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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    2003 – 2, n° 83
    . varia
  • Auteurs : Leca-Tsiomis (Marie), Ansalone (Maria Rosaria), Pruvost (Jean)
  • Pages : 197 à 211
  • Réimpression de l’édition de : 2003
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812443350
  • ISBN : 978-2-8124-4335-0
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4335-0.p.0201
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS



Jean-Claude WAQUET, La Conjuration des dictionnaires. Vérité des mots et vérités de la politique dans la France moderne. Presses universitaires de Strasbourg, 2000, 265 p.
Les historiens des idées, et en particulier ceux de la philosophie politique, ont beaucoup à gagner s'ils consentent à détourner un moment leurs regards des "grands eeuvres" et à les porter sur ces modestes enregistreurs de l'usage que sont les dictionnaires. De cette vérité encore peu établie J.-Cl. WAQUET vient d'apporter une éclairante démonstration dans un ouvrage consacré à l'étude de quatre mots «  à problèmes  »  : cabale, conspiration, conjuration et complot. Quels sens furent donc attribués, entre le XVI` et le XVIII` siècles, à ces quatre "synonymes" menacés sans cesse de confusion, et qui constituèrent visiblement un tourment pour les lexicographes  ?
L'analyse est appuyée sur un riche corpus et couvre un temps qui va du dictionnaire de Robert ESTIENNE jusqu'à celui de FÉRAUD, en passant par ceux de NICOT, MONET, RICHELET, FURETIÈRE, de l'Académie, par les Dictionnaires universels de Trévoux dans leurs éditions successives et par le Grand vocabulaire français édité par Panckoucke. Il est également fait ample recours à de multiples eeuvres littéraires et politiques de la période, fournies par la base Frantext, ainsi qu'à différentes études de lexicographie et de grammaire des XVII` et XVIII` siècles. Au passage, formulons un regret  :que l'Encyclopédie soit absente du corpus étudié tandis qu'elle est, soulignons-le, un très important dictionnaire de langue (d'ALEMBERT y fut d'ailleurs l'auteur de l'article de synonymes « Conspiration, Conjuration » ), auquel le Grand vocabulaire et le dernier Trévoux sont largement redevables.
La première partie de l'ouvrage, qui vise à « décrire la confusion originelle que le dictionnaire se propose d'ordonner » (p. 57), étudie les sens et les occurrences comparés des quatre mots selon les genres littéraires et leurs rhétoriques, pour en suivre ensuite l'emploi dans le discours mémorialiste (Mémoires de MONTGLAT, de RICHELIEU). De fait, on parvient à une véritable cacophonie si l'on tente de saisir les sens en se référant à l'usage de ces mots dans les textes, usage versatile, contradictoire, qui semble échapper à toute description stable. Si les signes égarent, qu'en est-il alors des choses désignées  ? De la "conjuration" d'Amboise à la "conspiration" de Chalais ou à la "cabale" des Importants, l'auteur examine alors les évènements eux-mêmes, montrant que, tout autant que leurs dénominations, ces épisodes furent eux-mêmes indéfinis, avant d'être artificiellement fixés sous les termes différenciés que leur ont attachés les simplifications historiennes. La seconde partie de l'ouvrage présente, elle, « l'illusoire clarté des
Cah. Lexicol. 83, 2003-2, p. 197-211
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dictionnaires  ». La cacophonie, cette fois, « n'est plus située dans la langue mais dans l'explication des termes qui la composent » (p. 134)  : en effet, quel que soit l'effort de mise en ordre selon "l'usage", les définitions lexicographiques constituent de véritables "prescriptions" morales et politiques, tout autant que linguistiques, les lexicographes projetant leurs jugements et, en dernière analyse, leur "intime conviction" sur les mots. Il restait donc, en dernière partie, à se tourner vers «  la discrète officine des vérités précaires  », c'est-à-dire vers les lexicographes eux-mêmes et vers l'atelier où s'élabore le dictionnaire  :ouvrages issus du plagiat, de l'emprunt, de la réécriture, les dictionnaires ont cependant des auteurs et ceux dont il est question ici, rappelle J.-Cl. WAQUET, furent, sauf exception, « des amis du roi  ». De là, une étude des « vérités de la politique  », qui montre plus largement ce qui a pu différencier des ouvrages comme ceux d'E$TIENNE et de MONET, qui perpétuent, avec la référence latine, une vision cicéronienne de la république, de ceux de RICHELET, de FURETIÈRE ou de l'Académie, où s'affirment, sous Louis XIV, une conception de la politique centrée sur l'État. De ces vérités contradictoires mais légitimées par l'autorité du dictionnaire, J.-Cl. WAQUET fait surgir une ultime « conjuration  », celle des lexicographes eux-mêmes réunis pour attenter « opiniâtrement à l'indomptable liberté des mots  »...
L'ouvrage avance par une série d'hypothèses d'étude, qui parviennent chaque fois à des conclusions que le chapitre suivant vient remettre en cause ou questionner autrement, en un dépassement constant des positions acquises. Cet usage maîtrisé de la désorientation est un choix judicieux qui en même temps déconcerte et relance l'intérêt de cette lecture  : décentrement du propos, modifications de l'angle d'observation, l'adéquation ainsi réalisée entre sujet et objet est une autre des réussites de cet ouvrage à la fois étourdissant et lumineux que complète une abondante bibliographie.

Marie LECA-TSIOMIS
Université Paris-X



Les dictionnaires de langue française. Dictionnaires d'apprentissage. Dictionnaires spécialisés de la langue. Dictionnaires de spécialité, sous la
direction de Jean PRUVOST. Paris, Champion, 2001, 331 p., "Bibliothèque de l'Institut de Linguistique française. Études de lexicologie, lexicographie et dictionnairique", 4.
Ce volume regroupe différentes études, présentées par des spécialistes de renommée internationale, en trois sections  : les dictionnaires d'apprentissage de la langue et de son vocabulaire (majoritaire en nombre et longueur des contributions) ;les dictionnaires spécialisés de la langue (qui en étudient un aspect particulier, orthographe, analogie, étymologie) ; les dictionnaires de spécialité, très proches du domaine de la terminologie, en langue maternelle et dans le contrastif.
Depuis 1994, Jean PRUVOST organise avec succès les « Journées des dictionnaires » à l'Université de Cergy-Pontoise  :dans sa Préface (p. 9-12) il rappelle comment la métalexicographie a su réunir lexicographes et lexicologues, linguistes passionnés par l'étude du vocabulaire et par l'élaboration des dictionnaires, avec notamment la distinction à faire entre la lexicographie et la dictionnairique, une dichotomie due à B. QUEMADA et qui est devenue indispensable depuis l'avènement de l'informatisation.
