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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    1998 – 1, n° 72
    . varia
  • Auteurs : Bernard (Michel), Tournier (Maurice), Paveau (Marie-Anne)
  • Pages : 209 à 215
  • Réimpression de l’édition de : 1998
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812443244
  • ISBN : 978-2-8124-4324-4
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4324-4.p.0211
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS



Henri BÉHAR, La Littérature et son golem. Paris, Honoré Champion Éditeur, Travaux de linguistique quantitative n° 58, 254 p.

Nulle magie —noire ou blanche —dans ce golem, mais l'outil informatique qui, humble et infatigable, a su devenir l'irremplaçable auxiliaire des chercheurs en littérature. Henri BEHne, dont on sait par ailleurs qu'il est un éminent spécialiste du surréalisme et des avant-gardes, rappelle, en donnant ce recueil d'articles publiés depuis 1985, qu'il est aussi, de longue date, un des plus ardents promoteurs de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui les Études Littéraires Assistées par Ordinateur.
L'ouvrage permet de dresser un panorama assez complet des applications possibles de ces nouvelles technologies dans un champ du savoir qui leur a longtemps été étranger, voire hostile. S'il est vrai qu'on ne doit juger un arbre qu'à ses fruits, nul doute que l'ordinateur a gagné, ces dernières années, ses lettres d'accréditation dans un domaine où l'on s'est longtemps satisfait de fiches cartonnées et de relevés manuels. Établir des statistiques sur les parcours biographiques de quelque 600 écrivains, étudier le vocabulaire des sentiments sur un corpus de plus de 500 romans, relever toutes les mentions de HUYSMANS et de son ouvre chez ses contemporains, voici quelques-unes des tâches qu'il est certes plus agréable et plus rentable de confier à l'ordinateur... Le chercheur y gagne en rapidité mais aussi en exactitude.
Le gain est bien sûr particulièrement net dans le domaine des études lexicales, où les procédés informatiques et statistiques, employés depuis longtemps, sont désormais arrivés à un stade de maturité qui les rend accessibles à des chercheurs qui ne sont ni informaticiens, ni statisticiens, ni même linguistes. On trouvera notamment dans La L :rrérarure et son golem des études sur le délicat problème des champs lexicaux de l'odorat chez HUYSMANS (p. 185) ou de la lumière chez REVERDY (p. 207). On verra également dans un article sur la tournure « par cela seul  » (p. 143) tout ce que l'on peut tirer des bases de données textuelles comme FRANTEXT dans une perspective stylistique.
Il est un autre aspect des Études Littéraires Assistées par Ordinateur qui ne peut manquer de frapper le lecteur de ce volume. L'assistance de la machine permet parfois d'obtenir des résultats qu'aucune étude purement manuelle n'aurait pu fournir, quels que soient le temps et les soins apportés à son établissement. Je ne prendrai qu'un exemple, celui de l'article intitulé « L'ordinateur peut-il aider à lire le théâtre  ?  » (p. 199). Henri
Cah. Lexicol. 72, 1998-1, p. 209-224
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BÉHAR, qui n'en est pourtant pas à sa première étude sur JAR4Y, arrive, à l'aide d'un logiciel d'analyse textuelle, à repérer dans la trilogie d'Ubu un certain nombre de phénomènes linguistiques qui lui permettent, par exemple, de caractériser le langage de chaque personnage et la manière dont la «  parlure  » d'Ubu déteint sur tous les autres. Tous phénomènes dont le lecteur ne peut que subodorer la présence et que le calcul informatisé souligne très sûrement. La Banque de Données d'Histoire Littéraire, développée par Henri BÉtIAR et le Centre de recherches Hubert de Phalèse, qu'il dirige à Paris III, permet de son côté de découvrir des phénomènes dont nul ne s'était préoccupé jusque là  : un graphique, par exemple (p. 42), suggère que les auteurs qui exerçaient un métier de justice (avocats, magistrats,...) ont pratiqué de préférence les genres théâtraux. Beau départ pour une étude systématique sur les différents tropismes qui peuvent expliquer cette donnée statistique...
