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Classiques Garnier

De Partonopeu de Blois à Cristal et Clarie ou la réécriture implicitée d’une rencontre amoureuse

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2014 – 1, n° 27
    . varia
  • Author: Toniutti (Géraldine)
  • Abstract: The romance of Cristal et Clarie presents an original writing method for French medieval literature : instead of borrowing passages from previous texts by rewriting them, the anonymous author goes so far as to literally copy several verses from 12th and 13th-century romances and insert them into his narrative. Although medievalists have, to date, shown little interest in this unique phenomenon, it is in fact highly significant since it demonstrates the ­author’s satirical intentions as much as it introduces some sort of play with the source text, thus providing insights into the medieval reception of texts. This article studies the borrowings from Partonopeu de Blois, from which the episode of ­Melior’s rape and Chef ­d’­Oire’s description are reproduced, in order to show the harmonious adaptation of these verses into the narrative thread of Cristal et Clarie and to examine their significance
  • Pages: 259 to 285
  • Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782812435164
  • ISBN: 978-2-8124-3516-4
  • ISSN: 2273-0893
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3516-4.p.0259
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 03-02-2015
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
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De Partonopeu de Blois
à Cristal et Clarie
ou la réécriture implicitée
dune rencontre amoureuse

Faire du neuf avec de lancien, écrire cest inventer : lemprunt est créateur1.

« Lécriture médiévale est [] affaire de mémoire, et ses œuvres sont comme des palimpsestes qui conserveraient en partie les traces décrits préexistants2. » Ainsi que lexprime Annie Combes, écrire au Moyen Âge, cest essentiellement recycler une matière antérieure pour produire une œuvre nouvelle. Dès lors, les diverses pratiques intertextuelles comme la compilation, linterpolation, linsertion lyrique, et, plus généralement, la réécriture, sont légion dans les textes médiévaux et nétonnent plus les chercheurs, qui y consacrent dailleurs souvent leurs études. Les nombreux remplois et détournements que subit par exemple lépreuve de lépervier dErec et Enide dans les divers romans postérieurs ne sont ainsi pas perçus comme transgressifs ni ne relèvent dune technique décriture particulièrement atypique, aux yeux du public médiéval aussi bien quà ceux des modernes.

Bien plus étonnante est la pratique quélabore lauteur anonyme du roman de Cristal et Clarie, œuvre en vers du milieu du xiiie siècle3, qui

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reste un cas isolé du point de vue de lintertextualité médiévale. En effet, loin de se contenter demprunter une structure narrative préexistante pour la réécrire différemment, à laide de ses propres mots, lécrivain compose son œuvre sur la base de citations choisies ici et là dans la littérature narrative en vers des xiie et xiiie siècles. Plusieurs passages sont ainsi prélevés dune dizaine d« hypotextes4 » différents. Les genres auxquels ils appartiennent sont très hétérogènes : de la matière arthurienne avec Le Chevalier au lion, Le Conte du Graal, Erec et Enide et Le Roman de Brut, à la matière antique avec Athis et Prophilias et Le Lai de Narcisse, en passant par le roman daventures féeriques avec Partonopeu de Blois et par le récit bref avec les lais de lOiselet et du Conseil5, notre roman jongle avec plusieurs genres. Les reprises sont souvent littérales, bien quelles comportent parfois quelques modifications. Malgré tout, les citations sintègrent parfaitement au reste du texte de Cristal et Clarie, et jamais leur hétérogénéité nest flagrante. La reconnaissance de leur provenance ne dépend alors que du degré de compétence et de mémoire du public, puisquaucune marque typographique ou textuelle nindique que tel passage est prélevé ailleurs. Ce mode décriture, que lon pourrait apparenter au plagiat, a entraîné le dédain des critiques modernes, plus enclins à y voir un procédé transgressif quune pratique productive de sens6.

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Toutefois, à considérer de plus près les citations « volées », on constate vite quil existe une cohérence et un véritable projet décriture qui président à la composition de lœuvre. Celle-ci se présente souvent comme une parodie des divers genres quelle convoque et des idéaux quelle se plaît à réutiliser pour mieux les détourner. Les emprunts faits à Partonopeu de Blois peuvent en ce sens servir dexemple pour prouver la réutilisation productive des hypotextes, qui ne se laisse pas réduire à un simple vol commis par un écrivain en mal dimagination. Notre auteur puise dans deux passages de ce texte : le viol de Mélior et la description de Chef dOire, la cité de la fée. Ils sont utilisés pour narrer la première nuit damour de Cristal et de Clarie et pour dépeindre la tour dans laquelle la jeune fille est enfermée, après que son père a contracté quelques soupçons sur la nature de la relation entre les deux jeunes gens. Les extraits sont véritablement reconfigurés, dans un dialogue signifiant entre le texte et son hypotexte. Il sagira donc deffectuer une comparaison différentielle7 pour comprendre les mécanismes décriture qui régissent la composition de Cristal et Clarie et faire surgir le sens de la pratique intertextuelle que nous appellerons, en reprenant le terme de Bernard Magné, « implicitation8 » :

Le mécanisme de limpli-citation peut se résumer ainsi, sagissant du discours fictionnel : le scripteur L0 introduit « clandestinement » dans les énoncés du narrateur L1 des énoncés empruntés à un autre locuteur L2 qui est lauteur cité. [] La caractéristique majeure dune impli-citation, cest … son implicitation, cest-à-dire son aptitude à sintégrer au discours du narrateur sans que soit perceptible la rupture disotopie énonciative : une suture invisible, voilà lopération que doit réussir le scripteur9.

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Ce concept est destiné à caractériser les citations de Flaubert insérées par Georges Perec dans La vie mode demploi, mais il sapplique parfaitement au roman qui nous intéresse, les implicitations étant intégrées subtilement et implicitement à la trame narrative de lhypertexte.

Partonopeu de Blois : un « roman-somme »

Aussi chaque hypotexte nest-il pas choisi au hasard. Partonopeu de Blois néchappe pas à la règle, et répond à des critères particuliers délection. Ce roman est ce quAnthime Fourrier a appelé « une espèce de roman “somme”10 ». Il peut être considéré comme une anthologie de la littérature de son époque, le xiisiècle11, puisquil emprunte et mêle le merveilleux breton et les matières des genres antique, épique, historique, courtois, chevaleresque, féerique et de la poésie lyrique12. Reprendre des passages à ce roman en particulier, qui mélange les genres, est peut-être pour lauteur de Cristal et Clarie une façon de sinscrire dans le même projet de constitution dune synthèse de la

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production littéraire, puisque les implicitations permettent de condenser des genres différents en un seul ensemble textuel, ce qui lapparente à un « roman-bibliothèque ».

Le genre de Partonopeu de Blois se distingue du roman arthurien, qui donne pourtant sa trame de base à Cristal et Clarie par le biais des implicitations du Conte du Graal et du Chevalier au lion, ainsi que par la forme toute arthurienne de lerrance de Cristal, qui affronte plusieurs aventures dans la forêt avant de rencontrer son amie. Ainsi, ce ne sont pas les scènes de guerre ou de duels chevaleresques, pourtant abondantes et étoffées dans Partonopeu de Blois, qui sont retenues par lauteur anonyme ; les combats restent strictement arthuriens dans Cristal et Clarie, puisquils proviennent exclusivement des œuvres de Chrétien de Troyes. Ceci prouve la volonté de lauteur anonyme dinscrire son roman dans le schéma de lerrance arthurienne. Les affrontements ne sont en effet pas similaires dans Partonopeu de Blois et Erec et Enide ou Le Chevalier au lion : ces derniers se démarquent clairement de la tradition épique et initient un nouveau mode de combat13. Lauteur anonyme donne donc une logique aux emprunts : chaque hypotexte a une fonction particulière qui nempiète en principe pas sur celle des autres. Les aventures, les châteaux et les combats proviennent du Conte du graal, du Chevalier au lion et dErec et Enide, les descriptions de fêtes, du Roman de Brut, les lamentations amoureuses, du Lai de Narcisse et dAthis et Prophilias, tandis quà Partonopeu de Blois est repris lépisode marquant du viol14.

