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Classiques Garnier

Chroniques et comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    1992 – 2, n° 61
    . varia
  • Auteur : Rézeau (Pierre)
  • Pages : 219 à 229
  • Réimpression de l’édition de : 1992
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812443138
  • ISBN : 978-2-8124-4313-8
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4313-8.p.0219
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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CHRONIQUES ET COMPTES RENDUS


BRASSEUR (Patrice), CHAUVEAU (Jean-Paul), Dictionnaire des régionalismes
de Saint-Pierre et Miquelon, Tübingen, Niemeyer,
Canadiana romanica 5,1990, 745 p., cartes et ill.



Les auteurs ont choisi d'analyser un aspect du français sur lequel les travaux se multiplient depuis quelques décennies (la variation géographique), mais sur un terrain où ce type de recherche ne foisonne guère. Et pourtant, que de richesses de notre langue dans cet archipel, le seul domaine de cette région du monde où francophone se conjugue avec Français  ! L'écoute attentive des habitants et le savoir-faire lexicographique conjoints nous donnent ce bel ouvrage à quatre mains, plein de renseignements et d'enseignements, dont la lecture est à la fois instructive et réjouissante.
Une solide introduction (1-29) situe d'abord brièvement ce département français dans sa géographie et dans son histoire (sur l'âge d'or que fut pour SPM l'époque de la Prohibition, voir depuis Th. LEFRANÇOIS, La prohibition et St-Pierre et Miquelon, catalogue d'exposition du Musée du Nouveau Monde, La Rochelle, 1991) ;suit un large aperçu sur la conscience linguistique des habitants de SPM, puis sur les méthodes et les conditions de l'enquête  ;enfin, les particularismes phonétiques et morphosyntaxiques sont détaillés, et le lexique recueilli est situé et présenté quant à l'analyse qui en a été faite. Après quelque 1 500 articles (31-721), la bibliographie (723-733) et une présentation du lexique par champs sémantiques (735-745), deux cartes et quatre reproductions de photos des années 1912-1913 mettent le point final au travail.
Les habitants de SPM, auxquels l'ouvrage est dédié, peuvent être fiers de cet ouvrage qui a demandé à ses auteurs l'équivalent de plusieurs "soleils". Peu de régions de France, si elles renferment des richesses linguistiques analogues, ont l'équivalent d'un tel trésor. À la quête bien conduite des particularités locales, qui représente déjà un magnifique travail et qui est excellente, s'ajoute la plus-value de l'analyse (particulièrement bienvenue quant aux hypothèses, fondées sur un corriparatisme éclairé, sur l'origine de ces traits différentiels). Me permettra-t-on une remarque souriante, au risque de me faire taxer de chauvinisme  : il semble parfois que les auteurs ont tendance à tirer la couverture du côté des régions qu'ils connaissent bien et
Cah. Lexicol. 61, 1992-2, pp. 219-229
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particulièrement de la Normandie, alors que les faits observés sont aussi bien poitevins, comme c'est le cas pour charbonnette (VOUVANT §§ 300 et 322), chat (cf. d chat RÉZEAU 99), chiffé (RÉZEAU 102), démêler (RÉZEAU 123), main (d la -) (RÉZEAU 180-181), perdu (sous gdté- perdu, cf. RÉZEAU 215), pierre de sucre (RÉZEAU 218), retour de noces (VOUVANT § 366). L'hypothèse de l'origine acadienne d'un certain nombre de faits est par ailleurs favorisée ou renforcée par ce qu'on peut glaner au XIXe s. dans le Vocabulaire poitevin encore inédit de L. MAUDUYT (couteau d deux manches, démarcher, dégelis, fonçure), qui atteste aussi chiassoux "peureux" ainsi que chiasse "peur".

Quelques notes de lecture.
à  : on lit sous 3. "Consacré à. Sa blonde* est aux études"  ;c'est en fait sous une entrée études qu'aurait pu être à la rigueur analysé cet exemple (être aux études "étudier (au collège, au lycée, à l'Université)"), appartenant en fait aussi bien au français "populaire" de France).
allant] allant, -ante.
alouette  :supprimer les "ou" avant les définitions.
bain "fait d'être trempé par une averse" à rapprocher de "un bain qui chauffe  !", expression qui s'entend à la vue d'un gros nuage qui se forme l'été  ;depuis OUDIN 1640, encore dans TLF, absent d'Académie 1986  ;entendu dans la région parisienne dans les années 1960. beau  : on voit mal ce que cet emploi a de régional  : il appartient à la langue de la narration "une belle nuit... un beau jour...".
