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Classiques Garnier

ln memoriam Jean-Marie Zemb, grammairien-philosophe

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    2007 – 1, n° 90
    . Les mots grammaticaux
  • Auteur : Jacquet-Pfau (Christine)
  • Pages : 215 à 223
  • Réimpression de l’édition de : 2007
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812443428
  • ISBN : 978-2-8124-4342-8
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4342-8.p.0219
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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IN MEMORIAM
JEAN-MARIE ZEMB, GRAMMAIRIEN-PHILOSOPHE


Comme les vitres d'un compartiment de train à la nuit tombante, le langage est à la fois opaque et transparent. Le grammairien voudrait profiter de la transparence pour décrire l'opacité et ce faisant la dissiper.
(J.-M. ZEMB, Vergleichende Grammatik, I «  En guise de préface  »)

Jean-Marie Zemb, philosophe, linguiste, germaniste, logicien, est décédé le 15 février 2007 à Lorient, à l'âge de soixante-dix-huit ans. Il nous laisse une pensée essentielle, originale, qui s'est inscrite dès l'origine loin des modes, à l'écart des contraintes institutionnelles comme du linguistiquement et du philosophiquement correct. Sa personnalité était à l'égal de ses analyses théoriques  : surprenante, attachante, sans cesse en activité. Aussi aurait-il pu faire sienne cette réplique d'un personnage de Térence  : « Rien de ce qui est humain ne m'est étranger  », tant sa curiosité ne cessait de l'inciter à tenter de déchiffrer l'intelligible et à construire des ponts, non seulement entre les différents domaines du savoir mais également entre le réel et l'abstraction.
Ce penseur exceptionnel, on l'aura vite compris, ne se prête pas à l'exercice bio-bibliographique réduit à quelques pages. Aussi avons-nous tenu à ne privilégier que quelques aspects de son parcours, parce qu'ils disent la diversité et aussi parce qu'ils éclairent, pour certains d'entre eux, des moments encore peu connus.
Je tiens à remercier François Muller pour la relecture généreuse qu'il a accepté de faire de cet article.
Cah. Lexicol. 90, 2007-1, p. 215-223
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Né le 14 juillet 1928 à Erstein en Alsace, Jean-Marie Zemb fait ses études secondaires à Strasbourg et les achève après l'armistice avec l'obtention du baccalauréat série C (latin et sciences). Du fait de l'Occupation, il a connu, « par la force des choses  », les deux systèmes d'enseignement, le français et l'allemand. Son parcours d'étudiant, puis d'enseignant et de chercheur parfaitement bilingue, se fera sous ce double sceau.
De 1946 à 1953, il fait des études de philosophie en France et en Allemagne au terme desquelles il obtient une licence et un diplôme d'études supérieures de philosophie à la Sorbonne, une licence de philosophie scolastique chez les Dominicains du Saulchoir, ainsi qu'un Doctor philosophiae à l'Université de Fribourg-en-Brisgau. Il se réfère très vite à la « grande tradition  », « invoquant le patronage des Anciens  » (J.-M. ZEMB, 1984 : 5), Platon et Aristote. Cette référence, il la doit à ses premiers « maîtres  »auxquels il sut rendre hommage
«  [...] ces gammes que certains de mes professeurs m'imposaient et qui consistaient à recopier à la main tel passage d'Aristote avant d'en aborder ces commentaires dans lesquels un Averroès et un Thomas d'Aquin refaisaient le chemin qui continuaient de les guider là où ils allaient. Les mêmes professeurs me donnèrent aussi, par leur exemple, le goût, réputé plébéien, des dictionnaires et celui, réputé aristocratique, des notes de bas de page.  » ~
C'est à l'Université de Hambourg que J.-M. Zemb entreprend la seconde phase de sa triple formation universitaire. Tout en étant chargé d'enseignement en philosophie dans les Départements de Romanistique et de Philosophie, il entreprend en 1954 des études de germanistique et de grammaire comparée. En 1960, il est reçu à l'agrégation d'allemand. C'est durant cette période qu'il rédige son premier ouvrage, en allemand, Aristoteles, publié par Rowohlt en 1961. L'ouvrage ne cessa de connaître un grand succès dans le monde germanophone, comme en témoigne la dix-septième édition parue en 20062.