203 L'impression finale— à relater avant d'entrer dans le détail— est que l'état de santé du secteur, parmi les plus caractérisants de la production culturelle française, est excellent, même en ces temps de métamorphoses technologiques (c'est d'ailleurs ce que Bernard QUEMADA a su transmettre à mes étudiants lors d'une conférence à l'Université de Naples  :jeunesse d'esprit et ouverture aux nouveautés, conjuguées avec la solidité de la tradition française d'étude et d'«  illustration  » de sa langue  !).
Pierre CORBIN, spécialiste de l'iconographie dictionnairique, ouvre la section I, en parcourant le vaste — souvent incontournable — territoire des productions prédictionnairiques, dans « Des imagiers aux dictionnaires. Cadrage d'un champ de recherche » (p. 15-58) avec une très importante bibliographie (p. 58-66)  : le foisonnement des publications, la diversité de leurs typologies et des éditions, de France ou francophones, s'ajoutent à la difficulté de cerner la frontière entre prédictionnairique et paradictionnairique... Mais l'obstination de l'auteur aboutit bien à «  un article de fondation » (p. 56), susceptible d'une profusion de recherches potentielles, avec à leur centre le rôle de l'image à reconsidérer aussi dans les produits dictionnairiques eux- mêmes.
Jean PRUVOST étudie ensuite, depuis leurs premiers développements, les dictionnaires monovolumaires d'apprentissage («  Les dictionnaires d'apprentissage monolingues de la langue française 1856-1999. Problèmes et méthodes  », p. 67-95) et met en relief les fmalités de ce genre particulier qui doit conduire le jeune utilisateur à l'autonomie en lui offrant une efficace description des mots et de l'usage. Condensant d'abord les gros dictionnaires plurivolumaires pour adultes, ces dictionnaires monovolumaires seront, au fil de l'histoire, progressivement calibrés sur le public à qui ils sont destinés, à travers notamment d'opportuns choix méthodologiques et linguistiques. Les dictionnaires d'apprentissage s'assimilent très clairement, dans la seconde moitié du XX` siècle, à des dictionnaires de langue (chez Larousse dans le domaine de ]'illustration et donc de l'encyclopédique  ;chez Hachette à sa suite  ; chez Robert, plus tardivement) permettant le passage d'«  une dictionnairique florissante de la réduction » (1856-1948) à « une lexicographie conquérante  », (1949-2000), dont l'auteur examine en profondeur les jalons fondateurs, sans sacrifier les devoirs de l'exhaustivité et sans oublier non plus la redécouverte d'une approche sémantique propre à cette toute première partie du XXI` siècle, « grâce aux liens hypertextes et à une nouvelle dynamique des recherches croisées, sans oublier la synergie sensitive propre aux multimédia  » (p. 93).
Très concise et incisive est la réflexion de Josette REY-DEBOVE qui présente « quelques utopies lexicographiques concernant l'apprentissage des langues  » (p. 97- 103)  :l'utopie de la séparation « des mots et des choses  »censée faire la distinction entre dictionnaire de langue et encyclopédique ;l'utopie de la séparation des mots du lexique et des noms propres, de la francophonie, de l'interventionnisme, que ce soit dans la direction du normatif ou dans celle du créatif. Ou encore, et à l'inverse, l'utopie du dictionnaire « observatoire de la langue  », conçu comme une description vraiment objective, là où le dictionnaire ne décrit en fait que la norme linguistique. Est aussi une utopie la revalorisation de l'oral contre l'institution scolaire, centrée sur l'«  écrit écrit (lettres) » ou tout au plus sur l'«  écrit oralisé (sons)  »  ;c'est une utopie également que de croire qu'il n'y pas de langue, pas de système (pauvre Saussure  !), mais uniquement « des discours  » et donc pas de définitions, seulement des exemples phrastiques, considérés comme des unités naturelles, avec l'illusion d'une grammaticalisation du lexique à partir des phrases (voir les expériences de Jean DUBOIS et Maurice GROSS). Et, pour finir, Josette REY-DEBOVE évoque l'utopie consistant à vouloir récupérer l'étymologie au profit de la morphologie lexicale pour expliquer les « mots construits  ».
204 Sans plonger dans le pessimisme, l'auteur propose une ouverture en vue d'un abandon ou d'une reprise de ces certitudes devenues quelque peu des lieux communs chimériques.
La contribution suivante («  Un dictionnaire d'apprentissage du français  », p. 105- 113) est signée par Jacqueline PICOCHE et ses deux collaborateurs du Dictionnaire du français usuel, qui proposent d'abord un Historique de l'entreprise, en insistant sur ses bases théoriques (les études statistiques d'Étienne BRUNET, la psychomécanique de Gustave GUILLAUME, la notion d'actant formulée par Lucien TESNIÈRE), pour entrer ensuite en matière avec la description de l'ouvrage (macrostructure et microstructure) «  un peu déroutant au premier abord  » (p. 113) pour l'utilisateur. Les quelques pages très intéressantes qui sont reproduites témoignent de cet aspect novateur  : on en trouvera un très bon « mode d'emploi  » dans le manuel La Didactique du vocabulaire qu'elle a publié chez Nathan en 1993 et qui a constitué le point de départ d'un travail de huit ans, actuellement paru chez Duculot (2002).
Robert GALISSON, quant à lui, déplace l'accent sur l'interaction entre langue et culture en présentant « Une dictionnairique àgéométrie variable au service de la lexiculture » (p. 115-138), qui reprend le Dictionnaire de noms de marques courants (à l'usage de publics étrangers désireux d'accéder à une forme médiatique de lexiculture ordinaire) qu'il a conçu avec Jean-Claude ANDRÉ, ouvrage publié par l'INaLF, CNRS, 1998. Il met en évidence «  la plasticité didactique  », ainsi que la singularité et la diversité « des lieux de dépôt et d'exploitation de la culture dans la langue  » (p. 115). La notion de lexiculture concerne en fait la culture mobilisée et actualisée dans les mots et autres unités lexicales des discours dont le but n'est pas l'étude de la culture pour elle-même
culture expérientielle et non institutionnelle, acquise dans l'interaction sociale. Par cet « outil intermédiaire approprié  » (p. 117), on découvre que la stabilité des noms de marque les plus courants est majeure par rapport au caractère fragmentaire des documents authentiques et qu'elle permet à l'utilisateur « une liberté, une responsabilité, une dignité qui dopent sa créativité et le font participer plus intimement à l'appropriation du savoir » (p. 133). Mais est-on sûr que des apprenants étrangers (on parle surtout de Chinois ou d'Africains) sachent reconnaître dans l'Ajax ou la Clio des origines mythologiques ou gréco-romaines, comme les questions-réponses d'exploitation le proposent ? Et pourquoi citer dans la culture « d'importation »Buitoni pour les pâtes italiennes plutôt que Barilla  ? ou Benetton plutôt qu'Armani  ?Lieux communs et clichés vont avoir beau jeu dans le choix des noms de marque à élire en « vedettes  », mais c'est ici la richesse et non seulement la limite d'une approche lexiculturelle. La présence de bien des marques non françaises laisse perplexe (de «  Grunding  » à «  Guiness  » et «  Harley Davidson  »), mais elles se justifient par la destination à un public «  extra- communautaire  » et non occidentalisé.
