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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie Aspects de la métalexicographie du xviie au xxie siècles
    2006 – 1, n° 88
    . varia
  • Auteurs : Martin-Berthet (Françoise), Alaoui (Khalid), Jacquet-Pfau (Christine)
  • Pages : 215 à 225
  • Réimpression de l’édition de : 2006
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812443404
  • ISBN : 978-2-8124-4340-4
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4340-4.p.0219
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS


Josette REY-DEBOVE (direction), Le Robert Brio, Analyse comparative des mots, Éditions Le Robert, 2004, 1897 p.
Le Robert Brio est la nouvelle version du Robert Méthodique (1982). Un travail de révision et d'enrichissement important a été mené, fruit de la réflexion que n'a cessé de mener Josette REY-DEBOVE sur ce qu'elle a appelé la « morphologie profonde  »,
c'est-à-dire l'analyse des mots complexes ne contenant que des éléments liés, comme in—dubit~ble, rupt—ure ou somn—ambule, qu'elle a appelés c ligalexes  » et distingués des dérivés, définis comme contenant un mot, comme feuil !—age qui contient feuille ou dé faire qui contient faire (Préface  :VIII).
Le principe de base ne change pas  : la nomenclature comprend des mots et des éléments liés, ces derniers marqués par un retrait et un filet (et non plus encadrés) ; le recensement des éléments liés repose sur la comparaison des mots français entre eux, selon un point de vue synchronique et une méthode distributionnelle  : un élément doit figurer dans au moins deux mots avec la même forme et avec le même sens (in-~lubit~ble / dubit—atif, rapt—ure / é—rupt—ion / ir—rapt—ion ...). La Préface fait toujours référence au distributionnaliste Eugène NIDA (p. IX). La forme prime ;les notions de dérivé savant et d'allomorphe sont refusées
« Personne ne peut déduire rupture de rompre en français (...) ; la différence formelle est presque aussi grande qu'entre chute et tomber.  » (Préface  : X).
« Il n'est pas sérieux de décider de l'altérité ou de 1"`identité" de deux signes à signifiant différent, sauf à passer par l'histoire.  » (La linguistique du signe  :196).
En synchronie, les formes différentes de même sens sont des synonymes (cf. Note sur les fondements théoriques et la méthode, Le Robert méthodique  : XVII).
La structure est modifiée sur deux points  : la nomenclature est alphabétique, alors que le Robert méthodique pratiquait les regroupements ;l'étymologie est introduite à la fin des articles concernant les éléments et les mots non analysables (le Robert méthodique donnait en annexe une Étymologie des éléments).
Les dérivés et les composés figurent donc à leur place alphabétique. Ils renvoient à leur « mot-base  »  :les « mots-bases  »sont ceux, simples ou complexes, qui ne contiennent pas un autre mot; par exemple, nation pour national, nationalité, nationalisme ;,flexible pour inflexible,,flexiblement. D'autre part, on trouve les dérivés et composés énumérés à la fin des articles concernant leurs « mots-bases  ». À la fin des articles concernant les éléments liés, la liste des mots qui les contiennent est organisée en « mots-bases  » et dérivés, ceux-ci distingués par des parenthèses
a ADIP- Élément qui signifie « graisse  ». Il apparaît dans les mots  :adipeux (adiposité), adipolyse.  »

Cah. Lexicol. 88, 2006-1, p. 215-225
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C'est un progrès  : on voit ainsi immédiatement le nombre d'emplois de l'élément (ici deux) ; en effet, l'emploi dans un dérivé ne compte pas comme un deuxième emploi. Le Robert méthodique ne suivait pas toujours cette règle (en l'occurrence, il n'avait pas adipolyse).
L'introduction de l'étymologie dans le dictionnaire n'est nullement contradictoire avec le principe synchronique, au contraire  : c'est seulement quand l'analyse s'arrête, devant les éléments, les mots simples et les mots « rebelles  », qu'elle prend le relais, «  en manière de consolation  » (Préface  : X). Les mots «  rebelles  » résistent à l'analyse faute de comparaison autorisant la segmentation  :faramineux, vestibule ... (Préface  : X). Il y a aussi ceux dont on identifie un élément mais pas l'autre hétéroc/ite, hippocampe, nosocomial. L'indication de l'étymon permet de faire la relation avec l'élément identifiable  : lat. nosocomium, grec nosokomeion « hôpital  » ; NOSO— (nosographie, nosologie) « maladie  », grec nosos « maladie  ». (Dans le Robert méthodique, on trouvait hétéroc/ite sous IIÉTÉRO—, hippocampe sous IIIPPO—, ce qui laissait un « reste  ».) La relation de RUPT— à rompre est également prise en charge par l'étymologie. Les deux plans, diachronique et synchronique, sont distingués clairement.