Suit le troisième et dernier moment de sa formation universitaire, celui des études de linguistique qu'il conduit tout en assurant ses tâches d'enseignant dans deux lycées parisiens, d'abord au lycée Carnot (1961-1962), puis au lycée Paul Valéry (1962-1966). Dès 1964, il s'engage dans une nouvelle expérience qui ne cessera de nourrir sa réflexion sur les liens entre langage et pensée  : il occupe pendant deux ans un poste de vacataire dans le service de diagnostic et traitement des aphasies dirigé par le professeur François Lhermitte à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Une thèse principale, présentée en 1968 sous la direction de Jean Fourquet, qui, en 1955, avait été élu à la Sorbonne à la chaire de « Philologie des langues germaniques  », lui confère le titre de Docteur ès Lettres. Cette thèse, intitulée Les Structures logiques de la proposition allemande  : Contribution à l'étude des rapports entre la langue et la pensée, sera publiée sous ce titre la
1 « Lire c'est relire  », La bibliothèque imaginaire du Collège de France, Le Monde éditions, coll. «  La mémoire du temps  » (1990 :185).
2 Aristoteles a également été traduit en japonais (1967), en grec (1978) et en coréen
(2004).
221 même année (J.-M. ZEMB, 1968). Elle porte sur la place du « lien  » (plus tard, dans le second volume de la Vergleichende Grammatik, le «  phème  », terme emprunté à Charles S. Peirce) situé à l'articulation du thème et du rhème.
Jean-Marie Zemb commence sa carrière universitaire en 1966. Chargé d'une Maîtrise de conférences de « Linguistique appliquée  » à la Faculté des Lettres et Sciences humaines à Besançon, il obtient en 1968 un poste de professeur en linguistique allemande à la toute jeune Université de Paris-VIII, où il ne restera qu'un an, puis il est nommé à l'Université de Paris-III, qu'il quittera en 1976 pour l'Université de Paris-X où il restera jusqu'en 1985. Il est également invité aux États-Unis, comme professeur de grammaire allemande à l'Université d'été de Middlebury (Vermont) en 1980, 1981 et 1983, puis occupe un poste de Visiting professor à l'Université de Provo (Utah).
Après la publication en 1972 d'un ouvrage didactique consacré à l'analyse de la proposition en français, Métagrammaire  : La proposition, c'est en 1978 que paraît le premier volume de l'oeuvre centrale de J.-M. Zemb Vergleichende Grammatik Franz~sisch-Deutsch, intitulé  :Comparaison de deux systèmes. Le second volume suivra en 1984  : L'Économie de la langue et le Jeu de la parole. Cette véritable somme associe à un projet ambitieux, celle d'une grammaire comparée du français et de l'allemand, une approche très originale. L'ouvrage met face à face la grammaire allemande en français sur les pages de droite et la grammaire française en allemand sur les pages de gauche, « aucune des deux parties ne [pouvant] se prévaloir de la primauté de l'original  », se complétant, s'éclairant mutuellement, mais ne se contredisant jamais (J.-M. ZEMB, 1978 :133)
c Dans la mesure où le parallélisme des données permettait une certaine symétrie de leur traitement, nous avons conçu des chapitres bilingues selon la recette idéale que voici  :qui ne lit que les demi-chapitres comprend moins que la moitié, et qui lit le tout comprend plus que le double des deux moitiés  !  »
(J.-M. ZEMB (1978)  : «  Le problème des problèmes  » in « Introduction  »).

Ces deux volumes, suivis de nombre d'articles fondamentaux partant tous de l'analyse propositionnelle, s'écarteront ouvertement de l'analyse traditionnelle. Refusant toujours d'emprunter les voies toutes tracées et d'avoir recours à la langue de bois, Jean-Marie Zemb aimait pratiquer le questionnement, reprenant celui de Socrate, ou, si l'on préfère, « l'étonnement philosophique  » de Jeanne Herscha, représenté par Socrate, Aristote, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant, Hegel, Jaspers, pour ne citer que ceux que convoquait plus volontiers la pensée de J.-M. Zemb. Sa méthode s'appuyait sur la remise en question de l'analyse elle-même, en l'occurrence l'«  alamodisme  » des grammairiens allemands