blonde "fiancée, amie"  : att. en 1704 ds M. DAVID et A.-M. DELRIEU, Auz sources des chassons populaires, Paris, 1984, 220.
boeufs "deux chalutiers en couple tirant le même chalut"  : ce terme de pêche est employé aussi sur la côte vendéenne.
boiler  :curieusement, c'est aussi le mot couramment utilisé en Alsace et qui n'est relevé par aucun des nombreux recueils sur le français de cette région.
brfilot "moustique"  :une notice manque (cf. FEW 14, 80a USTULARE, qui indique Valmont 1768 et Robert 1985, qui donne 1696).
bulot  :voilà bien des années que le mot et le coquillage apparaissent sur les étals des poissonniers un peu partout en France. Relevé par Littré, il est fâcheusement absent de TLF et de Robert (même dans l'édition 1990).
chalin  :usuel aussi en patois poitevin, ce qui peut renforcer la provenance acadienne du mot à SPM.
chasse (en)  : la présence de cette locution ne s'imposait sans doute pas.
coup  : la loc. vieillie faire les 119 coups s'entend aussi en Poitou.
crocher  : l'ex. 2 est à ranger sous les emplois 2 ou 3 (le mieux serait d'ouvrir un "4. Au part. passé").
dame à cheval "figure du jeu d'aluette" (var. de cavale) sous aller  :aurait pu être signalé en vedette autonome.
défalquer  :original par rapport à décapeler attendu (cf. ESNAULT, Métaphores), mais le verbe me semble plus répandu chez les marins que chez les terriens (cf. dans l'argot de la Royale être défalqué du rôle des plats "être décédé").
fort (être -sur) "avoir un goût alimentaire marqué pour"  : il est bien possible que le tour soit régional en France ; je regrette de ne pas l'avoir noté dans mes travaux sur l'Ouest (où l'on
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entend parfois le jeu de mots "Le grignon [du pain], c'est mon fort [GRIGNION DE MONTFORT] ").
gloire (être parti pour la -) "être à moitié ivre"  :l'absence de l'expression dans TLF et Robert est sans doute indicative en l'occutrence d'un caractère aujourd'hui marginalisé de l'expression  ; elle est également bien vivante dans l'Ouest.
grandement "beaucoup" sous arranger, ex. 4  : le mot offre au Québec une fréquence nettement supérieure à ce qu'on peut observer en France  ; en serait-il de même à SPM  ?
marache  :doit pouvoir être rattaché à FEW 6/1, 317a MARE.
marshmallow "bonbon à la guimauve"  :attesté aussi en France (cf. Robert).
matin (à) "ce matin"  : la locution n'est pas "usitée à l'époque moderne que dans les parlers dialectaux de l'ouest et du centre-sud du domaine d'oi7, en France"  ;elle est aussi passée en fr. région. (RÉZEAU 35)
mort (quand il y a un -dans une maison, la porte est toujours ouverte)  :cette réflexion faite à
une personne dont la braguette est ouverte, et qu'on lit sous schiste, aurait méritée d'être épinglée à part.
moruette "petite morue"  : ce "diminutif original" l'est-il vraiment  ?outre qu'on lit dans FEW 5, 436b la forme moluette att. à Boulogne en 1884, le Crand Dictionnaire Encyclopédique Larousse, t. 10, 1984, indique également moruette.
pelote  : pl. "testicules"  :relevé aussi en ce sens dans CARADEC 1977.
rendu "arrivé" (dans l'exemple sous colombier)  :aurait mérité un traitement en vedette (cf. RÉZEAU 241).
tac  :pour l'étymologie, cf. BALDINGER, Erymologien, § 1277.
tirette  :usuel aussi en ce sens en Lorraine et en Alsace.
vignette  :une expression est cachée dans l'exemple 3  : (être en train de) manger des vignettes "être en retard" (cf. L. DOUCET, "Saint-Pierre et Miquelon", in Pays et gens de France, n° 112, Larousse, 1984, 20).
Il convenait bien sûr de renvoyer aux vol. 24, 25 dans les cas où l'article du vol. 1 a été repris dans ces vol. (c'est le cas pour dge, allant, dne). Parmi les coquilles les plus gênantes, signalons S] S dans les étymons sous chacoter, chicot, chiquette, cochon de lait ; DOUCÂTRE] préférer DOUCEÂTRE ;plastic] plastique (697, avant-dernière ligne).
