Aller au contenu

Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    2010 – 1, n° 96
    . Problèmes de lexique
  • Auteurs : Humbley (John), Grezka (Aude)
  • Pages : 235 à 243
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812441431
  • ISBN : 978-2-8124-4143-1
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4143-1.p.0239
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 03/01/2011
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
239
COMPTES RENDUS


Fuentes Morân Ma Teresa et Model Benedikt A. (dir.), Investigaciones sobre lexicogra~a bilingüe. Grenade, Ediciones Tragacanto, coll. «  Lexicogra~a  », 2009, 221 p.
Le présent recueil est le premier volume d'une collection consacrée à la lexicographie, indication du regain d'intérêt pour cette discipline sur le plan international, en particulier sur la péninsule ibérique.
Une trop brève introduction situe les enjeux de ce champ de recherche dans le cadre de l'introduction de nouvelles techniques et des nouvelles technologies appliquées à la lexicographie bilingue, et présente sommairement les six contributions.
La première contribution est signée de H.E. Wiegand, le père de la lexicographie fonctionnelle. Intitulé « Dictionnaire d'apprentissage, dictionnaire de consultation les Dictionnaires des sciences du langage et de la communication (WSL)  : un nouveau type de dictionnaire spécialisé  » [nous traduisons nous-même tous les titres], l'article présente les objectifs et la structure d'une série de dictionnaires de la linguistique et de ses disciplines sceurs en non moins de vingt-trois volumes, série qui verra le jour dans les années à venir. Il s'agit d'un outil clairement orienté vers la pédagogie, destiné expressément aux étudiants de linguistique germanophones, et comme on peut s'attendre du fondateur de l'école fonctionnelle de lexicographie, tout est conçu en fonction des utilisations prévues. Chaque volume, confié en principe à deux auteurs, comporte la même structure  :une introduction conséquente où l'organisation des données est expliquée, une partie proprement lexicographique où les articles se suivent par ordre alphabétique, enfin un index anglais-allemand. La langue de rédaction du dictionnaire est bien l'allemand, mais en conséquence de ce que Wiegand appelle le rôle de «  Zingua franca  » de l'anglais, chaque article comporte une définition —souvent circonstanciée — en anglais aussi bien qu'en allemand. La microstructure est composée de la vedette en allemand, des définitions dans les deux langues, des exemples, des renvois, d'une indication de synonymes et d'antonymes, ainsi que d'une bibliographie. L'article ne précise pas toutefois si les termes —surtout les synonymes —sont rattachés explicitement aux différentes écoles de linguistique. Il s'agit de toute façon d'un type de dictionnaire nouveau,

Cah. Lexicol. 96, 2010-1, p. 235-243
240
et assez différent de celui d'un dictionnaire destiné aux apprenants d'une langue étrangère ou seconde.
Jesus Torres del Rey nous livre, dans la deuxième contribution au recueil, « Dictionnaires électroniques bilingues  :nouvelles perspectives  », une analyse de trois dictionnaires électroniques existants et un panorama des autres possibilités que ce média nous offre. Dans un article extrêmement bien documenté, l'auteur commence par analyser les fonctions du dictionnaire bilingue et les met en relation avec les possibilités offertes par la numérisation de l'information en général, en s'inspirant des travaux les plus variés, avant de mettre au banc d'essai trois dictionnaires électroniques qui comportent l'espagnol (plus l'allemand dans un cas et l'anglais dans les deux autres). Malgré des avancées significatives par rapport au format papier, et des différences considérables entre les trois ouvrages, il en ressort qu'il reste des progrès à faire pour réconcilier théorie et pratique. Parmi les approches que préconise cet auteur pour y parvenir figure celle de Winograd, qui part d'une organisation ontologique, c'est-à-dire non pas des données lexicologiques, mais de la situation de l'utilisateur. Article très stimulant !
