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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de lexicologie
    1965 – 1, n° 6
    . varia
  • Auteurs : Greimas (A. J.), Muller (Charles)
  • Pages : 111 à 123
  • Réimpression de l’édition de : 1965
  • Revue : Cahiers de lexicologie
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782812442599
  • ISBN : 978-2-8124-4259-9
  • ISSN : 2262-0346
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4259-9.p.0113
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2012
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS


LE$ICOLOGIE ET SÉMIOLOGIE

Dans le cadre du Centre d'Histoire du Lexique politique de l'E.N.S. de Saint-Cloud, s'est tenue le z7 mars dernier une réunion-débat réunissant de nombreux spécialistes sur le thème Lexicologie et Sémiologie. Nous avons pensé que les lecteurs des Cahiers de Lexicologie seraient intéressés par le résumé des trois exposés présentés par MM. GxEIMAS, POTTIER et BARTHES.
Prenant la parole le premier, et afin que l'ambiguité se dissipe quant au rapport des deux termes proposés, A. J. GxEIMAS avance d'abord une double définition .
t. La lexicologie, telle qu'elle est comprise aujourd'hui, renvoie à l'ana- lyse du contenu qui choisit les mots (lexèmes) comme unités de mesure et de description.
Or, un tel choix ne paraît pas pertinent. Les lexèmes et leur étude ne sont pas suffisants pour rendre compte de la signification contenue dans le corpus à décrire. Il faut substituer à la lexicologie une sémantique descriptive qui viserait la description des contenus au niveau des unités plus larges. L'intervention de B. POTTIER se situera dans ce cadre.
2. La sémiologie, dans l'esprit des organisateurs, est comprise comme la description du contenu manifesté soit à l'aide d'autres langages que les langues naturelles (peinture, gestes, musique, etc.) soit à l'aide des signifiants que cons- tituent les objets du monde ou les comportements humains.
Dans le sens saussurien du terme —qu'il faudrait maintenir — la sémio- logie est entendue comme la description de tous les ensembles signifiants, quel que soit leur plan d'expression. La description des langues naturelles fait par conséquent partie de la sémiologie. C'est R. BARTxES qui interviendra dans ce sens.
I. Objet et méthodes.
L'objet du débat, formulé un peu différemment, concerne les res- semblances et les différences rencontrées dans la description des sémiologies linguistiques et des sémiologies non linguistiques. Trois solutions du problème peuvent être envisagées
t. L'objet de la « lexicologie  » et celui de la « sémiologie  »sont de la même nature (la signification est indifférente au signifiant).
a. L'objet des deux disciplines n'est pas le même, mais la méthode de description est la même (les deux descriptions sont comparables).
114 3. L'objet et les méthodes des deux disciplines sont différentes (le problème de la comparaison se pose alors).
Avec l'autorisation de l'auteur, un extrait d'une lettre de J. C. GARDIN est lu pour formuler nettement l'attitude opposée à celle de l'équipe présente ici
«  La seule difficulté, pour moi, est de vous suivre (ainsi que Barthes, et d'autres) lorsque vous posez que la peinture, la musique, etc. (et pour Barthes le théâtre, le cinéma, le vêtement, etc.) sont des « ensembles signifiants  », au même titre que des langues quelconques ; et que, par conséquent, on peut étudier les sens à l'aide des outils que les linguistes appliquent à l'analyse des autres. La démarche barthésienne, plus particulièrement, est en général celle-ci
I. Le ... (cinéma, vêtement, etc.) est-il langage  ?Réponse  :toujours OUI...
i. Donc, étudions le ... au moyen des instruments d'analyse de la sémiologie. Mais j'avoue n'être jamais convaincu  : ou bien la sémiologie reste de façon restrictive (comme je le souhaite personnellement) la science des systèmes de communication, au sens le plus terre-à-terre du terme, et non métaphorique (car peindre une toile n'est pas, à moins d'un jeu de mots, un acte de communication au même titre que l'énoncé d'une phrase dans une langue quelconque), et dans ce cas je n'approuve pas qu'on prétende l'appliquer à l'analyse du vêtement, de la musique, etc.  ; ou bien l'on généralise le terme pour qu'il désigne « toute méthode d'analyse rigoureuse  »dans les sciences humaines en particulier (qui en ont besoin, je vous suis tout à fait sur ce point  !), et l'on est alors parfaitement en droit de parler de la sémiologie du vêtement, etc. —mais c'est au détriment de la précision des choses...  ».
II. Communication et signification.
I. La difficulté de comparer la « lexicologie  » et la « sémiologie  »est réelle, si l'on adopte le schéma de communication, comme le propose GAxDIN. Dans ce cas, l'intention de communiquer s'éloigne de l'acte de communication (cf. peinture). Cependant, cette communication médiatisée n'est pas différente de la communication littéraire, qui éloigne aussi les pSles.
z. Le concept de communication convient peut-être moins bien lorsqu'il s'agit de la description des objets « naturels  » ou des comportements. La lui- gmstique structurale se contente dans ce cas du seul point de vue de la per- ception (cf. réception dans la communication).
3. La question de l'identité de l'objet n'est d'ailleurs pas pertinente  : en effet, si une méthodologie de description commune est possible, peu importe l'objet. L'essentiel est la comparabilité des résultats de la descnpuor..
III. Exemples de convergence de corpus et de descriptions différentes. t. Structures de parenté.
On se souvient de la discussion entre LEVI-S'rRAUSS et RAnCLIFFE-Bxowx au sujet de leur description.
Il existe trois niveaux différents de description
a) la terminologie de la parenté ;
b) les comportements linguistiques entre membres de la même famille ;
c) les comportements non linguistiques à l'intérieur d~ la parenté.
115 Deus problèmes se posent
a) comment compazer et intégrer les descriptions (b) et (c)  ?
b) quelles sont les relations entre la structure décrite à partir des attitudes (b et c) et la structure que révèle la terminologie  ?
2. Organisation sociale.
Il existe incontestablement (voir LEVr-STxnuss) deus structures diver- gentes
a) la structure sociale « réelle  » (décrite à partir des comportements) ; 6) la structure sociale « racontée  » (= idéologique).
Le décalage constitue une source de « mythification  ». Aliénation  ?C'est en tous cas un des moteurs de l'histoire.
La nécessité est évidente de décrire les deux structures de manière compa- rable pour pouvoir apprécier et expliciter la nature du décalage.
Pour pouvoir donc être compazée à l'idéologie s'exprimant en pazoles, la description de la structure « réelle  » se fera elle-même linguistique ; elle instaurera la structure « réelle  » en tant que traduction linguistique.
3. Village breton.
Qu'on se réfère maintenant à la description, faite par plusieurs équipes représentant différentes sciences humaines, d'un village breton. On a tenté une analyse sémiologique totale, le village vu sous tous ses angles. Autant de descriptions hétérogènes peu conciliables. Le problème se pose donc un peu différemment ici
a) la réalité sémiologique est le village ;
b) les différentes descriptions, présentées sous forme de rapports, cons- tituent un corpus linguistique;
c) les conditions de la comparabilité des différentes descriptions sont à rechercher clans un langage proprement sémantique qui leur soit un déno- minateur commun, une analyse de contenu au 2e degré.
IV. Ces quelques exemples peuvent servir de base à la discussion.
B. PoTTiEx accepte les définitions posées par A. J. GREIMAS et critique la conception de la sémantique que se fait E. BuYSSENS. Celui-ci a écrit récemment
«  Une distinction fondamentale doit être faite entre la signification de la phrase, objet de la stylistique, et la signification du mot, objet de la séman- tique  ». Il semble donc que pour E. BUY$SENS il n'y ait pas de différence spé- cifique entre les deus disciplines. A partir d'un certain degré de combinaison des mots, la sémantique s'appelle stglistique. Position dangereuse, car il n'y a pas une différence de complexité entre elles, mais un changement de niveaux. Position traditionnelle aussi. Bien des sémanticiens renoncent à étudier le sens des mots au-delà de la lexie ; dès que le sens résulte de combi- naisons de termes, ils s'arrêtent et disent  : «  ça, c'est du style  ».
Nous ne nous en tirerons pas à si bon compte.
116 r, Afin de clarifier son propos, B. Porl'IEx dessine un premier tableau Relations entre les stimuli et les formes de langue

ex. : texte politique

+ visuel
ex. : l'état
des lieux

ex. : structures

ex. : théorie
du roman
—visuel
~ (axe du
— conceptuel
par un
notaire

de parenté

tedxee

concret à l'abstrait)