La nomenclature des mots
La nomenclature des mots a environ le même nombre d'entrées qu'en 1982 (le Robert Méthodique annonçait 34 290). Son évolution suit évidemment l'usage et les changements référentiels, techniques et sociaux ou sociétaux (nouvelle entrée), comme dans n'importe quel dictionnaire général, et en particulier comme dans le Petit Robert
le livret de documentation pour les professeurs de français donne ces exemples de mots supprimés  : basoche, bavolet, hidalgo, télécinéma... ; du côté des nouvelles entrées beur, déchetterie, internet, mondialisation, parapente, taliban, zapper... Mais ici les nouvelles entrées ont souvent aussi une fonction morphologique  :elles réemploient des éléments déjà enregistrés dans la nomenclature de 1982 (par exemple, pyrolyse PYR(O~ « feu  », —LYS— « dissoudre ; holonyme et méronyme  : IiOLO— « entier  » , MÉR- «  partie  », -0NYM— « nom  ») ; ou bien elles apportent de nouveaux éléments  :acariens, acaricide, ACARI— « petite araignée  » ;actinothérapie, actinologie, ACTING— « rayon  ». Un ajout comme chtonien permet de segmenter autochtone, qui ne l'était pas, en introduisant CHTON— «  la terre et sa surface  ». C'est une lacune rectifiée. On vient de voir l'exemple de adipolyse pour identifier ADIP— « graisse  ». Le terme matrimoine, qui vient sans doute des «  gender studies  » et qui est absent du CD-Rom du Petit Robert (2003), permet de segmenter patrimoine avec un élément —MOINE « possession, richesse  ». L'introduction de praxis, apraxie, chiropraxie est l'occasion de rassembler pragmatique et pratique, auparavant séparés car non analysés, sous un élément PRAX—, PRACT—, PRAT—, PRAGM—, « action, mouvement ; activité  ». Aussi le choix des mots tiendra-t-il compte de l'intérêt pour l'analyse autant que de l'usage  ; les deux nomenclatures, celles des mots et celle des éléments liés, font système, chacun renvoyant à l'autre et en dépendant. Cela pose le problème de la sélection ad hoc de mots rares ou spécialisés, pour les nécessités de la segmentation  : il faut choisir entre recourir à matrimoine pour segmenter patrimoine, à aristoloche pour segmenter aristocrate, ou ne pas les segmenter, et renvoyer à l'étymologie.
Le lexique médical récemment vulgarisé dans les médias a été particulièrement accueilli, si l'on en juge par la lettre A et par le hasard des consultations  :adénome, amniocentèse, anxiolytique, athérome, athérosclérose, ostéoporose, nosocomial. Ces entrées ont une fonction à la fois linguistique (morphologique) et encyclopédique elles satisferont un public soucieux d'une compréhension analytique de ce lexique. Il y a aussi des termes purement savants comme acaule, multicaule (avec —GAULE « tige d'une plante  »), anoure, brachyoure, macroure (avec —DURE « queue d'animal  »). Ceux-là
221 infléchissent plus nettement la nomenclature vers les terminologies. Mais ces mots sont aussi constitués d'éléments généraux et fréquents  : A- privatif, MULTI-, BRACHY-, MACR(0)-. Il n'y a d'ailleurs pas d'indicateur de domaine (par exemple bot.)  : le domaine n'apparaît que dans la définition des éléments spécialisés (-ate en chimie, -ite en médecine). Cela permet de comparer des mots de tout horizon, les structures morphologiques étant générales, et les terminologies employant aussi les éléments généraux.
La nomenclature des éléments
La nomenclature des éléments est notablement enrichie  : de 1 730 annoncés en 1982 à 1 856 ; en partie donc avec ceux qui résultent des nouvelles entrées évoquées ci-dessus. Mais il y a d'autres sources. Par exemple, le Brio complète le recensement des éléments radicaux issus de paires
-TEL,- « attache  » (atteler, dételer)
ASC- « privation volontaire dans un but religieux  » (ascèse, ascète).
Une dérogation au principe du ré-emploi des éléments a été admise pour les allongements en -o, comme anatomo- (pathologie), mérita- (cratie), qui accèdent à la nomenclature avec un seul emploi. (Dans le Robert Méthodique, le problème était évité par les regroupements  : on trouvait allergologie sous allergie.) Une attention particulière a été accordée aux terminaisons jamais citées d'habitude, comme
-ACRE de ambulacre, simulacre
-ADAIRE de lampadaire, dromadaire -ASME de fantasme, orgasme, pléonasme.
Au seul -ATE de 1982, celui de la chimie, s'ajoutent trois homonymes
-ATE  :Élément de noms féminins qui signifie « objet produit (paz la base)  ». (vulgate, cantate ...) -ATE  :Élément désignant ce qui se présent comme un groupe (de ce qui est désigné par la base). (primate, stigmate)
-ATE  : Élément désignant une personne en relation avec ce qu'exprime la base nominale. (diplomate, numismate)
En particulier, on a traité systématiquement les emprunts analysables en français, d'où par exemple
-AI>oR/-ATOR de mirador, toréador, escalator -ATIM /-[M de intérim, passim, verbatim -ATO de moderato, vibrato
-AR de canular, racontar («  imitation du latin  ») -ERIA de pizzeria, cafétéria
-ERO de brasero, guérillero, torero.
(Dans le Robert Méthodique, l'analyse passait là aussi par les regroupements  :brasero se trouvait sous brasier, guérillero sous guérilla, et -ERO était laissé pour compte.) Sont acceptés -ING et -MAN (barman), qui étaient refusés dans le Robert méthodique pour ne pas « réveiller les querelles du franglais  » (Présentation  : XIV), aujourd'hui bien loin.
