaux représentent la part animale, impulsive, des trois compagnons, celle-ci a tôt fait de sagiter dès quelle nest plus canalisée. La « tempeste » préfigure celle qui va rendre malades les compagnons embarqués sur la nef de Fiance et Attente. Et quest-ce quun chevalier sans cheval ? On peut craindre que labandon définitif de Franc Vouloir sur le rivage ne soit un mauvais présage : le Cœur, privé de son libre

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arbitre, entre dans le régime aliénant de lamour, et sa quête amoureuse tourne au désastre. À lissue de quoi, force lui est de réorienter ses vœux : renonçant à sa dame, il ira à lhôpital dAmour, « car la vouloit finer le remenant de ses jours en prieres et oraisons85 ».

Ce dénouement désabusé est symptomatique dune interrogation assez généralisée sur la viabilité de lamour courtois à la fin du Moyen Âge. Amants heureux et malheureux confrontent leurs vues dans des débats qui alimentent les discussions curiales. Du « service » damour au « servage », il peut ny avoir quun pas… Ainsi, dans Le debat de deux amans de Christine de Pizan (composé entre 1400 et 1402), lamoureux amer estime que le cœur épris sengage délibérément dans une voie qui risque fort dêtre frustrante :

[] de ce naist un desir

De franc vouloir, qui le cuer vient saisir

De tel nature

Quil rent amant le cuer et plein dardure

Et desireux destre amé tant quil dure.

Mais tant est grant celle cuisant pointure

Quelle bestourne

Toute raison et tellement atourne

Cil qui est pris que du joyeux fait mourne

Et le morne en joyeuseté tourne,

Souvent avient.

[] Cest vouloir qui sefforce

De nuire a soy86.

En dépit de la topique du mal damour, lécuyer heureux en amour récuse les conséquences néfastes du désir :

Je consens bien que de frang voloir viegne

Ycelle amour, mais que lamoureux tiegne

Morne et dolent nest drois quil apartiegne87.

Alain Chartier sest certainement souvenu du scénario introductif de ce dit au moment décrire La Belle Dame sans merci (1424), qui confronte

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âprement lamant rebuté à la dame elle-même. Lamant tente de lier « devoir » et « vouloir » pour convaincre la dame dagréer son désir et de lui accorder son cœur :

– Une foys le fault essayer

A tous les bons en son endroit

Et le debvoir dAmours payer,

Qui sus frans cueurs a prise et droit,

Car Franc Vouloir maintient et croit

Que cest durté et mesprison

Tenir ung hault cueur si estroit

Quil nait que ung seul corps pour prison88.

Lamant, qui a tendance à user du langage allégorique comme dun discours dautorité, postule le personnage de Franc Vouloir en appui à sa demande. Mais le dialogue ne peut aboutir car il semble bien que la dame donne à ladjectif « franc » le sens de « libre », quand lamant lui donne celui de « noble89 ». La dame revendique donc sa liberté90 et récuse lamour comme une forme daliénation. De son point de vue, explique Anne Berthelot, « lamour courtois est un fantasme masculin, qui cherche à prendre en otage une figure féminine privée de son libre-arbitre91 ». La dame dénonce le caractère spécieux du code courtois qui, tout en idéalisant la Dame, prétend lobliger à consentir à celui qui la demande dans les règles ; elle aurait donc tous les droits sauf celui de se refuser. Mais cest une liberté défensive que celle de la dame, qui peut-être la coupe définitivement de lamour92… Cette conception de la liberté reste au cœur de la controverse littéraire qui fit suite au poème

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de Chartier. Il nest alors pas anodin de remarquer que Franc Vouloir siège parmi les juges de la Belle Dame tant dans LAccusation contre la Belle dame sans Mercy de Baudet Herenc93 que dans lanonyme Dame loyale en amour94 qui en prend le contrepied.

