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Classiques Garnier

Études et comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    1966 – 2, n° 9
    . varia
  • Auteurs : Dubois (J.), Gilbert (P.)
  • Pages : 103 à 121
  • Réimpression de l’édition de : 1966
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812442629
  • ISBN : 978-2-8124-4262-9
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4262-9.p.0105
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
105
ÉTUDES ET COMPTES RENDUS
I
LES PROBL$MES DU VOCABULAIRE TECHNIQUE

La thèse de Louis Guilbert sur la Formation du vocabulaire de l'aviation (Larousse, 1965, 711 pages in-8~) pose le problème général de l'incidence des découvertes scientifiques et de leurs applications techniques sur la consti- tution et l'organisation du lexique. Dans sa thèse complémentaire [Enquête linguistique sur le vocabulaire de l'astronautique àtravers la presse d'information à l'occasion de cinq exploits de cosmonautes (66~ pages dactylographiées)], il ajoute à la problématique des origines du vocabulaire technique dans les milieux de spécialistes, celle de la banalisation, c'est-à-dire. de la pénétration dans la langue commune, de cette intégration que les moyens modernes d'infor- mation ont accélérée. Ces thèses intéressent ainsi au premier chef la socio- linguistique l'auteur y définit et y évalue les facteurs extra-linguistiques de la dynamique lexicale. En deuxième lieu, elles participent à la linguistique diachrorrique ;les analyses y portent tout à la fois sur les procédures morpho- syyataxiques qui- sont mises en jeu pour la formation de nouveaux lexèmes ou de nouvelles combinaisons syntagmatiques et sur les réductions progressives qqui sont opérées dans la masse des termes synonymiques aux étapes successives de l'histoire de l'aviation. Ces études intéressent enfin la linguistique synchro- nique quand elles mettent en évidence les correspondances transformationnelles entre les syntagmes nominaux et les syntagmes verbaux, les substantifs et les adjectifs, qu'elles définissent la combinatoire des éléments constituants (que L. G. appelle les « unités de signification  »), la relative interdépendance des systèmes lexicaux idiolectiques ou les rôles respectifs de la connotation et la dénotation dans le «  sens n des mots. Le problème de la création lexicale individuelle, insérée dans les formes collectives de langue, celui de la forme du lexique en fonction du volume de communication dans lequel il est impliqué, et enfin celui des grammaires de langues techniques, constituant des micro- systèmes transformationnels àl'intérieur de la grammaire commune, laissent apercevoir ce que ces thèses peuvent apporter à la linguistique générale.
Nous voudrions ici reprendre quelques-unes de ces questions à la lumière des considérations que développe L. G. avec tant de pertmence et de précision.
I. VOCABULAIRE TECHNIQUE ET PROCESSUS DE TRAVAIL.
Les relations existant entre une activité humaine spécifulue, recevant elle- même sa structure du travail qui la déftrrit, et la langue qui la traduit, ne se mani- festent pas sur le seul plan du lexique. Ce dernier n'est pas toute la langue technique, dont il ne décrit pas à lui seul le fonctionnement. Il existe un ensemble de modèles morphologiques et syntaxiques qui différencient la langue scientifique de la langue commune. Chaque langue technique particulière se présente comme une vaziante de réalisation de ces modèles  : ainsi le rôle
106 des prépositions à et de dans la formation des « unités de signification  », la structure des temps qui est réduite le plus souvent à l'opposition présent passé composé (accompli/non accompli) sont des aspects spécifiques de cette langue.
Le système de dénomination vazie aussi avec le degré de technicité du vocabulaire  :selon le niveau de communication où l'on se place, le lexique n'est pas le même, ni dans le nombre de ses unités, ni dans la compréhension de chaque terme. Entre des techniciens le système de connotation est réduit, le vocabulaire tendant vers l'unicité et la non-ambiguïté (chaque mot a un seul sens), vers l'adéquation totale du signifié et du signifiant. En revanche, au niveau du lexique banal, les connotations sous-tendent un système plus vague de dénominations ; celles-ci sont plus larges et vazient avec le type d'interlocuteurs (dictionnaires et journaux).
Mais il y a plus encore, il existe deux types de rapport entre le travail, l'activité humaine créatrice, et la langue technique.
Un premier type de rapports relève de la réflexion, de l'anticipation, du projet qui, en aéronautique paz exemple, trouve sa manifestation technique dans les brevets d'invention, comme ceux de La Landelle, ou son expression générale dans les romans de science-fiction, comme ceux de J. Verne. Les modèles successifs d'objets fabriqués entraînent la création de systèmes lin- guistiques correspondants.
Le second type de rapports se situe dans la production elle-même. En se plaçant au niveau des projets et non du travall de réalisation industrielle, l'étude d'un vocabulaire est celle de la seule dénomination des objets et non celle du fonctionnement total d'une langue technique  :les analyses de T. Slama-Cazacu entreprises sur son utilisation au lieu même du travail montrent que la forme du lexique peut y âtre différente.