Ces terminaisons sont souvent vides de sens, alors que l'élément est en principe une unité significative ; -ERO est qualifié de « finale de noms masculins  »  : finale, et non élément. Autre segment non significatif ajouté à la nomenclature  : l'«  augment »
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-AT- / -IT-, qui précède les suffixes -AIRE, -FUR, -IF, -ION, etc. (au lieu de  : -ATAIRE, etc., comme dans le Robert méthodique). C'est moins convaincant en synchronie. Finales et augments sont la rançon d'une analyse maximale. Le souci d'arriver aux éléments ultimes apparaît aussi dans les associations de suffixes, qui sont signalées par des points de suspension en retrait et segmentées ; par exemple  : ... ESCENT > -ESC, -ENT. Cela permet de distinguer clairement ... AUTÉ > -AL +-TÉ (loyauté) et -AUTÉ (privautés). Mais le traitement n'est pas uniformisé  ;par exemple, -FRAIE (palmeraie) n'a pas les points de suspension et renvoie seulement à -AIE  ; ... OSITÉ renvoie à -EUX  ; il est difficile de traiter toutes les associations.
Une Liste des radicaux et des affixes, présentée en annexe (p. 1867-1874), classe les éléments liés de la nomenclature selon cette dichotomie ;elle range dans les radicaux tout ce qui peut correspondre à un mot lexical (V, N, Adj, Adv). On y trouvera donc les traditionnels éléments de « composition savante  », comme ambul--, phob-; phon- (qui, de fait, fonctionnent souvent aussi avec des affixes  : ambul~rnt, phob-ie, phon-ration) ; les suffixes spécialisés classificateurs comme -ite « inflammation » (névrite); beaucoup de préfixes ;des éléments comme ~I)FI(C~ « faire  »(statu--fier, clar-ifi-er, clar-ific-ation, mais aussi éc~ifi-er (ÉD- « maison, aussi dans édicule), ef-fie-ace), qui est synonyme de -FAC(T). En revanche -IS(ER) (éga/iser) est rangé dans les affixes. Cette typologie ne correspond exactement ni à l'étymologie (-itis est suffixal en grec) ni à la morphologie dérivationnelle qui traitera ensemble clarifier et égaliser comme verbes suffixés dérivés d'adjectif de sens « rendre Adj  ». C'est une proposition qui tente de mettre de l'ordre dans les listes fluctuantes que l'on trouve dans les grammaires et traités. Elle heurte les habitudes et ne va pas sans problèmes ;aussi n'est-elle pas utilisée dans le dictionnaire, qui fait suivre toutes les entrées liées du même terme générique « élément  ».
Ce travail considérable et unique par sa rigueur et par son ampleur suscite évidemment le questionnement.
Le statut de la variation formelle est problématique et son traitement n'est pas uniforme  : les formes différentes d'éléments liés sont présentées tantôt comme synonymes, ce qui est la théorie
FAC(T)— syn.. ject(u), -(i)fi(c), -urg- ;
tantôt comme variantes
PRAX— Il prend aussi les formes PRACT—, PRAT— et PRAGM— ; ou les deux
FRAC(T)-, syn. fring-. Il prend aussi la forme FRAG- .
Rompre ne se trouve sous RUPT- que comme signifié («  rompre  »), ce qui est différent de  :syn. rompre.
Entre formes libres et formes liées correspondantes, quand elles sont suffisamment proches, on trouve des renvois plutôt qu'une indication de synonymie GRAIN > gran(i), gren-  ; GREN- > grain, syn. gran(i).
Le critère du degré de ressemblance formelle est fragile.
Le traitement de la variation régulière des affixes est difficile dans ce cadre la variation -IER / -ER figure sous -IER (menuis-ier / menuiser-ie) et sous -AIE (palm-ier / palmer-aie) et il y a un renvoi -ER > -IER à la nomenclature  ; mais on a deux entrées -(A)BLE ET -ABII.- distinctes, sans renvoi, et c'est sous -ITÉ qu'on trouvera une remarque liant -able et -abilité. (Le Robert méthodique avait une entrée -AB(I)L-.) Sous flexible, on trouvera inflexible mais pas flexibilité, parce qu'il ne contient pas le mot flexible, mais les éléments flex -ibil--.
223 La question du sens est plus délicate encore. La description de la polysémie des éléments comme GÉN—, LOG—, NOM—, PATH(0)—, est considérablement affinée et éclaire mieux la relation entre sens des éléments et sens des mots complexes qui les contiennent. Mais il n'est pas toujours facile d'en juger. C'est à juste titre sans doute que sécurité n'est plus analysé par SÉ— indiquant la séparation et CUR— « prendre soin, avoir souci de  » (comme c'était le cas dans RAS  ; mais comment comprendre HIÉR(O~ « sacré  » dans hiérarchie (quel rapport pour le locuteur contemporain  ?), ou CHEN— « chien  »dans chenet, en l'absence d'explication 7 Inversement, pourquoi ne pas voir FRAC— « briser » dans naufrage aussi bien que dans fragile  ? Pourquoi comparer patrie et patriarche, mais pas nation et natif  ? Pourquoi ne pas ranger haleter avec inhaler et exhaler  ? Pourquoi segmenter florilège mais pas anthologie, puisqu'on a ANTII— « fleur » (chrysanthème, hélianthe)  ?Etc.
