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Classiques Garnier

Compte rendu

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    2008 – 2, n° 93
    . varia
  • Auteur : Humbley (John)
  • Pages : 193 à 195
  • Réimpression de l’édition de : 2008
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812443459
  • ISBN : 978-2-8124-4345-9
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4345-9.p.0197
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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COMPTE RENDU


Monique CORMIER etJean-Claude BOULANGER (dir.) (2008), Les diction- naires de langue française au Québec. De la Nouvelle-France à aujourd'hui.
Montréal, Les Presses universitaires de Montréal, colt«  Paramètres » , 437 p.

S'inspirant des Journées des dictionnaires, qui depuis bientôt vingt ans rythment la vie de la lexicographie en France, Monique Cormier organise depuis 2003 la Journée qué- bécoise des dictionnaires. L'année 2008 marque les quatre cents ans de la fondation de la ville de Québec, raison suffisante pour choisir la capitale de l'Amérique francophone comme lieu d'un colloque qui vise à faire le bilan de l'activité lexicographique de langue française d'Outre-Atlantique. L'ouvrage qui sera présenté brièvement ici est bien plus que de simples actes de colloque, transcriptions d'interventions orales  : il s'agit en fait d'un recueil d'études approfondies, fouillées, accompagnées de bibliographies exhaustives et d'annexes, bref bien davantage que ce qu'il est possible de présenter dans le cadre d'une conférence.
Plusieurs thèmes émergent de la confrontation des résultats de recherches poursui- vies de part et d'autre de l'Atlantique, certains prévisibles, comme l'émergence d'une nor- me propre au français québécois et de ses expressions lexicographiques, d'autres moins, comme l'image du Canada et du Québec véhiculée par les dictionnaires de la France mé- tropolitaine. Heureusement pour le lecteur non spécialiste du domaine, les premiers ar- ticles retracent l'histoire de la production lexicographique canadienne et québécoise (le passage dans l'usage du second adjectif plutôt que du premier trouve d'ailleurs un écho dans plusieurs études de ce recueil). Claude Poirier, dans « Entre dépendance et affir- mation. Un parcours historique des lexicographes québécois  » brosse un panorama qui fournit non seulement les repères de ces développements lexicographiques mais surtout une grille de lecture qui sera utile pour plusieurs autres articles du recueil. «  La thèse que nous défendons ici est que l'orientation de la production lexicographique au Québec est étroitement liée au sentiment épilinguistique des élites, lequel varie selon le degré d'indépendance des Canadiens/Québécois par rapport aux Français  », déclare-t-il. 11 en ressort que les lexicographes pionniers étaient plus libres car moins contrôlés depuis la métropole, tandis que la période qui a suivi la défaite des Patriotes marque un alignement inconditionnel sur le français de France, qui ne sera vraiment remis en cause que lors de la Révolution tranquille.
Dans «  À la découverte des particularismes canadiens et de leur origine  :les lexi- cographes québécois à L'époque des glossaires  », Louis Mercier examine l'émergence d'une légitimation lexicographique des spécificités canadiennes à une époque par ailleurs