2. STRUCTURE LESICALE.
I. Structure des objets et structure linguistique.
L'organisation du lexique ainsi décrite est-elle celle du stock lexical lui-méme ou celle des objets signifiés auxquels les lexèmes renvoient  ?L'image de la structure lexicale ne serait alors que l'aperception d'une certaine confi- guration, déterminée paz une forme structurée d'activité. Ce qui est alors appelé « structure  »serait un champ d'activité. En fait, la langue fonctionnelle se structure simultanément, et dans un rapport dialectique, avec les champs séméio-culturels dont elle est partie intégrante. Les objets signifiés dont le classement industrie] ou technique suppose une analyse en traits pertinents distinctifs, trouvent leur reflet dans la langue  : la fabrication, pazce qu'elle est humaine, est, elle aussi, structurée par le langage humain. Sépazer ici la structure lexicale, les structures de comportements et les structures des objets fabriqués c~ui les sous-tendent ou auxquels elles re"pondent, serait transcender des différences qui relèvent du seul souci méthodologique. Il reste cependant une part d'azbitraire à prendre pour base un corpus que définissent d'autres altères que ceux de la langue elle-même.
C'est à partir de ces considérations que peut s'éclairer la notion de trans- fert que L. G. développe en plusieurs points de sa thèse. On ne peut parler d'intégration dans un champ linguistique encore inexistant que si l'on se place du point de vue des objets signifiés qui existent alors, intégrés à une activité technique structurée  : « ensemble et notions qui trouvent leur particularité et leur cohérence dans l'expérience d'un milieu humain se consacrant à une activité spéciale  » (p. 133)•
107 a. Définitions conjonctive et disjonctive. — Analyse componentielle et analyse sémique.
Le vocabulaire technique apparaît alors d'autant mieux structuré qu'il représente une visée idéale de définitions conjonctives, de classement total des objets ;chaque terme comporte des éléments qui le distinguent des autres termes du même ensemble. Le lexique relève alors des analyses compo- nentielles, qui trouvent leur efficacité dans des microsystèmes, et des défi- nitions conjonctives. La même dénomination peut être utilisée pour plusieurs systèmes de rapports, là où l'ambiguïté ne g@ne pas la communication.
La définition conjonctive n'est pas mise en péril par la polysémie du terme qui peut désigner divers types d'appareil, comme l'oncle désigne, en français, plusieurs types de personnes -dans la structure de parenté. On aurait là un premier modèle de lexique.
Le second modèle relève de définitions disjonctives qui correspondent en définitive à une correspondance entre objet signifié et signe linguistique. Ce type de modèle se caractérise par la synonymie, c'est-à-dire par l'existence de plusieurs signes pour désigner le même objet. Elle s'explique aussi dans un certain fonctionnement synchronique comme deux ou plusieurs tentatives de définition de l'objet  ;l'une périphrastique (périphrase formant une somme de traits pertinents), l'autre lexicale (morphèmes reflétant la complexité de la structure, le mot réalisant l'unicité de l'objet). Ces deux exigences contra- dictoires aboutissent à plusieurs créations distinctes. Les traits retenus peuvent être différents  : il est certain que aéroplane et avion ne définissent pas les mêmes traits pertinents. Les modèles lexicaux où l'analyse sémique disjonctive trouve son efficacité sont ceux-là même qui constituent le vocabulaire technique.
Ainsi dans cette mise en oeuvre de plusieurs méthodes, on parlera moins d'artefacts en face des analyses réalisées, que de l'existence de plusieurs types de modèles dans le lexique, relevant chacun d'une méthodologie différente. C'est à la lumière de ces considérations générales chue seront repris les problèmes de la dénomination et des grammaires techniques.
j. LANGUES TECHNIQUES EN CONTACT.
L'étude des interférences qui interviennent entre des langues en contact a souvent été limitée aux phénomènes qui se produisent entre deux ou plusieurs langues étrangères. Mais en fait cette limitation est arbitraire. La formation d'une langue technique, définie par la spécificité de son objet, par l'activité technique qu'elle dénomme, doit être comprise à l'intérieur de cette étude. Les analyses de U. Weinreich peuvent servir de cadre à une étude des inter- férences entre les microsystèmes que réunissent les nouvelles activités humaines (l'aéronautique ou l'astronautique dans le cas présent). Toutefois, le contact de deux langues se fait entre deux ensembles finis, irréductibles, tandis que celui qui se produit entre deux microlangues fonctionnelles est à l'origine de la constitution d'une troisième « langue  », sorte de « langue pidgin  ». Aussi est-on conduit à soulever deux des principaux problèmes socio-linguistiques qui précèdent en quelque sorte l'analyse des données linguistiques.
a) Sur le plan socio-culturel, une telle étude implique un examen attentif des conditions qui amènent en contact diverses techniques, qui entraînent l'utilisation de plusieurs sous-ensembles de langues fonctionnelles pour décrire une activité nouvelle. On peut évoquer à ce propos, avec L. G., les rapports de subordination ou de genèse technique. Ainsi l'aéronautique est issue, sous certains de ces aspects, de l'aérostation, par analogie ou plus souvent par opposition, à l'intérieur du champ de découverte que constitue la sustentation aérienne  ;
108 ou bien l'aéronautiqque est en rapport technique avec la mazine, dans la mesure où les conditions de la navigation aérienne ressortissent souvent des mêmes principes directeurs que la navigation maritime. Il existe aussi d'autres types de rapports  : le rapport de genèse imaginative rapproche le lexique des sciences naturelles et le rêve du vol de l'homme dans l'air (les ailes de l'oiseau et le verbe planer). Le rapport de co-industrialisarion (les appareils d'aviation sont construits dans les ateliers mécaniques) impliquent une conversion industrielle et explique la conversion lexicale.
Autrement dit, le linguiste doit répondre aux questions  :d'où viennent les ingénieurs qui élaborent ces projets de « plus lourds que l'air  »  ? où sont construits les appareils dessinés  ?par quels techniciens  ?quels sont ceux qui conduisent ces appazeils  ? A l'époque où se place l'étude de L. G., ces questions peuvent se ramener à ]a place tenue dans l'activité d'aviation par les ingénieurs de la marine et par les spécialistes de l'aérostation. Mais les rapports industriels ne peuvent être passés sous silence.
b) Sur le plan linguistique, le phénomène des interférences doit être ana- lysé, comme l'ont souligné U. Weinreich et Haudricourt, par l'intermédiaire de la notion de langue de prestige. La nouvelle activité emprunte ses termes à la technique qui jouit de prestige aux yeux de ceux qui imaginent les projets et rejette à l'inverse les activités anciennes frappées d'une sorte d'antiprestige
ainsi l'aérostation souffre du dédain des premlers « aviateurs  », au contraire de la marine, qui est l'activité noble à laquelle on se réfère volontiers. C'est cette notion de prestige qui permet de préciser la dynamique des transferts et qui explique la sélectivité sur le plan des masses empruntées autant que sur celui des termes retenus  :les mots de l'aviation viennent de la marine, et dans le vocabulaire de la mazine ce sont surtout les termes marqués stylistiquement qui seront choisis.