Monique CORMIER, Catherine OUIMET et Jean-Claude BOULANGER réfléchissent, ensuite, sur le « politiquement correct  » ou la « rectitude politique  », deux adaptations du néologisme anglais «  politically correct  », encore rebaptisé par eux « néobienséance  » c'est-à-dire « une stratégie de restrictions, d'inhibitions et de censure fondée sur un idéal d'équité sociale et exercée par un microgroupe afin d'influencer la pensée de toute la collectivité par le biais du langage et, dans son prolongement, du dictionnaire  » (p. 141). Ainsi, «  à propos de la néobienséance dans les dictionnaires scolaires  : les prénoms dans les exemples  », p. 139-168), quatre dictionnaires d'apprentissage —dont deux du domaine de la francophonie —sont mis en comparaison pour y étudier aussi bien le pourcentage de présence masculine et féminine dans le choix des prénoms dans les exemples (forgés), que d'autres éléments susceptibles d'orienter la vision du monde du jeune utilisateur. De nombreux tableaux très recherchés, rapportant des données statistiques, ainsi qu'une riche bibliographie complètent cette contribution originale, mais qui, en même temps, s'enracine fortement dans le réel, comme lorsqu'on
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observe que les prénoms les plus répandus —Pierre, Jean, Jacques, etc. —sont associés par les jeunes consultés à des « vieux  » —parents et même grands-parents — et « que ce n'est pas comme cela que s'appellent leurs amis  » (p. 150).
Dans « Une approche du dictionnaire étymologique du collégien à l'adulte  » (p. 169-172), Raymond JACQUENOD examine la possibilité de diffuser l'approche étymologique du vocabulaire dès le collège et de susciter et en maintenir l'intérêt aux yeux des adultes non-spécialistes. Il présente ainsi le Nouveau dictionnaire étymologique. L'origine de 20 000 mots français (chez Marabout), qui bannit toute prétention à l'exhaustivité et filtre le plus possible les inévitables pré-connaissances requises. Le recours au récit, à l'anecdote, au fait de civilisation, à l'allusion aux autres sciences —suivant la méthode de Pierre GUIRAUD — assure, à la fin, le plaisir des jeunes et des moins jeunes.
Quatre contributions constituent la section II consacrée aux dictionnaires spécialisés de la langue et la quatrième semble la mieux insérée dans le domaine de la lexicographie. En effet, Daniel DELAS y milite « Pour un dictionnaire analogique moderne  » (p. 215-229), non seulement pour défendre son Dictionnaire des idées par les mots et des mots par les idées (Colin, 1977) —qui hérite ce chiasme du chef de file, Paul BOISSIÈRE, ce dernier ayant toutefois mis au centre les idées dans son Dictionnaire des mots par les idées et des idées par les mots de 1862 —mais aussi pour relancer la question même de l'analogie. En défendant l'idée d'une analogie logique, relationnelle ou fonctionnelle et — pourquoi pas  ? —poétique, en lexicologie et en lexicographie. Je dois avouer à cet égazd que, souhaitant récemment mettre à jour la liste des achats de dictionnaires auprès de ma faculté, il m'a fallu constater avec quelque étonnement que presque rien n'avait été produit dans les vingt dernières années, dans le domaine de l'analogique  ! Ainsi, après un excursus en philosophe très cultivé, Daniel DELAS se demande comment « intégrer dans un dictionnaire de la modernité une rubrique qui serait consacrée à la recherche des traces des relations diagonales et/ou multilinéaires dans le lexique multiculturel d'une époque  », avec par exemple « des expressions imagées venues au français de divers lieux de l'espace francophone » (p. 219). Et sur le rêve de parcourir l'analogie « au triple plan idéologique culturel et poétique » (p. 222) s'achève ce nouveau projet de l'auteur.
Très singulière et pertinente se révèle être la première contribution —revenons-y — où Michel ARRIVÉ s'interroge sur la possibilité (et l'utilité) de concevoir « une grammaire en forme de dictionnaire » (p. 175-183), après s'être « auto-innocenté » de tout soupçon de publicité à l'égard de La grammaire d'aujourd'hui  :guide alphabétique de linguistique française, dont il est l'auteur avec feu Michel GALMICHE et Françoise GADET. Il discute ainsi, lucidement et brièvement, des avantages d'une présentation alphabétique, qui ait su faire en amont le tri des entrées métalinguistiques, renvoyant les unités de la langue-objet à un index final. Personne n'ayant jamais lu en entier un livre de grammaire (si ce n'est pour en préparer un compte rendu), le système des renvois — pratiqués de façon généreuse dans l'ouvrage— reste le seul susceptible de conduire l'utilisateur vers une lecture intégrale.
Lisotte BIEDERMANN-PASQUES nous entretient d'«  un dictionnaire spécialisé d'histoire de l'orthographe française, le DHOF » (p. 186-196), auquel elle a travaillé au sein d'une équipe dirigée par Nina Catach (Larousse, 1995). De très grande actualité, dans notre époque de rectifications de l'orthographe, ce dictionnaire puise ses matériels dans les huit éditions du Dictionnaire de 1 Académie et dans les premiers dictionnaires qui l'ont précédé, pour y suivre l'évolution de l'orthographe sur une base de données d'environ 200 000 formes graphiques. La présentation détaillée des caractéristiques du DHOF, consultable non seulement dans l'ordre alphabétique mais aussi par type de
206 modification ou par paragraphes de synthèse, aboutit à la conclusion qu'il s'agit d'un instrument « adéquat pour mettre au clair la variation et la permanence du vocabulaire français  ». Sa consultation nous laisse surpris « quant à la prétendue fixité de l'orthographe » (p. 194), ce dictionnaire permet notamment de veiller au modèle graphique des mots nouveaux, en ayant le souci de la « veille néologique  ».
Enfin Claude GRUAZ nous propose un approfondissement sur les « Nouveaux aspects théoriques du dictionnaire synchronique de familles de mots français  », élaboré lors de la rédaction de la description de plusieurs centaines de familles de ce dictionnaire (le DISFA). Il s'agit là d'un dictionnaire qui a pour base la notion de famille synchronique comme « ensemble de mots construits sur une souche lexicale, qui ne sont pas en rupture sémantique avec celle-ci et qui, en règle générale, appartiennent à la même famille étymologique  » (p. 199), notion qui rentabilise en égale mesure l'aspect lexical et l'étymon, de façon à ce que la sélection des mots retenus dans une famille synchronique se fasse par l'application de différents filtres (étymologique, sémantique, formel) dans un ordre théoriquement indifférent. En conclusion, l'auteur rappelle avoir entrepris, dans le cadre du programme Eurolexique, la constitution de dictionnaires de familles synchroniques de mots de l'espagnol, de l'allemand, de l'italien et de l'ukrainien, dans la perspective d'une recherche contrastive, à la fois formelle et sémantique, de ces langues.