À la même époque (1er tiers du xve), lanonyme Livre de lamoureuse aliance cherche une solution à la conciliation problématique des deux volontés de lamant et de la dame. Ce songe allégorique suit les efforts dun amoureux nommé Franc Vouloir qui courtise Franchise. Il nose se déclarer, elle élude ses promesses et ses cadeaux. Amour envoie « Pour aller aveuc Franc Volloir / Et pour sa vollenté volloir95 » une série dadjuvants : « Advis », « Sens », « Hardement », « Biau Parler », « Bien Celer », « Bon Espoir », et surtout « Loyaulté », « Droiture » et « Feauté ». Ainsi conforté, lamoureux fait quelques progrès, mais comment ajuster deux libertés individuelles pour aboutir à la formation dun couple ? Comme lamant de la Belle Dame sans merci, lamoureux est prêt à abdiquer sa liberté pour entrer – au prix dun oxymore – « En amoureuse servitude96 » au service de Franchise. Mais celle-ci redoute toujours de sengager dans un « mauves pas » dont elle ne pourra « Bien ysir a sa vollenté97 ». Amour justifie le souci qua la dame de son honneur et enjoint à lamoureux de la respecter tout en restant confiant :

Que nul honme ne doit oser

Penser en son cueur de joïr

De tel dame, se conjoïr

Il ne scet sa belle biauté,

Sa douce et france liberté,

Son esbatement, son deport,

Son maintien et son noble port98.

Le face-à-face risquerait de rester sans issue sans le recours à un couple décisif, formé par Liberté et Bon Renom. Liberté assure Franchise de

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la sincérité de Franc Vouloir et se dit comblée par Bon Renom. Une « amoureuse aliance » jurée sur le missel en présence dAmour consacre finalement lunion des deux couples, qui en outre se prêtent mutuellement serment : Franchise sengage envers Liberté, Franc Vouloir envers Bon Renom99. Ainsi est scellée une « parfaite amour » fondée sur le respect de « foy », « verité » et « loyauté100 ». La démultiplication des personnifications permet la résolution dialectique du blocage. On aboutit à une sorte de ménage à quatre sur le plan conceptuel, qui met laccent sur une morale de la bonne intention101, gage de sincérité et de fidélité.

Émergence de lintention dauteur

Lintention est bien lun des noms possibles de la volonté, en sorte que lon peut finalement voir en Franc Vouloir une figure émergente de lintentio auctoris dans plusieurs textes du xve siècle, à une époque où les écrivains adoptent de plus en plus une posture réflexive pour définir et affirmer leur rôle. Un rapprochement métonymique de Franc Vouloir avec lauteur est perceptible dans le Livre du Cœur damour épris, à travers le couple formé par le Cœur, double onirique de René dAnjou, et son destrier. Plus explicitement, Olivier de La Marche, qui sinspire notamment du roman du roi René dans Le Chevalier déliberé (1483), dote lacteur du cheval Vouloir102.

Marc-René Jung, commentant Le Champion des Dames, a fort bien remarqué que

comme Le Franc déclare dans le prologue que cest le bon vouloir de servir les dames qui le pousse à prendre la plume, il est clair que le personnage Franc Vouloir représente le Vouloir de Le Franc103.

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Lassociation onomastique entre lauteur et son héros/héraut était assez évidente. Mais il y a plus, comme lindique Pascale Charron :

Franc-Vouloir est le vouloir de Le Franc ; symbole incarné de lhomme libre, il représente la parole affranchie de lauteur104.

Or vouloir écrire de son propre chef sans passer par la commande du prince ne va pas sans risque : on sait que Le Champion des Dames ne fut pas bien accueilli à la cour de Philippe le Bon. Martin Le Franc révisa son texte afin de le présenter de nouveau au duc de Bourgogne en 1451. Liconographie du manuscrit BnF, fr. 12476, témoin de cette seconde réception – cette fois favorable – du texte à la cour est très révélatrice, selon P. Charron :

Si Franc-Vouloir est limage romanesque de Le Franc, il devient également, dans lune des images fondamentales du cycle, le duc Philippe le Bon lui-même. [] En transformant le duc en champion des dames, limage fait du prince le champion de la cause que défend Martin. Les propos de Franc-Vouloir sont alors placés dans la bouche de Philippe le Bon et atteignent ainsi une portée particulière. La protection du duc de Bourgogne sétend sur le poème105.

La stratégie iconographique a lefficacité dun hommage de lécrivain au prince tout en préservant son indépendance dans le texte. Le songe de Martin se conclut, dans le livre V du Champion des Dames, sur le triomphe du poète alias Franc Vouloir, couronné de laurier par Vérité.

Les seuils douverture et de fermeture de lœuvre, en tant que lieux traditionnels dexpression du projet auctorial, laissent apparaître le « vouloir », personnifié ou pas, de lauteur. Jean du Prier se met ainsi en scène au début du Songe du Pastourel, au moment de son endormissement, prélude au rêve qui fournira la matière du poème :

Dessus le lit a demy descouvert,

Demy veillant et demy assommé,

Les yeulx serrés, lentendement ouvert,

Franc Vouloir vint a moy, et ma sommé

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Que des propos le nombre consommé

En mon cerveau si fut par vers espars

De vostre bruyt qui des bons est amé

Et augmenté souvent en plusieurs pars106.