Le prix de l'ouvrage, nettement prohibitif (267 DM), et la présentation choisie par l'éditeur, trop volumineuse pour être maniable, font souhaiter ardemment la publication de ce beau travail dans une édition au format réduit, qui puisse faire connaître à un plus large public les richesses du français dans cette partie du monde et la remarquable qualité de l'analyse qui en est donnée.
Pierre RÉZEAU
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COLIN (Jean-Paul), MÉVEL (Jean-Pierre),
avec la collaboration de Christian LECLÈRE, Dictionnaire de l'argot,
Paris, Larousse, 1990, XXVII-763 p. ; préf. d'A. BOUDARD.

Chef-d'oeuvre en péril comme le patois du Marais vendéen ou le créole français de Trinidad et Tobago, l'argot des vrais de vrais mourra guéri. On ne cesse de multiplier ces dernières années les rééditions d'ouvrages des années 1900 LARCHEY en 1982 aux Éd. J.-C. Godefroy (éd. de 1881) et en 1985, aux Éd. de Paris (fac-simile de l'éd. de 1872)  ; BRUANT en 1990 aux Éd. Chimères ;FRANCE en 1990, aux Éd. Nigel Gauvin (qui, en 1987, avaient publié le Dictionnaire d'argot d'É. NOUGUIER)  ; DELVAU, Dictionnaire érotique moderne en 1990 aux Éd. 1900, et LERMINA et LEVÊQUE en 1991 aux Éd. de Paris. Dans le même temps, des travaux importants ont engrangé les avatars de cette ancienne langue verte sous des titres qui veulent témoigner de son destin contemporain  :ainsi Le Dictionnaire du
fia,tçais argotique et populaire de Fr. CARADEC (1977) et le Dictionnaire du français non conventionne ! de J. CELLARD et A. REY (1980), deux ouvrages réédités eux aussi, respectivement en 1988 et 1991.
La Maison Larousse avait "son" dictionnaire d'argot, le précieux Dictionnaire historique des argots fra,rçais de G. ESNAULT (1965), depuis longtemps épuisé et dont beaucoup de données étymologiques et historiques étaient devenues caduques, sans compter la nomenclature, vieillie d'un demi-siècle. Destiné à lui succéder, le présent travail (qui a du mal à se rappeler le titre complet de son illustre prédécesseur), offre des limites historiques plus réduites en amont (la langue observée ne remonte qu'à la fin du XVIIIe siècle), mais rajeunies en aval d'une quarantaine d'années. Rien n'est dit de ses limites géographiques  : on comprend bien que, pour toutes sortes de raisons, les ambitions de l'ouvrage se bornent à la langue de l'Hexagone, mais il y a là une "réduction" qui, si elle échappe à beaucoup, est plus ou moins vivement sentie par bien des francophones ; il est de plus en plus urgent de ne pas confondre la France et le français (et l'argot). On précisera donc qu'il s'agit d'un dictionnaire de l'argot en France et, plus précisément, de l'argot commun (par opposition notamment aux argots de métiers) dont D. FRANÇOIS-GEIGER cerne les contours dans l'introduction. Le dictionnaire proprement dit est en effet pris entre diverses "annexes"  :préface d'A. BOUDARD, introduction de D. FRANÇOIS-GEIGER, présentation de J.-P. COLIN et, en fin d'ouvrage, des reproductions de l'article sur l'argot d'H. BONNARD dans le CLLF (1971) et de celui, sur le même sujet, du Larousse du XIXe siècle.
Les lignes qui suivent souhaitent simplement attirer l'attention sur les aspects les plus saillants de cet ouvrage, avec un souci d'équité entre l'ombre et la lumière. S'il a été lu attentivement, on a épargné au lecteur des listes fastidieuses, en se cantonnant dans la tranche alphabétique S-Z (et en ne tenant compte, pour cet examen, que des volumes des DDL et du TLF parus avant la sortie de l'ouvrage).
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1. Nomenclature.
Elle est d'une très grande richesse et les auteurs doivent être chaleureusement félicités du vaste panorama qu'ils nous offrent. Les quelques notes qui suivent ne sont que des suggestions pour mieux affiner cet inventaire.