G. Sand
+conceptuel


W



Domaine de
l'observation
(realia)
lexique mélange
descnptif lexique
conceptuel
Domaine de
l'idéation
(généralités)

= langue

2. Recherche des sémies ou « unités de signifié  » à partir du discours
Après avoir distribué un extrait d'Histoire de ma vie qui expose les idées de G. Sand sur le roman (cc Je n'avais pas la moindre théorie quand je com- mençai àécrire...  »), B. POTTIER en fait l'analyse.
Problème  :comment les cinq ou six unités de signifié fondamentales de ce texte sont-elles exprimées par des unités de signifiant  ?
On remarque dans ce texte
a) l'absence de tout substantif visuel  ;
b) le grand nombre des « qualifications  » (entendons par là un cas général de relation signifiante, non un type morpho-syntaxique).
Soit le sytagme  : Substantif i ~- de -{- Substantif 2.
Exemples  :dans le domaine visuel  : le pied de la table (matériel --} matériel) ; dans un domaine mixte  :l'art du conteur (immatériel -~ matériel)  ; dans le domaine conceptuel (cf : G. Sand)  : la variété de ses concep- tions, la vérité de la peinture.
Soit le syntagme  :Substantif -}- Adjectif (terme fondamental +apport). Exemples chez G. Sand  :des situations vraies; l'idée principale ; une impor- tance exceptionnelle.
Dans les deux cas, sous les deux formes rencontrées, nous avons quali- fication du support.
Cette « qualification  » sert à l'interprétation de la relation entre SI et Sa, donc de la compréhension de la sémie qui résulte de cette relation. Toute «  transformation  »d'une forme à l'autre suppose une identité de signifié. C'est le choix entre l'un ou l'autre des syntagmes formels qui est affaire de style
d'où des « effets de sens  »différents dépassant un sens identique.
117 c) analyse des « actions  » (Verbe -{- Substantif).
Exemples chez G. Sand  :l'idéalisation du sujet (idéaliser le sujet)  ; la critique de la société (critiquer la société) ; une envie de roman (avoir envie de roman).
Dans ces exemples, nous avons une relation du genre action -{- patient, sous une forme syntaxique du type Si (de) Sa. Le choix entre les types «  Verbe ~- Substantif n et «  Si (de) Sz  »est affaire de style.
Conclusions  : à une relation de signifiés peuvent correspondre plusieurs types de relations de signifiants. La qualification par exemple peut emprunter les formes
Si E— Sa, Si —. S2, S E-- A, A --~ S
— PlutBt que de « transformation  » (supposant un dépazt et une azrivée) il faudrait pazler d' « équivalence  ».
— C'est la relation qui est intéressante et non les éléments-mots. (D'où critique des index isolant les mots, mettant en liste des éléments de relation, découpés et sans intérêt autre que points de repère d'une référence. II faudrait étudier les unités de signifié dans les relations mêmes des signifiants.)
De même, le signifiant «  de  » n'a aucun intérêt en lui-même.
C'est l'ensemble corrélé qui est intéressant.
— Le langage documentaire est proche des formulations employées pour les relations sémantiques  :qualification, action, localisation... (M. COYAUD distingue, paz exemple, huit relations fondamentales pour caractériser les rapports notionnels dans le langage documentaire.)
3. La part du subjectif  :l'analyse relationnelle suffit dans un texte scien- tifique. Mais dans un texte personnel, la part du subjectif est plus importante (cf : chez G. Sand  : 4 fois  :1 faut, formules  : on doit, on ne doit pas, ~e crois, ne pas craindre que  :autant de signes du subjectif).