Franc Vouloir incarne la prise de décision de lauteur, qui dédie ce songe politique à René II de Lorraine, après sa victoire sur Charles le Téméraire à Nancy en 1377. Quant à André de La Vigne, il conclut LHonneur des dames sur des vers dédiés à Notre Dame, « Combien que fust par ung fraxille acteur / Trop contenue son vouloir directeur107 », affichant son intention tout en respectant les convenances de la posture dhumilité.

Interrogeons-nous, pour finir, sur une absence. Franc Vouloir est absent du petit théâtre psychomachique de Charles dOrléans. Vouloir, certes, apparaît quelques fois dans ses ballades et rondeaux, complété par divers qualificatifs108 ; mais il était probablement difficile à un homme qui resta si longtemps captif de se dire « franc » – bien quil eût pu jouer sur le sens « français ». Quand Franc Désir se glisse furtivement à la rime de deux vers, il sagit de létat desprit de la dame aimée (et bientôt morte) ou dAmour acceptant le retrait de Charles dans le Songe en complainte109. La poésie aurélienne, malgré ses accents personnels, nest pas pensée pour affirmer une volonté individuelle, quelle quelle soit. Lemprise de Mélancolie, syndrome dépressif qui étouffe la capacité à vouloir, puis de Nonchaloir, qui mène à une morale du détachement quasi ataraxique, a été la plus forte.

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Conclusion

Au terme de cette enquête provisoire, limportance conceptuelle et poétique de Franc Vouloir est manifeste. Cette figure mal repérée dans la littérature allégorique110 est pourtant récurrente et entre en résonnance avec la doctrine catholique du péché, la critique du modèle courtois, laffirmation du moi de lécrivain à la fin du Moyen Âge. À cette époque, les écrivains relaient auprès dun plus large public des problèmes dabord disputés en latin par les maîtres scolastiques111 ; les débats sur des questions déthique sont aussi un divertissement curial apprécié. Plusieurs apparitions de Franc Vouloir, on la vu, sont dailleurs liées aux controverses soulevées par le Roman de la Rose ou La Belle Dame sans merci.

Cest que la liberté qui préside à lexercice du « franc vouloir » reste essentiellement problématique. Le mot composé en moyen français, qui nest pas le calque direct du liberum arbitrium112, est générateur dambiguïté : tantôt cest lidée de liberté de choix (« franchise ») qui est privilégiée, tantôt celle de volonté (mais le « vouloir » se borne alors souvent à un désir amoureux ou peccamineux dénué de fondement réfléchi)113 ; ou bien ladjectif « franc » peut renvoyer à la noblesse du sujet plutôt quà sa liberté. Une leçon exigeante se dégage des textes, qui enseignent quon ne doit pas se contenter dune liberté laxiste qui consentirait à nimporte quelle impulsion de la chair, alors quil faut chercher à contribuer par son libre arbitre aux réalisations de lesprit114. Une vie bonne vaut mieux quune bonne vie. Cest pourquoi Franc Vouloir a souvent besoin des renforts de Raison et dEntendement.

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La locution « franc vouloir » se présente donc plus ou moins sporadiquement dans bien des textes de la fin du Moyen Âge, mais au xve siècle plusieurs auteurs se plaisent à faire de Franc Vouloir un protagoniste de premier plan. Cette cristallisation allégorique de la notion semble propre à ce siècle, car dès le xvie, sous la plume de Rabelais par exemple, « franc vouloir » est redevenu infinitif substantivé, avant de disparaître de lusage115, relayé par « libre arbitre116 ». Quelle que soit lexpression, reste cette interrogation profonde, philosophique, de lhomme sur sa capacité de choisir librement ce que doit être sa vie. Et si le sage est le mieux placé pour échapper aux déterminismes de toutes sortes, alors la littérature, résolument pourvoyeuse de « clergie » à la fin du Moyen Âge, voit son utilitas renforcée.

Florence Bouchet

Université de Toulouse (UTM)

Patrimoine, Littérature, Histoire (EA 4601)

1 J. Cerquiglini, « Le nouveau lyrisme (xive-xve siècles) », Précis de littérature française du Moyen âge, éd. D. Poirion, Paris, PUF, 1983, p. 280. Cet article, initialement écrit pour les Mélanges offerts à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, na pu y figurer en raison de sa longueur ; il lui reste naturellement dédié.

