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Classiques Garnier

Chroniques et comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    1982 – 2, n° 41
    . varia
  • Auteurs : Juillard (M.), Loffler (A.-M.)
  • Pages : 123 à 128
  • Réimpression de l’édition de : 1982
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812442940
  • ISBN : 978-2-8124-4294-0
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4294-0.p.0125
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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CHRONIQUES ET COMPTES RENDUS

Étienne BRUNET, Le Vocubuiuire de Jecra Giruudorcr, Structure et Évolution, Genève, Slatkine, 1978, 681 pages.
Cet ouvrage issu d'une thèse de doctorat d'État constitue le premier volume de la collection "Travaux de Linguistique Quantitative" dirigée par Charles MULLER. Aux données de bases fournies essentiellement par le Trésor cic  !u Lurrgue Frcntçaise (T.L.F.)  :dictionnaire des fréquences de Giraudoux et de la langue littéraire du XX`' Siècle, ont été appliquées les méthodes mises au point par les pionniers de la statistique linguistique, HERDAN, GUIRAUD e[ MULLER, ainsi que certaines procédures mathématiyues originales. C'est l'ordinateur et le langage de programmation PL/I yui ont permis la réalisation pratique du travail.
La première partie est consacrée à la structure lexicale. M. BRUNET applique avec une remarquable compétence à son corpus les diverses métho- des existantes qui, à partir de l'étendue N (nombre total de mots) d'un texte et de son vocabulaire V (nombre de mots différents), permettent de rendre compte de la richesse du vocabulaire. M. BRUNET propose aussi un nouvel indice de richesse (w = NV-a, avec a = 0,172) qui offre l'avantage considé- rable d'être peu sensible aux variations d'étendue (p. 45). Deux chapitres entiers où le vocabulaire est envisagé sous un aspect dynamique sont consa- crés aux classes de fréquence et de répartition et à l'accroissement lexical. Dans ce domaine encore, l'auteur, actuellement Chargé de Recherche au C.N.R.S., fait une contribution originale à la statistique linguistique en proposant d'inverser la perspective chronologique traditionnelle pour mettre en évidence non plus l'apparition de nouveaux vocables mais leur abandon progressif, signe du tarissement d'une inspiration (p. 79). On constate que tous les indices et mesures proposés varient uniformément en fonction du temps et du genre.
La deuxième partie étudie la segmentation du discours en unités qui vont du graphème à la phrase. Nous apprenons que la répartition des graphèmes n'est pas aléatoire (p. 199) et que la fréquence de "m" augmente alors que celle de "t" décroît sans qu'il soit toujours facile d'attribuer ces phénomènes à une cause précise. Diverses mesures prouvent également que la longueur moyenne du mot diminue avec le temps et le passage du roman au théâtre (p. 163), de même que la ponctuation varie selon les genres (pp. 231-245). La phrase, la succession des phrases, des répliques, des scènes et des actes, la répartition dans la phrase et la place du mot sont soigneusement étudiées, ainsi que les catégories grammaticales, tributaires elles aussi du genre et du temps. Cependant, le linguiste pratiquant la grammaire générative transforma- tionnelle regrettera peut-être que Ict méthode statistique semble encore peu apte à passer de l'organisation de surface aux structures profondes.
126 Dans sa dernière partie, M. BRUNET aborde l'étude du contenu lexical. Les parentés sémantiques des vocabulaires considérés fônt l'objet de mesures variées qui soulignent l'influence prépondérante du temps sur le contenu plus les textes sont voisins dans le temps, quels que soient les thèmes et les genres, plus ils ont de vocabulaire en commun (p. 387). L'auteur établit ensuite le profil [hématique des textes à partir de leur vocabulaire caractéristi- que. L'analyse factorielle, que M. BRUNET utilise avec brio dans tous les domaines de sa recherche, vient couronner une magistrale analyse des champs sémantiques (pp. 421-469). Cette étude du contenu se termine par un chapitre consacré au vocabulaire significatif de Giraudoux par rapport au vocabulaire du XX` Siècle dans le T.L.F. L'ensemble est complété par une bibliographie et des annexes comprenant une partie des matériaux qui n'ont pas trouvé leur place dans le corps d'un ouvrage qui comporte déjà 215 tableaux.