Ce recueil se veut suggestif, au sens otl il peu[ donner envie aux chercheurs littéraires d'utiliser l'ordinateur pour confirmer certaines de leurs intuitions, ou même pour leur proposer de nouvelles pistes de recherche — et c'est sans doute cette vertu heuristique de l'outil informatique qui les intéressera le plus. Henri BÉHAR, certes, n'explique pas toujours dans le détail quelles procédures pratiques il a adoptées, mais il ne s'agit pas là d'un manuel technique. Seuls importent ici les résultats, le reste est affaire de cuisine, par laquelle, on le sait, on ne doit pas passer avant un bon repas. Il était d'ailleurs important de revivifier les Études Littéraires Assistées par Ordinateur en y soumettant nettement l'ordinateur à la littérature. Nous n'avons que trop lu, dans les deux dernières décennies, de ces études où les résultats —maigres ou décevants du point de vue littéraire —étaient enchâssés dans un fatras de détails techniques et de complications électroniques qui, au total, n'intéressaient ni les informaticiens, ni les littéraires.
Il y a ainsi dans le tableau assez vaste tracé par Henri BÉHAR des documents utiles pour ceux qui écriront ur. jour l'histoire de cette lente pénétration de l'informatique dans les études littéraires. Certaines contraintes techniques, certains objectifs) font —déjà — sourire tant ils ont été dépassés par les réalités. Nous saurons bientôt si telle intuition, telle voie d'accès, telle entreprise était utopique ou visionnaire. Il n'en demeure pas moins que ce livre donne à voir l'avancetnent réel des études dans ce nouveau champ des études littéraires.
Michel BERNARD
IUFM de Paris


Marie-France PIGUET, Classe. Histoire du mot et genèse du concept, des physiocrates aux historiens de la Restauration. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, 196 p.

S'inscrivant dans une perspective très affirmée de socio-lexicologie historique, cet ouvrage ne présente ni l'approche théorisante d'un signe de langue, ni une histoire critique de la réflexion économique. Évitant les deux écueils de la sémiotique et de la
1 On comparera, par exemple, le cahier des charges initial de la Banque de Données d'Histoire Littéraire (p. 21) et son descriptif sept ans plus tard (p. 39).
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science politique, l'auteure a pour premier objectif de rendre compte, par des analyses en contexte et en situation, des emplois et des valeurs du terme classe et de ses voisins de paradigme. Par delà, en faisant le tri parmi ces emplois et ces valeurs, son travail permet d'assister à l'élaboration en français d'un outil conceptuel, et cela sur une longue période historique, qui va de la seconde moitié du 18e siècle à la Restauration. Le produit final est une nouvelle thèse de recherches ii la recherche de nouvelles thèses.
Les recherches. La manière dont elles ont été conduites ne mérite que des compliments. Le sujet, posé avec lucidité, fait apparaître la difficulté majeure de ce genre d'analyse  :comment cerner la naissance d'un concept en ne s'aidant que des usages du mot qui va le prendre en charge, sachant que mille autres habitudes d'emploi viennent parasiter l'émergence notionnelle, voire la déconstruire, la concurrencer ou la noyer. Une chance
le mot s'est assez vite identifié au concept (dès les physiocrates). Une malchance  : il était là avant et s'est donc alourdi d'autres histoires.
Tel est, sans conteste, le premier mérite de la chercheuse  : ne pas s'être laissé prendre au mirage, au moirage des emplois multiples. Entre les petites "classes" à "charge conceptuelle très faible" et les "classes" fortes à "conceptualisation puissante", elle a su aiguiller sa recherche vers l'essentiel. Classe, en fait, rend au discours sociopolitique deux sortes de service. Archi-pluriel, le mot est l'instrument de regroupements plus ou moins éphémères, à critères opportuns et provisoires ("classe des marchands, des domestiques, des manufacturiers, des gens de lettres, des gens sans aveu"...). L'énumération en pourrait être suivie d'un perpétuel "et cætera" : la série reste ouverte. Aux exemples de ce type d'emploi s'ajoutent des "classes" floues ("Les diverses classes de la société", "les autres classes", "toutes les classes"). Autant de petites classes que de métiers, de caractères ou de conditions, de qualités ou de défauts, de vices ou de vertus, etc.
De ce parasitage M.-F. PIGUET a su à la fois évoquer la réalité discursive et écarter (mais sans le dire autrement que par des incidentes du genre "'série d'emplois tr8s communs", "phénomènes banals") la broussaille d'attestations sans valeur conceptuelle, en quête des emplois à forte conceptualisation. Car la grande "classe" est celle non de la segmentation (infinie) mais de la structuration (limitée) ;elle devient organisatrice de la totalité du corps social, dans sa cohérence ou dans son conflit. Ce fil conducteur n'est jamais lâché au profit des pistes dispersantes. Cela était d'autant plus difficile que le matériau consulté était énorme.