2 Voir J. Cerquiglini, « Un engin si soutil ». Guillaume de Machaut et lécriture au xive siècle, Paris, Champion, 1985.

3 Je me permets de signaler mes travaux : sur Pensée, « Charles dOrléans, le penseur dans le labyrinthe », Être poète au temps de Charles dOrléans (xve siècle), éd. H. Basso et M. Gally, Avignon, Éditions universitaires dAvignon, 2012, p. 132-150 ; sur Entendement, Le discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles : pratiques, poétique, imaginaire, Paris, Champion, 2008, p. 52-53.

4 Pour une synthèse sur ce point longuement débattu par les historiens, voir P. Bonnassié, « Liberté et servitude », Dictionnaire raisonné de lOccident médiéval, éd. J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Paris, Fayard, 1999, p. 595-609.

5 Voir J.-Y. Tilliette introduction à Boèce, La Consolation de Philosophie, éd. C. Moreschini et trad. É. Vanpeteghem, Paris, LGF, 2005, p. 20 ; K. Trego, « La liberté dans la Consolatio Philosophiae de Boèce. Inspiration chrétienne et sources antiques », Archives de Philosophie, 69, 2006/2, p. 187-202.

6 Tout ce paragraphe ne peut donner quune idée extrêmement sommaire du débat philosophique qui se déploie entre la fin du xiiie et le début du xive siècle. Pour une réflexion de fond, voir F.-X. Putallaz, Insolente liberté. Controverses et condamnations au xiiie siècle, Fribourg, Éditions universitaires de Fribourg – – Paris, Éd. du Cerf, 1995 ; M. Pickavé, « Que signifie “être libre” ? Le cas Henri de Gand », Médiévales, 63, 2012, p. 91-104. Voir aussi W. Thönissen, « Liberté », Dictionnaire critique de théologie, éd. J.-Y. Lacoste, Paris, PUF, 2007 (3e éd.), p. 782-785.

7 Cest la thèse de la gratia cooperans, reprise, entre autres, par saint Bernard de Clairvaux et saint Thomas dAquin.

8 Thomas dAquin, Somme théologique, 1re partie, question 83, trad. A.-M. Roguet, Paris, Éd. du Cerf, 1984, t. 1, p. 720-721.

9 Voir Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, éd. F. J. Carmody, Genève, Slatkine, 1975, p. 178 (chap. vi du livre II, qui résume lÉthique dAristote).

10 Rm 7, 18-20 ; trad. TOB.

11 Voir A. de Libera, La philosophie médiévale, Paris, PUF, 1989, p. 101.

12 Ce long développement occupe les v. 17063-17878 du Roman de la Rose, éd. A. Strubel, Paris, LGF, 1992. Aux huit occurrences de « franc/frans voloir(s) » (v. 17203, 17340, 17401, 17474, 17495, 17717, 17873), il convient dassocier celles de « franche volonté » (v. 17207, 17242, 17494). P.-Y. Badel souligne la « naturel franchise » de lhomme chez Jean de Meung (Le Roman de la Rose au xive siècle. Étude de la réception de lœuvre, Genève, Droz, 1980, p. 48).

13 Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante (BnF ms. fr. 12559), M. Piccat (dir.), éd. L. Ramello, Boves, Araba Fenice, 2008, p. 535.

14 « Filz, en ta arme puez sentir franche voulenté, laquelle Dieu a donné a ton courage pour ce que tu en puisses faire bien et mal, et que se tu fais le bien, Dieux ait raison de toy donner salvacion, et que par le mal en soyes achoisonné a dampnacion » (id., p. 519). Connaissance, démarquant la formule de s. Paul citée supra, rappelle au Chevalier combien la volonté humaine, limitée à ses propres forces, reste sujette à léchec : « Esme, filz, combien pert voulanté qui touzjours veult et desire et nul temps ne puet avoir ce quelle desire, et touzjours a ce quelle het » (id., p. 528).

15 La Somme le Roi par frère Laurent, éd. É. Brayer et A.-F. Leurquin-Labie, Paris, SATF, 2008, p. 190. Thomas de Saluces emprunte textuellement ce développement dans le Livre du Chevalier errant, éd. Ramello, p. 548. Chez lun et lautre auteur, lexposé se poursuit avec la « franchise de grace », qui détache les « preudomme » des tentations mondaines et tourne leur cœur vers lamour de Dieu ; enfin, la « franchise de gloire » délivre les hommes de leur corps et les unit à Dieu après la mort.