4. GENÈSE D'UN VOCABULAIRE TECHNIQUE.
Ces considérations socio-linguistiques laissent apercevoir les conditions qui président à la genèse d'un vocabulaire spécifique.
I. L. G. souligne que ce sont souvent les termes vieillis du vocabulaire de la marine ou les mots utilisés en poésie qui ont servi à la formation du lexique de l'aviation (p. ~o). Que ces termes marqués soient empruntés, ceci s'explique, nous venons de le voir, paz la médiation du concept de prestige
les termes vieillis ou poétiques sont mélioratifs pour les locuteurs. Les emprunts aux langues étrangères, razes dans le lexique de l'aviation ancienne, comme le souligne L. G., s'expliquent aussi par le fait que l'ensemble de termes étran- gers joue le rôle de cas marqué relativement aux termes du lexique commun ; ils acquièrent chacun le prestige qui ressortit à la totalité d'un lexique que distinguent ses caractères morphologiques.
i. Les lexèmes créés de toutes pièces par les « inventeurs  »relèvent, pour une partie, de cette dynamique. Ils s'efforcent de démarquer le nouveau vocabulaire des lexiques voisins, comme ils visent à différencier leur domaine propre des sciences ou des techniques qui leur sont les plus proches. Cet effort de démarcation, tout en utilisant les moyens qui relèvent de l'ensemble des vocabulaires techniques (ainsi les éléments d'origine gréco-latine), se traduit aussi paz des lexèmes qui attestent aux yeux de ceux qui les emploient comme de ceux qui les entendent, la réalité et l'autonomie de la nouvelle acti- vité humaine.
109 Les rapports de prestige et la nécessité de démarcation, qui en résulte, se modifient au cours de la formation de ce lexique ; il est évident que le voca- bulaire utilisé acquiert à son tour et vis-à-vis des autres techniques ce prestige qui était celui de sciences plus anciennes L. G. montre ainsi l'autonomie progressive de l'aviation en regard de l'aérostation. Les nécessités de la déno- mination et de la communicarion varient ;c'est ce fait fondamental qui expli- quera le traitement différent des unités lexicales (simples ou complexes) au cours des divers stades de développement.
a) Si l'unité lexicale est un mot composé d'éléments gréco-latins, ce dernier tend à polariser les différences entre cette technique et les autres domaines les plus proches ;mais cette différenciation n'est acquise qu'au prix d'un coût plus élevé dans la communication. En effet, l'unité ainsi constituée accroît en définitive le nombre des unités à apprendre. Aussi voit-on, dans les débuts d'un vocabulaire technique, une inflation considérable de termes forgés avec des bases savantes ou empruntées aux langues étrangères. Cette constatation est valable pour tous les lexiques correspondant à des activités qui tendent à s'autonomiser. Corrélativement, on assiste à un foisonnement de termes synonymiques.
b) Si l'unité lexicale est un syntagme composé d'un substantif et d'un adjec- tif ou d'un complément sans déterminant (appareil d'aviation), la banalisation lui donne une place prééminente, car elle est plus facilement intégrée aux modèles de langue commune. Mais cette pénétration dans l'usage courant entraîne simultanément une réduction de longueur pour les mêmes raisons d'économie que précédemment  :appareil d'aviation deviendra appareil quand l'autonomie du domaine d'activité technique sera telle que les ambiguités de la communication seront autrement résolues et que les dénominations arbitraires, plus coûteuses, disparaîtront. Ce qui s'est passé avec aéroplane, éliminé far appareil ou avion, et ce qui se passe aujourd'hui avec voiture, qui élimine automobile, est de même nature. Encore s'agit-il, dans ces der- niers cas, de termes génériques, de ceux qui définissent les objets de base, et c'est là que l'on pourrait attendre la plus grande résistance du lexique le plus différenciateur ; or, même sur ce point, c'est l'unité syntagmatique abrégée qui finit par l'emporter. Que l'on pense aux dénominations diverses des vaisseaux spatiaux en astronautique et à la synonymie cosmos et espace, réduite au profit du second terme, ou encore l'élimination progressive dans le vocabulaire des transports aériens civils du mot aviateur au profit de pilote qui vient du système pilote-équipage~~passagers.

5. MOUVEMENT ET STABILITÉ DU LEXIQUE TECHNIQUE.
Les deux thèses opposent les développements polymorphes et anarchiques des origines à la stabilité considérée implicitement comme la principale pro- priété des lexiques définitivement formés. Or l'étude des conditions socio- linguistiques conduit à préciser les modalités de cette opposition.
Ce qui crée la stabilité aux yeux du lexicographe, c'est en définitive l'em- ploi récurrent par un ensemble étendu de locuteurs de termes communs. La stabilité générale dépend alors du volume de communication. Un des pré- curseurs de l'aviation peut avoir en effet son propre lexique, très bien fixé et parfaitemènt stable ; il y a en général une certaine constante dans les règles morpho-syntaxiques qu'il applique pour constituer une sorte d'idiolecte. Cette stabilité se situe au niveau de la langue technique individuelle.
Si l'on veut donc parler de fixation du lexique, c'est en fonction d'un certain volume de communication. La langue commune étant définie comme
110 la minimisation des différences individuelles, on dira que le vocabulaire tech- nique commun se forme par la minimisation des différences linguistiques entre chaque précurseur, chaque ingénieur. Lorsque le nombre de chercheurs dans une technique ou une science s'accroît, la spécificité de chaque idiolecte tend à diminuer ; la fixation du vocabulaire, comme sa déflation, dépend des con- ditions de la communication, il n'est pas le résultat d'une discipline librement consentie. L'abandon relatif des vocabulaires individuels est la conséquence de la vulgarisation des techniques. L. G. fait remarquer que les brevets, pour avoir une valeur mazchande, doivent être hautement spécifiques sur le plan du lexique, comme l'objet lui-même (c'est l'origine des mazques déposées)  ; lorsque la technique se vulgazise, le terme tombe dans le domaine public (avion) ou disparaît en se voyant substituer un terme moins spécifique (auto- mobile supplanté paz voiture).
Aussi le concept de «  razeté  » a-t-il plusieurs aspects et il ne peut être considéré à lui seul comme expliquant la rétention ou le rejet d'un mot. La rareté n'a pas de signification en soi sur le plan linguistique  ; elle doit être replacée dans un système complexe de phénomènes à la fois linguistiques et extra-linguistiques. Disons qu'il n'y a pas de rapport simple entre le nombre d'occurrences et la structure linguistique.