D'où le second mérite de l'ouvrage  :conjuguer admirablement la quantité et même le quantitativisme documentaire avec une précision jamais décentrée de l'analyse. Il faut, derrière l'éloge du travail, faire celui de la base FRANTEXT et de ses millions d'attestations. Ce livre montre à quel point s'avère judicieuse et efficace, dans sa mise à disposition publique sur réseau, l'accumulation informatique de textes réalisée au Trésor de la Langue Française de Nancy (INaLF). Cette banque de données a su fournir à la chercheuse un immense panorama d'attestations et de datations dans lequel elle a très intelligemment sélectionné les corpus adéquats à chaque étape de sa recherche, corpus renforcés, on le sait, de multiples lectures personnelles.
Chacune de ces étapes, appuyée sur des textes bien repérés, datés et situés, explorés dans tous les contextes possibles par le biais du logiciel Stella, permet de suivre le déroulement d'une enquête réfléchie, depuis le débat sur les ordres et les classes au 18e siècle jusqu'à l'émergence des premiers syntagmes "lutte des classes" chez les historiens du début du 19e. Logique d'une démarche cartésienne, précision et clarté dans
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l'expression, refus du flou, tout cela explique l'impression de limpidité démonstrative que donne la lecture du livre. À ces qualités de forme il faut joindre les véritables découvertes qu'il permet de faire. Autant de thèses originales, preuves textuelles à l'appui.
Thèses. Prenons des exemples. Le chapitre très sûr concernant les Physiocrates (la "défense" de classe stérile est remarquable) force l'exégète à sortir des analyses d'idées pour s'en tenir aux contextes d'emploi. Il en est de même pour A. $MrrH. On découvre que, loin d'être le lanceur du mot class, celui-ci crée, à l'inverse de QuESNAY, un concept socio- économique avant d'en chercher le signe ailleurs que dans les anciens termes hiérarchistes d'order et de rank. Lorsque class apparaît dans sa Richesse des nations, c'est au sein du commentaire qu'il fait des Physiocrates. Renversement hardi des perspectives, sans en avoir l'air  : Class chez SMITH serait un calque de l'usage français. La comparaison des traductions le prouve amplement. MARX n'a eu qu'à lire la traduction "classiste" de Garnier, où les "order" deviennent des "classe"...
Une démonstration aussi précise concerne SAINT-SIMON. L'auteure a su rendre tangible la diachronisation du système des classes présente dans les premières oeuvres du marquis révolutionnaire (hors la Réorganisation de la société européenne, 1814). Que la société soit divisée pour lui en trois classes (féodale, intermédiaire, industrielle) ou en deux (propriétaires/non-propriétaires), cette division s'inscrit dans le temps. Il se produit à tel point des passages de pouvoir, des transferts de propriété, des réductions (la classe cléricale a disparu) et des extensions ( !a "classe la plus nombreuse" s'amplifie toujours) que la première se cramponne au passé, alors que la seconde profite de la révolution et que la "dernière" assume l'avenir (vision identique chez BALLANCHG, à la même époque, de l'antagonisme séculaire entre patriciens "stationnaires" et plébéiens "progressifs"). À la remarquable analyse du Système industriel de SAINT-SIMON (lequel substitue à la statique sociale des Physiocrates une "coexistence instable et conflictuelle", réintroduisant le temps politique dans l'économie) il ne manque que l'allusion futuriste à la "classe unique" portée par le mouvement de l'histoire. L'utopie marxiste ne serait-elle pas déjà là  ?
Une véritable découverte oblige ensuite à relire MONTLOSIER. L'interprétation donnée habituellement à sa doctrine (cf. L. POLIAKOV, Le mythe aryen) renvoie au mythe des "deux races" de BOULAWVILLIERS. M.-F. PIQUET montre comment, dans son analyse des racines sociales, MONTLOSIER s'inspire en fait de l'abbé Dusos, mais avec une visée carrément réactionnaire.
Enfin, la découverte la plus profonde consiste à prouver combien la cooccurrence de lutte et de classe est plus ancienne qu'on ne le pense. Chez SAINT-SIMON, par exemple, elle transparaît dans la lutte au sein même des vieilles classes (1814), puis entre classes (1821), ce qui aboutira aux premiers essais d'un syntagme en train de se figer en "lutte des classes" (chez GutzoT dès 1828 : «  Le troisième grand résultat de l'affranchissement des communes, c'est la lutte des classes, lutte qui remplit l'histoire moderne. L'Europe moderne est née de la lutte des diverses classes de la société  »). L'an 1828 est, hélas, la borne ultime que l'enquête de M.-F. PIQUET s'est assignée. Elle nous laisse au seuil d'une nouvelle conscience du déplacement de la lutte sociale, cette fois à l'intérieur même de la "classe des industriels", qui va s'exprimer dans les mots grâce aux saint-simoniens ou aux canuts révoltés des années 1830.