16 Nature fait référence aux laïcs et aux clercs à plusieurs reprises : Roman de la Rose, éd. Strubel, v. 17110, 17199, 17398, 17739.

17 Cest lun des sept dons du Saint-Esprit dans les listes canoniques de lenseignement doctrinal.

18 Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle, p. 132.

19 Id., p. 249.

20 Id., p. 377.

21 Martin Le Franc, Le Champion des Dames, éd. R. Deschaux, Paris, Champion, 1999, t. II, citations aux v. 9313-9314, 9368, 9402, 9404.

22 Un poète bourguignon du xve siècle, Michault Taillevent. Œuvres, éd. R. Deschaux, Genève, Droz, 1975, p. 120, v. 174-180.

23 J.-P. Boudet parle même dune « vedette » dans Eustache Deschamps en son temps, éd. J.-P. Boudet et H. Millet, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 59 (panorama prolongé aux p. 60-61).

24 Œuvres complètes [OC] dEustache Deschamps, éd. M. de Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, Firmin Didot et Cie, SATF, Ball. 78, t. I, 1878, p. 180. Même idée dans le chant royal 372, t. III, 1883, p. 123-125 (sur ce poème, voir commentaire et notes dans Eustache Deschamps en son temps, p. 48-51).

25 Id., Chant royal 372, v. 3, t. III, p. 123.

26 Id., Chant royal 383, v. 36, t. III, p. 148.

27 Id., Ball. 289, v. 19, t. II, 1880, p. 144 ; dans cette ballade, « franc vouloir » est une capacité non personnifiée.

28 Id., Chant royal 367, v. 19-20, t. III, p. 111. La strophe 2 expose le motif bien connu du bivium.

29 Id., Ball. 286, v. 12, t. II, p. 140 (majuscules discutables : « franc vouloir » peut être un simple complément dagent abstrait).

30 Id., Ball. 286, v. 10 et 15, t. II, p. 140-141.

31 Id., Ball. 1140, v. 6-8, t. VI, 1889, p. 67. Voir aussi Ball. 289, v. 1-10, t. II, p. 144.

32 Id., La fiction du lyon, v. 1148-1151 et 1285-1288, t. VIII, 1893. Autres occurrences de « franc vouloir » dans ce texte : v. 1162, 1261,1332, 1540, 1784.

33 Id., Ball. 1193, v. 21-24, t. VI, p. 174.

34 Id., Ball. 1101, v. 17-24, t. VI, p. 4.

35 Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle, p. 98.

36 OC dEustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 1110, v. 31-32, t. VI, p. 19.

37 Id., Ball. 1111, v. 5-6, t. VI, p. 20 ; témoignage dun conservatisme social fréquent à lépoque.

38 Id., Ball. 1111, v. 11-14, t. VI, p. 20.

39 Voir id., Ball. 275, t. II, p. 123-124.

40 Id., Lay de franchise, v. 285 et 298, t. II, p. 213.

41 Id., Refrain du Chant royal 315, t. II, p. 1-3. On saisit là lambivalence de « Franc Vouloir » qui, même personnifié, reste essentiellement un concept : lemploi du mot « seigneur » justifie la majuscule mais la structure syntaxique est identique aux vers du Lay de franchise cités précédemment.

42 Ballade des « Contredits de Franc Gontier », Testament, v. 1473-1506, dans F. Villon, Poésies, éd. J. Dufournet, Paris, GF Flammarion, 1992, p. 228-230.

43 Voir OC dEustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 82, t. I, p. 185-186, et 240, t. II, p. 71-72, ainsi que le rondeau 1082, t. V, 1887, p. 386-387. Voir aussi M. Lacassagne, « Rhétorique et politique de la “médiocrité” chez Eustache Deschamps », Autour dEustache Deschamps, éd. D. Buschinger, Amiens, Presses du centre détudes médiévales – université de Picardie – Jules-Verne, 1999, p. 115-126 ; J. Blanchard et J.-C. Mühlethaler, Écriture et pouvoir à laube des temps modernes, Paris, PUF, 2002, p. 76-77.

44 OC dEustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 185, t. II, p. 1-2.

45 « Franc Vouloir, lastrologie et la divination chez Eustache Deschamps », Autour dEustache Deschamps, éd. Buschinger, p. 27-35, ici p. 34.