Loïc DEPECKER ouvre la section III, consacrée aux dictionnaires de spécialité, avec « Les vocabulaires spécialisés  : nouvelles perspectives d'aménagement » (p. 225-229), visant à dégager les perspectives que l'utilisation d'Internet laisse entrevoir pour les terminologies. Et cela dans le cadre de l'expérimentation France-langue, qu'il a menée à la Délégation générale à la langue française, sur une idée conçue initialement par les chercheurs de l'Université de Rennes II. Le système question-réponse, un fichier de questions vives et les données en ligne transforment radicalement la diffusion et la constitution même de ces vocabulaires, préfigurant l'émergence d'un nouveau type de dictionnairique active (évoluant de façon permanente), interactive (objet de débats permanents) et réactive (contenus discutés et critiqués tout au long de leur élaboration). Au point que l'on peut estimer l'objet dictionnaire comme en train de disparaître et que l'on peut envisager un monde où les dictionnaires «  se feraient tout seuls  »  !
André CLAS déplace l'attention sur le domaine du contrastif, avec « Les dictionnaires bilingues de spécialité » (p. 231-245) et il souligne l'importante présence de lexiques spécialisés dans les dictionnaires de la langue commune (en particulier le Nouveau Petit Robert). Il précise aussi la définition d'un dictionnaire monothématique et d'un dictionnaire plurithématique, pour focaliser enfin son attention sur le Dictionnaire compact des Sciences et de la Technique, vol.I français-allemand (1996), vol. II allemand-français (1991) dont il a été le rédacteur et qui appartient à la dernière catégorie. La difficulté à cerner la frontière entre langue commune et terminologie spécialisée, ainsi qu'entre les différents domaines envisagés  ; la nécessité de consulter encyclopédies et ouvrages spécialisés, ainsi que les autres dictionnaires bilingues et multilingues ;les complications apportées par la recherche des équivalences, même dans des domaines à forte dénotation et faible connotation ; l'exigence d'assurer une informatisation du dictionnaire... voilà autant d'éléments qui font de la rédaction d'un dictionnaire un travail de recherche indiscutable, «  en dépit de ce que de nombreux organismes prétendent en qualifiant ces activités de compilation » (p. 242).
Jean-Claude BOULANGER en traitant de « L'aménagement des marques d'usage technolectales dans les dictionnaires généraux bilingues » (p. 247-271) reste dans le contrastif, mais en revenant au dictionnaires généraux  :les marques d'usages font partie du réseau d'étiquetage, et celui-ci, à son tour, représente l'un des quatre types de
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ressources dont dispose le lexicographe pour formaliser la microstructure, les trois autres étant la typographie, les signes de ponctuation et l'appareil diacritique. Sur la base de ces éléments, l'auteur compare — à l'aide d'importants relevés statistiques et de tableaux qui les reproduisent de façon richement élaborée — trois dictionnaires bilingues français- anglais et trois monolingues récents, dans la perspective de l'élaboration d'un dictionnaire bilingue canadien destiné à un public nord-américain. Les textes prédictionnairiques (préfaces, introductions, présentations) et les carnets d'abréviations nous introduisent au coeur de l'article de dictionnaire, assez standard pour ce qui concerne le point d'ancrage des balises. Le point d'arrivée de ces comparaisons est que le nombre de marques est deux fois plus élevé dans un dictionnaire général monolingue, par rapport à un bilingue, qui n'analyse pas le matériel lexical et n'use pas de définitions complètes, de citations, d'exemples, etc. D'où la nécessité de revenir à la consultation d'un monolingue pour obtenir un surcroît d'information sur le signe, y compris sur les indices de son arrimage à un emploi de type spécialisé.
Pour finir, Maurice TOURNIER présente «  Un dictionnaire de fréquences syndicales  » (p. 273-290), né des expériences propres aux syndicats. L'équipe de Saint- Cloud, qui suit d'année en année les congrès nationaux de quatre confédérations syndicales (CGT, CFDT, FO et CFTC), enregistre les débats, archives de presse, tracts et autres documents  : c'est ainsi qu'elle a été chargée d'élaborer un dictionnaire de fréquences syndicales. Après avoir analysé de très près les spécificités statistiques d'un tel type de corpus et du dictionnaire censé les reproduire, l'auteur examine quelques exemples, qui se structurent autour des substantifs «  solidaristes  », montrant l'importance des spécifications contextuelles et la nécessité de bien opérer le passage de l'emploi au sens, car «  le sens des mots les plus neutres en apparence ne peut être valablement défini qu'en situation d'emploi, dans son rapport aux enjeux politiques et historiques qui les impliquent  » (p. 289).
On doit la dernière section à Jean PRUVOST qui nous offre à la fin de l'ouvrage trois précieux index  : un Index des noms propres dans le corps des articles, hors Bibliographies (p. 293-297) ; un Index des mots-thèmes (p. 299-323) ; un Index des ouvrages cités dans le corps des articles, hors Bibliographies (p. 325-331). Il y a là un outil remazquable dont l'exhaustivité garantit à ce livre la valeur d'un véritable outil de travail.
Un livre à lire et à relire. Un livre à consulter. Une oeuvre destinée à faire référence dans le domaine.
Maria Rosaria ANSALONE
Université de Naples Federico II


Jacqueline PICOCHE, Jean-Claude ROLLAND, Dictionnaire du français usuel, 15000 mots utiles en 442 articles. De Boeck, Duculot, Bruxelles, 2002, un volume papier (23 x 24,6 cm ; 1068 p.) et un cédérom achetables séparément. (Site internet  : http://www.deboeck.be/prod/picoche)
De longue date, Jacqueline PICOCHE a su s'illustrer de manière pertinente dans le domaine de la lexicologie, avec notamment des travaux portant sur l'histoire de la langue française et sur le français moderne. L'ouvrage ici présenté correspond de fait au second dictionnaire rédigé par J. PICOCHE, incarnant ainsi l'alliance harmonieuse et heuristique de la lexicologie et de la lexicographie.
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Le premier dictionnaire a été rédigé au début de sa carrière universitaire, au moment où J. PICOCHE concentrait ses recherches sur l'ancien français et sur l'histoire du vocabulaire français avec, pour résonance éditoriale, la publication du Dictionnaire étymologique (collection « Les usuels du Robert  »). La présentation particulière des informations, offertes alors sous la forme de "grappes de mots" réunies autour des différents étymons indo-européens, suivies d'un index en fin d'ouvrage, au-delà de leur originalité dans le cadre des dictionnaires étymologiques en un volume, définissait déjà le souci d'associer efficacement la lexicographie et la dictionnairique.