Dans « Propos métalexicographiques sur les dictionnaires bilingues l'équivalence (y compris phraséologique)  », Maria Eugenia Olimpio de Oliveira Silva aborde la question du traitement que les dictionnaires bilingues de différents types réservent aux manifestations —elles-mêmes très variées — du figement lexical. Elle commence par faire l'état des lieux de la lexicographie bilingue espagnole, de piètre réputation avant les années 1980, d'après ce qu'elle en dit, pour signaler les avancées réalisées depuis dans les autres langues et leurs répercussions en Espagne. Elle signale en particulier l'émergence du dictionnaire semi-bilingue dans le cas des ouvrages d'apprentissage d'une langue étrangère, et les voies que ce type de démarche peut ouvrir dans la perspective du traitement du figement. Celui-ci est vu, toutefois, sous l'angle exclusif de la phraséologie, telle qu'elle est conçue par des linguistes comme Dobrovol'skij, plutôt que celui d'origine distributionnaliste de Gaston Gross, limitant ainsi les exploitations lexicales possibles.
Benedikt Model, dans « L'exemple dans les dictionnaires bilingues  », commence par expliquer pourquoi cet élément de la lexicographie bilingue, l'exemple, contrairement à son homologue dans le cadre monolingue, reste encore méconnu. Une des raisons en est peut-être sa nature exclusivement lexicographique, car la typologie que l'on peut en proposer ne repose sur aucune catégorie répertoriée parla linguistique. Quelques exemples suffisent par ailleurs pour montrer que sa fonction est fondamentalement différente de celle, bien mieux connue, des dictionnaires monolingues, et d'une présentation moins standardisée. La typologie présentée dans cette étude est plus complexe qu'on aurait pu le deviner — et le serait sans doute plus encore si d'autres paires de langues étaient envisagées, mais son rôle principal semble bien être d'ordre grammatical. L'article se termine par une liste de recommandations pour le bon usage des exemples.
241 « Mode d'emploi du dictionnaire bilingue ou comment trouver ce que l'on ne cherche pas  », de Belén Santana Lopez s'appuie sur la tradition de Wiegand et de ses divers successeurs, Herberg et Nielsen en particulier. Les réserves qu'elle exprime à l'égard du concept de « geniune Zweck » sont significatives  ; il s'agit sans doute d'une notion proposée par Wiegand qui mérite davantage de réflexion. Elle analyse l'introduction des trois grands dictionnaires espagnol-allemand allemand- espanol et, même si elle trouve qu'il reste aux lexicographes encore fort à faire, elle reconnaît que la tâche est particulièrement difficile.
Maria Rosario Martin Ruano, dans « Traducteurs, dictionnaires, carrefours éthiques  :attitudes de traduction et de lexicographie et le politiquement correct  », se pose la question du rôle du dictionnaire dans l'évolution de la société dont les attitudes sont de plus en plus influencées par ce que l'on appelle le politiquement correct. Elle prend comme point de départ l'interrogation de MonaBaker (2006) sur le rôle du traducteur dans les situations conflictuelles et l'applique aux dictionnaires. Si elle constate que la lexicographie hispanique se montre moins sexiste que dans le passé, elle estime néanmoins que le dictionnaire a un rôle positif à jouer, et qu'il ne peut se contenter d'être le miroir de la société.
Il convient de saluer ce premier volume d'études très sérieuses sur la lexicographie —ici bilingue —qui augure bien pour la suite. Nous attendons avec impatience le volume deux.


BIBLIOGRAPHIE

BAKER M. (2006)  :Translation and Conflict. A Narrative Account, Routledge.
John HUMBLEY
LDI —CNRS (UMR 7187)
Université Paris-Diderot



LANIIROY Béatrice (dir.), KLEIN Jean-René, LABELLE Jacques, LECLÈRE Christian, MEUNIER Annie et ROSSARI Corinne, Les expressions verbales figées de la francophonie. Belgique, France, Québec et Suisse. Paris, Ophrys, 2009, 163 p.
Le sens d'une expression comme promettre la lune à quelqu'un est intelligible pour tout francophone. Mais il est peut-être plus difficile, en France, de comprendre avoir un cezrf à peler avec quelqu'un («  avoir un différent avec quelqu'un  »), expression utilisée en Belgique. Inversement, hors de l'Hexagone, des expressions comme se
242
faire appeler Arthur sont peu connues. L'ouvrage coordonné par B. Lamiroy se propose d'analyser ce phénomène linguistique couramment appelé « expression figée  ». Il est issu d'une réflexion liée à un dictionnaire en cours d'élaboration. L'objectif est de décrire, d'analyser et de comparer des expressions verbales figées de quatre variétés francophones, celles de Belgique, de France, du Québec et de Suisse, dans une perspective purement synchronique.