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Adaptation harmonieuse
et mode dinsertion du passage

Cette scène a dû en effet être particulièrement étonnante pour les contemporains de Partonopeu de Blois. Rappelons-en brièvement les termes : après une chasse merveilleuse dans la forêt, Partonopeu se laisse emmener par une nef dans le royaume de Mélior. Affamé, il entre dans le château principal de la cité et mange à sa faim, émerveillé et mal à laise en même temps en constatant que le service se fait comme par enchantement. Il se couche dans un lit confortable du palais, puis est rejoint à sa grande surprise par une demoiselle, dont lorigine – diabolique ? – lui crée une petite inquiétude aussitôt dissipée lorsquil lentend prononcer le nom de la Vierge. Malgré les signes de rejet évidents dont fait preuve la jeune fille, Partonopeu persiste à lenlacer, lui écarte les cuisses de force et prend « les flors del pucelage » (Partonopeu, v. 130115). La demoiselle, dont les traits féeriques sont indéniables16, explique ensuite quelle règne sur Byzance et a tout organisé pour faire venir le jeune homme auprès delle, dans le but de lépouser. Cette scène dévie du roman de chevalerie classique, dune part par la crudité avec laquelle elle est décrite, dautre part par le fait quil sagit de la première rencontre entre les protagonistes, sans parler de lacte en lui-même, qui défie tous les idéaux courtois17.

La reprise de ce choquant passage dans Cristal et Clarie affirme la volonté de mettre le procédé intertextuel en évidence et prouve que le but visé nest pas celui de plagier furtivement un auteur, mais bien demprunter des passages célèbres pour mieux créer et, corollairement, y rendre le lecteur attentif. Lépisode du viol devait en effet être connu du public, puisque Partonopeu de Blois a vraisemblablement obtenu un vif succès au

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xiie mais aussi au xiiie siècle. Les dix manuscrits ou fragments qui nous sont parvenus témoignent de sa popularité, de même que les adaptations étrangères18 ou les œuvres qui lévoquent, comme La vie de seint Edmund le Rei : « Cil ki Partonopé trova / E ki les vers fist e rima/ Mult se pena de bien dire19 ». Partonopeu de Blois a également été sujet à linterpolation, puisque de nombreux vers en sont insérés dans la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse, dans le ms. BnF 7517, selon un procédé similaire à celui que pratique lauteur de Cristal et Clarie20. Limplicitation présente dans notre roman devait donc être parfaitement reconnaissable par le public, dautant plus que 180 vers sont repris. Ceux-ci sont le reflet de la lecture particulière qua effectuée lauteur anonyme, qua dû frapper cette scène. Ils sont le signe dun arrêt de lecture qui prouve le caractère atypique de lépisode et renforce la logique du choix des citations que nous venons dexpliquer : seul ce passage est repris, car il est le plus marquant, au contraire des scènes de combats. Cristal et Clarie apparaît alors comme un témoin médiéval de la réception de Partonopeu de Blois.

Dans cette perspective, il est intéressant détudier le moment où le passage sinsère dans Cristal et Clarie. Après son errance à travers la forêt dans le but de rencontrer la femme quil a vue en songe, Cristal arrive au château de Bruiant, le père de Clarie. Alors que celle-ci a refusé ses avances à plusieurs reprises, il se rend de nuit dans sa chambre et prend de force son pucelage. Cest à cette occasion quintervient limplicitation de Partonopeu de Blois. Les différences entre les deux passages sont nombreuses : on constate dabord que le sexe du sujet de laction change dun texte à lautre, dès les premiers vers implicités (v. 1131-1132 de Partonopeu, v. 8219-8220 de Cristal21) : dans lhypotexte, cest Mélior qui se glisse dans le lit tandis que cest Cristal, l« intrus », qui le fait dans notre roman. Nous avons affaire à ce quon pourrait appeler, sur le

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modèle de la « transvalorisation22 » de Gérard Genette, un phénomène de « transactionalisation » : ce nest plus la femme-victime qui sinstalle dans son propre lit, mais lhomme étranger qui sintroduit dans le lit de celle quil aime. Même inversion pour le vers suivant (v. 1132 et 8220 respectivement) : dans « Si vait gesir delés lenfant », le terme « enfant » désigne Partonopeu dans lhypotexte et Clarie dans notre roman. Partonopeu na que treize ans au moment de sa rencontre avec la fée, cest pourquoi il est encore considéré comme un enfant, un « tousel ». Ces derniers termes apparaissent dailleurs fréquemment dans le passage. Ils sont à chaque fois remplacés dans Cristal et Clarie, soit par le nom du héros, soit par ladverbe « belement », dans un cas (v. 8346)23. Cristal est en effet un chevalier adulte dont le parcours chevaleresque touche à sa fin24 : la conquête de Clarie en représente laboutissement et lapogée. La transactionalisation souligne, par contraste avec lhypotexte, lintrusion délibérée et transgressive de Cristal dans le lit, composante absente dans Partonopeu, puisque le héros ny cherche quun endroit où dormir et na pas pour but de séduire la dame qui y règne.

Dautres changements témoignent de lattention que lauteur anonyme porte à ladaptation cohérente et fluide de limplicitation au nouveau contexte : au vers 1150, « En ma cité metre ton pié », le terme « cité » est remplacé par « canbre » (Cristal, v. 8238), puisque Cristal est depuis longtemps dans la ville du père de Clarie, et que la violation de lespace concerne uniquement la chambre. Les vers 1151 et 115225 sont supprimés : ils ont trait à la souveraineté de Mélior et nauraient donc pas leur place dans le contexte où se trouvent Cristal et Clarie. De même, les vers 1155 à 1164 sont écartés, puisquils concernent le soulagement que Partonopeu ressent lorsquil constate que Mélior nest pas un être diabolique. Un

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questionnement tout fantastique affleure dans ces lignes et souligne lorigine mystérieuse et merveilleuse de la fée, questionnement qui na bien sûr pas sa place dans le contexte courtois de la cour dAbilant, où Clarie est une dame du monde perçu comme « réel ». Labsence de ces vers met en évidence le contraste entre les deux héroïnes et leur nature, élément qui aura dailleurs son importance pour la suite du passage – nous y reviendrons. Limplicitation sintègre donc sans accroc et sans incohérence au nouveau texte, du moins dun point de vue strictement formel. Toutefois, elle détone au milieu dune œuvre courtoise et attire lattention sur le décalage quelle provoque, aussi bien par rapport à son nouveau contexte que vis-à-vis de son hypotexte.

Vers une reconfiguration parodique :
limplicitation en décalage

Le vers 1166 de Partonopeu de Blois subit lui aussi une modification, qui certes ladapte à la situation de Cristal mais possède également une autre portée :

A grant ahan sui venus ci, A grant peril26 sui venus chi,

Car en Ardene, es grans desers, (Cristal, v. 8242)

Ai griés ahans et durs sofers,

Quant entrai en le bele nef

Qui ça ma conduit a plain tref ;

Puis vinç parmi ceste cité

Cui vos clamés en ireté.

(Partonopeu, v. 1166-1172)

Le terme « ahan » est remplacé par « peril » et la description des peines qua vécues Partonopeu est supprimée de notre roman. Sil est vrai que le terme « peril » est plus adéquat pour qualifier ce qua encouru Cristal, puisquil se réfère au danger dêtre repéré par le roi, le mot est aussi plus fort que celui d« ahan ». Pourtant, Partonopeu a vécu de plus grands tourments que Cristal avant darriver à Chef dOire : après sêtre

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perdu dans la forêt et avoir connu la faim, le froid et la veille, il a été confronté à la merveille et au malaise quelle suscite ; le jeune homme na cessé de sémerveiller tout en pleurant de peur face aux prodiges de la nef et de la cité. Lépreuve de ce merveilleux et létat dans lequel le héros se trouve sont largement décrits dans le roman. En comparaison, le « peril » de Cristal paraît bien dérisoire : laventure ne consiste quen lélaboration dune stratégie pour se rendre sans être aperçu dans la chambre de Clarie. Le déroulement en est simple : attendre que le roi dorme, aller repérer les lieux (« Il regarde avant et ariere / Por savoir en quele maniere / Il pora mieus laiens entrer / Anuit por la bele parler. » v. 8177-8180), attendre à nouveau que le roi dorme, sarmer et marcher jusquà la chambre. Il ny a aucun garde à affronter, ni un quelconque autre obstacle. Tout se résume à lart de la ruse, à « engien penser » (v. 8159), encore que lengien soit bien simple et loin dêtre digne dun Renart ! Il y a donc un contraste perceptible entre les réelles peines endurées par Partonopeu et le simple trajet dune chambre à lautre queffectue Cristal, désigné par le terme « peril », décidément peu approprié. Lidéal chevaleresque est ici mis à mal et lexpérience angoissante du merveilleux se transforme en une simple stratégie qui na plus rien dhéroïque. Limplicitation comporte ainsi une dimension parodique, dautant plus perceptible lorsquon compare lextrait à son contexte dorigine.