Le second dictionnaire, le Dictionnaire du français usuel ici analysé, relève assurément du même souci d'offrir les résultats de sa recherche lexicographique sous une forme dictionnairique très accessible. L'intérêt manifesté par J. PICOCHE pour la didactique du vocabulaire français était en vérité déjà très perceptible dans le Précis de lexicologie française, paru chez Nathan en 1977, et cette orientation se confirmait avec vigueur en 1993 par la publication, chez le même éditeur, de la Didactique du vocabulaire français. Dans ce dernier ouvrage, J. PICOCHE offrait en effet, en guise d'appendice, un "microdictionnaire", alors présenté comme l'«  échantillon d'un travail en cours  ». C'est ce travail achevé qui vient de voir le jour au seuil du XXIe siècle, sous la forme du Dictionnaire du français usuel, gros ouvrage comportant 442 articles et un index de 15 000 mots.
Pour en venir à bout, J. PICOCHE s'est en l'occurrence associée en cours d'élaboration àMarie-Luce HONESTE, de l'Université de Saint-Étienne, qui s'est ensuite retirée du projet, et àJean-Claude ROLLAND, qui a apporté, en tant que chargé d'études au Centre international d'études pédagogiques (CIEP) de Sèvres, puis en tant qu'attaché de coopération pour le français à l'Institut français de Valencia, sa longue et appréciable expérience de l'enseignement et de la formation en français langue étrangère. On lui doit notamment le logiciel DICOFLE publié par le CIEP en 1995, outil d'accès à des données lexico-grammaticales de base pour l'enseignement du français langue maternelle ou étrangère.
Le Dictionnaire du français usuel bénéficie d'une version électronique sous la forme d'un cédérom Lisible en PC sous Windows (95/98/NT4), mais aussi sous Macintosh PowerPC (sous MacOS 8.1.), cédérom qui peut être acheté séparément ou conjointement, selon une formule pratique devenue courante. Reprenant les mêmes données que le dictionnaire papier, avec à la fois toutes les facilités de consultation transversale et l'hypertextualité inhérentes aux produits électroniques, le cédérom peut aussi être offert en version exploitable en multipostes pour les classes équipées de plusieurs ordinateurs en réseau. Le Dictionnaire du français usuel se présente donc comme un outil souple d'utilisation bénéficiant des deux supports complémentaires, le papier et l'électronique.
Si la finalité de l'ouvrage est explicitement didactique, au point que J. PICOCHE déclare en privé qu'elle aurait aimé ajouter en sous-titre à ce dictionnaire le fait qu'il s'agit en somme de «  442 grandes leçons de vocabulaire  », le fond même de cette recherche — qui a abouti aux «  442 grands articles fortement structurés, ayant pour entrée des mots de haute fréquence  » —repose sur un très solide substrat linguistique et des finalités didactiques bien affirmées. Fondements théoriques précis à la fois clairement identifiés et originaux dans la synthèse lexicographique qui en est faite, réflexion didactique pionnière propre à renouveler la lexicographie et la dictionnairique d'apprentissage, recherche d'un public pluriel, tels sont les grands axes qui structurent cette oeuvre qui, quel que soit le succès commercial dont elle bénéficiera, devrait faire date dans l'histoire des dictionnaires d'apprentissage français.
Trois fondements théoriques ont été requis et associés pour l'élaboration de l'ouvrage  :tout d'abord, la notion de fréquence pour choisir les entrées sur le critère de
209 l'hyperfréquence définie par J. PICOCHE, à partir des travaux d'Étienne BRUNET sur le corpus du TLF ;ensuite, la psychomécanique de Gustave GUILLAUME, avec les notions de "subduction" et de "chronologie de raison", pour travailler en synchronie les grands polysèmes retenus comme thèmes d'articles  ;enfin, la notion d"` actant", telle que l'a formulée TESNIÈRE, pour déterminer les structures syntagmatiques de base sur lesquelles appuyer les définitions.
De l'utilisation de la notion de fréquence pour un dictionnaire d'encodage
En ce qui concerne la nomenclature fondée sur la notion de fréquence, d'emblée il faut préciser que le dictionnaire proposé est clairement conçu comme un dictionnaire d'apprentissage en direction de l'encodage avec, pour objectif, « une honnête aisance » dans la langue française. Convaincus au regard des pratiques littéraires et scolaires que 15 000 mots représentent un outillage suffisant pour permettre, entre francophones, une communication aisée sur n'importe quel sujet non étroitement spécialisé, J. PICOCHE et J.-CI. ROLLAND ont choisi de travailler à partir des mots hyperfréquents et fréquents, parmi lesquels se trouveront forcément les « grands polysèmes  » de la langue française. Pour effectuer ce choix d'ordre pragmatique, a été privilégiée parmi les listes de fréquence existant, celle élaborée en marge du plus grand dictionnaire actuel du français moderne, le Trésor de la langue française (TLF), par le lexicologue et statisticien É. BRUNET dans son ouvrage intitulé Le vocabulaire français de 1789 à nos jours.
Ces travaux révèlent en effet que les 907 mots de fréquence supérieure à 7000 couvrent 90 % du corpus du TLF, que les 5800 mots de fréquence inférieure à 7000 et supérieure à 500 en couvrent 8 %, et que les 2 %restant, mots riches de sens, mais sans fréquence significative, apparaissent ça et là au hasard des sujets traités. Pour J. PICOCHE, ces derniers mots au nombre illimité, s'apprennent le plus souvent en situation et ne constituent pas une première urgence pour les apprenants. Ainsi, en partant du principe que 6707 mots couvrent 98 % du corpus TLF, il a semblé aux auteurs que travailler sur un vocabulaire de 10 000 mots représentait déjà un bagage relativement riche. Un tel raisonnement ne reste évidemment pertinent que si l'on prend bien conscience qu'il s'agit d'un dictionnaire d'encodage pour apprenant et non d'un dictionnaire de décodage.
Sans qu'il s'agisse d'une critique, il convient de souligner que ces notions d'encodage et de décodage échappent en grande partie au public d'acheteurs habitué à confondre un dictionnaire avec un lieu exclusif de décodage. En ce sens, la préface, très explicite, mérite une lecture attentive plus encore que pour les autres dictionnaires, notamment au moment où les auteurs des dictionnaires d'apprentissage vendus sur le marché par Larousse et Robert ne cessent de surenchérir en annonçant, sur la première et la quatrième de couverture, un nombre toujours plus important de mots donnés en nomenclature, entre 20 et 30 000 mots pour la majorité. À cet égard, en termes dictionnairiques, on peut se demander s'il ne serait pas utile sur la jaquette de l'ouvrage, de présenter un court extrait du dictionnaire, pour que, d'emblée, soient perçues son originalité et la perspective d'encodage.