1.1. Mots ou formes cachés.
Un certain nombre de mots, de sens ou d'emplois apparaissent dans les exemples, qui semblent relever du registre argotique et auraient gagné soit à être traités à leur rang alphabétique soit à être glosés  :biffe sous tuber ; carbonner sous tagueur ; cholette sous tortu ; décoincer sous terrine ;dos (aller sur le -) sous tricotin ; flacdalle sous vaguotte ;friquets sous sulfater ;graillon sous chlinguer ;gueule (n'avoir que la -pour fumer) sous sèche  ;maltaise sous salade ; narpé sous raguer et tromé ; palarin sous tartiner ; palefrin sous trimarder ; papafard sous schlof ; taller sous truc ; thunardage sous vanneur.

On pourrait y ajouter quelques mots qui apparaissent dans des locutions comme balladoires sous tirer (se) ou confis sous trimballeur et dont le lecteur n'a pas la clef.
1.2. Mots ou sens oubliés
Il serait facile de faire le procès de ce qui manque dans un dictionnaire et il ne s'agit pas ici de chercher la petite bête et de verser des larmes de crocodile sur l'absence de tel ou tel mot, sens ou emploi. On peut cependant (en raison de leur vitalité et de leur présence chez plusieurs auteurs), regretter quelques absences  :sauteur, -euse n. synonyme de baiseur, -euse ; Schwartz "nuit"  ; séco en emploi adv. (il figure dans un exemple sous cafouiller)  ;sévère en emploi adv.  ; sirop de rue ; soutif "soutien-gorge"  ; taf(fe) "bouffée de cigarette"  ;tarte aux poils (bouffer de
la -) loc. v. ;tranche de cake f. (injure) ; tricoche (cf. tricocheret tricocheur) ;voyageur m. (cf. voyage au sens 2) ; zézette f. zifolo ; zigounette f. ;sans oublier le suffixe -~ngue (cf. salingue) et peut-être troisio/troizio et quatrezio (dans la mesure où l'on a deuzio).
1.3. Mots peut-être superflus  ?
La cohésion de l'ouvrage aurait intérêt à la suppression de quelques mots ou sens qui sont aujourd'hui plus familiers qû argotiques, comme d'ailleurs les auteurs le mentionnent de
temps en temps  :saint frusquin (sens 1) ;Saint-Glinglin ; sal¢malecs ;schlague ;schnaps ; scie ;scribouillard ;Six-quatre-deux (d la -) ; smalah) ;sous-fifre ;suisse ;surface (refaire -) ; sympa ;tangente (prendre la -) ;tapée ;taper tr. (sens 7) et intr. (sens 2 et 4). ;torchon (le - brA[e) ;tremblote ;trône "siège des W.C."  ;truand  ;urger  ;virage (choper [attraper, avoir, baiser) au -) ;voyage (sens 1) ; ryeuter.
On ne voit pas bien non plus en quoi les anglicismes sexy, squat(t) ou squatter et walk- overconstituent des argotismes.
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Dans d'aunes cas, lorsqu'il s'agit de vairs dont la fréquence est sans doute assez basse, on aurait aussi pu gagner de la place  :qui aurait pu se plaindre sérieusement de ne pas lire scaphandre de poche "préservatif masculin" ou avoir un prototype dans la soufflerie "êve enceinte"  ?
2. Définitions et exemples
La sobriété et l'adéquation des définitions sont dignes d'éloges. Quelques broutilles soleil (sens 2) "rondelle de citron dans un grog", aj. "un thé, une eau minérale"  ;sous-bite signifie bien "sous-lieutenant" mais ne semble guère assuré, et rare en tout cas, au sens de "sous-officier"  ;tapir (sens 2) "prostituée", mettre l'e final enve parenthèses, le mot s'employant aussi pour les prostitués masculins ;torchon "drap, lit" fonctionne surtout (seulement  ?) dans des locutions verbales  :les deux exemples donnés indiquent mettre sa viandre dans le t. et tirer sa viande du t. ;touche (sens 4), "bouffée" eût été meilleur que "goulée" (qui est peut-êve marqué, cf. l'exemple de Y. GIBEAU sous tuber)  ;trognon  : on aurait pu dégager la locution du second exemple, se casser le trognon, qui enrichit le pazadigme sous casser ;vicelard  : il manque une case pour des emplois du type air, sourire vicelard.
Les exemples sont vès nombreux, généralement bien choisis et constituent d'excellentes illustrations (on pourra avoir quelques réticences pour des auteurs à l'argot saturé comme P. DEVAUX ou ancien comme J. BURNAT). Quelques-uns apparaissent deux fois (CANCER sous croissa,rt et salade, LE BRETON sous boule et sa, :s un, L'Événement du jetuti sous tromé et taguer), ce qui aurait pu facilement êve évité ;quelques lectures complémentaires auraient permis de diversifier et de compléter les citations  :ainsi J. HOUSSIN Bille en tête, pour saute- au-paf ou Roulez jeu,resse  !, pour tréteau (sens 2).