Le contraste continue lors du dialogue avec linconnue dans Partonopeu de Blois, avec Clarie dans Cristal et Clarie, sans quil y ait cette fois-ci de modification. Partonopeu prie Mélior de lautoriser à dormir là, car il ne sait où aller et risque de mourir à lextérieur :

Dame, por Deu vus cri merci : Dame, por Deu vos cri merci,

Mors sui se me jetés de ci. Mors sui, se me jetés de chi.

Dame ; ne sai quel part aler Dame, ne sai quel part aler,

Se de ci me faites oster Se de ci me faites oster.

Dame, ci sui vostre caitis : Dame, je sui vostre caitif,

Par vos serai u mors u vis. Par vos serai ou mort ou vif.

(Partonopeu, v. 1181-1186) (Cristal, v. 8251-8256)

Ne savroie quel part aler, Ne sai ou ne quel part aller

(Partonopeu, v. 1215) (Cristal, v. 8285)

Partonopeu, sans doute déjà échauffé par larrivée de la jeune femme dans le lit (« Molt li est vis que bel parole, / A paine lait que ne lacole »,

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v. 1161-1162), ajoute une touche dramatique à sa requête de manière à parvenir à ses fins. Toutefois, même si son discours est probablement au service dintentions peu louables, ce quil avance est bien réel : il se retrouverait sans toit et risquerait de mourir au milieu des dangers merveilleux de Chef dOire, sil était chassé du palais de Mélior. Il en va tout autrement pour Cristal : celui-ci dispose dun lit au château quil peut rejoindre en tout temps, et il ne risque pas plus la mort à quitter la chambre de Clarie à cet instant quà celui où il retourne effectivement dans la chambre du roi après avoir passé la nuit avec elle (v. 8409-8412). Le lien avec lhypotexte est ici essentiel pour comprendre le sens parodique que prennent ces vers : cest en décalage avec la situation de Partonopeu que les paroles de Cristal deviennent, pour le lecteur averti, comiques.

De même, la « faintise » (« Bien savés / De faintise parler assés », v. 1199-1200 de Partonopeu, v. 8269-8270 de Cristal) dont sont accusés Cristal et Partonopeu nest réellement valable que pour le premier, qui tente effectivement dattendrir Clarie par la pitié, alors quil ne risque pas grand-chose à retourner dormir dans sa propre chambre. Mais ces vers sur le péril de mort révèlent autre chose que la ruse : la peur du chevalier, qui nest pas justifiable par la merveille comme dans le cas de Partonopeu. La peur de notre héros est mise en lumière par un changement dans limplicitation :

– Sire, fait ele, levés sus ; – Sire, fait ele, levés sus !

Je vos conduirai trosque a luis, Je vos conduirai desqua lus.

Puis vos donrai seür conduit Puis vos donrai conduit sëur

Qui bien vos menra tote nuit. Mar arés de nului pëur.

(Partonopeu, v. 1225-1236) (Cristal, v. 8295-8306)

Dans Partonopeu de Blois, la fée propose descorter le jeune homme, car celui-ci ne connaît pas la cité et risque de se perdre dans lobscurité. Cette prévention paraît totalement absurde et déshonorante dans Cristal et Clarie, puisque le héros habite au château et quil na rien à craindre, excepté de se faire surprendre par le nain du roi, digne descendant du nain Frocin du Tristan de Béroul. Ce nain ne lui fera toutefois pas encourir un vrai péril, puisque Bruiant se contentera dans un premier temps denfermer sa fille, sans punir son courtisan.

La fatigue quexprime Partonopeu prend elle aussi une autre dimension dans la bouche de Cristal :

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– Dame, fait il, nen irai pas. – Dame, fait il, nen irai pas ;

Ne puis aler, que trop sui las ; Nen puis aler, que trop sui las.

Cen est la fins, nen puis partir. Cen est la fin, nen puis partir,

Faites de mei vostre plaisir Faites de moi vostre plaisir ;

Traire u detraire u detrenchier Traire ou detraire ou detranchier :

Del tot sui en vostre dangier. Del tot sui en vostre dangier.

Tot ligement vos doins mon cors Tot ligement vos doins mon cors

A laissier ci u geter fors, A laisier ou a jeter fors.

Et vos doins bonement congié Et vos doins bonement congie

De moi ocire sains pechié De moi ochire sans pechie

U de moi faire oster de ci Ou de moi faire oster de ci,

Se nen volés avoir merci. » Se nen volés avoir merci. »

(Partonopeu, v. 1225-1236) (Cristal, v. 8295-8306)

Si, dans les deux cas, on perçoit la stratégie de lhomme concupiscent, la fatigue exprimée paraît plus probable pour Partonopeu que pour Cristal, qui réside depuis plusieurs mois au château en courtisan sans avoir affronté aucune aventure. La lassitude est ainsi moins liée à la fatigue quau mal damour. Ces vers se lisent comme lexpression de la détresse amoureuse, ce que confirme le soupir du vers 8310 (« A cief de pose si sospire »), que lon associe spontanément au désespoir de lamant. Même sil na pas la même signification dun texte à lautre, ce passage sintègre très bien à son nouveau contexte. Sa reconfiguration renvoie peut-être à lhypotexte, où Partonopeu, ainsi que nous lavons évoqué, est déjà attiré par linconnue. La réinterprétation de Cristal et Clarie pourrait bien se construire en lien avec cet aspect du texte dans lequel il puise la scène, léclairant sous un nouveau jour qui montrerait que le soupir que pousse Partonopeu nest pas lié à sa seule fatigue. La réécriture se teinterait donc dune interprétation et donnerait à voir un des « possibles » de lhypotexte : selon la théorie de Michel Charles, tout texte est porteur de « textes possibles27 », cest-à-dire que tout texte contient en lui la trace de ce quil aurait pu être, des éléments que lauteur aurait pu choisir. La réécriture permet selon le critique de réactualiser ces possibles du texte et de les éclairer. Cette théorie pourrait sappliquer à ce passage de Cristal : considérer que Partonopeu est dès le début attiré par Mélior est lune des significations que lon peut attribuer à la scène. Peut-être est-ce la possibilité qua envisagée notre auteur anonyme. La réécriture révèle ainsi quelque chose de la réception de Partonopeu de Blois par un

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de ses quasi-contemporains. Si elle met en lumière lun des possibles de lhypotexte, elle se place aussi en décalage avec lui, dans une joyeuse mise à mal parodique28 de la chevalerie.

Fée ou dame efforchiee :
de léros à la transgression

La dimension parodique se poursuit dans le traitement de la relation amoureuse des amants. Partonopeu, au contraire de Cristal, ne sest pas rendu dans le lit de Mélior dans le but de la séduire. Le contraste entre les deux textes est souligné par quelques modifications :

Ainc tant ni soi aller querant Si vos sui ci venus querrant.

Que gi trovaisce rien vivant ; Nest riens el mont, que je aim tant,

Nonques dusque ci en cest lit Que le reposer en vo lit,

Ne trovai rien descundit. Si ni trovai rien descondit.

Ne a cui demander congié. A qui demandasse congie,

Quant jo de rien ni trovai vié, Se ni trovai nul envaïe ?

(Partonopeu, v. 1173-1178) (Cristal, v. 8243-8248)

Partonopeu et Mélior ne se connaissent pas, et lacte sexuel a lieu lors de leur première rencontre. Les conditions de lobtention du surplus de même que le refus de la femme écartent cette scène de la norme courtoise et constituent à première vue un décalage choquant à lépoque de Partonopeu de Blois, bien que le viol ne soit pas aussi rare quon peut le penser dans la littérature du Moyen Âge29. Une différence fondamen

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tale distingue toutefois Partonopeu de Blois de Cristal et Clarie : dans le premier, Mélior est une fée, qui savère finalement être maîtresse du destin du héros et lavoir amené jusquà elle. Etre violée était donc prévu et même voulu par la demoiselle. Lidée dun viol consenti paraît avoir connu une certaine diffusion au Moyen Âge, si lon en croit un texte anonyme du xiiie siècle, La Clef damour :

Jamés fame noseroit dire

De bouche cen que tant desire ;

Mès mont li plest que nen la prenge

Mal gré soen, comment quil avienge.

Pucele soudement ravie

A grant joie, que quele die30.