J. PICOCHE a su ne pas s'enfermer dans un cadre théorique étroit  : ainsi, en partant des mots d'une très haute fréquence, de peu inférieure à 7000 ou parfois très supérieure, et en tenant compte par ailleurs du phénomène multiplicateur des dérivés, ce sont finalement 613 mots qui auraient pu être retenus en entrée d'article. La nomenclature s'est cependant réduite empiriquement à 442 articles, de même que le choix initial de traiter environ 10 000 mots à travers ces articles a dû être revu à la hausse avec 15 000 mots.
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C'est en effet en procédant, d'une part, par élimination et, d'autre part, par regroupement, que les 907 mots listés par É. BRiJNET ont abouti à 442 articles. Ainsi, d'un côté, les mots grammaticaux ont été éliminés de même que quelques mots sans grand poids sémantique, comme Monsieur et Madame, plus facilement traités sous les entrées homme et femme. De l'autre côté, ont été regroupés dans une entrée unique des mots dont le rapprochement était éclairant, tels que des antonymes (froid et chaud), des mots bénéficiant d'une relation de réciprocité (vendre et acheter, homme et femme), ou des parasynonymes (mots et parole, nouveau et neuJ}, ou encore un verbe et le substantif correspondant (vivre et vie, mais aussi tomber et chute, dormir et sommeil). Qu'un certain empirisme ait présidé à ces choix, en fonction d'un ouvrage à vocation d'encodage, souligne la double nature du dictionnaire, à la fois éclairant sur le fonctionnement de la langue et orienté vers une démarche d'apprentissage, deux aspects qui nous semblent avoir été très harmonieusement conciliés.
Quant aux 15 000 "mots utiles", formule éloquente de la synthèse faite entre la notion de fréquence et celle d'encodage, ils résultent des « grappes de mots  » de moindre fréquence qui apparaissent dans le cadre de la synonymie, de l'antonymie, des relations établies entre le genre et l'espèce, sans oublier le jeu normal de la dérivation. À cet égard, est appréciable le fait que les auteurs n'aient pas négligé les bases savantes d'origine latine ou grecque, dans la mesure où il s'agit d'un dictionnaire d'apprentissage et non d'une description scientifique sans concession accordée à la didactique. Ainsi, le fait que des mots hyperfréquents, tels que eau, n'aient pas de dérivés morphologiques implique, en termes pratiques et didactiques, la prise en compte de leurs dérivés sémantiques à partir des racines latines et grecques (agu-, hydr-). Puisque la nomenclature se limite à 442 articles, il va sans dire que la plus grande partie des "mots utiles" sont listés dans l'index (p. 961-1064).
On regrettera cependant que l'index d'environ 15 000 mots ne reprenne pas les 442 mots donnés en nomenclature, ce qui laisse croire naturellement à la personne qui commence par consulter l'index que des mots essentiels ne s'y trouvent pas. On retrouve là des choix éditoriaux dangereux lorsqu'on sait que, statistiquement, le choix d'un ouvrage dans les établissements scolaires se fait sans lire la préface et en fonction d'une consultation de moins de trois minutes. Cette économie de place est d'autant plus inutile que l'ouvrage se termine sur quatre pages vierges. On profitera aussi de cette remarque pour signaler que les renvois de la version papier ne sont pas toujours clarifiants. Ainsi, d'une part, dans l'index, le verbe descendre renvoie à l'article famille (dans le contexte de la "descendance"), mais pas à l'article monter et descendre et, d'autre part, dans la nomenclature, on ne trouvera pas descendre à l'ordre alphabétique pour le renvoyer à l'article monter et descendre. On peut y percevoir une logique lexicographique, mais c'est la logique dictionnairique qui doit présider, c'est-à-dire celle du consultant qui ne peut trouver le mot descendre dans son sens le plus courant que s'il pense à aller le chercher à monter dans la nomenclature (et pas dans l'index, où monter renvoie à construire et cheval). Même remarque pour l'article « falloir, v., besoin, n. m. et nécessaire, adj. quai.  »  :par choix lexicographique, ni besoin, ni nécessaire ne sont dans la nomenclature avec un renvoi, besoin ne se trouve pas dans l'index et seul nécessaire renvoie à falloir. On insiste d'autant plus sur ces petits détails qu'ils peuvent être très facilement corrigés dans une nouvelle édition et que l'ensemble de l'ouvrage nous parait excellent.
211 Du recours à la psychomécanique guillaumienne pour structurer l'article introduit par un ou plusieurs grands polysèmes
C'est à juste titre que J. PICOCHE considère que chaque mot important constitue un système à lui seul et que, par conséquent, la polysémie de chacun des mots hyperfréquents donnés en entrée d'article doit faire l'objet d'une analyse très attentive qui permette de classer les différentes acceptions du mot dans un ordre distinct, fondé sur d'autres principes que sur la subjectivité du lexicographe.
À la pratique distributionnaliste qu'avait choisie J. DUBOIS pour le Dictionnaire du français contemporain, avec pour conséquence le dégroupement homonymique de nombre de mots, démultipliant les articles, J. PICOCHE choisit au contraire le traitement unitaire du mot sans pour autant nier la dimension syntaxique de chaque mot. Pour ce faire, elle se tourne vers les théories psychomécaniques de G. GUILLAUME avec, en particulier, la mise en pratique de la notion de "signifié de puissance". En choisissant ce véritable principe d'unité à retrouver dans le grand polysème et devant pouvoir s'actualiser partiellement dans chacune des acceptions du mot, en faisant ainsi appel aux notions de cinétisme, de subduction et de chronologie de raison, J. PICOCHE offre une clé efficace pour clarifier de nombreuses polysémies. Selon la formule qu'elle utilisait lors de la Journée des dictionnaires consacrée aux dictionnaires d'apprentissage (Les dictionnaires de langue française, H. Champion, 2001, p. 105-106), apparaissent ainsi « par quelles étapes l'esprit doit de préférence obligatoirement passer pour penser un ensemble d'emplois et de sens comme constituant un unique vocable.  »
Quelques articles nous paraissent exemplaires dans leur traitement. Que l'on consulte par exemple marcher, devoir, crime, feu, rëve, or et argent, et l'on aura une idée de la description très fine à laquelle les auteurs se sont livrés en jouant du principe d'unité. Les mouvements de pensée, plus souvent la métaphore que la métonymie, engendrent des polysémies à cohérence forte, « avec des emplois très conjoints » qu'il semble facile aux auteurs de regrouper en un seul article, en utilisant le cinétisme guillaumien, et donc le fait que l'ordre des acceptions va en général du plus riche au plus pauvre, et dans le cas de mots à référent concret, du plus concret au plus abstrait. La plus grande importance est donc accordée à l'ordre des acceptions et des relations d'engendrement  : il s'agit ici, G. GUILLAUME oblige, d'une "chronologie de raison" et non d'une chronologie historique à la manière de LITTRÉ.