6. L'AUTUNOMISATION D'UN LEXIQUE TECFndIQUE.
Mais à quel moment de l'histoire d'un vocabulaire technique est-il légitime de parler de son autonomisation  ?Que signifie d'ailleurs celle-ci  ? Peut-on la rapprocher par exemple du phénomène, historiquement défini, de l'autonomisation du français devenu une langue différente du latin dont il est issu  ?
Or cette mise en évidence de la spécificité d'un lexique est particulière- ment importante ;par quel processus se forme un système, ayant ses règles propres  ? Si, historiquement, il est relativement aisé de dégager les origines socio-culturelles du vocabulaire de l'aviation (marine, industrie, sciences naturelles), de paz les préoccupations de ceux qui ont aidé aux réalisations techniques, il est, en revanche, plus délicat de dégager les formes linguistiques
originelles.
La notion de transfert utilisée par L. G. est délicate à manier  : le terme implique, en effet, que l'on fasse passer un terme d'une microstructure définie, comme la marine, à une microstructure non encore définie comme le lexique de l'aviation. Ce qui se produit, en fait, c'est l'autonomisation d'une partie du lexique de la marine, qui se trouve être à la jonction de plusieurs techniques nouvelles. Cette notion d'autonomisation partr~lle et progressive implique que certains syntagmes soient utilisés dans d'autres situations et d'autres contextes verbaux. L'origine des vocabulaires spécialisés, comme celui de l'aviation, se trouve ainsi dans des syntagmes progressivement autonomisés. L'aspect de « nébuleuse  »que semble avou un lexique technique au stade de formation est dû justement à cette ambiguité, à cette bivalence initiale du syntagme. Comme L. G. le note fort justement, on parlera d'autonomisation (ou de lexicalisation) quand ces ambiguïtés dispazaïtront.
Un vocabulaire technique se forme ainsi paz la réunion de plusieurs sous- ensembles, progressivement autonomisés, de lexiques techniques en contact, ce contact étant lui-même provoqué paz des progrès techniques.
Ceci explique le polymorphisme des néologismes  : on rencontre en effet plusieurs signes linguistiques pour définir le même appareil ou un appazeil proche. En fait, il s'agit de formations dont les procédures sont empruntées
111 à un de ces ensembles distincts dont nous pazlions ; le rapprochement que nous instituons entre ces mots ou ces syntagmes est fait a posteriori ; il suppose l'autonomisation réalisée. En posant qu'il existe alors un vocabulaire de l'avia- tion, on dépasse le processus de la genèse proprement dite. La création d'une activité spécifique n'implique pas la constitution immédiate d'un seul ensemble de règles morpho-syntaxiques.
Les Zexèmes néologiques et les syntagmes défi~rissants indiquent deux com- portements verbaux qui se caractérisent paz la volonté soit de différenciation soit de rattachement aux techniques de genèse. Sur le plan diachronique, la polarisation des différences que présente la création des néologismes est un phé- nomène inhérent au début des techniques. Lorsque la distinction entre la science nouvelle et les activités anciennes n'est plus nécessaire pour éviter les ambiguités du message, cette activité différenciatrice cesse. Ces phénomènes d'inflation ou de déflation lexicale sont inhérents à la dialectique entre l'auto- nomisation des techniques et celle des lexiques traduisant ces activités. Pour l'aviation, La Landelle (p. ~z) et Nadar (p. ~8) ont parfaitement conscience de ces phénomènes linguistiques.
Le processus de dénomination consiste en effet à utiliser un certain nombre de règles morpho-syntaxiques pour dénommer des objets signifiés qui, paz leurs propriétés, s'apparentent à d'autres objets. Toutes ont pour but de lever l'ambiguYté que constitue pour le message à faire l'absence de terme adéquat. Ce sont
— la paraphrase, qui use de comparaisons, d'analogies qui définissent par les connotations ;elle est d'abord une phrase, réduite ensmte à un syntagme nominal transformé ou à un syntagme verbal ;
— le lexème unique, enfermant dans sa composition une somme de traits distinctifs ;
— la spécialisation d'un terme transféré  :l'utilisation pour la dénomination nouvelle d'une dénomination générique (appareil) qui reçoit, paz un complé- ment, un trait différenciateur (appareil d'aviation).
On aboutit ainsi à des unités de signification. Ce qui fait l'unité des pro- cédures, ce ne sont pas les morphèmes composants, c'est l'objet désigné (p. i7, « expérience qu'elle sert à exprimer  »). Lorsqu'il a pris « forme  », c'est-à- dire lorsqu'il a acquis, sur le plan de l'expérience, une autonomie perceptive, qui le sépaze des autres objets jusqu'alors confondus, il se constitue alors comme une unité d'objet susceptible de justifier l'unité de signification.
Cette notion est importante dans la mesure où la simplicité ou la com- plexité de l'unité signifiante est d'abord celle de l'objet lui-même  : le locuteur découvre un certain nombre de traits pertinents de l'objet qui le distinguent d'autres objets de même nature et il inscrit en quelque sorte dans son signi- fiant cette pertinence, d'où une base commune et un morphème distinctif. La simplicité de l'unité de signification peut refléter le mouvement inverse
on fait abstraction de tout ce qui rappelle des objets de même espèce, et les traits distinctifs sont réunis en un seul mot (néologisme) qui se présente comme un terme hétérogène à tout ce qui a été dit avant lui.
L'autonomisation d'un lexique technique se man ;feste aussi paz la réduc- tion polysémique. La polysémie signifie l'appartenance d'un signe à plusieurs systèmes de dénomination. Ainsi il existe plusieurs termes aérien. Celui-ci est un adjectif, mais quelle est la base nominale dont il est la transformation (ou dans, le langage traditionnel, le dérivé)  ? Il s'oppose à maritime (navi- gation), àterrestre (voie terrestre), etc. Autrement dit, nous avons plusieurs termes aérien
a) air-aérien  :navigation dans l'air Jaérienne  ;d'où les commutations avec atmosphérique et les oppositions avec maritime, terrestre ;
112 b) aéroplane-aérien  :appareil aéroplane/appareil d'aviation/appareil aérien/ appareil aviateur.
On peut donc avoir val aérien, apparemment pléonastique.
II n'existe pas de moyens morpho-syntaxiques simples et uniques pour passer d'une phrase à un syntagme verbal ou à un syntagme nominal  ; les hésitations des locuteurs viennent de ce qu'ils sont en présence de plusieurs règles possibles de transformation
celui qui vole -~ le volateur ou l'aviateur, ce qz~i vole -> aviateur ou volant, d'aviation -> aviateur ou aérien.

~. GRAMMAIRE DES LANGAGES TECHNIQUES. LA MOTIVATION.
Existe-t-il, pour chacun des ensembles lexicaux utilisés pour traduire une activité des caractéristiques formelles qui le définissent et dont les patterns servent à intégrer les créations nouvelles. Comment se forment et se distri- buent les nouveaux lexèmes ou les nouvelles unités complexes de signification  ? Un lexique technique se présente dans son développement comme une combi- natoire ouverte et cette combinatoire n'intéresse pas seulement les morphèmes non autonomes (les axes), mais aussi les morphèmes lexicaux. La question est donc de savoir s'il existe des règles spécifiques de combinaison.
a) La su,~xation ou la composition ont une spécificité définie à deux niveaux  : la nature générale des morphèmes (gréco-latine) et ces morphèmes eux-m@mes (aéro, astro, cosmo).
b) La forme de la combinâison est particulière  : le morphème lexical est composé d'autant d'éléments morphologiques qu'il y a de traits pertinents dans sa représentation comme objet. II existe alors une corrélation entre l'objet signifié et le signifiant.
On ne peut que penser aux classements d'objets que les archéologues ont réalisés et qui se présentent comme des sommes de traits pertinents. Ce qui est alors souligné, c'est dans la phase de formation, la relative moti- vation existant entre l'objet signifié et le sl~nifiant  ; l'arbitraire du signe est alors limité en quelque sorte par la nécessité de la métaphorisation (le signe représente d'une manière ou d'une autre l'objet signifié)  : il est évident que cette motivation n'est présente qu'au début d'un développement. Les néces- sités de la communication conduisent à des abréviations morphologiques ou à des remotivations internes qui effacent le rapport primitif. On pourrait donc imaginer que ce qu'on appelle le transfert de signification n'est, en fait, que la modification de la motivation primitive, le signe aboutissant très vite à une forme arbitraire.
c) La paraphrase lexicale est une tentative pour décrire les traits pertinents de l'objet signifié  ; sa réduction est une rupture avec ce projet primitif. On dira que la cohésivité ou cohésion lexicale du syntagme formant une unité de signi- fication est d'autant plus grande que ce syntagme tentera de représenter spécifiquement l'objet signifié.
On peut, d'autre part, se représenter un lexique technique comme l'appli- cation aux morphèmes radicaux de règles spécifiques de transformation ; celles-ci contiennent l'ensemble des moyens morpho-synta.iques qui sont mis à la disposition des locuteurs sur le plan des communications techniques. Certes, la langue technique est d'abord un processus de dénomination qui génère des syntagmes nominaux et le lexique ne comporte que secondaizetttent
113 des syntagmes verbaux, décrivant des procès. Toutefois, certains syntagmes nominaux sont des transformations de la phrase noyau primitive
l'appareil monte -> appareil ascenseur, l'appareil sauve --> appareil de sauvetage.
Un deuxième type constant de transformation consiste à réduire le syn- tagme nominal complément à un adjectif
l'industrie de France -~ l'industrie française.
$. CRÉATION LINGUISTIQUE.
La création linguistique, définie par L. G. comme libre, intime, arbitraire (p. 136), obéit en réalité à deux types de contraintes.
a) La structure linguistiga~e impose ses patterns. Elle fait par exemple que les morphèmes gréco-latins sont partie intégrante de la langue technique ou scientifique. Le choix va donc s'exercer préférentiellement dans cet ensemble, où chaque signe a une valeur ; il est donc conditionné linguistiquement.
b) La structure perceptive impose aussi ses contraintes qui font que l'objet est perçu comme une somme de différences. Le choix dépend du rapport perceptif du sujet au monde. L'hypothèse de Whorf, même si elle est discu- table dans sa généralité, a bien mis l'accent sur le fait que la perception du monde est soumise à certaines conditions proprement linguistiques  :chacun voit l'objet un peu selon la langue qu'il parle. Ce que l'on peut seulement. dire, c'est que le nombre de rapports définissant les structures à chaque niveau est plus ou moins grand et donc que chacun des rapports est plus ou moins con- traignant. Les contraintes résultent de l'état d'un système à un moment donné  ; le choix ne s'exerce que dans ce cadre souvent étroit.
9. L'INTÉGRATION DE LA LANGUE TECHNIQUE A LA LANGUE COMMUN& ET LE