Le premier chapitre («  Le figement  », p. 7-26) s'ouvre sur la perspective générale dans laquelle le figement est ici envisagé. L'étude se limite au phénomène de figement dans les unités polylexicales et dans les expressions verbales. Mais les expressions verbales figées de la langue technique sont écartées. On peut regretter ce choix, même s'il eût sans doute été difficile de tout décrire. En effet, ces expressions abondent dans la langue technique et présentent un grand intérêt dans un contexte d'apprentissage de langue de spécialité, aussi bien en langue maternelle qu'en langue étrangère. Ce type de dictionnaire peut tendre, de par sa nature même, à présenter une large couverture lexicale des domaines, ce qui est utile dans le cas d'apprentissages centrés sur des besoins linguistiques très précis et qui exigent le recours à des données terminologiques. C'est dans les langues de spécialité que se manifeste actuellement le plus grand besoin de traitement linguistique. Par expressions verbales figées de langue technique, il faut entendre aussi bien des expressions verbales strictement spécialisées, i.e. limités au domaine, que des expressions verbales générales qui vont prendre dans un domaine un sens particulier, et inversement. Notons que les exemples donnés par les auteurs pour illustrer les expressions de la langue technique (p. 11), comme intenter une action en justice, ne sont peut-être pas les mieux choisis  :dans ces cas, il conviendrait plutôt de parler de verbe support approprié (des variations sont possibles  :intenter un procès/une demande/une accusation, etc. et la construction n'est pas vraiment figée  : « l'action en nullité ne peut plus être intentée...  »).
La suite du chapitre aborde le phénomène du figement en général. Les exemples donnés sont des expressions communes aux quatre variétés du français (les variations ne sont abordées que dans les chapitres suivants). Pour répondre à la question «  Qu'est- ce qu'une expression figée ?  », les auteurs reviennent sur les traditionnels critères linguistiques et psycholinguistiques. Du point de vue linguistique, le figement touche à plusieurs phénomènes connexes, ce qui rend difficile la définition d'une expression figée. Trois critères essentiels peuvent toutefois se dégager  : la non-compositionnalité du sens, lanon-substituabilité paradigmatique et la non-modifiabilité des marques morphosyntaxiques. Ils ont un statut d'autant plus particulier qu'ils intéressent la variation géographique.
Comme le mentionnent les auteurs, bien qu'on conçoive difficilement comment on pourrait définir une expression figée sans faire intervenir ces critères, force est d'admettre qu'aucun d'eux ne constitue une propriété exclusive des expressions ce ne sont ni des conditions nécessaires ni des conditions suffisantes. Il est évident que cette absence de spécificité des critères contribue également à la difficulté de
243
la définition. Le figement sémantique des locutions appartient à un phénomène sémantique beaucoup plus large, caractéristique du langage naturel, à savoir la faculté polysémique des mots. Le critère lexical, qui renvoie aux contraintes distributionnelles des expressions, participe lui aussi à un phénomène plus large, celui des solidarités lexicales. Enfin, le critère des contraintes morphosyntaxiques bloque sur une double difficulté  : la syntaxe des phrases dites libres n'est pas exempte d'importantes contraintes morphosyntaxiques et les expressions figées ont, outre une fonction référentielle évidente, une fonction organisationnelle au niveau du texte et une fonction interactionnelle entre locuteur et interlocuteur.
Les auteurs adopteront donc une définition très générale formulée en termes de degrés, selon laquelle « une expression figée est une unité phraséologique constituée de plusieurs mots, contigus ou non, qui présentent un certain degré de figement sémantique, un certain degré de figement lexical et un certain degré de fixité morphosyntaxique  » (p. 26).
Après ces précisions, les auteurs abordent, dans un deuxième chapitre (La variation géographique, p. 27-55), la question des variétés géographiques du français, en examinant les expressions surtout sous l'angle lexical, c'est-à-dire l'aspect formel le plus marquant pour les usagers.