3.Organisation des articles
On constate quelques légers flottements dans l'organisation de la nomenclature  : avoir du sang de navet, se faire sauter le caisson, scalper le mohicmr, tailler une pipelune plume, tirer un fil, uemper son biscuitlson panais, hou de balle, truquer d dada, sont traités à deux endroits, sous les deux substantifs pour la première locution, sous le verbe et sous le substantif pour les aunes (avec des indications historiques le plus souvent discordantes, ce qui est plus ennuyeux). Ces bégaiements auraient pu êve évités, par exemple en recourant à l'astérisque pour faire les renvois nécessaires ; ce procédé aurait permis au lecteur de s'y retrouver plus facilement. Pourquoi, par exemple, ne pas indiquer rouler* une saucisse sous saucisse et tirer un coup* sous tirer ;cela aurait aussi permis sous tutoyer d'indiquer tutoyer* le pontife et sous valser de noter faire valse~ les négresses*. Si le lieu où vaiter une locution ou une expression peut êve l'objet d'hésitations, ce type de renvois, qui tient peu de place, offre au moins l'avantage d'éviter d'inutiles redondances.
À l'intérieur même des articles, on ne voit pas bien quelquefois l'ordre qui a été choisi. Quand l'article vaite d'un mot monosémique et contient plusieurs exemples, ceux-ci ne
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répondent pas toujours à l'ordre alphabétique des auteurs ni à la chronologie des ouvrages cités  ; ils y sont, et c'est le principal, mais l'ordre chronologique s'imposait sans doute dans un ouvrage comme celui-ci, qui entend avoir le souci de l'histoire. Quand l'article comprend plusieurs divisions, on ne voit pas non plus toujours la raison claire de la succession des sens ou des locutions (elle est parfois malencontreuse comme dans le cas de troquet ;pour virguler, voir K. BALDINGER, Mél. Matoré (réf. utile aussi pour bicher et royco), pp. 205-210, qui aurait permis d'apprécier l'intérêt de l'exemple de BASTIANI et de construire l'article autrement — la date de "1868 [CI.LF]" n'étant par ailleurs pas pertinente ici).
Marques d'usage. On s'attendrait parfois à des indications concernant l'emploi réel du
mot  :ainsi sénégambouilles, sergot, serviotter, social, stiff (aussi usuel que clodo  ?), yeuter, zéphir, zozore ;sans parler du son étrange de tire-gousset (qualifié de vx... avec une prem. att. de 1980).
Synonymie. On aurait pu renvoyer, et vice versa, sous séraille, à baptême, bateau et
barlu ;sous sucre, à beurre ;sous taper v. pr., à s'appuyer, s'envoyer, se farcir  ;sous vipère, à anguille.
4. Étymologie et histoire
Les quelques réserves que l'on a pu faire ci-dessus n'enlèvent rien à la qualité de toute la partie descriptive du dictionnaire, qui représente un travail très estimable. Le "rez-de-chaussée" des articles appelle, quant à lui, les plus expresses réserves. Sans doute, tout travail sur l'étymologie et l'histoire requiert-il de solides munitions et, sous cet aspect, les meilleurs travaux sont perfectibles ;mais il est des exigences méthodologiques minimales auxquelles on ne saurait se dérober. Ni les unes ni les autres ne sont vraiment au rendez-vous et l'on est confondu de l'amateurisme qui règne dans ces notices.
4.1. Du côté de l'étymologie, on n'insistera pas sur l'absence de certains rapprochements utiles (sous sabre, indiquer "cf. braquemart" et, sous salé, "cf. lardon" —comme le notent, dans les deux cas, CELLARD/REY) ni sur des maladresses évitables (les bouteilles de Saint-Galmier "avaient un contour très peu carré"  ;sens unique est une "loc. automobile (sic) désignant le panneau rond et rouge (resic  !)"  ;l'article strasse aurait dû être dédoublé, selon les principes indiqués p. XX), etc.