Cah. Lexicol. 93, 2008-2, p. 193-195
198 très peu propice à tout écart par rapport à la norme classique, que ce soit dans les glossai- res des individus ou dans les publications de ]a Société du parler français. Les analyses s'appuient sur des tableaux et des extraits des glossaires étudiés, qui permettent au lecteur de mieux visualiser les étapes de la construction d'une identité spécifique, et en plus de contrôler les affirmations de ].'auteur grâce à ces innovations en méthodologie métalexico- graphique. Plus focalisée encore, Gabrielle Saint-Yves examine les «  ]mages de l'identité féminine dans les premiers glossaires  » en s'inspirant des méthodes de Georges Matoré et de la lexicologie française de ]'après-guerre. À la recherche des stéréotypes féminins dont témoignent les glossaires canadiens français, elle vise non seulement à « fournir des données utiles sur les représentations des femmes pouvant servir à construire une mémoire féminine  », mais aussi à « faire valoir la charge culturelle inhérente aux mots du tenoir qui ont été employés pour parler des femmes  ».
Marcel Lajeunesse se livre pour sa part à une étude intitulée « Dictionnaires dans les bibliothèques de la Nouvelle-France  » ,dictionnaires bien plus nombreux que l'on ne pouvait l'imaginer dans une colonie quine disposait ni d'imprimerie ni de librairie  ; il cite le chiffre de 60 000 volumes pour une population de 65 000 habitants. Les dictionnaires de tous types ont donc circulé  :des monolingues, des bilingues (langues anciennes et vi- vantes), des dictionnaires de langue et de spécialités... Parmi les premiers le Richelet, le Furetière, le Ménage et le Trévoux sont bien représentés dans les bibliothèques  :parmi les absents, les dictionnaires anglais... et l'Encyclopédie. On peut penser que celle-ci faisait défaut autant pour des raisons idéologiques que purement chronologiques.
Plusieurs linguistes européens apportent un éclairage extérieur aux problématiques développées ici. Jean P~uvost, au lieu d'étudier les dictionnaires canadiens, se penche au contraire sur l'image de la colonie française telle qu'elle est reflétée dans les dictionnaires de la métropole. Dans «  "Nouvelle-France", "Canada", "Québec"  :parcours lexicographi- que du Grand Siècle au siècle des philosophes  », l'initiateur des Journées des dictionnaires de Cergy-Pontoise retrace les mentions lexicographiques àces entités géographiques et ethnographiques, d'abord rares et obliques puis de plus en plus complètes pour aboutir à wi développement circonstancié dans l'Encyclopédie, qui toutefois fait abstraction de la dimension politique.
Les questions de normes sont au coeur de tout projet lexicographique, ce qui mène Elmar Schafroth à en analyser certaines manifestations dans « Aspects de ]a normativité dans les dictionnaires du français québécois  ». S'appuyant sur l'analyse des quatre grands dictionnaires des vingt dernières années, l'auteur met en lumière les difficultés qu'ont eues les lexicographes à définir cette norme. La question de la nonne est particulièrement sensi- bledans le cas des anglicismes, dont la plupart sont marqués « mot anglais  » en conformité avec la politique élaborée par l'Office québécois de la langue française. Schafroth. constate des différences de traitement d'wl dictionnaire à l'autre, mais s'étonne de ce qu'il qua ifie de sous-représentation de cette catégorie par rapport aux études de linguistique de corpus. On note en passant qu'une des grilles de lectwe de ces dictionnaires (leur place entre les pôles endogéniste et exogéniste) est proposée non dans une analyse de métalexicographie univer- sitaire, mais dans un article de Wikipédia, indication de l'intérét soulevé par ces questions dans le grand public. Le troisième regard extériew est celui d'Henri Béjoint, qui dans «  Le dictionnaire québécois français vu de France  »s'interroge sur cet « ovni lexicographique  » , yui à son avis n'atteint pas son but, ni pour les Français ni po~~r les Québécois, malgré des qualités de docume~~tation, à cause de défaillances mëthodologiques qu'il expose en détail.
199 À ces trois linguistes s'ajoutent deux Italiennes, Monica Barsi et Cristina Brancaglion, qui abordent des aspects spécifiquement pédagogiques dans «  Au-delà du dictionnaire scolaire  : la Base de données lexicographiques panfrancophone  » ,des ques- tions qui dépassent largement le contexte québécois que se fixent les organisateurs du colloque, mais qui se justifient sans doute de parla très forte représentation numérique du français québécois dans la base en question. Outre une description de la partie proprement lexicographique de la base, les auteures s'attachent à en esquisser les principales exploi- tations pédagogiques.
Les préoccupations pédagogiques ne sont jamais étrangères aux projets lexico- graphiques, mais certains se focalisent précisément sur ces aspects et fournissent le sujet de plusieurs interventions. Pour Pascale Lefrançois la vocation du dictionnaire d'appren- tissage de la langue maternelle consiste surtout à préparer l'élève au maniement des dic- tionnaires conçus pour les adultes. Dans « À l'école des utilisateurs de dictionnaires  :une analyse de quelques dictionnaires scolaires québécois  », l'auteure analyse cinq ouvrages destinés surtout aux élèves du primaire. Certains trouveront son orientation bien tradition- nelle ;elle stigmatise par exemple les définitions en langage courant du type COBUILD, pourtant relativement communes dans les dictionnaires pour enfants y compris de langue française, et préfère la traditionnelle définition en compréhension. Les élèves n'ont qu'à bien se tenir  !
Une vocation pédagogique a également inspiré Marie-Éva de Villers lorsqu'elle conçut en 1988 le Multidictia~naire, mais son public est composé d'adultes qui typique- ment ne trouvent pas réponse à leurs questions dans les ouvrages de référence d'usage. Cette réponse à un besoin d'orientation sur la norme est présentée par Monique Cormier dans « Genèse et évolution du Multidictionnaire de la langue française  », dictionnaire yui aura connu cinq éditions lorsque ce compte rendu paraîtra. La norme est au coeur de l'ana- lyse de Jacques Maurais, qui s'attache, dans «  Le marquage lexicographique  : un éclairage sociolinguistique  », à mettre en lumière la connaissance et l'appréciation de la norme de la part du public québécois. Comme le titre le promet, l'auteur se livre à des études auprès de deux populations, dont nous n'avons pas, hélas, le détail. Les résultats sont à la hauteur des ambitions, car les renseignements tirés des réponses sont précieux  : on sait, par exemple, que le fait de ne pas employer une forme donnée ne signifie ni que le sujet ne la connaît pas ni qu'il ne soit pas capable de situer son registre. Dans «  Le système de marques d'usage et de marques normatives dans le dictionnaire du français de l'équipe FRANQUS  » ,les auteurs et responsables de ladite équipe, Hélène Cajolet-Lagarrière et Pierre Martel, ex- pliquent l'objectif prioritaire de l'établissement d'une norme « neutre » du français qué- bécois, évitant ainsi un certain nombre de critiques adressées aux dictionnaires yui l'ont précédé. La dernière contribution, et non la moins utile, est une chronologie des études lexicales et lexicographiques  : « Éléments de bibliographie  :les dictionnaires de la langue française au Canada français et au Québec du xvuie siècle à aujourd'hui, signée de Myriam Côté et Geneviève Joncas.
On se réjouit d'une publication riche, systématique et qui arrive à point nommé.

John Humbley
LDI —Université Paris-XIII