46 OC dEustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Chant royal 372, v. 31-40, t. III, p. 124.

47 Cité par Boudet, « Franc Vouloir, lastrologie et la divination », p. 31. Evrard de Trémaugon, dans le Songe du Vergier, attribue également à Ptolémée la sentence sapiens homo dominabitur astris.

48 Cité par Boudet, « Franc Vouloir, lastrologie et la divination », p. 34.

49 « Le débat du cœur et du corps de Villon », v. 35-37, dans F. Villon, Poésies, éd. Dufournet, p. 344. Le débat ne convoque pas explicitement la notion de « franc vouloir », mais la dissociation du propos entre deux instances du moi manifeste la difficulté de la vie morale, qui requiert un engagement de la volonté. Cest à cette condition que la liberté individuelle peut être assumée.

50 OC dEustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 1155, v. 23, t. VI, p. 89.

51 Moralités françaises. Réimpression fac-similé de vingt-deux pièces allégoriques imprimées aux xve et xvie siècles, éd. W. Helmich, Genève, Slatkine, 1980, t. I, p. 4. Jintroduis ponctuation et apostrophes et discrimine i et j, u et v. Jai également corrigé « Des ameres que Adam… » en « Des ames des que Adam … ».

52 Id., p. 5.

53 Id., p. 6.

54 Id., p. 7.

55 Id., p. 121.

56 Id., p. 122.

57 Id., p. 124. « Je suis Roger Bon Temps, / Qui de tous suis contens ; / Ce qui test bon me plaist » (p. 129). Ladjectif « bon » renvoie au principe de plaisir et non au bien moral. Roger Bon Temps est la personnification, dans le théâtre comique de la fin du xve et du début du xvie siècle, de la vie festive et insouciante. Voir C. Beaune, « Roger Bon Temps, type populaire ou reflet dune propagande », Bulletin détudes sur lhumanisme, la réforme et la renaissance, 11, 1980, p. 25-29 ; J.-L. Roch, « Le roi et lâge dor : la figure de Bon Temps entre le théâtre, la fête et la politique (1450-1550) », Médiévales, 22-23, 1992, p. 187-206. « Son nom évoque les plaisirs et passe-temps tandis que son prénom (Rogier ou Rougié) insiste sur son habileté et sa malice », indique C. Beaune (p. 25). J.-L. Roch préfère distinguer Roger Bon Temps et Bon Temps, incarnation de la prospérité de lâge dor. Roger Bon Temps est figuré dans une miniature du Livre du Cœur damour épris de René dAnjou (ms. BnF fr. 24399, fol. 124). Traditionnellement, ce personnage est pourvoyeur doublies (petits gâteaux symbolisant loubli des temps difficiles) ; dans notre pièce Franc Arbitre vêtu en Roger Bon Temps laisse oublier au pécheur ses devoirs moraux.

58 Moralités françaises, éd. Helmich, t. I, p. 128.

59 Id., p. 213. Voir aussi p. 129, 180, 192, 206.

60 Id., p. 128.

61 Id., p. 156.

62 Id., p. 181. Voir aussi les dialogues p. 206-207, 211.

63 Franc Arbitre fait allusion aux paroles de « maint prescheur » quil a entendues (id., p. 180).

64 Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle, p. 103. Je ne rappelle pas lévolution de la doctrine du mariage au sein de lÉglise catholique qui, au cours du xiie siècle, sest efforcée de consacrer lunion librement consentie des deux époux.

65 OC dEustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Miroir de mariage, v. 528-533, t. IX, 1894.

66 L. Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode demploi », Eustache Deschamps, témoin et modèle. Littérature et société politique (xive-xvie siècles), éd. T. Lassabatère et M. Lacassagne, Paris, PUPS, 2008, p. 103-116, ici p. 104 et 110.

67 Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode demploi », p. 103.

68 On peut situer le Miroir de mariage entre les Lamentation de Matheolus traduites du latin par Jean Le Fèvre et les Quinze joies de mariage.

69 Voir Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode demploi », p. 111-114 et L. Evdokimova, « Éthique, économie, politique, rhétorique. La classification aristotélicienne des sciences et la poésie didactique de Deschamps », Les “Dictez vertueulx” dEustache Deschamps. Forme poétique et discours engagé à la fin du Moyen Âge, éd. M. Lacassagne et T. Lassabatère, Paris, PUPS, 2005, p. 56-72. Deschamps mentionne lÉthique et la Politique aux v. 214-215 du Miroir de mariage.