Si ce type daffirmation est souvent misogyne, dans le cas de Partonopeu de Blois, le viol consenti est loccasion de montrer lardeur du héros sans que cet acte ait un impact fâcheux puisque le lecteur est aussitôt rassuré : Mélior était en fait consentante même si elle disait le contraire. La nature féerique de lhéroïne apparaît comme la clé de cet épisode : elle explique le pouvoir que Mélior possède sur le déroulement de laction, tout en donnant une autre importance au viol ; les fées de la littérature médiévale sont connues pour être des amantes séductrices31. Elles sont liées à léros, elles offrent un amour charnel qui tient de lonirisme et remplissent une fonction nourricière, qui englobe la fécondité32. La rencontre de la fée débouche logiquement sur lacte sexuel, dans la tradition littéraire. Partonopeu ne fait alors que suivre un schéma qui le précède. Clarie, en revanche, est une dame : le viol prend donc des

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allures de transgression, dautant plus quau contraire de Mélior, Clarie ne dit jamais quelle espérait être violée et na rien pu orchestrer, dénuée quelle est de tout pouvoir surnaturel. Elle apparaît comme lune de ces demoiselles efforchiees par des géants ou des larrons de romans arthuriens, qui outrepassent toute mesure. Cristal prend le rôle du démesuré, qui ne sait observer la règle la plus élémentaire du code courtois, malgré quil soit au bout de son errance formatrice, lors de laquelle il a dailleurs combattu plusieurs violeurs33.

Le côté transgressif du viol est renforcé par la présence au sein de Cristal et Clarie dune autre implicitation, provenant dAthis et Prophilias, qui condamne lusage de la force en amour :

Force et Amors sunt tot contrer ; Force et amor sont tot contraire,

Quant force i a, nest pas Amors. Quant force i a, nest pas amors.

(Athis, v. 3456-345734) (Cristal, v. 7290-7291)

La proscription de la force en amour est bafouée de manière dautant plus flagrante quelle est exprimée dans le même texte. Le décalage entre le comportement de Cristal et le code courtois en est dès lors plus prégnant. De plus, lacte sexuel représente une faille dans un roman courtois, du moment quil ne sagit pas de lamour dune fée. De la même manière, le songe érotique relève de la féerie. Au début du texte, Cristal rêve justement de Clarie :

Avis li fu, quil lacola

Entre ses bras et le baisa.

Onques ore ne fu mieus aise,

De lui fait tot ce que li plaise 

(Cristal, v. 427-430)

La jeune fille se révélant être une dame courtoise et non une fée, le rêve érotique prend la dimension plus crue de pulsions sexuelles et bassement corporelles.

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Cette scène remet en cause le discours courtois mis en place dans le prologue par le biais de limplicitation de DAmour, texte courtois et didactique sur lamour composé par Robert de Blois au milieu du xiiie siècle, lequel occupe 300 vers du début de Cristal et Clarie et ouvre lhistoire. La crudité de la description et de laction se place en rupture avec lidéal, mais le décalage est au service dune parodie de la finamor, sans pour autant adopter de point de vue critique à son encontre. Le viol de Clarie se rapproche ainsi davantage de ceux des pastourelles, qui sont moins des transgressions que des « vacances de la courtoisie35 » aux intentions comiques. Le malaise est dailleurs vite résolu, puisque Clarie aime Cristal et quelle finit par souhaiter être son amie, jusquà mentir à son père. Lapogée quaurait dû représenter la conquête de la femme et lobtention du surplus, de la flor del pucelage, reste toutefois une mise à plat. Si le début du texte établit un discours courtois canonique, cette fin de roman est dominée par le viol et la ruse.

Chef dOire et la tour de Clarie :
deux lieux de plaisir

Le viol ne mène dailleurs pas à une quelconque punition du héros, ce qui prouve lintention de ne pas le présenter comme une réelle transgression et renforce la légèreté de la scène. La véritable lésée est finalement Clarie, puisque cest elle quon enferme dans la tour, tandis que Cristal ne reçoit quun petit avertissement du roi, auquel il répond en mentant impudemment (« Onques jor ne pensai folie / Vers ma damoisele Clarie », v. 8462-846336). La prison de Clarie est décrite elle aussi par un passage emprunté à Partonopeu de Blois : celui de la découverte de la cité de Chef dOire37. Dans Cristal et Clarie, la tour est destinée à être un lieu disolement qui permet la surveillance étroite de la demoiselle et sa préservation du déshonneur. On reconnaît ici le motif,

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bien connu des folkloristes, de la fille dans la tour, linclusa38. On pense tout de suite à la réutilisation quen ont fait les contes, notamment celui des Grimm, Rapunzel. On le trouve toutefois déjà dans la littérature du Moyen Âge, arthurienne notamment, ne citons pour exemples que la Première Continuation, lorsque la mère de Caradoc est enfermée dans une tour par son mari pour la soustraire aux ardeurs du magicien Elïavrés, ou plus anciennement le Roman de Brut, où Ygerne est enfermée par le duc de Cornouailles. Le motif ne concerne pas que le genre arthurien, puisquil est également présent dans Floire et Blancheflor, ou encore chez Marie de France, dans le lai de Guigemar. Comme dans ces textes, la prison de Clarie se révèle en fin de compte être le lieu du plaisir et de lamour, puisque Cristal parvient à y pénétrer.

Limplicitation de Partonopeu de Blois nest en ce sens pas anodine : Chef dOire est lui aussi le domaine de lamour charnel. Il est également et avant tout un espace merveilleux où tout peut arriver et où la profusion est le mot dordre. De son côté, la tour de Clarie est elle-même un lieu où règne la merveille : au moment où Cristal y vient pour la première fois, il est tout émerveillé des prodiges quil voit. Le lit de la jeune fille nen est pas des moindres, puisquil dispose de pieds qui chantent ou racontent des fables et des récits exemplaires (v. 8653-8660), mais on y trouve aussi un engien qui régule la température et une couverture chantante. Habituellement, les châteaux que Cristal croise lors de son errance sont décrits par le biais dimplicitations provenant du Conte du graal. Que cette fois lextrait soit repris de Partonopeu de Blois a donc une importance singulière : ce château nest pas celui de lerrance et de laventure. Il sagit dun lieu sensuel où se rencontrent les amants – ce qui le détourne de la fonction première que lui avait attribuée Bruiant. Limplicitation convoque lamour charnel quoffre la fée et permet de percevoir la différence qui existe entre les demeures tirées dintertextes arthuriens qui ne mènent jamais à lacte sexuel et cette tour, qui se mue en repère de plaisirs par lintermédiaire de Chef dOire. La dimension merveilleuse que revêt cette description est essentielle, puisquelle renforce le lien entre léros et la féerie. Le détour par lhypotexte est dès lors indispensable pour comprendre la portée du

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passage : ce château ne peut pas être décrit dans les mêmes termes que les espaces arthuriens, puisquil voit la consommation de lamour charnel, réservé en principe à la rencontre avec la fée.

Quête dimplicitations, quête du sens

Le recours à Partonopeu de Blois se réduit ainsi à la première arrivée à Chef dOire et relève dun usage spécifique. Toutefois, Hermann Breuer indique un vers supplémentaire, le vers 560 de Cristal et Clarie, qui dériverait du vers 4491 de Partonopeu de Blois :

Mais il ni boit ne ne mangüe Cristal, il ni boit ne mangüe,

(Partonopeu, v. 4491) Car il nont rien con puist mangier.

Si en aroient bien mestier,

Car tot le jor errer avoient

Et encor desjuné nestoient.

(Cristal, v. 560-564)

Dans lhypotexte, Partonopeu est, après avoir vu sa mère en France, sur le point de transgresser linterdit imposé par Mélior, cest-à-dire la regarder à la lumière. Contrairement à son habitude, il ne touche pas au festin installé comme toujours sur les tables à son arrivée à Chef dOire et se rend directement au lit, souhaitant montrer que le désir quil a de son amie ne souffre aucun retard (« Quanses por haste del delit / Quil tant desirre de samie », v. 4496-4497). Dans Cristal et Clarie, ce vers apparaît au début du roman, lors de lerrance du héros, et caractérise les difficultés pratiques que le chevalier rencontre. Au contraire de lhypotexte, cest laspect bassement corporel et humain qui transparaît dans ces vers. Cette faim ne caractérise pas limpatience du héros, elle nest quune composante inhérente à lerrance, souvent tue dans les romans arthuriens. Ainsi, le décalage parodique affleure à nouveau, dautant plus que la faim de Cristal nest quune mention gratuite, ne menant pas à une aventure ou à une scène dhospitalité. Toutefois, ce vers – somme toute passe-partout – que Cristal et Clarie et Partonopeu de Blois partagent ne pourrait être quune coïncidence, puisquaucune autre implicitation convergente ne vient le renforcer.