Ces interrogations n'invalident en rien la démarche, et ne la rendent que plus vivante, ouverte, stimulante et productive pour la compétence lexicale. Il ne s'agit pas d'apprendre des listes sclérosées, mais de structurer, c'est-à-dire de mettre en relation. La reconnaissance des éléments par la comparaison des mots entre eux est une clef indispensable ;elle doit être enseignée ;c'est un enjeu de démocratie, d'autant plus que les langues anciennes sont moins enseignées.
« Aujourd'hui, le latin est une langue étrangère, et il faut chercher des règles à l'intérieur même du français.  » (Préface  :VII)
Alise LEHMANN souligne ici même le souci que Josette REY-DEBOVE a toujours eu de l'utilité sociale de ses travaux  ;elle se situe par là dans la lignée de Pierre LAROUSSE, qui fut à l'origine des « jardins des racines grecques et latines  »pour tous, et qu'elle cite dans sa Préface
« l'étude du grec et du latin exige de longues années et de longs loisirs —nous ne parlons pas de la fortune —qui manquent à la plupart des hommes.  »
C'est plus que jamais d'actualité.
Françoise MARTIN-BERTHET
Université Paris 13 — LLI



Monique C. CORMIER et Aline FRANC~UR (sous la direction de) Les dictionnaires Larousse, Genèse et Évolution, Les Presses de l'Université de Montréal, Collection « Paramètres  », 2005, 326 p.
Le 6 octobre 2005 se tenait à Montréal la 2e joumée québécoise des dictionnaires, organisée et dirigée par Monique C. CORMIER, professeur au département de linguistique et de traduction à l'Université de Montréal.
Après avoir consacré une première journée en 2003 à Paul ROBERT et aux dictionnaires Le Robert, c'est au tour de Pierre LAROUSSE (1817-1875) et aux dictionnaires Larousse d'être au coeur de la thématique de ce colloque international riche de nombreuses conférences.
L'efficacité était au rendez-vous, les actes du colloque étant déjà rassemblés et disponibles dans cet ouvrage au titre explicite Les dictionnaires Larousse. Genèse et évolution, correspondant en définitive à une aventure lexicographique et éditoriale de plus de cent cinquante ans.
224 Dans un préface ciselée qui introduit le sujet et nous en présente les différents acteurs, Monique CORMIER nous propose d'établir « un grand tour laroussien en sept points de vue  » du parcours de l'homme et de ses productions, à travers le regard et l'analyse de spécialistes issus de divers domaines, constituant autant d'informations précises aussi bien pour les passionnés de dictionnaires que pour les simples auditeurs curieux d'en savoir un peu plus sur l'un de nos plus éminents lexicographes. Elle y souligne la volonté de saluer un homme dont les oeuvres ont représenté «  un élément constitutif de notre francité  ». Cela afin de commémorer comme il se doit les 100 ans du Petit Larousse illustré, cette journée offrant l'occasion de célébrer l'événement au Québec.
De fait, il semblait extrêmement utile de découvrir à la fois la genèse, l'histoire, l'idéologie et les ouvrages d'un visionnaire de génie (tâches dévolues à Henri MITTERRAND, Jean PRUVOST, Jean-Claude BOULANGER, Monica BARSI et Yves GARNIER), mais de connaître aussi le point de vue des directeurs éditoriaux de la maison Larousse (Chantal LAMBRECHTS, Yves CARNIER), qui nous livrent, entre autres, les « secrets  » de la conception et de la réalisation des dictionnaires. Des spécialistes des sciences de l'art et de l'image (Johanne LAMOUREUX) ainsi que de la physique pure (François WESEMAEL) viennent également apporter leurs analyses sur l'aspect iconographique et scientifique des dictionnaires Larousse.
L'ambition de l'ouvrage, de nature métalexicographique, peut apparaître audacieuse, elle n'en demeure pas moins remarquable  : les contributions de chacun ont effet pour objectif avoué de permettre une vision la plus large et la plus informative qui soit, à partir d'aspects inédits que l'on n'avait pas jusque-là relevés ou même soupçonnés.
Professeur émérite à l'Université la Sorbonne nouvelle et à l'Université Columbia, Henri MITTERAND se propose en ouverture du colloque et donc de l'ouvrage de traiter le thème du rapport entre traditionalisme et anticonformisme dans le Grand Dictionnaire Universel du XL1R siècle de Pierre LAROUSSE. À travers l'étude choisie de trois termes du GDU, en l'occurrence les mots Terreur, ouvrier et sublime, H. MITTERAND nous peint le tableau de l'idéologie intellectuelle, politique, sociale et esthétique du XIXe, fondée sur l'étude rigoureuse et très informative des articles qui leur sont consacrés. Son analyse attentive permet de mettre en relief les convictions exprimées par les rédacteurs, qui témoignent à la fois d'une préservation des traditions, des valeurs morales, et d'une volonté de réformes modernes, ce qui reste très étonnant à une époque où une prise de position trop « révolutionnaire  » ou « exaltée  » s'exposait aisément à la censure et à des sanctions.
À la suite de cet article, Jean PRUVOST, professeur à l'Université de Cergy- Pontoise et directeur du laboratoire CNRS Métadif, retrace l'histoire de Pierre LAROUSSE, homme au parcours hors du commun, à l'origine d'une des plus grandes réalisations et d'un des plus grands succès de l'histoire des dictionnaires.