70 Farce éditée dans le Recueil de farces françaises inédites du xve siècle, éd. G. Cohen, Cambridge (Mass.), The Mediaeval Academy of America, 1949, p. 51-56. Analyse dans B. Faivre, Répertoire des farces françaises, des origines à Tabarin, Paris, Imprimerie nationale, 1993, notice no 146, p. 375-376.

71 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. I, v. 569-760. Ce cheval est probablement un souvenir de lequus Desiderii présent dans deux paraboles de saint Bernard de Clairvaux : De Fuga et reductione Filii Prodigii et De conflictu vitiorum et virtutum, qui décrivent en termes allégoriques les aventures de la conscience humaine ; voir P. Maupeu, « Les aventures de Prudence, personnage allégorique, ve-xve siècle », La Vertu de prudence entre Moyen Âge et âge classique, éd. É. Berriot-Salvadore, C. Pascal, F. Roudaut et T. Tran, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 33-53, en partic. p. 35-38 et 41-43.

72 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. I, v. 761-920.

73 Id., t. II, v. 7577-7582.

74 Voir Gn 2, 24, Malachie 2, 14-15, Marc 10, 7-8, Mt 19, 5-6.

75 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. II, v. 7592.

76 Voir Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles, p. 196-197.

77 Moralités françaises, éd. Helmich, t. II, p. 87-101.

78 Voir id., p. 96 (didascalie) : « Comment, quant Dangier, Envie et Mallebouche ne peullent actenter lonneur des dames, ilz le detractent et injurient. Et comment a lopposite Cueur Loyal et Franc Voloir le soubstiennent et en disent du bien ».

79 Id., p. 99.

80 René dAnjou, Le Livre du Cœur damour épris, éd. F. Bouchet, Paris, LGF, 2003, p. 96.

81 Raison dans le Champion des dames ; Prudence et Tempérance dans les paraboles bernardines.

82 Car celui-ci « nestoit pas duit du pont comme celui de Soussy estoit », Le Livre du Cœur damour épris, éd. Bouchet, p. 144.

83 René dAnjou, Le Livre du Cœur damour épris, éd. Bouchet, p. 150.

84 Id., p. 248. À vrai dire, René dAnjou semble avoir eu du mal à faire jouer pleinement Franc Vouloir dans le système allégorique de son roman : il nest nommé quune fois, lors de son introduction dans la diégèse, et ici lauteur se débarrasse du cheval en le faisant confier à des « varlets » artificiellement surgis pour loccasion.

85 Id., p. 496.

86 Debat de deux amans, v. 442-452 et 465-466, dans Œuvres poétiques de Christine de Pisan, éd. M. Roy, Paris, Firmin Didot et Cie, SATF, t. II, 1891, p. 62-63.

87 Id., éd. Roy, v. 1053-1055, p. 81. Christine se garde de trancher le débat, quelle laisse à lappréciation de Louis dOrléans.

88 La Belle Dame sans Mercy, v. 529-536, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. D. F. Hult, Paris, Champion, 2003, p. 60.

89 Cette dissociation des significations semble confirmée par Le Debat des deux fortunés dAmours (autre imitation du Debat de deux amans de Christine par Chartier) : lapologiste de lamour évoque lentreprise masculine de séduction en parlant de « Hault Vouloir qui tout vaint et seurmonte » tandis que le détracteur de lamour remarque la résistance du « Franc Vouloir » féminin (The Poetical Works of Alain Chartier, éd. J. C. Laidlaw, Londres, Cambridge University Press, 1974, p. 165 et 186, respectivement v. 260 et 932).

90 « Je suis france et france veul estre », La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, v. 286, p. 38.

91 « La Belle Dame sans Mercy, ou la dame qui ne voulait pas jouer », La “FinAmor” dans la culture féodale, éd. D. Buschinger et W. Spiewok, Greifswald, Reineke Verlag, 1994, p. 13-21, ici p. 15.

92 Voir D. Poirion, « Lectures de La Belle Dame sans mercy », Écriture poétique et composition romanesque, Orléans, Paradigme, 1994, p. 287-305, en partic. p. 303.

93 LAccusation contre la Belle dame sans Mercy, ou Parlement Amour, v. 90, 569, 579, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, p. 122, 162, 164.

94 La Dame loyale en amour, v. 262, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, p. 190.

95 Le Livre de lamoureuse aliance, éd. J.-C. Faucon, Aix-en-Provence, CUERMA, « Senefiance », 3, 1977, v. 1251-1252, p. 43. Lemploi insistant, tout au long du texte, du verbe « volloir » et de ses dérivés désigne laffinement de la volonté comme lenjeu crucial de lœuvre.