La lecture n'en est cependant jamais aride  ;outre le grand intérêt scientifique de ses résultats, M. BRUNET sait retenir son lecteur par le charme d'une écriture limpide aux métaphores variées et toujours éclairantes. Ce travail original est la première étude entièrement automatisée d'une oeuvre littéraire. Il marque aussi le début de l'exploitation du corpus de la langue française du T.L.F., tâche que l'auteur poursuit actuellement en dirigeant l'Unité de Recherche Linguistique "Exploitation Statistique du Trésor Litté- raire" au sein de l'Institut National de la Langue Française (INALF) qu'anime Bernard QUEMADA. L'ouvrage a été distingué par la médaille de bronze du C.N.R.S. et devrait constituer une lecture obligatoire pour tous les chercheurs qui souhaitent appliquer les méthodes de la statistique linguistique.
M. JUILLARD. Université de Nice
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Joseph NEHAMA, Dictionnaire de Judéo-espagnol, avec coll. de Jesûs GANTERA, éd. du C.S.I.C.', Madrid 1977, 610 p. in -4.
Ce volumineux recueil de termes et d'expressions judéo-espagnoles de la région de Salonique est le fruit d'années de collecte patiente et enthousiaste. Il est certainement actuellement celui qui fournit le plus grand nombre d'entrées et le plus grand nombre d'exemples d'usages. En ce sens, il doit être consulté par tous ceux qui s'intéressent aux judéo-languesz et également par tous ceux qui s'intéressent au vocabulaire des langues de contact ainsi qu'à la probléma- tique du dictionnaire de ce type de langue.
L'ouvrage présente des vocables d'une des variétés de langues issues de
l'émigration des Juifs d'Espagne après 1492 (date de l'expulsion ordonnée par les Rois Catholiques), et en voie de disparition actuellement. Le judéo- espagnol est en général sous-estimé par ceux qui le pratiquent, et, de fait, seulement pratiqué en fami11e3..Cependant un mouvement s'est amorcé pour recueillir et conserver cette langue des ancêtres, et peut-être en faire revivre la culture4. Le dictionnaire dont il s'agit ici fait partie de ce mouvement.
Divers problèmes sont posés pour la réalisation de tels dictionnaires
1. Les sources.
Les textes écrits sont rares. La source la plus abondante est l'interrogation des locuteurs. Le dictionnaire s'élabore donc sur le modèle
des enquêtes dialectales. Les attestations sont dignes de confiance parce que

l'on sait l'auteur et les informateurs honnêtes5.
2. Choix des formes.
Lorsque la région couverte géographiquement est vaste, l'auteur gardien du patrimoine peut être amené à faire des choix de formes soit parce qu'il a tendance à privilégier son propre usage familial soit parce que la place lui manque pour donner toutes les formes qu'il a recueillies. Pour ce qui est du judéo-espagnol, il est pratiqué tout autour du bassin méditerranéen, avec des
variantes dues aux diverses influences arabes, italiennes, turques, grecques à

diverses époques. J. NEHAMA annonce clairement que son dictionnaire traite de la langue de Salonique (l'un des plus importants centres d'implantation
judéo-espagnole).
1. Consejo Superior de Investigaciones Cientificas.
2. Terme utilisé par H.V. SEPHIHA pour désigner les langues utilisées par les Juifs de la Dispersion (Diaspora) et pour lesquelles il faut bien distinguer entre judéo-langue vernacu- laire et judéo-langue calque. Sur la base hispanique, le "djudezmo" est la langue parlée quotidiennement, et le "ladino" est la langue liturgique, calque de l'hébreu (cf. morpholo- gie, syntaxe e[ même vocabulaire). Il est essentiel de ne pas confondre ces deux variétés de langue. Ici il s'agira de la variante la plus soumise aux contacts avec d'autres langues, celle qui a été parlée à travers les siècles  :c'est le "djudezmo" qui sera, par simplification nommé "judéo-espagnol".
3. En cela, la situatipn est proche de celle des créoles  : auto-dévalorisation et utilisation dans un nombre de situations restreint.
4. Situation proche de celle des langues régionales en France  :des associations se multiplient pour les soutenir et les mettre en valeur. Pour le judéo-espagnol  :Association Vidas Largas,
B.P. 470, 75830 Paris Cedex 17).