De son enfance à Toucy à la librairie Larousse, en passant par le métier d'instituteur, c'est toute une histoire jalonnée d'obstacles et marquée par une détermination incbranlable qui se déroule alors. On découvre ainsi un homme certes désireux d'améliorer l'enseignement et de faciliter l'accès aux connaissances, mais aussi un homme réaliste, conscient de l'aspect financier de ses projets, et créateur d'un nouveau métier  : celui d'auteur-éditeur-imprimeur de dictionnaires. C'est l'occasion de découvrir également les travaux de Christian GUILLEMIN que Jean PRUVOST accompagne dans un doctorat. Ainsi, bénéficier des livres de comptes, inédits, des carnets de familles aux précieuses informations, permet en effet de mieux comprendre les démarches très concrètes d'un lexicographe à la fois soucieux d'une culture démocratique et d'une réussite indépendante. On y rappelle utilement par ailleurs combien le Nouveau Dictionnaire de la langue française de 1856 s'inscrit dans les nouveaux marchés offerts par la loi Guizot, en même temps qu'il s'installe dans une France qui parle d'abord un
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dialecte avant la langue français. Ce qu'on oublie toujows dans l'analyse des petits dictionnaires monolingues, proches d'une didactique du français langue étrangère...
On a ensuite confié à Jean Pruvost un second article sw ce qui a précédé l'æuvre de LAROUSSE, en partant de DIDEROT. C'est notamment l'occasion de rappeler l'influence très importante qu'a eu sw Larousse le succès de l'Encyclopédie de DIDEROT et d'ALEMBERT, succès qui le confortera dans un projet qu'il a su faire mûrir  : le Grand Dictionnaire Universel du XIX` sièc%. D'une certaine manière, l'expérience éditoriale et intellectuelle propre à l'Encyclopédie préparait, d'une part, le public à la lecture d'une nouvelle grande oeuvre, tout en offrant une expérience éditoriale dont Larousse sauva tirer parti.
Le chapitre historique se poursuit avec la contribution de Jean-Claude BOULANGER, professeur à l'Université de Laval Ce dernier retrace en effet les origines des dictionnaires pédagogiques, remontant jusqu'au troisième millénaire avant Jésus- Christ (ce qui nous rappelle qu'il est l'auteur d'un livre magistral sur Les inventeurs de dictionnaires, Presse d'Ottawa, 2003), et il nous livre leur histoire tout au long des siècles, en mettant notamment en évidence la forte concurrence qui régnait sur ce créneau, dès le XIX`. Cependant, cette concurrence laissera place durant plusieurs décennies à l'hégémonie laroussienne et il importe de souligner la véritable industrie qui se créera autow des dictionnaires d'apprentissage.
Dans la continuité de cet exposé, Monica BARSI, professeur à l'Université de Milan, nous entraîne dans le chemin pédagogique propre à Larousse, en nous présentant ses diverses méthodes d'apprentissage de la langue aux élèves et aux femmes, ainsi que les différents ouvrages de lexicologie dont LAROUSSE est l'auteur et le promoteur, ouvrages qui permirent aux maîtres d'effectuer un véritable bond en avant dans l'efficacité de lew enseignement.
Le volet consacré aux dictionnaires d'apprentissage Larousse est ensuite assuré par Chantal LAMBRECHTS, directrice du département Langue française et Périscolaire de la maison Larousse. Elle nous dévoile alors la gamme des dictionnaires destinés aux plus petits, mais aussi aux enfants de l'école primaire et aux adolescents, en énumérant les critères, les fonctions et les méthodes retenus dans l'élaboration de ces ouvrages, qui répondent, on le conçoit aisément, à un usage exigeant, impliquant une forte responsabilité de la part de leurs conceptews.
Avec François WESEMAEL, professeur de physique à l'Université de Montréal, et son père Roland WESEMAEL, retraité de la fonction publique canadienne, c'est un regard original voire inédit qui nous est offert, puisque ces derniers se sont employés à établir une étude comparative de quelques termes scientifiques de physique, choisis entre l'édition du Nouveau Petit Larousse illustré de 1955 et le Petit Larousse de 2005, l'intérêt étant d'observer les changements apportés aux définitions, aux images et aux mots nouveaux intégrés dans la nomenclature parallèlement à l'évolution des connaissances et du progrès technique. Ils constatent une réelle amélioration dans la qualité des définitions, plus précises, plus concises ou plus expansives selon les mots, et un véritable effort de satisfaire aussi bien le profane que (e spécialiste.
Johanne LAMOUREUX, professeur et directrice du département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques àl'université de Montréal, nous fournit quant à elle des informations précieuses sur la place, la nature, l'utilisation, l'évolution et la fonction de l'image dans le Petit Larousse entre 1906 et 2005, notamment dans le rapport entre la photographie et le dessin, tout en soulignant pour l'une la valeur indicielle, singulière, et pour l'autre la valew analogique, symbolique. Cette communication est particulièrement heureuse au moment où l'illustration dictionnairique connaît un regain d'intérêt dans la filière des travaux conduits à cet égard par Jean PRUVOST et par Thora VAN MALE qui en est devenue la grande spécialiste.