Dans la section 2, ils explicitent les catégorisations B, F, Q, S. Ils précisent tout, d'abord que les variations internes d'un pays ne font pas l'objet de cette étude. Cette simplification, qui neutralise le phénomène de la variation interne, est contestable. Une analyse des expressions régionales internes serait certes considérable, mais elle serait intéressante dans le cadre de la création d'une base de données exhaustive des expressions françaises, puisque l'objectif de ce projet est de servir à des fins didactiques ou à la création de produits dans le domaine du TAL. Ensuite, les traits partagés par les variétés de français permettent de définir un « français commun  » ou BFQS. C'est le français que tout francophone identifiera comme relevant de l'usage. Enfin, les auteurs indiquent que les marques B, F, Q, S correspondent aux usages attestés dans la variété concernée, qu'ils appartiennent exclusivement à la variété ou qu'ils soient communs à certaines ou à toutes les autres variétés. Aussi un des aspects les plus délicats du travail est-il précisément de définir quels sont les usages propres à telle ou telle variété. Les auteurs s'interrogent sur la possibilité, grâce au recours aux bases de données et aux moteurs de recherche, d'établir ce genre de distinction sans risque d'erreur. L'intuition des auteurs usagers des diverses variétés étudiées constitue un indicateur déterminant à condition toutefois, comme ils le soulignent, de combiner cette intuition avec celles d'autres locuteurs de la même communauté, et de vérifier l'information textuelles disponible. Mais ces jugements ne peuvent avoir qu'une portée indicative. Il reste difficile de prétendre rendre compte d'une compétence « générale  »des locuteurs.
Dans les sections 3 à 6,1'accent est mis sur les spécificités des variétés B, F, Q et S, accompagnées pour chacune d'entre elles d'un intéressant aperçu historique.
244
On voit très clairement que les variétés se nourrissent en général de substrats régionaux ou dialectaux, subissent des influences de langues avec lesquelles elles sont en contact (néerlandais, anglais, allemand), manifestent par des archaïsmes le conservatisme des zones périphériques par rapport au français de l'hexagone, et, à l'inverse, manifestent leur capacité à créer des expressions à partir des matériaux du français commun.
La section 7 aborde, à l'aide d'un schéma, les intersections entre les variétés. En effet, bien que la plupart des expressions soient du type BFQS, certaines formes ne sont d'usage qu'en Belgique et en France, en France et en Suisse, ou en Belgique, etc. Ces quelques considérations sur la variation géographique donnent une idée de l'importance des expressions idiomatiques à travers la francophonie BFQS. Si la plupart sont communes aux quatre variétés, on voit que bon nombre d'entre elles peuvent varier du seul point de vue lexical.
Dans le troisième chapitre («  La syntaxe  », p. 57-96), les auteurs reviennent sur certaines des contraintes observables généralement dans la structure des expressions et sur les implications syntaxiques dues au fait qu'une partie de la phrase est figée par rapport à une phrase libre de même type. Quelle que soit la variété géographique qu'elle étudie, la description comporte deux aspects  :d'une part, la description de la structure syntaxique de l'expression elle-même et les éléments libres ou figés dans les phrases où elle peut figurer; d'autre part, les transformations que ces constructions canoniques acceptent ou refusent (clivage, pronominalisation, passivation, interrogation, négation, effacement, etc.).
Chacun des critères traditionnels est analysé en fonction des variétés géographiques. Deux expressions équivalentes sémantiquementpeuventcnmporter des différences morphosyntaxiques selon leur usage dans tel ou tel groupe géographique. Il est donc indispensable d'affiner les descriptions pour rendre compte des différents types de figement ainsi que des différences syntaxiques qu'ils entraînent dans les quatre variétés géographiques.