5. Ce qui est le contraire même d'un type de dictionnaire où c'est le caractère écrit d'une attestation qui lui confère son authenticité et sa validité (cf. le Trésor de la Longue Française du XIX e et XX e. siècle).
128 3. Lemmatisatior~ ~ :~ l'entrée.
Ce dictionnaire respecte la tradition des entrées de verbes à l'infinitif, de substantifs au singulier et des adjectifs au masculin. Cette méthode introduit de l'artifice lorsqu'un vocable ne présente pas effectivement une de ces formes dans les discours produits  :peu d'exemples de ce type ont été relevés dans ce dictionnaire.
4. Transcription phonétique.
Etant donné qu'il n'y a pas de tradition écrite universelle pour le judéo- espagnols, l'auteur n'a pas eu besoin de faire suivre chaque entrée d'un correspondant phonétique  : il a directement écrit le vocable en "transcription phonétique". De fait, celle-ci n'en est pas une véritable, au sens où il n'adopte pas le système international, mais un système qui, selon l'auteur lui-même, a été choisi pour rester en accord avec le système des romanistes espagnols. Exemples  :abagâ, abrasizos, lambici'éro. Cela permet une lecture plus aisée aux profanes, mais risque de gêner des spécialistes. Ce choix de traitement est déterminé paz le choix du public visé.
5. Origine des mots.
L'origine turque, arabe, française, hébraïque, portugaise même, est indiquée entre parenthèses. Mais le (ou les) significations) du mot source manque(nt). Exemples
abagâ (turc  : baca) - s.f. _ "fenêtre à tabatière, lucarne (...)" abagâ (fr. abat-jour) - s.m. _ "persienne, volet (...)"
abazûr (fr. abat jour) - s.m. = 1. "abat jour, réflecteur qui rabat la
lumière des lampes"

kâca (italien)  : eaccia). I.s.f. I "chasse"
2. "le produit de la chasse"
II. 1. "couverture (d'un livre)"
2. "fourreau, gaine (d'un couteau, (...)"
3. loc. (...)
ac7ayom (hébreu) - Adv. "jusqu'à maintenant"
On peut se demander s'il y a eu ou non modification sémantique au passage d'une langue à l'autre, tant en ce qui concerne une désignation appazemment monosémique qu'une désignation dont la "traduction" donne lieu à un vérita- ble essai de classement sémantique. Il est bien rare que les mots rre subissent pas un glissement sémantique au passage d'une langue dans une autre. Mais d'autre part, le judéo-espagnol étant ressenti comme une langue étrangère par rapport à la langue du pays où vivent les "judesmophones"', il est possible que l'adoption se réalise plus directement.
6. Dérivations.
En général les dérivés donnent lieu, dans ce dictionnaire, à une entrée autonome, avec indication succinte de signification. Parfois, la liste des dérivés semble trop longue, non justifiée pour des entrées séparées, exemple
lambiskôn - s.m. _ "lécheur qui, paz habitude de gourmandise, lèche les
ustensiles (...)"
lambiskôna - s.f =lécheuse, gourmande qui goûte avidement de tous les plats. "
6. Les journaux existant ou ayant existé en judéo-espagnol ont adopté une graphie hybride de l'espagnol et de la langue dominante du pays où la publication avait lieu (ex. La Vera Luz).
7. Terme utilisé par J. NEHAMA dans son Introduction.
129 lcunbiskur, lurnbiskear (...)
lcunbictiua (...) lumbicféro (...)
/umbicf~r s.m. _ "lécheur" (Fém. : lcrmbidéra).
Mais dans d'autres cas, une valeur spéciale, affective par exemple justifie l'entrée indépendante, exemple
crbrusiu _ "embrasser, étreindre" (...)
abrcrscrdu = "embrassement, étreinte" (...)
crbrcrsi,-.os -s.m. pl. "embrassades, mamours, caresses" (...)
7. lndicutiuns grununutic•crles.
La nature et le genre du vocable sont indiqués. On regrette l'absence d'infor- mations syntaxiques ;comme dans presque tous les dictionnaires, les exem- ples d'emplois tentent d'en tenir lieu... Cependant, dans ce cas précis, la syntaxe étant fondamentalement celle de l'espagnol courant, sauf sur quelques points particuliers, et ce dictionnaire voulant être un dictionnaire de diffé- rence, on peut estimer peu utiles les indications grammaticales en général, sauf dans des cas comme par exemple
/u - I. article féminin singulier  :  !u kcuncr (...)