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Après avoir rappelé les étapes historiques les plus marquantes du Petit Larousse illustré, de la naissance de la librairie Larousse et Boyer en 1852 au Petit Larousse 2005, Yves CARNIER, directeur du département Encyclopédies aux éditions Larousse, nous dresse un état complet de la question relative à la part des francophonismes dans ce dictionnaire millésimé. Il met en évidence, chiffres et analyses à l'appui, une volonté réelle d'offrir la meilleure représentation qui soit des français parlés dans le monde, en enrichissant chaque année un peu plus la nomenclature du dictionnaire de termes issus de nombreux pays francophones et des régions de France. Cette description et cette analyse sont d'autant plus intéressantes qu'elles sont conduites avec beaucoup d'objectivité.
Au total, autant de points de vue originaux, exposés avec précision, dans un ouvrage dans lequel le lecteur a, de surcroît, la surprise très agréable de découvrir des textes inédits non présentés durant le Colloque (De Diderot à Pierre Larousse, J. PRUVOST), confèrent à ce volume la valeur d'une excellente référence qu'il faut désormais impérativement consulter dès que l'on s'intéresse à l'eeuvre laroussienne. À cet égard, on n'oubliera pas les « Éléments de bibliographie sur Pierre Larousse, son oeuvre et les dictionnaires Larousse  » , établis par Marie BRISEBOIS et Chantal ROBINSON, contribution savante qui représentent un outil désormais incontournable pour qui oriente sa recherche sur Larousse et son oeuvre. L'ensemble de ces articles nous permet de mieux cerner, tantôt en diachronie, tantôt en synchronie, l'épopée d'une maison internationalement connue et reconnue, reflet indéniable d'époques diverses et de l'évolution d'une langue en perpétuelle mutation.

Khalid ALAOUI
LDI (LLI et Métadif)
Université de Cergy-Pontoise


Monique C. CORMIER, Aline FRANC~UR et Jean-Claude BOULANGER (sous la direction de), Les dictionnaires Le Robert  : Genèse et évolution, Les Presses de l'Université de Montréal, Collection « Paramètres  ». 2003, 302 p.

Après les Journées des dictionnaires de Cergy-Pontoise dues à l'initiative de Jean
PRUVOST, les lexicologues, lexicographes, métalexicographes, et bien d'autres encore
qui s'intéressent aux dictionnaires, doivent, depuis 2003, ajouter à leur calendrier la
Journée québécoise des dictionnaires de Montréal, tous les deux ans, créée à l'initiative
de Monique CORMIER. Aux organisateurs de la première de ces Journées revient le
mérite d'avoir innové en réunissant des experts des dictionnaires Le Robert autour de la
thématique  : Les dictionnaires Le Robert  : du rêve à la réalisation. Les actes de ce
colloque, Les dictionnaires Le Robert  : Genèse et évolution, constituent donc un ouvrage
collectif de référence, complété par une bibliographie très utile distinguant les
monographies et articles et les dictionnaires (p. 281-295). La photographie de la
première de couverture est en elle-même éloquente, regroupant dans les locaux du
Robert à Casablanca Paul ROBERT, Georges CIIETCUT[, un ami de jeunesse qui, en
1949, devient son premier collaborateur permanent, Alain REY, qui le rejoint en 1952,
Josette REY-DEBOVE, en 1953, et l'épouse de Henri COTTEZ, lui-même arrivé en 1954.
Le choix des dictionnaires Le Robert résulte de la convergence de plusieurs
observations  : la place de plus en plus importante des ces dictionnaires dans la vie des
Québécois, l'absence d'étude large sur le sujet, l'intérêt de tout temps portée par le Québec
à la langue française et à la contribution à l'aménagement du français québécois par
« deux géants contemporains de la lexicographie et de la terminologie  », Josette REY-
DEBOVE et Alain REY. L'idce d'un « monument » dressé en hommage à l'oeuvre de Paul

227 ROBERT, « des premiers tâtonnements du fondateur jusqu'à la magistrale prise en charge de l'héritage robertien par Josette Rey-Debove et Alain Rey  » , s'est en quelque sorte imposée aux initiateurs. Mais ce volume est avant tout la première pierre de ce qui devra constituer la mémoire d'un des grands lexicographes du XX` siècle, qui, à l'image de plusieurs de ses prédécesseurs (LITTRÉ, LACHÂTRE, LAROUSSE...), multiplia les talents, à la fois orateur, bâtisseur, pédagogue, récolteur de fonds, éditeur.... Il était temps de mettre un terme à « l'hémorragie mémorielle qui commençait à menacer le célèbre fondateur  », pour reprendre les propos de Danielle CANDEL, qui, très concrètement, montre que nombre de données précieuses pour reconstituer l'histoire du Petit Robert (notamment les chiffres de vente) sont, hélas, déjà perdues. Les textes ici rassemblés réussissent à rendre compte de la richesse et du foisonnement qui rendaient a priori réductrice toute tentative d'approche panoramique de l'aeuvre. Témoignages autobiographiques, témoignages de la critique contemporaine, témoignages des dictionnaires eux-mêmes sont ici autant de manières de l'appréhender pote en traduire à la fois la diversité et la cohérence.