S=
• 0= modus subjectif .
•thème objectif

ex. : discours ex. : discours
scientifique « littéraire  » presque objectif
Le problème de la proportion des parts O et S dans la causalité de l'expres- sion peut faire l'objet de la stylistique. Mais Ze styliste n'a le droit d'agir que lorsque le linguiste est intervenu.
Le styliste s'occupe alors aussi bien des lexèmes que des morphèmes (marques du subjonctif, du conditionnel, etc.).
En tous cas, s'il y a unité, c'est dans le signifié, le signifiant n'étant que forme plus ou moins heureusement approximative.
118 q.. Types des séquences (lexies) révélant une sémie
a) Faits lexicaux simples (paradigmatiques) cf. Siège archisémène ; chaise, tabouret, fauteuil, banc, canapé... : sémèmes.
6) Faits lexicaux complexes (syntagmatiques)  : cf :
annoncer quelque chose à quelqu'un apprendre quelque chose à quelqu'un ou autre construction
prévenir quelqu'un de quelque chose aviser quelqu un de quelque chose

puis, si on ajoute le « moyen (domine disent les documentalistes) de la trans- mission n, les syntagmes se chargent sémantiquement =envoyer un mot, un télégramme, donner un coup de fil, etc.
5. Niveaux pratiques de l'analyse thématique  :tableau descendant

notion relation notion
/ Nettoyer / > /pièce d'appartement /
= signifié fondamental

aspects a) d'un acte
b3 d'une action personnelle =variétés
c d'une action unpersonnelle de
d) d'un factitif signifiés
e) d'un passif...
variantes de l'unité de signifié / transmettre une information /
fonction
sémantique

Valeur
aspectuelle

Fonction syntaxique
Structure
syntaxique
et
choix
stylistique
entre
équivalences

par exemple  :besoin d'un « sujet u
réalisations « équivalentes
le nettoyage de la pièce me convient
nettoyer la pièce me convient
 ?; on nettoie la pièce me convient
nominalisateur
de discours