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Olivier Collet39 ajoute deux vers supplémentaires à cette liste, qui pourraient être tout aussi bien une rencontre fortuite, comme lexemple dont nous venons de traiter. Il sagit, dans Partonopeu de Blois, de la description de la dangereuse forêt des Ardennes :

Veïr vos i ferai merveilhes,

Lions paisibles cum oielhes, Asés i ot ours et lions,

Dragons et tigres et liepars. Tigres et lupars et dragons.

Guivers, serpens trestos espars, (Cristal, v. 551-552)

Et ors et lous et elefans.

(Partonopeu, v. 5857-5861)

Dans Cristal et Clarie, ces vers caractérisent la forêt de lerrance lors du premier jour de la quête. Cest là que le héros et Rigal passent leur première nuit, pendant laquelle un dragon les attaque. La reprise ne se fait en tous les cas pas texte sur table, mais on peut postuler le fait que lauteur de Cristal et Clarie se souvient de cette forêt merveilleuse et remplie de périls et quil convoque ainsi la faune de Partonopeu de Blois pour poser le cadre de lerrance de son héros.

Les trois derniers vers évoqués sont trop isolés pour que lon puisse avec certitude parler dimplicitation. Ils viendraient toutefois confirmer la double utilisation que notre roman fait de Partonopeu de Blois : souvent merveilleuse, limplicitation de ce roman permet également un décalage amusé et parodique qui met à mal lidéal amoureux pour le réduire à limpulsivité du désir. Une fois sorti du contexte féerique, lextrait de Partonopeu de Blois prend des allures de scène de fabliau, venant ainsi contredire le discours amoureux mis en place dans les vers précédents, par le biais de limplicitation de DAmour et des monologues amoureux du héros. Cette dissonance pointe lintertextualité et révèle au lecteur lhétérogénéité du passage, qui remplit une fonction bien plus ludique dans son nouveau contexte que dans lhypotexte. Létude des implicitations provenant de Partonopeu de Blois prouve ainsi à la fois le caractère assumé de lentreprise, la reprise étant reconnaissable par un public avisé, et son originalité, la pratique à lœuvre dans Cristal et Clarie restant inédite dans la littérature du Moyen Âge. On comprend alors comment le détour par lhypotexte éclaire le texte sous un autre jour et dément les détracteurs de ce roman aux multiples facettes.

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Probablement pourrions-nous continuer longtemps le jeu de quête des implicitations, lancé par lauteur anonyme comme un défi à son lecteur. Les reprises provenant des autres romans réutilisés par Cristal et Clarie recèlent elles aussi de nombreuses significations et reconfigurations, qui sont autant de trésors pour le chercheur qui sintéresse à lintertextualité. Cette intertextualité est particulièrement singulière mais loin dêtre improductive, et ne saurait se résumer à la copie sèche dun modèle admiré. « Faire du neuf avec de lancien » par le biais de citations empruntées ici et là néquivaut pas une redondance stérile, bien au contraire ; ainsi que lexprime Michel Zimmermann, cité en épigraphe, « lemprunt est créateur40 ».

Géraldine Toniutti

Université de Lausanne

279

Annexes

Scène du viol de Mélior et de Clarie

Nous reproduisons41 généralement la version de A (Paris, Arsenal 2986) de Partonopeu. Toutefois, comme Cristal est parfois plus proche de V (Rome, Vatican 1971), nous en donnons les vers dans ces quelques cas en lindiquant entre parenthèses, en abrégeant « vers. V ». Eley, Hanley et Simons ont montré dans « Cristal et Clarie and a lost manuscript of Partonopeu42 » que Cristal était plus proche de V, mais que certaines divergences faisaient pencher du côté de lhypothèse dune source perdue. Nous ne donnons toutefois pas la version entière de V, car ce manuscrit contient beaucoup de vers hypomètres et que la leçon de A est parfois plus proche de Cristal. Nous soulignons les quelques différences quil reste entre les deux textes, très semblables de manière générale.

[Mélior arrive dans son lit]

1131 Le covertor soslieve a tant,

Si va gesir joste lenfant ;

Mais el ne set mot que i soit,

Car el ne lot ne ne li voit

1135 Nencore ne la pas sentu,

Et cil sest molt en pais tenu.

En pais se sont geü grant pose ; (absent de V)

Il le crient tant que parler nose. (absent de V)

1139 La damoisele a tant sestent

Et de son pié le tousel sent,

Et quant la sentu, si tressaut

Et sescria mais nun trop halt : (version de V)

143 « Comment ! fait ele, qui es tu ?

Qui ta en mon lit enbatu ?

[Cristal va dans la chambre de Clarie]

8219 La covertor soslieve a tant,

Si vait gesir delés lenfant.

Mes ele ne set mot quil i soit,

Car ele ne lot nele nel voit ;

8223 Encore ne la pas sentu,

Et cil sest mout en pais tenu.

En pais se sont tenu grant pose,

Il le crient tant que parler nose.

8227 La damoisele a tant sestent

Et de son pie Cristal sent.

Quant ele le sent si tressaut

Et sescria et non trop halt :

8231 « Comment, fait ele, qui es tu,

Que tas en mon lit enbatu ?

280

Iço que est, virgene Marie ?

Qui est ici ? Sui jo traïe ?

1147 Et tu qui iés, va, fole riens ?

Cis roiames est trestos miens.

Comment ossas sains mon congié

En ma cité metre ton pié

1151 En la cité ne el castel,

Sains mon congié, sains mon apel,

Et em mon lit ensorquetout ?

Certes, jen sui marie mout.

1155 Li enfes a peor de soi ;

Mais ce li tolt auques lesfroi

Quil ot nomer sainte Marie,

Cor set que maufés nest ce mie

1159 Et que cest dame u damoisele,

Et cuie bien que molt est bele.

Molt li est vis que bel parole ;

A paine lait que ne lacole,

1163 Mais il sen est por ço tenus

Quil i cuide estre mal venus.

« Dame, fait-il, por Deu merci,

A grant ahan sui venus ci,

1167 Car en Ardene, es grans desers,

Ai griés ahans et durs sofers,

Quant entrai en le bele nef

Qui ça ma conduit a plain tref ;

1171 Puis vinç parmi ceste cité

Cui vos clamés en ireté.

Ainc tant ni soi aller querant

Que gi trovaisce rien vivant ;

1175 Nonques dusque ci en cest lit

Ne trovai rien descundit. (vers. V)

Ne a cui demander congié.

Quant jo de rien ni trovai vié,

1179 Dame, u irrai quant ni vei ? (vers. V)

Por Deu, aiez merci de mei ! (vers. V)

Dame, por Deu vus cri merci : (V, ordre)

Mors sui se me jetés de ci.

1183 Dame ; ne sai quel part aler

Qui est ce ? Verais Deus aïe !

Je me criem mout, ne sui traïe.

8235 Tu qui es ? di va, fole riens !

Cist roiaumes est trestot miens.

Comment osas sans mon congie

En ma canbre metre ton pie

8239 Et en mon lit ensorquetot ?

Certes, je sui marie mout. »

« Dame, fait il, por Deu merci !

A grant peril sui venus chi,

8243 Si vos sui ci venus querrant.

Nest riens el mont, que je aim tant,

Que le reposer en vo lit,

Si ni trovai rien descondit.

8247 A qui demandasse congie,

Se ni trovai nul envaïe ?

Dame, ou irai, quant je ni voi ?

Por Dieu aies merci de moi !

8251 Dame, por Deu vos cri merci,

Mors sui, se me jetés de chi.

Dame, ne sai quel part aler,

281

Se de ci me faites oster (vers. V)

Dame, ci sui vostre caitis :

Par vos serai u mors u vis.

1187 – Sire, fait ele, alés ent tost,

Car jo nai cure de vostre acost (V et A)

De vostre gré vos en alés

U a force en serés jetés,

1191 E savrez od grant marimens, (version de V)

Que ni sui seule ne sains gens.

– Dame, fait il, por Deu, merci ! (vers. V)

Par force ne remaindrai ci : (vers. V)

1195 Ne jo ni claim ne droit ne fié

Fors seulement vostre congié.

En vostre francise ai espoir

De seul anuit ci remanoir.

1199 – Sire, fait ele, bien savés

De faintise parler asés.

Quanque vos dites est faintise,

Mais rien ne valt ceste cointise,

1203 A force cuidiés estre el lit ;

Mais dont sai jo dengien petit !