Ces recherches (et ces découvertes) autorisent l'élaboration d'une thèse fondamentale sur laquelle —sans que cela soit dit —est contruit l'ensemble du travail. C'est
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de la fusion du double mouvement des économistes vers la structuration sociale sur critères socio-économiques (Physiocrates, SMrrH, SAINT-SIMON) et deS h1StOrienS [epre- nant àleur compte le mythe explicatif des "deux races" (Francs vainqueurs, ancêtres de la noblesse, et Gaulois vaincus, ancêtres du tiers-état) qu'est née la prise de conscience de l'affrontement social en France en termes d'une dualité des classes (on pourrait suivre tout au long, en particulier depuis CONDILLAC, MABLY et CONDORCET —mais BABEUF n'est pas cité — la lente montée d'un antagonisme binaire à l'intérieur du système ternaire imposé par l'ancienne structure en trois "ordres"). Cette fusion de deux types de référenciation s'est produite après la Révolution dans les tentatives pour expliquer-justifier les évènements révolutionnaires.
De là vient la grande cohérence de l'ouvrage (en dépit d'une échappée sans intérêt vers les classes utopistes d'I. de CHARRIÈRE), rebouclant sur le mythe des deux races "classifié" par les historiens et prêt à assumer chez les économistes de nouvelles destinées discursives. Mais, redisons-le  :sans FRANTEXT, un tel travail n'aurait été envisageable que dans l'optique des longues thèses encyclopédiques d'autrefois. Car c'est à travers les attestations prestement et automatiquement tirées de neuf gros corpus, de dix séries textuelles et des lectures complémentaires que l'histoire d'une double naissance entrecroisée a pu s'écrire, celle de classe et celle de lutte des classes. Parfaite illustration d'une "étymologie sociale" enquêtrice des sources et des causes du sens, rendue enfin possible par l'interrogation informatisée d'immenses matériaux de première main.
Dans le domaine sociopolitique exploré par son laboratoire, M.-F. PIGUET a su conduire, avec modestie mais avec sureté, l'une des premières exploitations systématiques d'une banque de données textuelles exhaustivement enregistrées dans une voie de recherches prometteuse en thèses revisitées.
Maurice TOURNIER
Laboratoire de Lexicométrie
et textes politiques
CNRS - INaLF —Saint-Cloud



Sylvianne RÉMI-GIRAUD & Pierre RÉTAT (dit.), Les Mots de la nation. Presses Universitaires de Lyon, 1996, 325 p.

Peuple, nation, état, pays, patrie, autant de termes qui résonnent dans la chambre
d'écho des discours politiques d'hier et d'aujourd'hui, avec leurs -aire, -al, -aux, -isme, -tique et même leur -ouille et autres -ouillote. Ce sont ces "mots de la nation" qu'explorent les vingt contributions rassemblées dans ce livre à la suite du colloque organisé à l'université Lumière Lyon 2 en mars 1994 (lui-même aboutissement d'un séminaire de deux ans associant quatre équipes de recherche de l'université et de l'IEP de Lyon). L'ouvrage livre en premi~re partie des mises au point sur le fonctionnement de ces termes dans le monde contemporain, en français (S. RéMt-GIRAUD, P. BACOT, M. TOURNIER),
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anglais (J. REY & H. B~IOINT, A. CRUSE), allemand (M. PÉRENNEC) et arabe (M. NASR, M.- C. FERJANI). La seconde partie privilégie l'histoire, proposant des études de linguistique diachronique (M. CASEVITZ & L. BASSET, M. LE GuERN, N. DuPONT) et des analyses privilégiant des corpus textuels et des contextes historiques particuliers  : XVIIIe siècle pour P. RÉ'I'AT, A. BOUVIER, S. CARPENTARI-MASSINA, C. LABROSSE et Ph. DU]ARDIN, XIXe pour G. R> ;Mt, J.-J. GOBLOT, P. MICHEL et A. MOUGNIOTTE. Ces contributions, venues d'horizons divers, sont cependant toutes unies par une triple orientation qui constitue l'intérêt majeur de l'ouvrage.