c) qu'
d) qu'
e) que
on fasse nettoyer la pièce me convient
soit nettoyée la pièce me convient
Analyser un texte c'est faire la remontée, pour retrouver, en fonction des classes de mots, les signifiés à travers les structures.
A. J. GRSIMAS tire deux conclusions des thèses de B. POTTIER
— non-pertinence de la lexicologie considérée comme description de la signification dans les unités-mots ;
— la description "lexicologique " est construction d'un langage sémantique, gtri est un métalangage, comparable au langage documentaire, donc une traduction du français dans un langage sémantique.
119
R. BARTHES, quant à lui, veut tenter de cerner le problème du rapport sémiologie-linguistique.
Ce problème s'est posé concrètement lors d'une recherche personnelle entreprise il y a cinq ou six ans sur le vêtement de mode. Le projet, au départ, était strictement sémiologique, au sens saussurien  :tentative pour reconstituer le système des significations attaché au vêtement réel, porté. Comment les hommes se communiquent visuellement des informations paz leurs vêtements  ?
Mais le projet a dû très vite être modifié. Car les significations attachées au vêtement porté sont en réalité peu nombreuses, le système sémantique du vêtement porté reste élémentaire, signifiés et signifiants sont vite épuisés. Au contraire lorsqu'il s'a 't du vêtement représenté, parlé, c'est-à-dire pris en chazge paz un discours journaux de mode par exemple), on se trouve devant un univers sémantiquement très riche. Donc le choix s'est posé  : ou bien étu- dier le vêtement réel et s'en tenir à un système aussi simple que le code routier, ou bien étudier le vêtement total et s'attaquer à un système où interfèrent des substances de signifiants différents (étoffes, mots, dessins...). Au fond, le vêtement appazaît comme un système pauvre appelant une pazole abondante.
L'écriture de mode c~ui prend ainsi en chazge le vêtement (si l'on consi- dère les descriptions, à 1 exclusion des photographies) ne vise pas un objet inerte, mais pazle d'un vêtement qu'elle suppose signifiant. Elle a pour charge donc de faire sortir, de mobiliser, d'amplifier ses significations.
Ainsi, quand le journal dit, comme il y a cinq ou six ans  :les «  imprimds triomphent aux courses  », son énoncé se fonde sur la certitude qu'en allant à Auteuil, on peut vérifier que ces imprimés signifient, entre autres, les courses. Ce n'est donc pas le lexique de 1a mode seul qui doit être recherché, mais la projection des déterminants humains et sociaux, lesquels peuvent très bien correspondre à des besoins économiques. Nous sommes les sociétés qui con- naissent la mode, sociétés de type industriel, disons capitaliste, où le mazché de production obéit à des mobiles essentiellement comptables. Les produc- teurs sont des calculateurs. Or, si le consommateur du vêtement avait la même mentalité que le producteur, il devrait acheter son vêtement en comptant. Cela voudrait dire qu'on n'achète le vêtement que pour autant qu'il s'use. C'est cette différence entre l'usure et l'achat qui définit l'activité de mode. Dans nos sociétés, pour renverser les mentalités, pour décomptabiliser en particulier celle de l'acheteur, on interpose donc entre l'objet et l'achat tout un réseau de sens. Ce qu'on donne à consommer n'est plus seulement le vêtement mats un intelligible linguistique non comptable.
Cette production d'un intelligible, grâce à l'intervention du langage sur des objets du monde réel, définit, au-delà de la mode, toute la publicité et, d'une façon générale peut-être, toutes les communications de masse. A la limite, on pourrait dire qu'hors de la pazole, il n'y a pas de mode. La mode, fait presque entièrement absorbé dans le langage, est au fond une représentation.
En généralisant les conclusions tirées de cette expérience, on peut poser deux questions
z. Trouve-t-on dans notre société des systèmes purement sémiologiques  ? (au sens saussurien). Ils existent certes, tels le code routier, le code d'appontage des avions, mais ces exemples, rares d'ailleurs, sont pauvres et très particuliers, présentant un caractère anecdotique, univoque. Constituer la sémiologie pour des codes de ce genre ne vaut pas la peine. En fait dès qu'un système a une certaine consistance sociale, tels le vêtement, la noumture, le mobilier, l'auto- mobile, on s'aperçoit que leurs objets sont pris en chazge paz une immense