PROCESSUS DE TRADUCTION.
La thèse secondaire de L. G. sur l'astronautique pose, avec le problème de la banalisation d'un lexique technique, celui de l'influence de la traduction.
1. La première question touche le passage de systèmes disjoints, limités à des groupes linguistiques définis, parfois même caractéristique du comporte- ment verbal d'un seul locuteur, d'un journaliste en particulier, vers une struc- ture homogène, dont l'utilisation est alors celle d'une communauté linguistique plus large. Or, dans ce phénomène de banalisation du lexique technique, ou du passage de microlangues fonctionnelles à un statut de langue technique, y a-t-il une réduction, une sorte d'zppauvrissement linéaire du stock lexical et de celui des unités syntagmatiques élémentaires  ? ou ce processus de nor- malisation s'accompagne-t-il de l'autonomie particulière de règles morpho- logiques  ?Autrement dit, est-ce que le lexique sera fait d'unités parmi celles qui sont décrites dans ce stade de formation de l'astronautique, ou au contraire, même sans modification essentielle des objets fabriqués, verra-t-on se créer un système spécifique, à son tour créateur d'unités nouvelles  ?
a. La deuxième question touche le processus de traduction. En effet, le contact entre le français d'une part et l'anglais ou le russe d'autre part se fait dans des conditions nouvelles
a) En quoi le double prestige des deux langages sources a-t-il pu agir sur les emprunts faits par le français  ? En général, il y a seulement deux langues en contact, dont l'une avis-à-vis de l'autre une situation de prestige. Or ici l'€ :vénement, qui est à lui seul prestigieux, se trouve traduit successivement
114 en russe, puis en anglais. Le russe a pour lui l'antériorité, l'anglais est la voie majeure des emprunts actuels du français. Ces deux facteurs créent des con- flits linguistiques dont la solution vape. La prévalence d'un terme ou d'un autre dépend, en définitive, des rapports triangulaires ainsi institutés et les modifications paz substitution (satellste substitué à Spoutrrik) traduisent une modification dans les rapports entre les langues en contact.
b) Les modalités de la traduction peuvent avoir aussi leur influence sur le lexi ue en formation. En astronautique, les emprunts sont faits par voie écrite comme au xvrlie siècle, paz les gazettes, le vocabulaire politique) et ~ un niveau de langue compazable à ceux où se sont produits les emprunts antérieurs. Mais deus phénomènes essentiels apparaissent  :
La fm-me de la traduction. Les traducteurs étaient, le plus souvent, des Français qui connaissaient l'anglais (bilingues ou bilingues partiels). Or, dans le cas présent, le phénomène est plus complexe ; lorsqu'il s'agit des dépêches d'agence, la prenuère traduction est donnée paz un sujet pazlant anglais ou russe.
Il semble que cette procédure n'est pas sans influence sur le nombre des calques, c'est-à-dire des traductions, le bilingue anglais-français est moins frappé de l'irréductibilité du mot étranger. Le fait que, en dehors de quelques mots, qui d'ailleurs sont souvent des noms propres considérés à 1a réception comme des substantifs ordinaires, on ait surtout des traductions d'unités syntag- matiques est peut âtre un reflet de cette forme particulière de traduction.
La rapidité de la traduction est aussi un facteur fondamental. En géné- ral le lexique se développe à l'intérieur d'un milieu restreint et sa banalisation se fait progressivement.
Or les événements en astronautique doivent âtre plus largement connus et la rapidité empêche les phénomènes d'autocorrection.
c) Le caractère du lexique scientifique. Il peut sembler au premier abord que le vocabulaire astronautique est constitué sur des formants «  internatio- naux  » et que ceux-ci vont se développer parallèlement dans toutes les langues. Or, l'évolution de astronaute et de cosmonaute, si elle prouve la place tenue paz ces éléments gréco-latins dans le lexique scientifique, indique aussi que les rapports entre ces morphèmes n'est pas le même dans les trois langues et qu'il peut se modifier. L. G. indique que le développement de cosmo- au détriment de astro- est dû au fait que, en russe, cosmo est seul usuel. L'équilibre entre les morphèmes constituant la structure est différent suivant les langues.
d) Les traductions se font à un moment où, dans chaque langue, les voca- bulaires sont en voie de constitution. En général, c'est à paztir de langues fonc- tionnelles déjà constituées que se font les emprunts ;ici l'instabilité est aussi grande dans les trois langues. Le grand nombre de dénominations d'appazeils est sans doute une conséquence de ce phénomène.

L'étude des vocabulaires techniques pose ainsi un grand nombre de pro- blèmes linguistiques que les thèses de L. Guilbert, après celles de P. Wexler, de A. J. Greimas, de J. K. Hollyman et de B. Quemada (sur le vocabulaire médical ancien), pour se limiter au seul domaine français, ont mis au premier plan, amorçant non seulement une extension des domaines de recherches sur le vocabulaire, mais aussi un renouvellement des- méthodes et une prise en considération de questions jusqu'alors considérées trop souvent comme extra-linguistiques.