D'abord, ce livre est un manifeste pour la pluridisciplinarité, idée plusieurs fois défendue et pratiquée dans les articles. L'introduction précise que le séminaire et le colloque ont été conçus comme un « dialogue entre les disciplines  » (p. 11). Si la lexicologie donne des outils et «  "met de l'ordre" dans nas représentations sémantiques  », les autres disciplines (analyse de discours, sociologie de l'argumentation, études de textes et histoire des idées, politologie, psychologie sociale, sciences de l'éducation) « nous réintroduisent dans le monde de la praxis et de la communication  » (p. 11). Et en effet, la pluridisciplinarité est loin de se réduire ici it un pieux discours. Elle réside d'abord dans le simple fait de rassembler des participants d'horizons disciplinaires et méthodologiques différents le livre permet que se rencontrent par exemple les notions d'actant (S. R6Mt-GIRAUD), de "signifié construit" (M. PERENNEC), de facette pour l'étude des noms propres dans le cadre de la sémantique cognitive (A. CRUSE), de prototype (M. LE GUERN), de catégorie (A. BouvIER), de représentation sociale (N. DueoNT), de figuration/formulation (Ph. DUJARDIN). Elle est ensuite véritablement
effectuée a l'intérieur même des communications P. BACOT pratique ainsi une
"politologie lexicale" {p. 41) le travail de N. DUPONT sur la conception et  !a sémiotisation des institutions s'appuie explicitement sur la linguistique historique, le cinétisme guillaumien et la sociolinguistique (p. 170) ; la contribution particulièrement remarquable d'A. BOUVIER repose sur une articulation entre les perspectives sociologiques et pragmatiques intégrant le paramètre cognitiviste.
Ensuite, l'ouvrage illustre très clairement, au fur et à mesure de sa progression, la conviction que les mots sont habités par les autres mots et ce qu'ils portent d'histoire, conviction qui devient un concept éminemment opératoire. M. TOURNIER participe i3 cette conceptualisation dans une intervention sur français àl'extrême-droite, à l'armature théorique aussi impeccable que foisonnante. Plusieurs auteurs creusent également ce concept de "mot habité", en montrant comment le cheminement des mots, jusque dans les dictionnaires (M. LE GUERN), doit être corrélé aux forces sociales et aux évènements historiques. La période prérévolutionnaire en France est l'objet d'une attention particulière de la part de P. RÉTAT pour lequel le couple peuple-nation doit être réexaminé dans un cadre triangulaire intégrant le roi, et de S. CARPENTARI-MESSINA qui analyse la prolifération des référents de nation à travers des journaux de voyage en Corse vers 1760. Et c'est même "l'arrêt" d'un sens qui fait l'histoire, lorsque, aux États Généraux de juin 1789, l'expression Assemblée nationale institue l'objet qu'elle désigne et fonde le nouveau corps politique (Ph. DUJARDIN).
Enfin, la thèse fondamentale de l'ouvrage est la "plasticité" des mots de la nation (S. R~1vtI-GIRAUD)  :les auteurs en exposent l'instabilité et la polysémie fondamentale (aux sources de laquelle la très savante promenade étymologique de M. CASEVITZ & L. BASSET emmène le lecteur). C'est cette plasticité qui leur permet d'être des lieux d'idéologie,
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comme le montrent M. P~RENNEC à propos de Nation en allemand, M.-C. FERIANI sur 'umma> J.-J. Gos[,oT sur pays, A. MOUGNIOTTE dans les manuels d'instruction civique. Cette propriété favorise aussi échanges et captations sémantiques au sein d'un réseau tissé de propagations et de glissements J. REY & H. B~totNT signalent l'important empiètement référentiel de country, G. RÉMI montre que chez F[CHTE et ARNDT, le nationalisme émerge plus de peuple que de nation, C. LABROSSE souligne à travers les gazettes de 1785 que Nation possède la u faculté d'intégrer une partie du patrimoine de Peuple et Patrie  » (p. 244). Elle permet enfin l'itinéraire d'un Lamartine de Nation à République (P. MICHEL) ou le solide ancrage dans la doxa d'une confusion entre islamisme et arabisme (M. NASR).
On a là une somme lexicologique importante, dont le cadrage étroit et précis sur un corpus limité permet l'ouverture constante tant sur le plan disciplinaire qu'historique. Un regret tout de même  :l'absence d'une étude des mots de la nation comme noms propres de
pays (intégrant république et démocratique)  : de l'État Bolivar à la République populaire de Chine, en passant par l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, la République islamique de Mauritanie, ou la République algérienne démocratique et populaire, des mots profondément habités de connotations officielles restent à étudier.

Marie-Anne PAVEAU Université de Picardie