Se vos estes nobles et fiers,

Jai pres de ci teus cevaliers

1207 Qui ja bien tost, se jo le voel,

Vos abatront icest orguel.

– Dame, dist il, pas ne me faing,

Nen moi na orguel ne desdaing,

1211 Ne que que facent cevalier,

De ci ne me puis eslongier,

Se gi devoie ore estre pris,

Les menbres perdre u estre ocis.

1215 Ne savroie quel part aler,

Ne nes a vostre huis assener.

– Sire, fait ele, levés sus ;

Je vos conduirai trosque a luis,

1219 Puis vos donrai seür conduit

Qui bien vos menra tote nuit.

Rien ne vos valt ceste ocoison :

Ni remanrés en ma maison.

1223Tos en irés, ço est la fins,

Se de ci me faites oster.

8255 Dame, je sui vostre caitif,

Par vos serai ou mort ou vif.

– Sire, fait ele, alés en tost,

Car nai cure de vostre acost.

8259 De vostre gre vos en alés,

Ou a force en serés jetés,

Et savrés o grant marrement,

Que ne sui seule ne sans gent.

8263 – Dame, fait il, por Deu merci !

Par force ne remandrai chi

Ne je ni clain ne droit ne fie

Fors solement vostre congie.

8267 En vostre francise ai espoir

De seul anuit ichi remanoir.

– Sire, fait ele, bien savés

De faintise parler assés.

8271 Que que vos dites est faintise,

Mais rien ni vaut ceste cointise.

A force quidies estre el lit,

Mais dont sai je dengien petit.

8275 Se vos estes nobles et fiers,

Jai pres de chi tels chevaliers,

Que ja bien tost, se je bien voeil,

Vos abatront vostre orgoeil.

8279 – Dame, fait il, pas ne men faing

Nen moi na orgoil ne desdaing.

Ne que que fachent cevalier,

De chi ne me puis esloignier,

8283 Se je i devoie ore estre pris,

Les menbres perdre ou estre ocis.

Ne sai ou ne quel part aler

Ne nëys a lus asener.

8287 – Sire, fait ele, levés sus !

Je vos conduirai desqua lus.

Puis vos donrai conduit sëur

Mar arés de nului pëur.

8291 Riens ne vos valt ceste achoison,

Ni remandrés en ma maison.

Tot en irés, cen est la fin,

282

U trais en serés a roncis.

– Dame, fait il, nen irai pas.

Ne puis aler, que trop sui las ;

1227 Cen est la fins, nen puis partir.

Faites de mei vostre plaisir (vers. V)

Traire u detraire u detrenchier (vers. V)

Del tot sui en vostre dangier.

1231 Tot ligement vos doins mon cors

A laissier ci u geter fors,

Et vos doins bonement congié

De moi ocire sains pechié

1235 U de moi faire oster de ci

Se nen volés avoir merci.

A tant sest li danseaus teüs

Et sest del tot en pais tenus.

1239 En taisant atent son martire.

A cief del pose si sospire. (vers. V)

Parfont sospire et gient après

Bas et soef, et gist en pes.

1243 Quant la dame ot le lonc sospir,

Li cuers li commence a fremir.

De lenfant a molt grant pitié

Quele a tant fort contralié.

1247Por poi ne li crie merci

De ço qua tort lavoit laidi.

A caudes larmies, tenrement,

Plore et sospire et sen repent.

1251 El fait que dame, et si fait bien,

Car sos ciel na si france rien

Con est dame qui violt amer,

Quant Deus la violt a ço torner.

1255 Deus totes dames beneïe

Et face amer sans vilonie,

E a chascune un en aturt (vers. V)

Qua nul altre ne samurt. (vers. V)

1259 Icest dame dont vos cant,

Soef et doucement plorant

Lés le vaslet gisoit a destre ;

Or sest tornee sor senestre.

Ou trait en serés a roncin.

8295 – Dame, fait il, nen irai pas ;

Nen puis aler, que trop sui las.

Cen est la fin, nen puis partir,

Faites de moi vostre plaisir ;

8299 Traire ou detraire ou detranchier :

Del tot sui en vostre dangier.

Tot ligement vos doins mon cors

A laisier ou a jeter fors.

8303 Et vos doins bonement congie

De moi ochire sans pechie

Ou de moi faire oster de ci,

Se nen volés avoir merci. »

8307 A chest mot sest Cristal tëus

Et sest del tot en pais tenus ;

En taisant atent son martire.

A cief de pose si sospire,

8311 Parfont sospire et gient aprés

Bas et soef et gist en pais.

Quant Clarie ot le lonc sospir,

Le cuer li commence a fremir.

8315 Lors a de Cristal grant pitie,

Que tant fort lot contraliie.

Por poi ne li crie merci

De ce qua tort lot tant laidi.

8319 A chaudes lermes tendrement

Plore et sospire et sen repent.

El(e) fait que dame, si fait bien ;

Car sous ciel na si france rien

8323 Comme est dame qui velt amer,

Quant Deus le velt a ce torner.

Deus totes dames benëie

Et fache amer sans vilonie,

8327 Et a cascune un en atourt,

Que a nulautre ne samourt.

Iceste dame en sospirant

Soef et docement plorant

8331 Vers le chevalier gist a destre.

Or sest tornee sor senestre.

283

1263 Li enfes gist grant piece en pais

Et crient que nel tiegne a malvais,

Quant ele sest en pais tenue,

Se il vers li ne se remue.

1267 Vers li se traist, et mist se main

Sor son costé, soef et plain.

Tant la trové plain et craset,

Por poi que trestos nen remet.

1271 Tant la soef a cras trové

Que tot en a le sens torblé.

Quant la dame a se main sentue,

Od repentaille le remue.

1275 Tot soavet en estraignant

La reboutee sor lenfant.

Vers lui se torne, et dist : « Laissiés !

Grans folie est que vos caciés.

1279 Li enfes auques sen vergonde,

Ne desist mot por rien del monde ;

Mais tos taisans et tos enbrons

Sestent lés li tant con est lons.

1283 Coardement ra sa main mise

Vers la beltet ki sil justise. (vers. V)

La france la soufert en pais,

Et il sen traist un poi plus pres,

1287 Et el li dist : « Laissiés, ostés ! »,

Et il le prent par les costez ; (vers. V)

Et ele ferm ses gambes lace,

Et il estroit a soi lembrace.

1291 « Mar le faites, dist ele, sire »,

Et il vers soi le trait et tire.

« Ne faites, sire », fait la bele,

Et il vers li tot sachantele.

1295 « Laissiés, sire, fait ele, ester ! »

Il entent as genols sevrer.

« Or est anuis, fait ele, a certes. »

Et li a les cuisses overtes,

1299 Et quant les soies i a mises,

Et Cristal gist grant pieche en pais ;

Crient soi quele nel tiegne a malvais,

8335 Por ce quele sest en pais tenue,

Se il vers lui ne se remue.

Vers lui se trait et met sa main

Sor son costé soef et plain.

8339 Tant la trové plain et graset,

Por poi que trestot ne remet.

Tant la soef et gras trové,

Que tot en a le sens troblé.

8343 Quant la dame a sa main sentue,

O repentaille le remue,

Tot soavet en restraignant

La reboutee belemant.

8347 Vers lui se torne et dist : « Laisies !

Grant folie est, que vos cachies. »

Et Cristal un poi se vergonde,

Ne deïst mot por rien del monde ;

8351 Mais tot taisant et tot enbrons

Les lui sestent tant com est lons.

Coardement sa main a mise

Vers sa beauté quil si justise.

8355 La franche la soeffre en pais,

Et il se trait de lui plus pres.

Ele li dist : « Laisies ! ostés ! »

Et il le prent par les costés,

8359 Et ele ferm ses jambes lache,

Et il estroit vers soi lenbrache.

« Mar le faites, fait ele, sire ! »

Et il vers soit le trait et tire.

8363 « Ne faites, sire ! » fait la bele,

Et il vers lui tot sescancele.

« Laisies, sire, fait ele, ester ! »

Cil entent as genols sevrer.

8367 « Ore est anui, fait ele, a certes. »

Les quisses li a cil overtes.

Et quant les suens a dedens mises,

284

Les flors del pucelage a prises.

Flors i dona et flors i prist,

Car ainc mais tel deduit ne fist,

1303 Nel not sofert ne il not fait

Onques encor rien ditel plait. (V contient « ainceis »)

Trestot le sueffre en pes la laisse ; (vers. V)

Sele rien dist, cest a vois basse.

1307 Li cuers li muet molt et volete.

« Lasse, fait el, tant sui feblete !