L'une des grandes richesses de l'ouvrage consiste aussi à avoir pris en considération de manière très affirmée, en les démarquant par un symbole typographique, les locutions figées, qui « révèlent souvent, dans le mot concerné, un symbolisme secret  ». Le dictionnaire qui nous est présenté, au-delà du souci implicite d'offrir 442 leçons de vocabulaire, représente également une description originale des grands polysèmes, description effectuée selon des perspectives scientifiques qui en rendent la consultation très enrichissante pour les lexicologues. Le Dictionnaire du français usuel se définit à la fois comme une oeuvre lexicographique et comme un produit dictionnairique.
On saura au demeurant gré à J. PICOCHE et à J.-Cl. ROLLAND de nous avoir épargné le jargon des terminologies, certes indispensable pour les lexicologues en pleine activité lexicographique, mais sans aucun doute rébarbatif pour les lecteurs qui doivent retirer les bienfaits des théories sans avoir besoin d'en connaître les dessous. On relèvera cependant que la préface est très riche, astucieusement montée, finement rédigée et argumentée au point d'être propre à satisfaire et les enseignants non linguistes et les linguistes qui veulent en savoir plus sur la manière dont les mot ont été traités et décrits.
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De l'usage des "actants" pour offrir les structures syntagmatiques de base et cerner les usages et définitions des grands polysèmes
Chaque grande partie de l'article (associer, par exemple) commence en principe par un exemple explicite, simple en général («  Jean a associé Marie à ses travaux  »), doublé d'une formule abstraite d'aspect algébrique («  Al humain associe A2 à A3  »), mais dont le maniement assure à l'utilisateur dépourvu de formation linguistique un accès facile à l'ouvrage.
Cette formule, qui peut paraître algébrique, ne doit pas inquiéter  : selon la formule même de J. PICOCHE, il ne faut pas « avoir peur des A  » , «  ce ne sont que des actants  !  ». La précaution oratoire est importante, parce qu'en termes dictionnairiques, il n'est pas certain que, par exemple, pour le verbe considérer, «  A 1 humain considère A2 comme A3, qualité que A 1 attribue à A2  » pour illustrer le premier cas de « Jean considère Éric comme un traître, Marc le considère comme un héros  », soit des plus faciles à traduire pour un élève ou pour le professeur à qui l'ouvrage est d'abord destiné. II n'en reste pas moins qu'en termes lexicographiques, toutes ces analyses sont indéniablement très éclairantes et que de nouvelles voies sont ainsi ouvertes dans la structuration des articles.
En fait, a été reprise ici la théorie des "actants" de L. TESNIÈRE, et ces A1, A2, A3, un peu déstabilisants de prime abord, symbolisent des variables numérotées qui représentent les catégories de noms aptes à saturer les différentes "places" ménagées par les verbes. Les actants sont théoriquement constitués par les participants aux procès du verbe, c'est-à-dire les sujets et compléments essentiels, sans oublier les circonstants (les compléments non essentiels). Mais à juste titre, en tant que lexicologue, J. PICOCHE n'hésite pas à élargir la notion d'actant en y assimilant des infinitifs, des propositions complétives, des adjectifs et même parfois des adverbes («  Les affaires de Marc vont mal  »), les "actants" deviennent en fait synonymes de "variable disposant d'une valeur". C'est par ailleurs dans la même perspective ouverte que, de façon très souple, sont précisés ces actants, au-delà de la simple spécification "humain", "concret" ou "abstrait", avec par exemple, quand cela parait s'imposer, "A1 enfant", "A1 humain", "A1 vivant", etc.
Le fait même d'utiliser les structures actancielles pour mieux décrire le fonctionnement de la langue, avec donc un rôle essentiel donné au verbe qui détermine la place des noms, et cela en ayant au préalable choisi de traiter prioritairement le vocabulaire de haute fréquence dont le caractère verbal et abstrait est important, a nécessairement des conséquences sur la nomenclature du dictionnaire. On n'est pas en effet dès lors étonné de la prédominance des verbes dans les entrées, à raison d'un peu plus du tiers de l'ensemble. Quant aux autres catégories grammaticales, on compte environ un quart de noms à référent abstrait, un huitième d'adjectifs et un huitième de noms à référent concret dans leurs emplois propres, « plus une pincée de prépositions et d'adverbes plus chargés de sens que d'autres propositions  ». Signalons au passage — et c'est aussi là que l'ouvrage se révèle heuristique —que J. PICOCHE a ainsi pris conscience que de ce travail systématique de description, description fondée sur les structures actancielles, se dégageaient nettement deux types d'articles fondamentalement différents  : ceux dont la vedette est un verbe et ceux dont la vedette est un nom, notamment les noms à référent concret.
En effet, si pour les verbes, l'analyse des structures actancielles s'est révélée suffisante, en revanche pour les noms, s'est posé le problème des notions encyclopédiques apparaissant, d'une part, pour les noms abstraits, même si la plupart reposent sur des structures verbales (par exemple, le mot liberté suppose d'abord le
213 verbe contraindre) et, d'autre part et surtout, pour les noms à référent concret  :quelles limites donner en ce qui les concerne à la description du référent et de toutes ses annexes  ?L'objet du dictionnaire n'étant pas d'apporter un enseignement scientifique sur le monde, les auteurs se sont volontairement limités à la description du savoir du "non spécialiste". Deux critères principaux ont donc été retenus  : tout d'abord ne pas descendre au-dessous du premier degré de la décomposition (si l'on signale que le cheval a une robe, on ne présente pas pour autant la terminologie de toutes les couleurs possibles de cette robe) ;ensuite, tenir le plus grand compte de la phraséologie propre à traduire une certaine vision du monde à travers une langue. Ce second critère permet en réalité de sélectionner les mots qui, dans le domaine impliqué par le mot-entrée, révèlent dans l'inconscient d'un francophone une certaine image (monter sur ses grands chevaux, à la hussarde). Quant aux noms à référent abstrait (état, nation, religion, etc.), comme ils nécessitent de prendre en compte des réalités sociologiques et institutionnelles pas toujours très faciles à traiter, le traitement des articles correspondant aurait pu être délicat. Or, en l'occurrence, on remarquera combien les auteurs, par exemple pour l'article politique, ont su à la fois présenter de façon ordonnée le vocabulaire de base nécessaire à la description du grand polysème et, tout en même temps, dessiner « un certain tableau de la culture française  »avec, semble-t-il, beaucoup de finesse.