J. Dunois
Université de Paris

115
II


LES CITATIONS D'AUTEURS
dans le Dictionnaire alphabétique et analytique de la langue française

de Paul ROBERT


Dans une étude parue en juillet 1958 (t), Ch. Muller avait examiné la méthode adoptée par les rédacteurs du Robert « pour le choix et la présentation des exemples  », et il avait fait quelques comparaisons chiffrées entre le nombre des citations données par Littré et par le Robert sous les mêmes articles (2).
Ces observations avaient été établies sur un peu lus de la première moitié de l'ouvrage, jusqu'au 29e fascicule (Lakiste à Lit qui venait alors de paraître (mai 1958).
Le dictionnaire est maintenant achevé (le 56e et dernier fascicule, I'ércus à Zymotique, a été publié en août 1964), et peut désormais étre soumis à un examen d'ensemble.
En attendant, on se bornera à présenter ici les résultats d'une étude statistique qui porte principalement sur les citations du 6e et dernier volume de l'ouvrage. Cettz étude a été entreprise avec un groupe de nos étudiants romanistes de l'Université de Sarrebruck, pendant le semestre d'hiver i964- i965. Une des étudiantes qui avaient participé à nos travaux, Mlle Gesa Hertz, a fait en mars 1965, au Centre de philologie romane de Strasbourg, dans le cadre d'un séminaire de lexicologie dirigé par Ch. 1~Iuller, un exposé qui résumait l'essentiel de nos recherches. Celles-ci ont été poursuivies et un peu approfondies depuis lors.
La matière du 6e volume s'étend du mot Recracher au mot Zymotique, soit t obi pages réparties en ii fascicules (46 à 56 inclus) qui ont été publiés d'avril 1962 à août 1964.
Nous avons d'abord dénombré toutes les citations de ce 6e volume, fascicule par fascicule. Par « toutes les citations  », nous entendons uniquement celles qui apparaissent pour la première fois dans le dictionnaire à l'article considéré ; elles sont imprimées en petits caractères romains et portent ea marge un numéro en chiffres arabes, sauf au cas où il n'y a qu'une citation nouvelle dans l'article. Sont donc exclus de nos calculs les exemples donnés en italique, avec un renvoi entre parenthèses à des citations déjà proposées dans un article antérieur. Nous sommes ainsi arrivés à un total de r6 274 cita-
(I) La Classe de Français 8e année  : 1958 PP• 223-Z35, Libr. des Méridiens, Paris. (2) Ibid., p. 2z~.
116
6472515


représente la moyenne théorique de citations paz auteur.
Si les 647 auteurs cités l'étaient tous le même nombre de fois, il y aurait donc à peu près 25 citations de chacun d'eug, ce qui n'est évidemment pas le cas. Au contraire, on peut constater des écarts, pazfois considérables, par rapport à cette moyenne de 25.
Le tableau I donne la liste des 23 auteurs cités plus de 20o fois, le tableau 2 celle des auteurs cités entre 20o et Ioo fois, le tableau 3 celle des auteurs cités entre Ioo et 5o fois au moins, tous classés paz nombre décroissant de citations. F.n outre, quatre colonnes à droite permettent de noter, au moyen du signe +- en face du nom de chaque auteur, à quel siècle il appartient. Certes, il y a quelques auteurs dont les publications se répartissent sur deux siècles différents. Ils ont été classés en général clans le siècle au cours duquel ils ont publié le plus, ou fait paraître leurs oeuvres que l'on considère comme les plus marquantes.
TnslanU I
Liste des 23 auteurs cités plus de 20o fois (8 fois la moyerme théorique et plus)

fions. D'autre part, la liste de tous les auteurs de ces citations donne un total de 647 noms différents. Le quotient de ces 2 chiffres
16 274
Nombre
de
citations
Auteur

Siècle


I
2
3
4
S
6
8
9
Io
II
I2
i3
t4
IS
t6
1~
18
19
20
2I
22
23

H. de Balzac
V. Hugo
E. Zola
A. Gide
Goncourt (les frères)
J. Romains
Molière
G. Duhamel
Th. Gautier
Guy de Maupassant
L. Aragon
J.-P. Sartre
J : J. Rousseau
J. Racine
M. Proust
R. Martin du Gard
G. Flaubert
Stendhal
D. Diderot
A. France
J. Michelet
F.-R. de Chateaubriand
Ch. Baudelaire


855
610
435
405
351
335
28~
2$O
250
242
235
226
226
203
XVIIe
RVIIIe

~e
~e
861
467
430

317
266
261

244

232
2Iz

TOTnI. 8 200 citations, soit 50,3 % du total des cit. du t. 6
2 2 I2 7
Rang
117




TABLEAU 2

Liste des auteurs cités entre zoo et Ioo fois (entre 8 et 4 fois la moyenne théorique)

Rang
Auteur

Nombre
de
citations
Siècle


24
25
26
27
28

F. Mauriac
A. de Musset
Colette
R. Rollaad
J. de La Fontaine


191
166
165
I$0
148
XIVIIe
RVIIIe
XIXe
~e

~-
+..

-F
-f-
2g
Ch.-A. Sainte-Beuve

143


-I-

30
E. Renan

130




31
J. K. Huysmans

129

~-


32
P. Loti

Iz9


-}-

33
P. Valéry

I27




34
35
A. Maurois
A. Camus

I2$
122



-t-
36
G. de Nerval

I2I




37
J. de La Bruyère

I19




38
P.-A. de Beaumarchais


I19



39
G. Sand


I13



40
H. de Montherlant

Io9



~-
41
42
P. Corneille
A. Daudet

Io8
tog
-I-



43
A. de Vigny

Ioz


-I-

44
Alain (Emile Chartier dit.) ... .

IOI




45
B. Pascal

I00





2 822 4 I 9 8
Report du tableau i
8 200

Total pour les 4$ pretniers auteurs
I I 022 citations,
ou 67,7 % du total
des citations du tome 6
118



Tnalanv 3
Liste des auteurs cités entre Ioo et So fois
(entre ¢ et a fois la moyenne théorique)


Rang
Auteur
Nombre
de
citations
Siècle



%VII°
xVIIIe
gge
~e
46
47
Voltaire
L. F. Céline
96
96



_+
48
E. Henriot
87




49
j. Giraudoux
82




So
S. de Beauvoir

81



SI
V. Larbaud
78




Sz
H. Taine
75


-F-

53
Ch. Péguy

75



54
G. Courteline
74


-I-

55
J. Barbey d'Aurevilly
73




56
M. Aymé
73




57
H. Bosco
64



-f-
58
Mme de Staël
61


-F-

59
Mme de Sévigné
59
-F-



60
P. Verlaine

58



61
P. Mérimée
57




6z
L, de Broglie
57




63
A. Malraux

55



64
A. Robbe-Grillet
53




65
G. Apollinaire

SI



66
J. Giono

SI



67
E. de Senancour
So


-f-
..................
68
G. Bernanos

So



'69
A. de Saint-Exupéry

So



TOTnL I 606 I I 7 I$
Report des tableaux I et z II o2a
Soit (pour les 69 premiers auteurs) Iz 6a8 citations, ou 77,g % du total des citations du tome 6
119 TABLBAU 4
Quelques pourcentages par rapport au total des auteurs et des citations du 6° volume

N auteurs
représentent ... %
du total
des 647 auteurs
du volume 6
Nombre
de citations
correspondantes
représentent ...
du total
des 16 274 citations
du volume 6
Les 2 premiers
o,30
1 716
10,$
Les 3 —
0,46
2 326
14,2
Les 7 —
I,o
4063
24,9 (^' 1/4)
Les 23 —
3,$
8 200
$0,3 (moitié)
Les 4$ —
6,9
II o22
67,7
Les 69 —
Io,6
12 628
77,$ (plus des 3/4)
restent  : $78 auteurs
(cités moins de
$o fois)
89,4
3 646
22,$ (moins du I/4)
TeBLZ ?nU $
Récapitulatif du classement par siècle pour l'ensemble des 6g auteurs les plus souvent titds