Plus gênants  : la confusion sous Saint-Jean, entre saint Jean l'évangéliste et saint Jean- Baptiste (c'est à ce dernier qu'il convenait de renvoyer)  ; quant à l'expression être [(né)J de la Saint-Jean, elle renvoie probablement à l'image rurale des couvées tardives, écloses à cette époque (24 juin) ;saute-au-crac renvoie à un crac dont on n'a qu'un faible écho sous craquette (cf. CELLARD/REY, noter l'anglais crack en ce sens et poser le problème du genre masc. de crac dans cette lexie —sans doute par parallélisme avec saute-au-paf) ;schlass "couteau"
reprise d'ESNAULT, l'étymologie par l'anglais n'a rien d'assuré, et l'on aurait pu innover en mettant en concurrence avec celle-ci l'hypothèse de l'allemand Schlass  ;schnock  : "Hans im Schnokeloch" n'est pas une chanson lorraine, mais une chanson typiquement et emblématique- ment alsacienne, et Schnokeloch signifie "trou de moustique" et non pas "trou Schnocke"
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(bourde reprise d'ESNAULT, heureusement rectifiée dans CELLARD/REYZ)  ;singe (avoir un - sur Je dos) "êve en manque de drogue" n'est pas un simple "emploi ironique du mot usuel" mais un calque du slang américain (to have a monkey on one's back, att. dep. 1942)  ;sous-tasse  : "de sous et de tasse" n'apprend rien au lecteur et, au lieu de ce truisme (ou de cette équivoque, cf. la polysémie de tasse), il convient de rapprocher le mot de soucoupe ;tache est bien un "emploi métaphorique du mot usuel", mais duquel  ? Si le sens 3 peut être rattaché à tache "souillure", les sens 1 et 2 sont issus de tache "clou" (homonyme du premier, d'origine incertaine, FEW 23, 91-92) ; totoches "seins"  : un "redoublement expressif à valeur onomatopéique" n'explique guère, le mot est à rattacher à *TITTA FEW 16, 337b ;tutu "altération de tortu" est irrecevable. CELLARD/REY avait déjà quelque peu entrevu l'origine du mot, qu'il convient de rattacher à la base TUT- (FEW 13/2, 444b-445a), au lieu de répéter l'erreur d'ESNAULT qui, lui, ne pouvait consulter ce tome du FEW ;zizi "redoublement d'origine enfantine, pour désigner ggch de petit. 1920 [BAUCHE] (...)"  : cf. ESNAULT Métaphores, pp. 118-119 pour une meilleure explication (inscrivant le mot dans le paradigme oiseau) et 1912 PERGAUD Guerre des boutons pour une meilleure attestation. Pour ne rien dire enfin du leit-motiv "emplois métaphoriques du mot usuel", qui est trop souvent un cache-misère...
4.2. L'ouvrage a le souci de dater chaque sens, chaque locution et, souvent même, ce souci s'étend aux variantes graphiques  : on ne peut que s'en réjouir et même s'il ne s'agit le plus souvent, dans ce genre d'entreprise, que d'une compilation, l'initiative mérite le respect. II est malheureusement évident que les documents lexicographiques cités en fin d'ouvrage ont été mis à contribution de la façon la plus incertaine et qu'ils n'ont pas été exploités systématiquement
c'est par centaines qué des attestations notablement plus anciennes que celles qu'on voit là, avancées au petit bonheur, pouvaient y être puisées. Au lieu de quoi, on voit à chaque page CARADEC 1977 (excellent ouvrage au demeurant), requis pour servir de première attestation. Pour le reste, on a colmaté avec ESNAULT, des incursions sporadiques dans les dictionnaires d'argot du XIXe et du XXe s. et, assez souvent, le Petit Simonin illustré, CELLARD/REY, le GLLF (et le TLF, pour les tomes parus ;encore ce dernier est-il curieusement utilisé  : on n'a lu parfois que la partie synchronique des articles). Ce travail sans méthode (la présentation est d'ailleurs elliptique sur ce point) ne fait que jeter de la poudre aux yeux et aboutit à des résultats très peu fiables.
Voici quelques exemples, parmi de très nombreux autres, d'attestations plus anciennes, qu'un balayage méthodique de la documentation sur le sujet multiplierait et améliorerait de façon parfois considérable.
4.2.1. Attestations figurant dans les "auteurs et ouvrages cités" (et qu'un effort de cohérence aurait aisément permis d'utiliser)  : pastaga "pastis" 1957] 1953 SIMONIN sous sécher  ;salade "événement fâcheux" 1958] 1951 HÉLÉNA, Festival  ;saladier "bouche" 1977] 1938 LEFÈVRE s.v. taper ; smack "mégot" 1970] 1947 smac FALLET Banlieue sud-est  ;touche-pipi 1953] 1946 GUÉRIN ;valdinguer (emploi tr.) 1974] 1961 CÉLINE Rigodon ;vergne "ville" 1829] XVIIIe s. ds exemple sous béquiller.