3 In « Mode d'emploi  » in « Table de matières  ».
4 Sa traduction, en 1953, de La foi philosophique de Jaspers avait retenu l'attention de J.-M. Zemb (documents inédits).
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«  La comparaison de l'allemand avec le français s'imposait à qui voulait comprendre le fonctionnement de l'allemand parce que la grammaire allemande avait été élaborée selon les normes de la grammaire scolaire française, et surtout en Allemagne même.  »5
La qualité et l'originalité de ses travaux le font élire en 1986 au Collège de France à une chaire de « Grammaire et pensée allemandes  ». Il y enseigna jusqu'en 1998, mais y poursuivit bien au-delà ses activités de chercheur. Il y ajouta, dès 1999, une participation active aux travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques où il avait été élu le 11 janvier 1999 dans la section de « Philosophie  » au fauteuil du Révérend Père Bruckberger sur lequel il lut, dans la séance du 2 mai 2000 de cette académie, une brillante notice (J.-M. ZEMB, 2000)6. Il y donna trois conférences  : La racine langagière du génie français (2001), La morale est-elle durable  ? (2002) et Peut-on faire confiance à la tradition grammaticale de l'analyse dite logique et grammaticale  ? (2005).
Ses travaux et recherches «  se situent à un carrefour complexe  : non seulement le français et l'allemand, mais encore la grammaire et la logique, la didactique et le traitement automatique, la communication et l'esthétique, la contrainte des mentalités et la liberté de la conception intellectuelle, le langage et la pensée.  »8
Cette personnalité brillante, enthousiaste et chaleureuse à laquelle aucun domaine de la connaissance ne semblait devoir échapper, marqua un intérêt constant pour la lexicologie et la lexicographie. Son passage à Besançon où il débuta sa carrière dans l'enseignement supérieur en obtenant, en 1966, la charge d'une maîtrise de conférences en « linguistique appliquée  », lui permit de rencontrer Bernard Quemada qui, avait, depuis 1957, introduit dans la recherche la mécanisation des recherches lexicologiques, dans son laboratoire équipé de machines à cartes perforées. L'enthousiasme pour ces nouvelles technologies dont il ne se départira jamais, associé à une profonde amitié intellectuelle, ponctuera leur vie de rencontres régulières, dont je voudrais donner ici quelques références.
Ce fut, par exemple, sa participation au comité de patronage de deux revues dont B. Quemada fut le président-fondateur  :les Cahiers de lexicologie, depuis 1988, et la revue éla (études de linguistique appliquée, revue de didactologie des langues-cultures et de lexiculturologie), dirigée par Robert Galisson. Ou encore l'organisation par J.-M. Zemb au Collège de France en juin 1995 d'une journée internationale sur la lexicologie bilingue, y compris et même surtout la lexicologie informatisée, et à laquelle prirent part notamment Bernard Quemada, Gaston Gross, Franz Guenthner, Franz Josef Hausmann... Citons
5 Titres et Travaux de J.-M. Zemb 1984.
6 La Notice sur la vie et les travaux du Père Raymond Bruckberger est également disponible sur le site de l'ASMP  : http://www.asmp.fr/.
7 Ces conférences sont disponibles sur le site de l'ASMP  : http://www.asmp.fr/. Les deux premières ont également été publiées aux PUF en 2001 et 2003 (voir infra «  Repères bibliographiques  »).
8 Document inédit daté du 12 novembre 1982.
223 encore la date du 22 mars 2000, où fut confié àJean-Marie Zemb le discours inaugural de la 7ème Journée des dictionnaires, colloque international organisé depuis 1994 par Jean Pruvost à l'université de Cergy-Pontoise, au coeur de la Semaine de la francophonie. Cette année-là, la thématique de ce rassemblement de lexicologues, lexicographes et métalexicographes rejoignait un des domaines qui avait depuis longtemps retenu la réflexion de J.-M. Zemb  : « Des dictionnaires papier aux dictionnaires électroniques  ». C'est également auprès de Bernard Quemada, président du jury du Prix Logos, que J.-M. Zemb prend part, en tant que membre permanent, aux côtés de Henri Adamczewski, Bernard Pottier, Henriette Walter, et Jacqueline Schlissinger, à la valorisation des ouvrages publiés en Europe dans le domaine de la linguistique générale et appliquée. Créé en 1998 par l'Association Européenne des Linguistes et des Professeurs de Langues, fondée et présidée par Jean-Pierre Attal, ce prix fut attribué quatre années (de 1998 à 2001), avec le soutien de la Délégation générale à la langue française.