Siècle
Nombre
d'auteurs
% du total
des 6g
Nombre
de citations
correspondantes
% du total
des
12 628 citations
xvII°
7

IO,1

I 189
9,4

xvIII°
4

$,8

708
$,6

xIx°
28

40,$

6 343
$0~2

e
xx morts
dont vivants
16
t4
total
30
2 2
3,
20,2
total
43~
9$
21 total
2 193 ~ 4 388
17'4
17,4
total
34'8

69

99,8

12 628
IOO,o

Les deux premiers auteurs de la liste (tableaux 1 et 4), Balzac et Hugo, réunissent à eux seuls plus de Io % du total des citations (I X16 sur i6 274) ; ils sont cités respectivement 34,q. et 34,2 fois la moyenne théorique de 25. Zola, en troisième position avec 610 citations, atteint encore 24,4 fois cette moyenne. Ces écarts peuvent paraître énormes, ils ont d'abord beaucoup surpris nos étudiants. Pourtant, il ne faut pas méconnaître l'ampleur et la variété des ceuvres descriptives de ces écrivains, la richesse du vocabulaire de la Comédie humaine, de la Légende des siècles ou des Rougon-Macquart, et la masse des citations que peut y puiser le lexicographe. D'autre part, on peut considérer que Balzac et Hugo ne sont cités que ~ fois plus, Zola $fois plus que Camus, dont l'ceuvre relativement peu étendue a tout de même fourni I22 citations. Les proportions ne sont donc pas aussi faussées qu'il y paraît
120 à première vue. N'est-il pas plus surprenant que Racine, dont le vocabulaire est notoirement peu abondant (voir à ce sujet les travaux et les Index de P. Guiraud) ait fourni le même nombre de citations que Proust (ago) et un peu plus que Flaubert (242)  ?
Le tableau g fait apparaître, dans la ré artition des auteurs et des cita- tions par siècles, certains écarts inattendus. Il est assez étonnant, ~az exemple, que dans le corpus considéré (les 69 auteurs les plus souvent cltés, ~~,5 du total des cltauons du volume), le xvlle siècle soit représenté par un eu plus de Io %pour les auteurs, un peu moins de Io %pour les citations, alors que les chiffres pour le xv1lle siècle sont presque inférieurs de moitié. Quatre auteurs du xVIIIe seulement sont cités, soit ~ fois moins que pour le xIxe, et ils fournissent près de 9 fois moins de citations. Le Robert se distingue ici du Littré, qui avait plus largement exploité les auteurs du xvllle.
Le xlxe et le xxe siècles fournissent ensemble 83,9 %des auteurs, et 85 %des citations du corpus considéré (cit. des 69 auteurs les plus souvent cités). Pour le nombre d'auteurs, le xxe siècle l'emporte de peu (3o contre 28), mais le xlxe domine nettement dans la colonne des citations où il atteint la majorité absolue (So,2 %, contre 34,8 %seulement pour le xxe siècle). Cette prédominance est due pour une bonne part aux chiffres très élevés fournis paz Balzac, Hugo, Zola et, dans une moindre mesure, paz les frères Goncourt.
TAStaAU 6
Auteurs vivants qui font partie de la liste des 6g les plus souvint cités

Rang
dàas la liste
Nom

Année
de naissance
Nombre
de citations
6
7. Romains

188$
430
8
G. Duhamel (1)

1884
351
II
L. Aragon

1897
287
12
24
J.-P. Sartre
F. Mauriac

1905
IssS
266
191
34
A. Maurois

1885
I25
40
H. de Montherlant

1896
iog
5o
S. de Beauvoir

1908
81
56
M. Aymé

1902
73
57
H. Bosco

1888
64
62
L. de Broglie

1892
57
63
A. Malraux

190I
55
64
A. Robbe-Grillet

1922
53
65
J. Giono

1895
51
TOTAL .... 2 193 citations
(soit 17,4 % du corpus des 69 auteurs).
Le tableau 6 montre que sur les 14 auteurs vivants qui font partie du « peloton  »des 69 premiers, 5 seulement sont nés après 1900. Parmi eux figurent la seule femme de lemes vivante de la liste des 69 premlers, et aussi un repré- sentant de l'école dite du « nouveau roman  ».
L'examen de détail des chiffres paz fascicules, qu'il n'est pas possible de reproduire tous ici faute de place, permet de s'apercevoir que Marcel
(i) Décédé après l'impression de ce compte rendu.
121 Aymé, fort peu cité au début du 6e volume, le devient soudain beaucoup plus à partir du fascicule 52. Voici les chiffres le concernant
Fascicules 46, 47, 48 1 citation (dans chacun)
— 49~ So  : 4 citations (dans chacun)
Fascicule j1  : 3 -
- 52 I I -
- 53 IS -
- 54 . So -
- 55 9 -
- 56.14 —
Des modifications de cette ampleur sont rares dans le 6e volume pour les
quelque ISO auteurs que nous avons examinés de près.
Il faut enfin remarquer que trois auteurs non mentionnés sur la liste du tableau 6 étaient encore vivants pendant la prépazation du 6e volume A. Camus (t 1960), L. F. Céline (f 1961) et E. Henriot (t 1961).

CONCLUSIONS.
t. On a vu plus haut que, pour l'ensemble du 6e volume, la moyenne théorique de citations paz auteur est de x5,15, et d'autre part (tableau 4) que 3~5 % du total des auteurs fournissent à eux seuls 50,3 % du total des cita- tions. Or, dans chacun des 11 fascicules qui composent ce 6e volume, ce sont en moyenne So %des auteurs — et non 3,5 % —qui fournissent la moitié des citations, et la moyenne théorique de citations paz auteur n'est que de 6 au lieu de 25. Donc plus l'unité soumise à l'examen statistique est grande et plus semble se renforcer la prédominance de quelques auteurs très souvent cités. Il resterait à vérifier si cela se confirme lorsque l'on passe à une unité de référence encore plus grande, en l'espèce l'ensemble des six volumes de l'ouvrage.
2. La rédaction du Robert a duré près d'une vingtaine d'années, avec divers changements au sein de l'équipe de rédaction  ; il y a donc lieu de penser que les critères de choix des auteurs cités et des citations ont quelque peu vazié. Pour éclairer ce point, nous avons fait des compazaisons entre trois fascicules prélevés à différents stades de la publication
1. A à Aisé (1951)
30. Litanie à Maître (septembre 1958) 51. Son à Suggestivité (juillet 1963)
TASt.FaU 7
Moyenne de citations par auteur dans les 3 fascicules de référence

Numéro
du fascicule
Nombre
d'auteurs
Nombre
de citations
correspondantes

Moyennes
de citations
paz auteur
I
30
jr
i93
262
z31
2 836
t 978
I 356

Iq,6
7,5
5,8
122
Tesi.sav 8
Nombre des auteurs qui, dans chacun des fascicules de référence,
fourrassent em~iron 50 % du total des citations