Le dernier chapitre («  La sémantique  », p. 97-116) est consacré à la description du sens des expressions. Il existe de nombreuses expressions équivalentes du point de vue référentiel, mais de forme différente selon les variétés. Le caractère non compositionnel des expressions figées rend la question de la description sémantique délicate, les différents degrés de figement et de semi-figement ajoutant à cette complexité. D'ailleurs, les auteurs ne s'aventurent pas sur ce terrain quelque peu glissant, se limitant à signaler que ce problème a plusieurs incidences sur la manière dont on peut s'y prendre pour définir une expression. Tout d'abord, il convient de savoir s'il faut recourir à une forme libre ou figée pour décrire l'expression. Le choix a été d'indiquer le sens des expressions sous la forme d'une séquence libre puisque ce travail se situe dans une perspective lexicographique... même si celle-ci peut altérer la proximité sémantique. Par exemple, casser la figure (BFQS) peut se définir par « frapper violemment quelqu'un  »plutôt que par la forme figée abîmer
245
le portrait (BFQS). Cette forme libre peut en effet amoindrir la possibilité d'avoir une relation bi-univoque entre l'expression et sa définition. Mais en rendant le sens par une forme libre, il est plus facile de rendre compte de la variété des expressions disponibles à travers les quatre communautés francophones pour exprimer un même contenu référentiel. L'approche privilégiée ici permet de retrouver derrière une série d'expressions une notion commune.
Est ensuite abordé le traitement des relations sémantiques entre les expressions figées dont doivent rendre compte les définitions. Elles entretiennent entre elles des relations analogues à celles des mots simples  :synonymie, antonymie, polysémie. Toutefois, comme le soulignent les auteurs, il convient d'employer avec prudence ces notions puisqu'elles ne peuvent concerner que des expressions relevant d'une même variété géographique.
Ainsi, la synonrymie relève du discours et non du système de la langue. Elle correspond à une relation d'équivalence entre deux formes interchangeables par un même locuteur dans un même contexte et ne concerne donc pas des expressions relevant de différentes variétés géographiques. Par exemple, l'expression attraper le ballon (F), « être enceinte  », ne peut pas être considérée comme un synonyme de avoir un polichinelle dams le tiroir (BFS) pour un locuteur belge ou suisse, bien que les deux renvoient à la même réalité référentielle, puisque la première expression n'est connue qu'en France. Les auteurs ont donc opté pour le concept de «  géosynonymie  », défini comme l'emploi complémentaire de deux signes linguistiques dans une même langue en fonction des régions.
De même, on ne peut parler de relation d' anto~aymie que pour les expressions en usage dans une même communauté géographique, en l'occurrence de francophones. Aussi, quand elles concernent des expressions de variétés différentes, les auteurs préfèrent employer le terme de «  géoantonyme  ». Il caractérise des relations entre des expressions qui désignent des référents opposés mais qui appartiennent à des variétés différentes. La démarche qui consiste à recourir à une forme libre s'avère ainsi indispensable pour mettre en avant des sens équivalents ou contraires entre deux ou plusieurs expressions figées.
En ce qui concerne la polysémie de certaines expressions, la perspective variationnelle de ce travail a conduit les auteurs à réserver une entrée à chaque sens différent, car le sens d'une expression peut changer d'une variété à l'autre.
Enfin, une des questions délicates relative au sens d'une expression figée, abordée peut-être un peu trop rapidement, concerne la manière dont on rend compte des composants pragmatiques, puisque le sens peut, dans certains cas, être indissociable de son énonciation. Des phrases comme Tu parles  ! Ça promet !, sans être sémantiquement opaques, constituent des formules figées. Ces phrases n'ont pas de sens générique et ne s'interprètent qu'en fonction de leurs situations d'énonciation (nommées ici « routines conversationnelles  »).Pour rendre compte de l'aspect discursif des expressions figées, la description sémantique doit prendre en
246
compte les traits pragmatiques qui font partie intégrante de l'expression  :situation d'énonciation, raisons de son énonciation, but communicatif de l'expression, etc. Ces traits pragmatiques peuvent se manifester également par la présence de déictiques figés dans l'expression même. La description du sens peut alors être donnée soit par une forme libre passible d'être employée dans les mêmes contextes, soit par une définition métalinguistique des paramètres pragmatiques qui interviennent dans le sens de la forme figée. La prise en compte de ces paramètres pragmatiques n'empêche pas les expressions d'entrer dans un réseau d'équivalence sémantique. Ce dernier est alors fondé sur le fait que les expressions partagent une même fin communicative.