Le parcours du penseur ne se déroule jamais très loin des domaines dits « appliqués  », qu'il s'agisse d'enseignement, d'observations de cas d'aphasie ou d'expérience de traduction. « Aguerri par une abondante pratique de la traduction  » (J.-M. ZEMB, sous presse), il pratique autant le thème que la version, traduisant le Rimbaud d'Yves Bonnefoy en allemand ou des ouvrages de philosophie allemands en français. Cette caractéristique de sa personnalité se conjugue avec une grande diversité d'intérêt. Nous le trouvons de la même manière auditeur de l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) durant l'année 1970-1971, nommé en novembre 1996 pour quatre ans à la Commission Générale de Terminologie et de Néologie, sous la présidence de Gabriel de Broglie, membre de l'Institut (c'est à ce titre qu'il participera à l'élaboration du Rapport sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, publié en octobre 1998). C'est à cette même période qu'il prend plus ouvertement position dans la discussion sur la réforme de l'orthographe allemande, qui constituera désormais une de ses préoccupations principales, d'abord dans des articles publiés essentiellement en Allemagne, puis, en 1997, dans un ouvrage intitulé  : Für eine sinnige Rechtschreibung  : Eine Aufforderung zur Besinnung ohne Gesichtsverlust.
La curiosité qu'il nourrit très tôt pour les technologies « nouvelles » le conduit tout naturellement, dès 1970, à réaliser une série de trente-neuf films de vingt-neuf minutes, Les gammas, émission de télévision didactique projetée en Allemagne, aux Pays-Bas et au Japon. Cette expérience sera renouvelée quelques années plus tard. Il fut en effet l'un des premiers à inaugurer la série de films « Les rencontres du Collège de France  », fruit d'une collaboration entre cette institution et Vidéoscop, centre de production vidéo et multimédia de l'Université Nancy 2 créé en 1978  : en 1994 Thème, Phème, Rhème et, un an plus tard, Thema, Phema, Rhema. Dans un cadre de vie et de travail qui lui était cher, les environs du lac de Mondsee, en Autriche, il nous éclaire sur les éléments et les mécanismes de la phrase et sur les liens entre la pensée et le langage, en recourant à des exemples concrets. C'est toujours dans le souci d'allier théorie et pratique qu'il souhaita réaliser, en 1999, une production
224 audiovisuelle sur les structures et les tournures attributives (J : M. ZEMB, 1999) en « bilingue  » sous forme de deux cassettes, à la manière de sa grammaire comparée (voir supra). Pour avoir assisté à la préparation et au tournage de ces films, je peux aujourd'hui témoigner de l'enthousiasme et de la compréhension saisissante de Jean-Marie Zemb devant toutes les nouvelles technologies. Rien, à aucun moment, ne fut jamais figé  : le scénario devait donc s'adapter à la pensée en train de se dire avec la plus totale spontanéité, ce qui excluait la pratique habituelle et confortable de la coupure partielle, chaque reprise étant toujours différente dans sa forme et sa richesse. C'est d'ailleurs à ce rythme que le professeur Zemb fit son cours, suivi du séminaire, au Collège de France, tous les mardis de 14h 15 à 16h 30, devant un auditoire fidèle d'une quarantaine de personnes, selon une méthode expérimentée depuis ses premières années d'enseignement  : le cours ou l'exposé devait être toujours une réflexion en mouvement. La parole spontanée —seules quelques notes écrites constituaient la trame de ses propos —, le conduisait à imbriquer des parenthèses les unes dans les autres sans qu'il oubliât d'en fermer une seule. Il faisait ainsi siennes les qualités qui lui permettaient de définir le style, lequel, aimait-il à rappeler, devait « couler et tenir  ».
Son intérêt pour la logique et pour la formalisation propice aux applications automatiques (TAO et EAO), déjà exprimé notamment dans le tome 2 de la vergleichende Grammatik, où il confie à Jean Janitza le chapitre intitulé « L'enseignement médiat des langues étrangères  », l'a également conduit à participer à la relance de la traduction automatique en Europe en fondant, en 1974, le Groupe Leibniz, précurseur du projet Eurotra, notamment avec Bernard Vauquois9, directeur du GETA (Groupe d'études pour la Traduction Automatique, Grenoble). Son intérêt pour le traitement automatique des langues et la linguistique quantitative le conduira toujours à apporter son soutien aux
laboratoires qui consacreront leurs recherches à ces domaines. Plus tard, en

2001, il accepte de devenir membre du Conseil scientifique du Centre de hautes études internationales d'Informatique Documentaire (C.I.D.), société savante créée en 1979. Il y prit activement part, d'abord lors d'un colloque organisé au Sénat en juin 2002 sur L'Accès à l'Information dans une démarche pédagogique  : du e-learning à la Formation ouverte et à distance, invité à présenter une communication qu'il avait intitulée « De la simplicité du principe à la variété de l'application  »10. Il témoignait de ses différentes expériences que nous venons d'évoquer, y ajoutait celle d'un CD-ROM sur la grammaire allemande, déjà très avancé mais qui, malheureusement, n'a pas été achevé.