Une place de choix revient à l'approche biographique. Le recueil s'ouvre sur une véritable monographie, « Paul Robert  : de la passion des mots au grand architecte de la lexicographie  » (p. 14-87), son auteur, Jean PRUVOST, reprenant une métaphore qui lui est chère quand il évoque les grands lexicographes, tel, ailleurs, Pierre LAROUSSE. Le texte allie une connaissance précise et riche du lexicographe et un style enlevé, où l'on devine, derrière les mots, beaucoup de la passion même de l'auteur. Il nous donne ici ta première synthèse biographique de Paul ROBERT, qui sera d'autant plus précieuse que de nombreux écrits autobiographiques demeurent aujourd'hui confidentiels ou difficilement accessibles. Et l'on se dit, à lire les pages de J. PRLJVOST, que rééditer Au fil des ans et des mots 1. Les semailles (1979), 2. Le grain et le chaume (1980), publiés chez Robert Laffont, et les Aventures et mésaventures d'un dictionnaire (1966) publié par la Société du Nouveau Limé, satisferait l'utile et l'agréable. Ajoutons à ces ouvrages autobiographiques l'«  article-signature  » de vingt-et-une lignes du Dictionnaire universel des noms propres (Le Robert 2, 1974) agrémenté d'une photographie en couleurs
«  Ce petit texte représente la plus petite autobiographie d'une autobiographie gigogne à trois niveaux.  »
Le portrait passionnant et passionné de Paul ROBERT que dresse Jean PRUVOST est celui d'un homme complet, qui, à travers ses souvenirs et la rédaction d'un dictionnaire,
«  [fait] oeuvre de mémoire, [rend] hommage aux mots et aux personnes qui donnent vie, et ce, en toute honnêteté chaleureuse.  »
Son parcours, exceptionnel, s'inscrit dans une double vision, celle du passé et celle de l'avenir.
Alain REY s'attache à souligner l'apport considérable de Paul ROBERT
«  La renaissance du dictionnaire de langue française au milieu du XX` siècle  : Une révolution tranquille  » (p. 88-108).
Sa « révolution  » a consisté à «  mêler à la description linguistique du vocabulaire français un aspect onomasiologique àvocation pédagogique  ». Les dictionnaires Le Robert furent ainsi, dans les années 1950, après une éclipse d'une cinquantaine d'années, à l'origine de la renaissance de « véritables dictionnaires de la langue française  ». Au Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française revient donc l'originalité d'intégrer ces deux dimensions distinguées par SAUSSURE mais complémentaires pour toute description du lexique  : la diachronie et la synchronie. Cette nouvelle description lexicographique permit de refléter certaines prises de conscience langagières, ce qui exigea une mise à jour
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annuelle, grande originalité du PR par rapport aux autres dictionnaires. L'article de Josette REY-DEBOVE, «  La philosophie des dictionnaires. Le Robert ou les chemins de l'intelligible » (p. 100-109) complète cette grande aventure de la création d'un nouveau type de dictionnaire, mettant l'accent sur la reconnaissance dont bénéficia alors le français parlé (PR a été «  le premier dictionnaire à reconnaître l'oral  »), sur la prise en compte de l'usage (et pas seulement du « bon » usage). Les corpus de travail furent élaborés selon de nouveaux critères, la rigueur des définitions fut mise à l'épreuve d'une théorie sémantique, l'exemplification établie selon deux modes (pris en corpus ou créés par le rédacteur). Enfm ce travail lexicographique conduisit à la théorisation du métalangage linguistique dont J. REY-DEBOVE fut la pionnière.
Appréhender une oeuvre, c'est aussi se resituer dans le contexte de son époque et analyser le discours sur les dictionnaires. C'est ce que fait Danielle CANDEL dans son article « Une vision de la langue en 1967 : le premier Petit Robert et ses lecteurs  » (p. 110-132). Dans l'analyse qu'elle a menée, notamment à travers les articles de presse contemporains de la parution, elle s'attache à la fois à la réception du dictionnaire et de ses rapports avec ses principaux « concurrents  » (le Grand Robert, le Littré, le Petit Larousse, le Dictionnaire du français contemporain, le Dictionnaire de l'Académie). Cette étude possède également le mérite d'avoir mis à jour une lacune que le présent ouvrage devrait concourir à combler  : la pauvreté des archives d'«  une maison d'édition résolument tournée vers le futur.  ». Le PR apparaît, dans ces discours, comme un dictionnaire condensé, mais original et innovant, d'une consultation aisée, excellent par ses définitions. C'est aussi un dictionnaire où les marques d'usage sont bien marquées, où la néologie est bien intégrée, où un rôle important est accordé à l'analogie, où les citations sont tournées vers l'avenir, où la description de la langue est claire, précise et structurée.
Parmi les lecteurs, l'écrivain a évidemment beaucoup à nous dire des dictionnaires. C'est pourquoi il a trouvé tout naturellement sa place dans ce recueil, avec l'article de Monique LA RUE, « L'écrivain et le dictionnaire » (p. 131-144). Mais il est sans doute encore plus intéressant de voir comment le dictionnaire peut aussi être mis à l'épreuve dans un domaine scientifique. Pour ce test, François WESEMAËL et Roland WESEMAËL ont choisi d'analyser, à partir d'un échantillon lexical emprunté à l'astronomie, « L'expression de la science en astronomie » (p. 145-156). Cette étude les conduit à un regard scientifique positif sur le PR, malgré l'existence de lacunes inhérentes à un dictionnaire non spécialisé et quelques insuffisances définitoires.