I1. pronom personnel  : nurcr/u. ;c.f. n :u•u/er
III. démonstratif employé comme substantif et signifiant "l'his- toire, le fait, l'aventure, le méfait, la mésaventure, etc." la de
l'histoire, l'anecdote de (...) 23. Nireuu de langue, fre•quencr.
Des indications telles que Rcrre ou Funr. sont parfois portées.
9. Choir des exemples.
Les exemples d'emplois sont autant des énoncés courants illustrant la signification d'un mot que des locutions proverbiales, tïgées. Ainsi, illustrant abagû,on a  : k~rcmdu uy nrucu su/ kcr/e srrrur /us ubug~us. "quand /e so/eil est trop c{taud i !}out fermer les vu/ets", et sous crbrasrus, on lit  : (Se prend en nurutiuise purtj onde ay muco abrasizos ay nnrecr falsia "e.rcès de mcunours dénote fausseté". D'autres exemples peuvent être tirés de récits
nurcos u~os de ! ryentpo del rey David kedaron ad ayorn sitt no>`amyertto, pour illustrer ud cryont, d'origine hébraïque et signifiant "jusqu'à maintenant" (_ beaucoup d'usages du temps du roi David sont restés jusqu'à maintenant sans changement).
10. E.rplicution du vocable.
Les définitions ou équivalents sont donnés en français. Dans son introduction, l'auteur dit avoir fait un dictionnaire "judéo-espagnol-salonicien -français" et justifie le choix du français comme langue d'arrivée par la trop grande parenté de la langue de départ et de l'espagnol  ; il indique qu'il envisage un dictionnaire vers l'anglais. On peut se demander si le choix du français repose sur l'ampleur de la communauté linguistique atteinte ou sur le prestige de cette langue dans le bassin méditerranéen, et en particulier parmi les Juifs touchés par les efforts de francisation de l'Alliance Israélite au début de ce siècle. Il faut, en outre, noter la présence, quoique rare, de synonymes, exemple abafâr (portugais) - v. _ "étouffer, éteindre (le feu, rut bruit)" (Syn. : "atabafâr")
I l . Stutert du rrunt propre.
Le statut du nom propre pose toujours des problèmes aux rédacteurs de

130 dictionnaires de langue commune. La frontière avec le nom commun est difficile à tracer, c'est souvent une question de croyance ou de respect. Exemple
crbustndo - N. pr. '' El Abas[âdo  : "Dieu" (nom que l'on donne à Dieu par vénération)  : E ! Abcrstcido bendiso a Yaakov avino y amargo a Naomi "le Tout-Puissant a béni notre ancètre Jacob et a rempli Noémi d'amertume".
Malgré un certain manque de théorie linguistique sous-tendant l'eeuvre, et yuelyue disparate quant au traitement des diverses entrées, le dictionnaire de J. NEHAMA est une compilation extrêmement importante pour la descrip- tion du judéo-espagnol contemporain et pour la poursuite des travaux de recherche dans ce domaine. Mème des travaux d'orientation plutôt historique comme ceux de H.V. SEPHIHAB y puisent des informations utiles. C'est le type de dictionnaire qui peut ètre un ouvrage de référence aussi bien yu'un livre de lecture courante car on y trouve quantité d'exemples de formulations et d'expressions qui se réfèrent directement à la vie quotidienne, aux situa- tions de communication habituelles d'un groupe linguistique qui a longtemps tait primer l'aspect culturel de sa vie sur son aspect linguistique, et qui, depuis peu, a pris conscience du rôle de l'unité linguistiyue. C'est aussi un dictionnaire qui permet de poser tous les problèmes du dictionnaire d'une langue de contact, essentiellement orale de surcroît  : il les a résolus d'une certaine façon, d'autres peut-ètre les résoudront autrement, mais nul ne pourra i~~norer celui-ci.
A.M. LOFFLER-LAURIAN.
C.N.R.S.
8. ef. Le  !_urlimo, ju~lc~o-espagnol ccdq~~e, Deutéronome -Versions de Constantinople (1547) et de Ferrare (1553) - Edition, étude linguistiyue et lexique -Centre de Recherches Hispaniques, Paris 1973. (Contient un lexique de formes judéo-espagnoles calques, pp. 236 à 577).