Nous aurions peut-être aimé cette dernière partie un peu plus longue étant donné la problématique du projet. En effet, comme le notent les auteurs, les ouvrages traitant des diverses formes de figement le plus souvent n'accordent pas de statut spécifique aux phrases figées comme Ça baigne  !. Elles sont rarement étiquetées comme des phrases figées ayant leurs caractéristiques propres, étant, dans la plupart des cas, confondues avec des expressions verbales ou avec des proverbes. Pourtant, ces « routines conversationnelles  », appelées également dans la littérature marqueurs discursifs propositionnels, marqueurs pragmatiques, phrases situationnelles, propositions parenthétiques, etc., font depuis plus devingt-cinq ans le sujet de nombreuses études (cf. Langue Française, 154, G. Dostie et D. Push (dir.), 2007, sur les marqueurs discursifs). Il aurait ainsi été intéressant, d'une part, de citer les travaux déjà réalisés dans le domaine, notamment ceux de G. Dostie, H. L. Andersen ou de D. Pusch; d'autre part, d'évoquer plus clairement ce qui distingue ce type de phrases figées des expressions verbales et des proverbes. Dans l'ouvrage, la distinction n'est pas très claire. Les auteurs signalent que ces phrases sont assimilées aux expressions figées, et pourtant leurs propriétés ne sont étudiées que dans le quatrième chapitre dans le contexte des aspects pragmatiques. L'étude de leurs propriétés formelles et sémantiques mériterait d'être poursuivie.
Les résultats de l'étude mettent en valeur deux points  : d'une part, les expressions des différentes variétés du français entrent dans des réseaux de sens commun; d'autre part, les expressions de formes identiques peuvent, paradoxalement, véhiculer des sens différents selon les variétés. Ces dernières se comportent comme si elles constituaient des langues à part entière.
Dans la conclusion, les auteurs notent qu'il serait intéressant que cette étude soit un jour complétée par celle d'une partie du patrimoine français qui n'a pas du tout été abordée ici, à savoir les expressions figées du Maghreb, d'Afrique noire, des Antilles et des autres départements et territoires d'outre-mer.
L'ouvrage se termine par un extrait utile du dictionnaire. Cependant, il aurait été appréciable d'avoir un index général des mots significatifs des expressions figées de tout l'ouvrage (ou même mieux, des expressions complètes), plutôt que de le restreindre aux entrées de l'extrait du dictionnaire. En effet, la recherche
247
d'expressions figées citées ou étudiées dans l'ouvrage reste assez difficile. Ainsi, certaines expressions étudiées dans les chapitres ne sont pas référencées dans l'index et mériteraient pourtant d'y figurer. Par ailleurs, une recherche « inverse  » serait pertinente, permettant, à partir de la forme libre qui définit le sens de l'expression, de trouver toutes les expressions possibles qui lui sont associées. Par exemple, pour la forme libre « coûter cher  », on trouverait les expressions coûter une beurrée, un bras; coûter bonbon; coûter un os; coûter la peau du cul, etc.
Mais ces remarques ne sauraient amoindrir l'intérêt de cet ouvrage. Tout en tenant compte de la complexité du sujet, les auteurs réussissent, dans le cadre des objectifs qu'ils se sont fixés, à présenter une vue générale des expressions verbales figées. Les variétés géographiques du français, décrites de façon très sommaire dans les dictionnaires du français dits «  de référence  », font ici l'objet d'une attention particulière et d'un inventaire systématique. Ces expressions vont constituer une véritable base idiomatique du français commun, éléments essentiels du langage. Les auteurs soulèvent un certain nombre de questions méthodologies dont ils ne cachent pas les difficultés, et proposent malgré tout des solutions. Il est certain que les francophones auront plaisir à découvrir ou à redécouvrir certaines expressions appartenant ou non à leur variété géographique, faisant partie de leur compétence phraséologique active ou passive... Plus généralement, cet ouvrage intéressera tout lecteur curieux de comprendre les mécanismes de ces constructions que l' on s' accorde à qualifier de particulières et qui suscitent encore de nombreuses interrogations.

Aude GREZKA
LDI —CNRS (UMR 7187)