Se force eüse a nuls espleiz (vers. V)

Ja vos froissasce tos ces dois,

1311 Mais bien sentés que feble sui ;

Por ço me faites cest anui.

Or avés fais tos vos talens,

Est ce vos nus amendemens ?

1315 -Od il, dame, fait il, si grans

Qua tos jors en serai joians.

– Par Deu, fait ele, nel croi pas,

Car vos gens savés tant de gas

1319 Que quant avom fait voz volentez, (vers. V)

Al departir nos en gabés ;

Mais jo ne dei estre blasmee (vers. V)

Se jo de vos sui alumee,

1323 Na moi nen doit nus mals venir

Se jo ai fait vostre plaisir.

Nel matornés pas a folie

Que si voil estre amie, (vers. V)

1327 Ne por ço se tost sui vencue

Nen dei estre plus mescreüe.

(Partonopeu, v. 1131-1328)

Les flors del pucelage a prises

8371 Flors i dona et flors i prist,

Car onc mais tel deduit ne fist,

Nel not soffert ne il not fait

Onques ançois rien de tel plait.

8375 Trestot le soeffre, en pais le laisse,

Sele rien dist, cest a vois basse.

Li cuers li muet tot et volete :

« Lasse, fait ele, tant sui foiblete !

8379 Se force ëuse a vos esplois,

Ja vos froissasse tos les dois ;

Mais bien savés que foibles sui,

Por ce me faites cest anui.

8383 Or avés fais tos vos talens,

Est-ce vos nus amendemens ?

– Oïl dame, fait il, si grant

Que tos jors mais serai joiant.

8387 – Par Dieu, fait ele, nel croi pas ;

Que vos gens savés tant de gas,

Quant avons fait vos volentés,

Al departir vos en gabés.

8391 Mais je nen doi estre blasmee,

Se je de vos fui alumee,

Na moi nen doit nul mal venir,

Se tost ai fait vostre plaisir.

8395 Ne nel me tornés a folie,

Que si voeil estre vostre amie.

Ne por ce que sui tost vencue,

Nen doi estre plus mescrëue. »

(Cristal, v. 8219-8398)

285

Descriptions du château de Mélior et de la tour de Clarie :

939 Les portes en puet lon desfendre,

Rois nemperere nes puet prendre. []

Li casteaus est fais a compas

Et ne siet trop haut ne trop bas.

947 La tors est enmi lieu enclose ;

Ainc hom ne vit plus bele cose.

Li casteaus environ le tor

Une grant liue dure entor.

951 Dedens a molins et viviers

Et grans gardins et beaus erbiers,

Et mil palais tot environ

Que tienent et conte et baron.

955 Un palais i a principel,

En tot le siecle nen a tel,

Car tant est lons, larges et beaus,

Que cil a molt de ses aviaus

959 Quil puet esgarder a loisir,

Et cil duel cuin estuet partir.

(Partonopeu, v. 939-960)

8479 Les portes pot on bien desfendre,

Tos li mondes nel pëust prendre.

Li casteaus est fais a conpas,

Il ne siet trop haut ne trop bas.

8483 La tor est ens enmi enclose,

Ainc hom ne vit plus bele cose.

Li casteaus environ la tor

Une grant liewe dure entor.

8487 Dedens a molins et viviers

Et grans gardins et beaus herbiers.

Et mil palais tot environ,

Que tienent conte et baron.

8491 Un palais i at principel,

En tot le siecle na nul tel ;

Que tant est lonc, larges et beaus,

Que cil a mout de ses aveaus,

8495 Quil pot esgarder par loisir,

Et cil dol, quen estoet partir.

(Cristal, v. 8479-8496

1 M. Zimmermann, « Ouverture du colloque », Auctor et auctoritas. Invention et conformisme dans lécriture médiévale, éd. M. Zimmermann, Paris, École nationale des chartes, 2001, p. 7-14, ici p. 12.

2 A. Combes, Les voies de laventure. Réécritures et composition romanesque dans le Lancelot en prose, Paris, Champion, 2001, p. 12.

3 La question de la datation de lœuvre est liée à celle de lunique manuscrit qui nous a transmis Cristal et Clarie, le ms. Arsenal 3516. Il est daté de 1267-1268 par Claudia Güggenbühl, Recherches sur la composition et la structure du ms. Arsenal 3516, Bâle et Tübingen, A. Francke Verlag, 1998, p. 14. La composition de notre roman a pu intervenir peu avant, cest-à-dire entre 1250 et 1268.

4 Terme emprunté à Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, p. 8.

5 Nous nous basons essentiellement sur le recensement des reprises effectué par Hermann Breuer pour son édition de Cristal et Clarie, en 1915. Malgré lutilité indéniable de cette liste, il faut garder une certaine distance critique, les indications étant parfois approximatives. Voir Cristal und Clarie, altfranzösischer Abenteuerroman des XIII. Jahrhunderts, éd. H. Breuer, Dresde, Gesellschaft für romanische Literatur, 1915.

6 Anthime Fourrier parle par exemple de « procédé déloyal » au sujet de la pratique intertextuelle, similaire à celle de Cristal et Clarie, employée dans le manuscrit BnF nouv. acq. 7517 (Le courant réaliste dans le roman courtois en France au moyen âge, Paris, A. G. Nizet, 1960, note 132, p. 377). Certains critiques se sont toutefois intéressés à ce roman atypique, notamment Lydie Louison, qui en prépare une nouvelle édition ; voir ses articles « Les dangers de lharmonisation systématique : la transcription des termes en ié/ie dans Cristal et Clarie », Éditer, traduire ou adapter les textes médiévaux. Actes du colloque international des 11 et 12 décembre 2008, éd. C. Füg-Pierreville, Lyon, Centre Jean Prévost, 2008, p. 56-62 ; « Quelques traits épiques dans Cristal et Clarie », Le souffle épique, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2011, p. 405-415 ; « Cristal et Clarie à la fontaine de Narcisse : quelques réflexions sur le plaisir de la récriture », « Ravy me treuve en mon deduire », éd. L. Pierdominici et E. Gaucher-Rémond, Fano, Aras Edizioni, 2011, p. 207-225 ; « Crimes et châtiments dans le “bas pays” de Cristal et Clarie », Droit et violence dans la littérature du Moyen Âge, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 169-184.

7 Les termes de « dialogue » et de « comparaison différentielle » nous sont inspirés par la méthode quapplique Ute Heidmann aux contes. Elle considère lintertextualité comme un processus dynamique fondé sur un jeu de réponses entre les textes, et tâche moins de sintéresser aux points communs entre ceux-ci quà leurs différences. Voir U. Heidmann, « Enjeux dune comparaison différentielle et discursive. Lexemple de lanalyse des contes », Les nouvelles voies du comparatisme, éd. H. Roland et S. Vanasten, Gent, Academia Press, 2010, p. 27-40.

8 Nous préférons supprimer le tiret de « impli-citation » de manière à rendre le concept plus homogène. Le phénomène nest pas quune citation implicite, il sagit dune pratique à part entière qui mérite un terme unique et non composé. Le mot « implicitation » nous paraît également plus commode à lemploi qu« impli-citation ».

9 B. Magné, « Quelques problèmes de lénonciation en régime fictionnel : lexemple de La Vie mode demploi », Perecollages, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1989, p. 61-98, ici p. 74.

10 Fourrier, Le courant réaliste, p. 440.

11 La question de la datation de Partonopeu divise la critique : si Anthime Fourrier situe sa composition entre 1182 et 1185, Penny Eley et Penny Simons le datent de 1177 (« Partonopeu de Blois and Chrétien de Troyes : a Re-Assessment », Romania, 117, 1999, p. 316-341). Ce débat est fondamental pour déterminer les influences qui existent entre Partonopeu et les œuvres de Chrétien de Troyes. En effet, si Eley et Simons ont raison, toute la chronologie établie par lhistoire littéraire se voit remise en cause de même que le caractère novateur que lon prête à Chrétien de Troyes. Leur hypothèse ne fait toutefois pas lunanimité : Anne Reynders préfère dater Partonopeu de 1182-1185, comme Fourrier, mais en proposant dautres arguments et un autre ordre de succession aux manuscrits conservés ; voir « Le Roman de Partonopeu est-il lœuvre dun précurseur de Chrétien de Troyes ? », Le Moyen Âge, 111, 2005, p. 479-502.