Un formidable levier pour la classe de français
Telle est l'une des formules choisies pour présenter le Dictionnaire du français usuel dans le dépliant publicitaire bien conçu qui a accompagné le lancement de l'ouvrage. La mise en relief des structures actancielles confère de fait à l'ouvrage la dimension d'une description très efficace du fonctionnement de la langue française auprès des apprenants en situation d'encodage, qu'il s'agisse des élèves pour qui le français est une langue étrangère, ou des élèves dont le français est la langue maternelle. Les uns et les autres ne peuvent en effet que prendre pleinement conscience combien tout nom ne s'associe pas à n'importe quel verbe et à n'importe quel adjectif. Cette démarche est d'autant plus performante à notre sens qu'une attention particulière est portée aux syntagmes figés, aux collocations, dont on prend de plus en plus la mesure incontournable dans le bon maniement d'une langue. Rappelons au passage que vient de pazaitre, pour les étudiants de la langue anglaise, l'Oxford Collocations Dictionary qui illustre éloquemment combien les collocations structurent la bonne manière de s'exprimer pour un locuteur natif, au-delà du signifié de chaque mot. Le Dictionnaire du français usuel s'inscrit assurément dans cette dynamique didactique et descriptive correspondant parfaitement aux avancées méthodologiques récentes et à la réflexion aujourd'hui en vigueur. Caractéristique aussi d'une attitude linguistique progressiste est la position affirmée des auteurs quant à l'orthographe française  : « Novateurs en lexicologie, comment pourrions-nous être conservateurs en orthographe  ?  ». Les auteurs se sont donc conformés aux Rectifications et recommandations orthographiques adoptées par l'Académie française et parues au journal officiel du 6 décembre 1990.
Enfin, dans la mesure où les actants humains sont forcément nombreux, pour atténuer l'aspect rébarbatif des formules d'allure algébrique, ont été choisis paz les auteurs des prénoms courants (Jean, Sylvie, Jeannot, Marc, Max, etc.). En reprenant ici une formule adoptée paz Josette REY-DEBOVE pour le Robert des enfants, les personnages mis régulièrement en scène dans le cadre des exemples finissent par prendre vie avec leur personnalité propre. Marc est par exemple chef d'entreprise et Éric pâtit d'une moralité douteuse, pendant que Jean et Sylvie sont mariés et font bon ménage.
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Nous ajouterons que, à travers ces personnages, c'est un peu de lexiculture française qui passe, même si quelques prénoms étrangers auraient pu être intégrés.
C'est à juste titre que, dans la préface de l'ouvrage, les auteurs ne sont pas avares de conseils en direction des enseignants. Il y a là en effet, particulièrement en France, un bel effort à faire pour que les très bons conseils donnés soient mis en pratique, tant l'enseignement du vocabulaire a depuis longue date été négligé et relégué à une imprégnation passive où, le plus souvent, le dictionnaire ne représente qu'une éventuelle béquille, au seul titre du décodage. Or le Dictionnaire du français usuel est un véritable outil d'encodage, novateur dans sa conception, très remarqué outre-Manche parce qu'il rejoint les préoccupations des auteurs des dictionnaires de langue anglaise pour étrangers, associant effectivement avec bonheur les exigences des linguistes et des didacticiens.
Souhaitons vivement que cette préface soit lue avec l'attention qu'elle mérite, parce que, concernant les conseils et les suggestions donnés aux enseignants, on ne saurait là aussi dire mieux. « Vous avez deux tâches à remplir, en matière lexicale enrichir le vocabulaire de vos élèves, et les aider, au milieu de cette richesse, à trouver le mot le plus juste dans un contexte et une situation donnés  »rappelle J. PICOCHE. Ainsi, sont généreusement donnés des conseils portant sur la préparation à la rédaction, la préparation à l'explication d'un texte, des idées d'exercices de classement, d'exercices à trous, autant de développements pertinents rédigés dans la préface pour aider les enseignants à opérer ce qui, pour l'heure, représente à leurs yeux une révolution copernicienne, pourtant indispensable  : consacrer à l'apprentissage du vocabulaire de véritables séquences, actives, antérieures à la découverte passive des mots au hasard des textes et s'y substituant.
Le Dictionnaire du français usuel est sans doute le dictionnaire d'apprentissage le plus original et le plus courageux de cette décennie au seuil des XX` et XXI` siècles ; il mérite un large succès pazce qu'il associe la cohérence d'une analyse linguistique très solide à une réflexion didactique toute aussi logique et constructive. Certes, dans la mesure où les enseignants de français, notamment pour le français langue maternelle, sont hélas pour l'heure encore assez éloignés de la pratique de l'apprentissage du vocabulaire dans une dynamique d'encodage, il faudra encore multiplier les opérations de sensibilisation dans les établissements scolaires et auprès des corps d'inspection, comme sait d'ailleurs le faire avec talent J. PICOCHE. Il ne fait pas de doute en effet, pour les didacticiens linguistes de la communauté européenne, que la voie choisie par J.-CI. ROLLAND et J. PICOCHE est pertinente ; on affirmera même sans hésiter qu'elle est pionnière. Et comme tout ouvrage d'une trempe exceptionnelle, on espère qu'il y aura plusieurs éditions. C'est dans cette perspective qu'on pourrait éventuellement suggérer d'offrir sur le marché une version papier, moins prestigieuse, mais plus accessible financièrement, et peut-être d'essayer encore, en termes dictionnairiques, de réduire l'effet premier un peu rébarbatif des formules actancielles, dont l'allure algébrique est toujours susceptible de rebuter à tort le lecteur hâtif qui se contenterait de feuilleter l'ouvrage. Le Dictionnaire du français usuel nous parait définir par excellence l'ouvrage dont aucun linguiste et aucun enseignant de la langue française ne devrait pouvoir faire l'économie, tant il est riche méthodologiquement.
On conclura en se reportant paradoxalement à la pleine page qui ouvre le dictionnaire, réservée à une longue épigraphe résumant à elle seule la dynamique dans laquelle s'inscrit l'ouvrage. Ainsi, c'est à Harald WEINRICH, interrogé par Daniel MALBERT dans le cadre d'un article du Français dans le Monde (n° 303, mars-avril 1999, p. 27-29), que les auteurs du Dictionnaire du français usuel confient, avec toutes les blandices de l'esprit, l'épigraphe qui introduit l'ouvrage et que nous ferons nôtre pour
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le mot de la fin  : « Les linguistes sont un peu lâches, il faut bien le dire, parce qu'ils abandonnent les domaines dans lesquels la mémoire est la plus importante, le lexique, pour se concentrer sur la syntaxe où la mémoire est secondaire. On abandonne le lexique aux praticiens. Regazdez, il est presque impossible pour un linguiste de se distinguer en travaillant sur le lexique... et c'est un grammairien qui vous le dit  ! Il faut donc ramener la linguistique vers le lexique où la complexité des langues parvient à son plus haut degré de force et d'épanouissement  ».
Les lecteurs des Cahiers de lexicologie ne peuvent que souscrire à pareille reconnaissance et se réjouir que les auteurs du Dictionnaire du français usuel aient ouvert de nouvelles voies lexicographiques et dictionnairiques.
Jean PRUVOST
Université de Cergy-Pontoise — UMR 8127