Le symbole du pont, à l'image du « pont de Kehl et [du] pont de Strasbourg  »~I, ou encore de celui qui relie les deux parties du Schloss Ort sur le
9 Jusqu'à sa disparition prématurée le 30 septembre1985.
10 Le texte de cette communication a été publié dans le numéro 85-86, juin-septembre- décembre 2002 de L'Informatique documentaire, sous le titre  : « Un demi-siècle de leçons théoriques tirées d'expériences pratiques  ».
11 « Examen de conscience 7 Le pont de Kehl et le pont de Strasbourg  », Ethnopsychologie, 2-3, 1973.
225 Traunsee en Autriche (que l'on voit longuement dans le film Thème, Phème, Rhème), fut présent tout au long de sa vie. Pont linguistique entre le thème et le rhème (le phème), mais aussi pont entre les langues et les cultures, notamment allemandes et françaises. Pont entre les langues, comme le remarque, pour l'allemand et le français, le philologue Hugo Moser, cofondateur et premier président de l'Institut für Deutsche Sprache (1DS), à Mannheim, qui écrivait, dans sa «  Geleitwort  » au premier volume de la Grammaire comparée
« Puisse ce livre faciliter l'étude du français en Allemagne et celle de l'allemand en France. Que s'ajoute à son utilité instrumentale une fonction aussi indispensable, mais plus rare  :celle du pont, ou encore du trait d'union, car de la stabilisation de la compréhension et de l'amitié franco-allemande dépend grandement le devenir d'une nouvelle Europe. » (H. MOSER  : «  Geleitwort » in J.-M. ZEM$ (1978))
Et, plus largement, pont entre des disciplines que l'on s'obstine souvent à séparer1z. « Observer, observer, observer ; réfléchir, réfléchir, réfléchir  », sans jamais exclure le moindre domaine, aussi quotidien fût-il.
Européen convaincu, il avait soutenu, au Collège de France, la demande de création d'une chaire européenne dont le titulaire devait changer chaque année. Le projet aboutit. Ce fut Jean-Marie Zemb qui en proposa le premier titulaire  :Harald Weinrich fut nommé pour l'année 1989-1990, et choisit comme thème  : «  La mémoire linguistique de l'Europe  »  ; il sera ensuite élu sur une chaire de Langues et littératures romanes (1992-1998). Ce sont encore le neurophysiologiste Hans-Wilhelm Mailler-Gârtner, l'historien Norbert Ohler, le géophysicien Westbroek et Theodor Berchem, Président de l'Office Allemand d'échanges Universitaires (DAAD) dont il proposera avec succès les candidatures à cette chaire. La diversité des disciplines avec lesquelles il nourrissait ses réflexions le conduisit inévitablement à s'intéresser, dès 1992, date de sa création, à la chaire internationale, pour laquelle il proposa le linguiste lgor Mel'Luk, ou, dans le cadre des séries de « leçons  », Hans-Martin Gauger pour la philologie romane, le sociologue Alexander Deichsel, le linguiste John Ole Askedal, ou encore Alan K. Melby, spécialiste de la traduction (automatique)13.
Ayant choisi depuis 2005 de vivre à Lorient, il y poursuivit ses travaux sans relâche, malgré la maladie. Invité en mai 2006 par Martine Dahnas, Professeur à Paris IV-Sorbonne («  Linguistique allemande  »), à faire une conférence dans le cadre de son séminaire « Sens et signification  », il parla de « L'auxiliaire  ». À la fin de cette même année, en décembre, il participa au colloque organisé par Françoise Daviet-Taylor, Professeur à l'Université d'Angers, La personne, le verbe, la voix  : Du partage des fonctions dans les structures impersonnelles et leur sémantisme. Sa communication y traita de l'«  Approche philosophique du découplage du sujet et du thème  ». Quelques jours avant sa disparition, il relisait
12 De ce pont entre les disciplines témoignera Autour de Jean-Marie Zemb, C. JACQUET-PFAU, C. LECOINTRE et F. DAVIET-TAYLOR (dir.), à paraître aux éditions Lambert-Lucas.
13 Les Cahiers de lexicologie (vol. 58, ri 1, 1991, pp. 5-43) ont publié une synthèse de ces leçons par leur auteur sous le titre  : « Des causes et des effets de l'asymétrie partielle des réseaux sémantiques liés aux langues naturelles  ».