12 Voir à ce sujet les articles de P.-M. Joris, « “Thèbes avec Troie” : Partonopeu de Blois ou le sens dun retour », Mediaevalia, 25.2, 2004, p. 63-78 ; F. Gingras, « Le miel et lamertume : Partonopeu de Blois et lart du roman », Mediaevalia, 25.2, 2004, p. 131-145 ; et lintroduction à lédition des « Lettres gothiques » par Olivier Collet et Pierre-Marie Joris, Paris, Le Livre de poche, 2005. De son côté, Jean-Claude Mühlethaler voit une correspondance entre les genres utilisés et les étapes du roman ; voir « Translittérations féeriques au Moyen Âge : de Mélior à Mélusine, entre histoire et fiction », Des Fata aux fées : regards croisés de lAntiquité à nos jours, éd. M. Hennard Dutheil de la Rochère et V. Dasen, Lausanne, Études de Lettres, 3-4, 2011, p. 167-190, ici p. 178.

13 On consultera à ce sujet larticle de Christine Ferlampin-Acher, « Les tournois chez Chrétien de Troyes : lart de lesquive », Amour et Chevalerie dans les romans de Chrétien de Troyes, éd. D. Quéruel, Besançon, Annales littéraires de luniversité de Besançon, 1995, p. 161-189, où elle explique que Chrétien de Troyes imagine une nouvelle description et un nouveau déroulement des combats, qui se démarquent des romans antiques. Voir aussi Guillaume Bergeron, Les combats chevaleresques dans lœuvre de Chrétien de Troyes, Berne, Peter Lang, 2008, en particulier le chapitre i, qui évoque les différences entre les combats chez Chrétien et ceux des récits qui précèdent son œuvre.

14 Pour une étude systématique de toutes les implicitations du roman, voir létude que nous préparons, à paraître fin 2014 chez Archipel Essais.

15 Le roman de Partonopeu de Blois, éd. O. Collet et P.-M. Joris, Paris, Livre de poche, 2005.

16 Une oscillation entre dame et fée est toutefois perceptible, en particulier dans la suite du roman. Cette double nature est aussi présente dans le Bel Inconnu et dans les Lais de Marie de France. À ce sujet, voir larticle de Laurence Harf-Lancner, « La reine ou la fée : litinéraire du héros dans les Lais de Marie de France », Amour et merveille. Les Lais de Marie de France, Paris, Champion, 1995, p. 81-108.

17 On lira à ce propos larticle de Penny Simons et Penny Eley, « Male Beauty and Sexual Orientation in Partonopeus de Blois », Romance Studies, 17, 1999, p. 41-56. Pour expliquer ce passage, elles postulent que Mélior a dabord voulu vérifier les compétences et lorientation sexuelles de Partonopeu avant de lépouser.

18 Ces versions étrangères sont présentées par Anthime Fourrier, Le courant réaliste, p. 316-317.

19 Cité par Olivier Collet, « “Armes et Amour” ou “Amour sans armes” ? Un aspect négligé de la circulation et de la réception du Roman de Partonopeu de Blois au xiiie siècle », Mediaevalia, 25.2, 2005, p. 93-110, ici p. 103-104. En note 1, il cite plusieurs œuvres qui évoquent Partonopeu.

20 Voir larticle dOlivier Collet, « “Armes et amour” ». Le texte de ce manuscrit puise dans Partonopeu des vers lui permettant dexemplifier lamour et ses travers. Les références à la source sont gommées et les implicitations sont réélaborées au gré des besoins de lauteur.

21 Cristal und Clarie, altfranzösischer Abenteuerroman des XIII. Jahrhunderts, éd. H. Breuer, Dresde, Gesellschaft für romanische Literatur, 1915. Voir lannexe 1 pour une vue en vis-à-vis des deux passages.

22 La transvalorisation désigne « toute opération dordre axiologique, portant sur la valeur explicitement ou implicitement attribuée à une action ou à un ensemble dactions : soit, en général, la suite dactions, dattitudes et de sentiments qui caractérise un “personnage”. [] la transformation axiologique sanalyse en un terme positif (valorisation), un terme négatif (dévalorisation), et un état complexe : transvalorisation au sens fort » (Genette, Palimpseste, p. 393).

23 On peut constater la systématique des substitutions à partir de lannexe 1, où elles sont soulignées.

24 Penny Eley, Penny Simons et Catherine Hanley commentent également ces changements dans leur article, « Cristal et Clarie and a lost manuscript of Partonopeu de Blois », Romania, 121, 2003, p. 329-347, ici p. 339-341.

25 « En la cité ne el castel, / Sains mon congié, sains mon appel », Partonopeu, v. 1151-1152.

26 Les mots que nous soulignons indiquent les différences entre le texte et lhypotexte.

27 M. Charles, Introduction à létude des textes, Paris, Seuil, 1995, en particulier p. 100-107.

28 Pour une définition de la parodie, nous renvoyons aux distinctions quopère Jean-Claude Mühlethaler entre parodie et satire : le « déplacement parodique » est toujours ludique, jamais transgressif. Cest le cas dans Cristal et Clarie : le décalage ne véhicule pas de critique de la chevalerie mais il représente un jeu littéraire. Voir J.-C. Mühlethaler, « Renversement, déplacement et irradiation parodiques. Réflexions autour du Conte du Papegau », Poétique, 157, 2009, p. 3-17.

29 K. Gravdal, Ravishing Maidens. Writing Rape in Medieval French Literature and Law, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1991, qui ne parle toutefois pas de Partonopeu, constate que le viol est soit lapanage des adversaires dans le roman courtois, soit il a une visée comique dans les genres comme la pastourelle ou le Roman de Renart, à moins quil ne serve à tester la chasteté des saintes femmes tout en les transformant en martyres dans les récits hagiographiques. Dautre part, la critique note que le viol comporte une certaine sensualité, par lexposition du corps nu de la femme. Il y a donc une dynamique de répulsion-fascination dans la mise en scène de ce thème.

30 La Clef dAmors, dans Artes Amandi. Da Maître Elie ad Andrea Cappellano, éd. A.-M. Finoli, Milan et Varese, Istituto Editoriale Cisalpino, 1969, v. 1141-1146.

31 Au sujet de la fée séductrice, on consultera louvrage de L. Harf-Lancner, Les Fées au Moyen Âge. Morgane et Mélusine, la naissance des fées, Paris, Champion, 1984, ainsi que son article, « Entre la princesse et la fée : la dame sans merci. Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu », Op. cit. : Revue de Littérature française et comparée, 7, 1996, p. 21-28, qui traite de lopposition entre la dame courtoise et socialement reconnue et la fée amoureuse et séductrice dans le Bel Inconnu. Voir aussi larticle de F. Dubost, « La magicienne amoureuse dans le récit médiéval (xiie-xiiie siècles) », La magie : actes du colloque international de Montpellier, 25-27 mars 1999, éd. A. Moreau et J.-C. Turpin, Montpellier, université Paul Valéry, t. III, 2000, p. 149-172.

32 Nous parlons de fonction nourricière en rapport aux trois fonctions théorisées par Dumézil : la fonction sacrée, la fonction guerrière et la fonction nourricière.

33 On pense en particulier à lépisode qui met en scène Morgai et ses larrons, v. 4715-4970 de Cristal. Le viol nest dailleurs pas le seul moment où Cristal outrepasse la mesure, en cette fin de roman : on peut encore évoquer les épisodes où il donne des coups de pied dans larmoire du serpent et où il tue un arbalétrier pour lui voler sa biche. On voit comment Cristal et Clarie séloigne dun roman dapprentissage.

34 Li romanz dAthis et Prophilias, éd. A. Hilka, Dresde, Gesellschaft für romanische Literatur, 2 vol., 1912-1916.

35 Nous empruntons cette expression à J. Frappier, La poésie lyrique française aux xiie et xiiie siècles. Les auteurs et les genres, Paris, Centre de documentation universitaire, 1966, p. 59.

36 Voir les vers 8461-8472 pour le passage entier, dont lironie est largement perceptible.

37 Voir lannexe 2 pour lextrait.

38 On consultera au sujet de ce motif louvrage de Y. Foehr-Janssens, Le Temps des fables : le Roman des Sept Sages ou lAutre Voie du Roman, Paris, Champion, 1994, en particulier p. 274-278. Cette étude prouve létendue de la diffusion du motif, qui touche des genres divers et prend des formes variées.

39 Voir Collet, « “Armes et amour” », note 3, p. 105.

40 Zimmermann, « Ouverture du colloque », p. 12.

41 Daprès P. Eley et P. Simons, sur le site www.hrionline.ac.uk/partonopeu.

42 Eley, Simons et Hanley, « Cristal et Clarie ».