Jean-Claude BOULANGER, Aline FRANC~UR et Monique C. CORMIER, dans un article intitulé «  Le Petit Robert par lui-même  : de l'ombre à la lumière » (p. 157-188) abordent une autre dimension du dictionnaire, celle de la circulation des mots dans la langue. Une analyse minutieuse des éditions de 1967, 1977 et 1993, choisies parce qu'«  elles s'inscrivent dans des écologies linguistiques et sociales fort différentes  », leur permet d'affirmer que « PR est un dictionnaire qui bouge  ». Entre les deux refontes, chaque nouveau tirage a ses ajouts, ses retraits et ses ajustements. Ce sont ces trois domaines qu'explorent les auteurs (le tirage de 1983, par exemple, est l'occasion d'une révision et d'un enrichissement des québécismes). L'étude d'un corpus de lexèmes est confortée par l'examen des textes d'introduction. Cette évolution est liée, entre autres, au public destinataire  :ainsi l'édition de 1967, qui fait preuve d'une grande prudence par rapport aux emprunts, néologismes et anglicismes, aux lexèmes « vulgaires  », aux marques déposées, dans le souci d'une certaine « pureté » de la langue. L'édition de 1977 s'adresse plutôt au grand public  : s'ouvrant plus largement au lectorat francophone, elle accueille plus volontiers les différents registres de la langue ainsi que les « officialismes, les néologismes («  aménagés  » comme « spontanés  »), les technolectes... Mais sa grande originalité est l'ouverture aux régionalismes, aussi bien aux formes hexagonales qu'aux formes
229 périphériques (canadianismes, belgicismes, helvétismes, etc.). Cette évolution révèle une autre des principales caractéristiques du PR
«  Ce sera l'un des mérites du PR que de réduire l'écart entre le contenu des dictionnaires et le langage vivant.  ».
Le Nouveau Petit Robert (1993) marque la fin d'une époque et s'ancre réellement dans l'avenir. Avec un accroissement de plus de deux cents vingt pages, ce nouveau dictionnaire accueille largement les emprunts faits aux autres langues et s'oriente vers l'internationalisation des cultures et du lexique. L'ensemble même du dictionnaire est revu. L'une des grandes nouveautés est l'intérêt pour la formation des mots, hérité du Robert méthodique. Ajoutons enfin que les auteurs mettent en valeur l'intéressante lecture qu'il est possible de faire, à travers le mouvement des mots dans le dictionnaire, de la société et de son évolution.
C'est également à la variation du français que s'intéresse Claude POIRIER. Dans sa contribution, « Variation du français en francophonie et cohérence de la description lexicographique » (p. 189-226), il développe l'histoire de la problématique de l'intégration du français hors de France, notamment au Québec. L'auteur propose une réflexion sur le meilleur moyen de « s'appuyer sur un dictionnaire de référence commun  ». En 1960, date à laquelle apparaît le mot francophonie (terme créé en 1880 par le géographe ONÉSIME (et non ONÉZIME  !) Reclus), l'intérêt pour la variation du français était quasiment inexistante. Les régionalismes de France avaient rencontré peu d'intérêt, malgré une ouverture favorable ébauchée dans le Littré et quelques travaux publiés au XIX` siècle. L'entrée des mots du français hors de France dans les dictionnaires s'est faite essentiellement sous l'impulsion d'A. REY et J. REY-DEBOVE, qui ont permis aux dictionnaires Le Robert de se démarquer dans ce domaine dès la fin des années 1970.
L'article de Jean-Claude CORBEIL, «  La contribution de Josette Rey-Debove et d'Alain Rey à l'aménagement de la langue au Québec  » (p. 263-279), note le rôle déterminant que ces lexicographes ont joué, par leur réflexion scientifique, mais aussi par leurs publications, leurs participations à des colloques et rencontres, dans les domaines de la terminologie, de la néologie et des emprunts, ainsi que dans celui de la lexicographie.
C'est à une analyse plus concrète que se livre Michaela HEINZ  : celle de l'évolution des « locutions figurées dans le Nouveau Petit Robert » (p. 227-245), apparues dans le Nouveau Petit Robert depuis une décennie —étude dont elle livre les premiers résultats. L'évolution de ces locutions (avoir tout bon, suivre le fil rouge, avoir pignon sur rue...) mérite d'être analysée finement. Elle contribuera à donner c une épaisseur historique insoupçonnée  » à l'ensemble de l'eeuvre.
Nous avons retenu, pour conclure, le titre de l'article de Franz Josef IiAUSMANN
« Beaucoup de splendeurs, peu de misères  :bilan sur les dictionnaires Le Robert » (p. 246-262).
C'est la gamme complète des dictionnaires édités par Le Robert, y compris les usuels et les bilingues, que l'auteur passe en revue, y détectant la moindre imperfection à travers des exemples concrets. Les conclusions sont cependant des meilleures  : une étroite collaboration entre la théorie et la pratique, la prise en compte d'une culture très complète font de ces dictionnaires des ouvrages remarquables. Il ne reste aux Robert qu'un défi à relever  :celui du dictionnaire électronique élaboré comme tel dès sa conception.

Christine JACQUET-PFAU
Collège de France
et laboratoire CNRS Métadif (LDI)