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4.2.2. Attestations figurant dans les "documents lexicographiques" cités  :sac 1846] 1804 DLL 32 ; Saint-Jean (sens 3) 1829] 1791 DDL 32 ;saladier (en faire un -) 1916 BARBUSSE ds CELLARD/REY ;sang (avoir du - de ~ :avet) 1929] 1907 FRANCE (à noter que l'image de MÉRIMÉE n'est pas sang, mais jus de ~ravet  :TLF sous ~ravet)  ;santé (avoir une -) 1907 Larousse, d'après FRANCE, lequel cite CIM] 1899  ;sapes contemporain] 1926 ESNAULT  ; sapin (sentir le -)  :1877] 1694 GLLF ;saucisses (ne pas attacher ses chiens avec des -) 1870] 1643 DDL 19, date qui figure aussi dans CELLARD/REYZ ;sauterelle (avoir une -dans la vitrine) "avoir l'esprit dérangé" 1982] déjà 1907 FRANCE avoir une s. dans la guitare  ; scaille (d la -) 1979] 1972 BOUDARD ds CELLARD/REY ;scier "surprendre" 1964] 1801 DDL 32  ; scier le dos "importuner" 1808] 1792 DDL 32  ; scoumoune 1960] 1928 LACASSAGNE  ; semoule (envoyer la -) 1984] 1976 CORDELIER ds CELLARD/REY ; se~ :tir :elle "étron" 1866] 1640 OUDIN ds GLLF et CELLARD/REYZ ;service trois pièces "organes sexuels masculins" 1953] déjà les trois pieces 1640 OUDIN ;soulever "séduire" 1977] 1799 DDL 32  ;tableau 1872] 1862 FLAUBERT ds CELLARD/REY ;tabouret "dent" 1954] 1907 FRANCE s.v. salle d manger ;tailler (se) 1949] 1928 LACASSAGNE ;toper (se) (sens 2) 1947] 1928 LACASSAGNE ;têtard "enfant" 1953] 1922 MARMOUSET dans CELLARD/REY  ;tiffes (s.v. tif) 1953] 1909 CASANOVA dans R. GIRAUD 70 ;tourner de  !'oeil "mourir" 1867] 1835 GLLF et TLF sous oeil ; nemper son biscuit "d'abord tremper soi : pinceau" 1896 tremper son pain 1640 OUDIN ; uiquer v. i. 1977] 1902 DLL ds CELLARD/REY ; tro~rcher v.i. 1936] 1899 NOUGUIER ;trottoir 1861] 1852 DDL 14 ds CELLARD/REY ; trouduculler 1977] 1963 BOUDARD ds CELLARD/REY ;valser 1867] 1806 DDL 32 ;vite fait 1977] 1964 GLLF ; walk-over (qui n'est pas à sa place dans cet ouvrage) 1960] 1855 H~FLER et PETIOT  ;zigue 1885] 1800 DDL 32.
À quoi on ajoutera quelques lectures erronées ou rapides du CELLARD/REY, ainsi saint frusquin le sens "parties génitales de l'homme" n'est pas daté vers 1850 ds CELLARD/REY, c'est le sens familier que ce dictionnaire date "vers le milieu du 19e siècle"  ; ce même dictionnaire ne date pas savon "activité régulière, profession" de "1960, LE BRETON", mais "vers 1960" et donne une citation de LE BRETON de 1973  ; le "après 1945  ?" de strasse se change en affirmation "vers 1945", comme le "vers 1930  ?" de d volo qui donne
"vers 1930".