Numéro
du fascicule
Nombre
d'auteurs

soit ... %
du total
Nombre
de citations
correspondantes
soit ...
du total
I
3o
51
I2
z4
22

6,2I
9,16
9,52
1 400
990
669
49,3
So,o
49,3
Les tableaux ~ et 8 montrent que le nombre des auteurs qui fournissent So %des citations a doublé entre le Ier et le 3oe fascicule, puis s'est stabilisé. Parallèlement, la moyenne de citations par auteur a diminué de moitié entre le Ier et le 3oe fascicule, puis s'est également stabilisée. Cela signifie que la liste des auteurs cités a été allongée, enrichie, et cela pour un nombre plus réduit de citations  :donc le dictionnaire a gagné en représentativité. D'autre part, la diminution du nombre absolu des citations (2 836 au fascicule I et 1356 au fascicule SI) ne représente pas un appauvrissement  :elle s'explique paz l'empploi, de plus en plus fréquent à mesure que l'oeuvre approche de son terme, de l'ingénieux système des renvois numérotés à des citations déjà présentées dans les fascicules ou volumes précédents (3).
TASI.sAU g
Comparaison, pour les 20 auteurs le plus souvent cités du tome 6,
sntre les pourcentages de citations qu'ils atteignent dans  !es trois fascicules de référence


~S

Fascicule I
Fascicule 3o
Fascicule 51
dans
Auteurs

Nbre
%

Nbre
%

Nbre

le

Rang
de
du
Rang
de
du
Rang
de
du
t.6


cit.
total

cit.
total

cit.
total
I
H. de Balzac
36
17
0,6
I
I17
S,gI
2
68
S,oI
2
V. Hugo
3
150
5,28
2
77
3,89
1
74
5,45
3
E. Zola
56
9
o,31
8
50
2,52
5
38
2,8
4
A. Gide
II
66
2,32
t2
33
I,66
3
48
3,53
5
Goncourt (les)
b9
5
o,17
 ?
3
o,15
8
31
2,28
6
J. Romains
47
I2
0,42
5
54
2,73
6
37
2,72
7
Molière
2
2I2
7,47
S
54
2,73
16
19
I,4
8
G. Duhamel
Io
67
2,36
3
61
3,08
4
39
2,87
9
T. Gautier
69
5
0,17
7
51
2,57
7
36
2,65
Io
G. de Maupassant
3o
z5
0,88
 ?
19
0,96
IS
20
I,47
II
L. Aragon
-
o
O
18
24
I,2I
IO
25
I,84
I2
J.-P. Saine ..
-
o
o
 ?
Ig
o,96
t6
19
I,4
13
J~-J• Rousseau
8
74
2,6
9
45
2,27
r9
18
I,32
Iq
J. Racine
4
130
4,58
9
45
2,27
28
14
I,o3
15
M. Proust
18
qz
I,48
 ?
6
0,3o
Io
z5
1,84
16
R. Martin du Gazd
5
I14
4
I2
33
I,66
4o
io
0,73
i7
G. Flaubert
I2
62
2,18
17
26
I,3o
13
23
1,69
t8
Stendhal
5o
II
o,38
20
23
I,16
r6
19
i,4
19
D. Diderot
69
5
o,17
 ?
t3
0,65
t3
23
I,69
20
A. France
7
7S
2,64
23
zI
I,o6
Io
z5
1,84
(3) Voir des exemples, in Ch. Muller, art. cit., p. 227.
123 3. L'examen du tableau 9 ci-dessus fait apparaître, chez certains auteurs beaucoup cités au début, un recul sensible paz la suite. C'est le cas de Molière, nettement sur-représenté au premier fascicule, de Racine, et même, ce qui est plus surprenant, de R. Martin du Gard.
En contrepartie Balzac, Zola, J. Romains, peu ou très peu cités dans le premier fascicule, le sont beaucoup plus dans le 308 et maintiennent leur position r~anC le SIB.
Pour les frères Goncourt le phénomène ne se produit que tazdivement ils ne sont cités que ~ fois au fascicule 1, 3 fois au fascicule 30, et 31 fois au fascicule SI. Dans les fascicules suivants (52 à 56), ils sont d'ailleurs cités 52~ 4~~ 43~ 54 et 46 fois, ce qui explique leur classement à la 58 place pour l'ensemble du tome 6.
Aragon et Sartre enfin, s'ils ciilminent au tome 6 à des chiffres moins élevés que les auteurs précédents, partent de plus bas, puisqu'ils ne sont pas cités une seule fois dans le premier fascicule. Il sera intéressant de rechercher à quel moment ils font leur apparition dans le dictionnaire.
Mentionnons encore que La Fontaine qui n'apparaît pas dans le tableau 9, pazce qu'il n'est cité que 148 fois dans tout le dernier volume (il ne figure donc Qu'à la 288 place, tableau 2), est cité 266 fois, c'est-à-dire presque le double, ~ian5 le seul premier fascicule  !
4. Tous les chiffres ci-dessus révèlent une lente mais sensible moderni- sation du corpus des citations, au cours de l'avancement du dictionnaire
D'autre part, l'examen détaillé du tome 6 montre qu'il contient en nombre non négligeable, des citations d'auteurs wntemporains qui ne figurent pas sur nos listes. Tels sont  :Butor (13 citations), Cocteau (32 citations), R. Queneau (29 citations), F. Sagan (6 citauons), A. Suarès (43 cltations), etc.
Les linguistes non plus ne sont pas oubliés. On peut relever dans le tome 6 des citations de  : Baldinger, Bally, Bréal, Ch. Bruneau, F. Brunot, Cohen, Damourette et Pichon, Dauzat, Galliot, Gougenheim, Guillaume, P. Guiraud, HjemsIev, Malmberg, Mazouzeau, Matoré, Meillet, Nyrop, G. Paris, F. de Saussure, Ullmann, Vendryes, W. von Wartburg, etc.
5. En somme, il faut reconnaître aux rédacteurs du Robert le mérite d'avoir cherché, sans abandonner les références aux auteurs « classiques  », à donner de plus en plus de place aux modernes et même aux contemporains. C'est là une attitude bien différente de celle de Limé.
6. Nous envisageons maintenant de rechercher quelle est la proportion exacte des auteurs et des citations du xxe siècle sur l'ensemble des 64~ auteurs et des 16 274 citations du tome 6. Cette analyse plus poussée concernera donc (cf. tableau 4) les 578 auteurs cités moins de cinquante fois et les 3 646 citations correspondantes.
Ensuite nous comptons étendre ces recherches sinon à l'ensemble des cinq premiers tomes, du moins à un certain nombre de fascicules non encore explorés, par exemple les 58, 158, a58, 358 et 458, afin d'obtenir une analyse plus fine.
Enfin, nous pensons établir quelques comparaisons, toujours sur ce plan des citations, entre des tranches choisies dans le Robert et des tranches corres- pondantes du Littré.
P, GILBERT,
Université de Sarrebruck.