120 fabulation, laquelle s'énonce par des formes très vaziées de discours  :publicité, prospectus, conversations... Cette fabulation constitue avec un système séman- tique pauvre, un système parlé riche. C'est pourquoi la recherche d'avenir concernant ces problèmes n'est peut-être pas la sémiologie mais ce que, faute de mieux, on peut appeler provisoirement une translinguistique —non une métalinguistiqque, car on ne peut actuellement préjuger s'il s'agit de méta- langage ou de connotations —c'est-à-dire une Imguistique seconde, qui s'occuperait à la fois des métalangages et des connotations, des codes consti- tués ou reconstitués avec du langage.
a. Dans ces systèmes complexes où le langage est présent (objets de cette translinguistique), en quels points le langage humain intervient-il  ? A trois moments de ces systèmes d'objets
I~ Au niveau de la nomenclature. En effet le langage sert toujours à définir les objets, ce qui ne veut pas simplement dire les nommer. Il trans- forme une nomenclature en un système second de sens, où la langue impose ses contraintes aux objets et vice versa. (Ainsi, le remplacement des manteaux poilus paz les manteaux velus dans le code vestimentaire indique le passage de la mode d'une année à celle d'une autre année.)
a~ Quand le langage prend en chazge les relations des unités signifiantes de ce code pseudo-réel, relations qui ne se réduisent pas aux seules relations de la langue. Exemple  : si l'on prend une expression comme clip sur poche, on ne peut constituer un paradigme où il y aurait clip sous poche. On est donc obligé de constituer des paradigmes c~ui ne sont plus simplement ceux de la langue. Nous rencontrons à nouveau icx la distorsion que POTTIER apercevait entre les signifiants de la langue et les signifiés.
3~ Quand la langue prend en chazge les signifiés eux-mêmes de ce code pseudo-réel. Le journal de mode les nomme, par exemple, week-end, cocktail, soirée, promenade, etc.
Si l'on appelle isologie le phénomène qui fait que signifié et signifiant sont collés l'un à l'autre, ic7 l'on a affaire à des systèmes non-isologiques où la langue, dans son action seconde, permet de décoller les signifiés des signi- fiants. Voilà pour l'insertion au plan de la nomenclature.
La langue intervient aussi au niveau capital de la connotation, c'est-à-dire de la rhétorique, de la phraséologie. Le journal mobilise tout un appareil stylistique destiné à transformer le signe en fonction. Ainsi le journal ne dira pas que « les imprimés sont le signe des courses  » ; il donnera ~ la place un certain nombre de fonctions  :utilité, beauté. Le journal rationalise perpé- tuellement le signe, en fournissant des alibis d'extrême fonctionnalité qui viennent racheter en quelque sorte l'oisiveté du signe de mode. Exemple
«  Vous mettrez ce vison blanc pour un maziage printanier dans une église un peu fraîche  »  : appazeil stylistique de fonctionalisation qui transforme le signe en besoin, en raison.
Le signifié global de ce plan de connotations est donc idéologique. Ici celle du vêtement de mode, intéressante à décrire, car étant le dernier signifié de cet échaffaudage de systèmes, elle communique avec d'autres idéologies con- temporaines de la même société et les rejoint. C'est la même idéologie qu'on pourrait retrouver au terme d'une analyse concernant l'alimentation, la cons- truction, etc.
R. BARTHES conclut en lançant deus hypothèses
A. Il n'y a pas de système sémiologique pur dans notre société. Le langage est toujours présent. Paz là, il faudrait peut-être renverser la propo- sition de SAUSStTRE. Au lieu de dire que la linguistique est une sorte de dépaz-
121 terrent pilote de la sémiologie, il serait meilleur de reconnaître que la sémio- logie n'est qu'un département de la linguistique. La dénomination «  trans- linguistique  »règle ce problème par elle-même. On appelle à tort notre civi- lisation moderne « civilisation de l'image  ». En réalité il n'y a pas d'images sans langage. Toute notre civilisation est d'abord langage.
B. Il n'y a pas non plus dans bien des cas, hypothèse inverse, de simple nomenclatures. La parole prend en charge des systèmes pseudo-réels dont les unités ne sont pas celles de la linguistique. Au-delà de la phrase ou à côté, mais toujours avec des mots, il y a d'autres unités à valeur propre qu'il est nécessaire d'explorer. Les linguistes doivent accepter, dans ces domaines «  seconds  », un élargissement de leur objet habituel.
~ ~