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encore et annotait le jeu d'épreuves de son dernier ouvrage, Non et non ou non  ? Entretiens entre un philosophe, un grammairien et un logicien. Ces entretiens, autour de la négation, construits sur le principe du dialogue platonicien qu'il avait déjà utilisé dans Kognitive Kléirungen («  Eclaircissements cognitifs  ») où il faisait dialoguer l'article, la littérature, Hegel, Schopenhauer, la grammaire, Abélard, la copule, le thème, le rhème, Rivarol, la virgule, le calcul... apparaissent, dans une grande sobriété, comme l'accomplissement de son parcours de penseur.
Christine JACQUET-PFAU* Collège de France et LDI-CNRS


REPERES BIBLIOGRAPHIQUES14
Principaux ouvrages et articles de Jean-Marie Zemb cités dans l'article
— (1961)  : Aristoteles, mit Selbstzeugnissen und Bilddokumenten, Hamburg, Rowohlt, 176 p., «  Rowohlts Taschenbuch ; 63  » (17e éd. : 2006).
— (1968)  :Les Structures logiques de la proposition allemande. Contribution à l'étude des rapports entre la langue et la pensée, Paris, O.C.D.L., 350 p.
— (1972)  : Métagrammaire, Tome I : La proposition, Paris, O.C.D.L., 162 p. — Vergleichende Grammatrk Franzdsisch-Deutsch
(1978)  : Teil I. Comparaison de deux systèmes, Mannheim-Wien-Zürich, Bibliographisches Institut, 897 p.
— (1984)  : Teil II. L'Économie de la langue et le Jeu de la parole, Mannheim- Wien-Zürich, Bibliographisches Institut, 975 p.
—(1994)  : Kognitive Kl~irungen : Gesprâche über den deutschen Satz, Hamburg- Harvestehude, Rolf Fechner Verlag, 133 p.
— (1997)  : Für eine sinnige Rechtschreibung  : Eine Aufforderung zur Besinnung ohne Gesichtsverlust, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 154 p.
— (2000)  :Notice sur la vie et les travaux du Père Raymond Bruckberger (1907-1998), Paris, Publications de l'Institut de France, 18 p.
— (2001)  : «  La racine langagière du génie français  », in L'État de la France 3, Revue des Sciences morales et politiques, 3, pp. 19-53.
— (2003)  : «  La morale  », in Marcel BOITEUX, L'homme et sa planète  : Les problèmes du développement durable, Paris, PiJF, « Cahiers de l'Académie des sciences morales et politiques  ».
— (sous presse)  :Non et non ou non  ?  :Entretiens entre un philosophe, un grammairien et un logicien, Limoges, Lambert-Lucas, 300 p.
14 La bibliographie chronologique de l'ceuvre de Jean-Marie Zemb sera publiée par C. JACQUET-PFAU dans C. JACQUET-PFAU, C. LECOINTRE et F. DAVIET- TAYLOR, (sous presse).
* Nommée Maître de conférences au Collège de France en 1991 sur un poste attribuée à la chaire de Grammaire et pensée allemandes, C. Jacquet-Pfau a été la collaboratrice de J.-M. Zemb
227 Documents audiovisuels
—(1994) : Thème, Phème, Rhème [cassette audiovisuelle de 52 mn], Vidéoscop - Université Nancy, Collège de France et France 3, série « Les rencontres du Collège de France  ».
—(1995)  : 7laema, Phema, Rhema [cassette audiovisuelle de 52 mn], Vidéoscop - Université Nancy, Collège de France et France 3, série « Les rencontres du Collège de France  ».
— (1999)  : Le billard des attributs  :formes, fonctions, conditions d'emploi, Paris, Collège de France.
— (1999)  : Generisches und Spez~sches zum Objektsprlidikativ : Unmittelbare und vermittelte Prddikation, Paris, Collège de France.
Ouvrages autour de Jean-Marie ZEMB
FAUCHER Eugène, HARTWEG Frédéric et JANITZA Jean (Textes réunis par) (1989) Sens et Être  :mélanges en l'honneur de Jean-Marie ZEMB, Presses Universitaires de Nancy, 268 p.
JACQUET-PFAU Christine, LECOINTRE Claire et DAVIET-TAYLOR Françoise (sous presse)  :Autour de Jean-Marie Zemb  : Mémoire, langue et pensée, Limoges, Lambert-Lucas.