4.2.3. Compléments possibles (tirés d'ouvrages dont on peut regretter qu'avec d'autres ils soient absents de la bibliographie)  :saladier  : aj. 1885 "boniment" ALLAIS, Oeuwes posthumes  ; sécateur (baptisé au -) 1977] 1899 PÈRE PEINARD ;service (ennée de -) 1975] cf. trou de service 1820 Erotica verba ; talmouse 1906] XVe s. VILLON (Weinhold ds BALDINGER Etymologie>r)  ;tirelire (sens 6) 1881] 1820 Erotica verba  ;tomate "apéritif..." 1964] 1939 Vertex ds GIRAUD, Argot du bistrot ;torche-culatif 1977] 1896 PÈRE PEINARD ; totoches "seins" 1979] 1971 MANCHETTE L'Affaire N Gustro  ;trifouillée "grande quantité" 1964] 1896 PÈRE PEINARD ; trouduc 1953] 1947 CÉLINE, Maudits soupirs ; trouducuterie 1912] 1894 PÈRE PEINARD ;vacciné 1964] 1937-38 GRANCHER S de campagne ;vent (du -  !) 1964] 1927 GIRARD ds Ça ne mange pas de pain (non repris, curieusement, dans CELLARD/REYZ)
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vouloir (je veux  !) 1977] 1943 QUENEAU ds Ça ne mange pas de pain ;pour zigouigoui, daté de 1946, il conviendrait de s'assurer de la date de la fameuse chanson de Georgius qui porte ce tiue ; zizi-pan-pan 1864] 1820 Erotica verba.
5. Un "glossaire français-argot" suit, pp. 677-726, ainsi qu'une bibliographie des "auteurs et ouvrages cités" (728-741) et des "documents lexicographiques [certaines lacunes surprennent] auxquels renvoie la partie étymologique" (737-741)  ;quelques coquilles et erreurs s'y sont glissées, dont voici quelques exemples  : Bénoziglio] Benoziglio ;Gerbert] Gerber ; DELVAU Dict. érotique moderne, 1966] 1866 ESNAULT, Dictionnaire des argots] Dictionnaire historique des argots fim~çais ; FEW (...) 23 fascicules] 149 fascicules (le 152e vient de sortir en 1992  !) ;FRANCE Vocabulaire] Dictio,utuire ; QUÉMADA] QUEMADA.
Élégamment présenté, dans une mise en page et une typographie qui flattent l'oeil, l'ouvrage est très agréable à consulter et ne manquera pas de rencontrer un large public. Mais le plaisir et le profit très réels qu'on puisera dans ce dictionnaire dépendra de ce que l'on y cherche, le pari scientifique n'étant qu'à moitié tenu  : au professionnalisme de la description sémantique se mêle le bricolage de trop de notices étymologiques et historiques, qui ne répondent pas de l'état des recherches actuelles dans ces domaines et sont inutilisables. On regrettera, à cet égard précisément, l'hommage ambigu rendu au début de l'ouvrage au TLF et à l'Institut National de la Langue Française, donnant faussement à croire aux lecteurs que cette dernière institution a été
mise ès qualité ii contribution.
Comme l'écrivait en souriant A. HARDELLET dans Chasseurs, "je me demande si M. Larousse, qui emploie des jeunes filles à souffler sur des pissenlits, accueillera mes suggestions dans ses excellents ouvrages."
Pierre RÉZEAU



CELLARD (Jacques) et REY (Alain),
Dictionnaire du français non conventionnel,
Paris, Hachette,1991, XX-909 p.

Parue en 1981, la première édition de l'ouvrage était devenue introuvable en librairie et c'est une heureuse idée d'avoir mis sur le marché cette seconde édition. On pourra cependant regretter qu'elle n'ait pas été aussi "notablement revue et augmentée" que le disent les auteurs dans l'avant-propos. Si d'heureuses corrections et rectifications, si certains enrichissements ont en effet été apportés, ils restent bien en deçà de ce qu'on pouvait légitimement escompter, méconnaissant "sans état d'âme" (p. XVII) des comptes rendus d'ensemble de la première
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édition (ainsi Revue de Linguistique romane 45 (1981), pp. 258-261, ou Le Français moderne 50 (1982), pp. 365-372) ou des travaux ponctuels (K. BALDINGER, in Mélanges Matoré, 1987, pour bicher ; G. ROQUES in Festschrift K. Baldinger, 1979, p. 588 et R. ARVEILLER, Revue de Li~ :guistique romane 53 (1989), p. 552 pour chaud de la pince ou encore F. RAINER, Zeitschrift für romanische Philologie 101 (1985), p. 420 pour lègue) ;sans compter quelques coquilles ou erreurs fâcheuses qui se sont surajoutées à celles que contenait déjà la bibliographie et qui, par exemple, datent le Dictionnaire de FURETTÈRE de 1960, donnent comme éditeurs du TLF le "CNRS, puis Klincksieck-Gallimard" ou attribuent un ouvrage de M. AUDIARD à F. ASIE.
Malgré ses imperfections, l'édition de 1980 était un très bel essai  : il n'a guère été transformé.
Pierre RÉZEAU