96 Le Livre de lamoureuse aliance, éd. Faucon, v. 1375, p. 47.

97 Id., v. 1395 et 1397, p. 48.

98 Id., v. 1578-1584, p. 54.

99 Id., v. 2259-2312, p. 81-83.

100 Id., v. 2263-2264 et 2269-2270, p. 81.

101 Voir id., v. 2121, 2206, 2224, 2243, 2315, 2379, respectivement p. 76, 79, 80, 83, 86 ; « intention » est généralement à la rime, ou souligné par un enjambement (v. 2315).

102 Olivier de La Marche, Le Chevalier deliberé (The Resolute Knight), éd. C. W. Carroll, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 1999, huitain 12.

103 « Situation de Martin Le Franc », Pratiques de la culture écrite en France au xve siècle, éd. M. Ornato et N. Pons, Louvain-la-Neuve, FIDEM, 1995, p. 21.

104 « Les réceptions du Champion des dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », Bulletin du bibliophile, 1, 2000, p. 19.

105 P. Charron, « Les réceptions du Champion des dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », p. 21 et 23. La miniature en question est celle du fol. 7v du ms. BnF fr. 12476 (reproduite id., p. 22).

106 Le Songe du Pastourel, v. 65-72, éd. M.-C. Deprez-Masson, Le Moyen français, 23, 1988, p. 97.

107 LHonneur des dames, dans Moralités françaises, éd. Helmich, t. II, p. 101. Le e de « contenue » est fautif.

108 Charles dOrléans, Ballades et rondeaux, éd. J.-C. Mühlethaler, Paris, LGF, 1992 : Ball. 82, v. 17 (« bon ») p. 284, 92, refrain (« loyal ») p. 304-306 ; rondeaux 22, v. 3 (« leal ») p. 398, 273, v. 4 (« desireux ») p. 664, 306, v. 3 (« bon ») p. 700. Voir A. Planche, Charles dOrléans ou la recherche dun langage, Paris, Champion, 1975, p. 518-522 (« Vouloir, veuil et volonté »).

109 Id., Ball. 54, v. 11, p. 176 et Songe en complainte, v. 372, p. 248. J.-C. Mühlethaler laisse « franc » sans majuscule mais elle me semble pertinente dans son rapport implicite à Franc Vouloir.

110 Franc Vouloir est absent de lindex dA. Strubel, « Grant senefiance a » : Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Champion, 2002.

111 On relève par exemple sous la plume dEustache Deschamps (OC, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 289, v. 12 et Ball. 1155, v. 33, t. II, p. 144 et t. VI, p. 89) le syntagme « cause causée » qui traduit la causa causata des théologiens (subordonnée à la causa causans divine).

112 Les locutions liberal arbitre (à partir de 1425) et libere arbitre (à partir des années 1470) sont également attestées ; voir le Dictionnaire du Moyen Français en ligne, sous arbitre 2.

113 Le remplacement possible de Franc Vouloir par Franc Désir ou Franche Volonté confirme cette oscillation entre les deux pôles de la locution. Un autre équivalent du « franc vouloir » rencontré au cours de lenquête est, dès lancien français, le « franc arbitre » (exemple de Philippe de Novare, Les quatre âges de lhomme, 1265, dans lAltfranzösisches Wörterbuch de Tobler-Lommatzsch).

114 Cest la conception paulinienne de la liberté, Ga 5, 13-18.

115 Outre Rabelais, une recherche sur la base des Classiques Garnier numérique fait apparaître les noms de Jean Bastier de La Péruse, Jean Calvin, Jacques de Lavardin, Pierre de Ronsard, Jean-Antoine de Baïf, Bénigne Poissenot, Robert Garnier, Nicolas de Montreux. Loccurrence la plus tardive est datée de 1601.

116 Le Dictionnaire historique de la langue française (éd. A. Rey) date lemploi de 1541, sans autre précision ; le Trésor de la langue française cite Les Passions de lâme de Descartes (1649). Il peut sagir de la modernisation des locutions signalées supra, n. 111, ou dune nouvelle traduction de liberum arbitrium, à la suite de la querelle dite « du libre arbitre » qui opposa Érasme (De libero arbitrio) et Luther (De servo arbitrio) en 1524-1525, dans les premières années de la Réforme.