Le débat qui a suivi ces exposés —qu'il serait trop long de transcrire ici —pose d'abord les problèmes des signifiants non linguistiques dépassant la transcription en paroles et des chazges affectives personnelles ou sociales qui commandent l'acte de communication. La linguistique ne doit-elle pas avoir recours ici à des méthodes d'analyse psycho-sociologiques  ? A. J. GREIMns pense plus sagement que toute science est choix d'un niveau et doit s'y tenir. Conseil  : ne pas mélanger les descriptions  :conceptuelle, historique, psycho- logique, etc.
J. C. GnRDIN critique, quant à lui, le domaine que R. BnItTI~s assigne à l'étude sémiologique. Tout devient sémiologie, y compris le cinéma et la peinture. Est-il raisonnable aussi de commencer par la connotation et les virtualités des lexies (la rhétoricité, selon R. BARTHES), alors que l'inventaire des constantes (sèmes et classèmes, pour reprendre la terminologie de B. POTITER) n'est pas suffisamment poussé ni délimité  ? De plus, en bonne stra- tégie, peut-être faudrait-il, avant d'être trop ambitieux, se contenter de tra- vailler sur des micro-corpus naturels et homogènes, avant de s'attaquer à des corpus littéraires plus difficiles et d'aborder l'élaboration d'un système des systèmes  ?
Entre l'aventure barthésienne et la prudence de J. C. GnxDIN, M. POUIL- LoN tente une réconciliation générale  :nous sommes tous d'accord, au fond. Oui, même si ce n'est pas sur le sens des mots...
M. T.
E. N. S., Saint-Cloud

122 MULLER (Charles). -L'Illusion Comique de P. Corneille  : Essai de sta- tistique lexicale, Pazis, Klincksieck, i96q..
Voici un ouvrage qui repose, une fois de plus, le problème des relations entre les méthodes quantitatives et la linguistique dite qualitative. Comme l'a bien montré le récent colloque strasbourgeois réuni justement pour se poser la question de la valeur de ces méthodes, les difficultés de conciliation des deux méthodologies se doublent d'un malentendu portant sur les différences de formation intellectuelle et scientifique des chercheurs qui s'en réclament.
En effet, d'un côté, les linguistes d'aujourd'hui montrent le désir sincère de donner une plus grande rigueur à leurs recherches, d'en formaliser, d'en quantifier même, si possible, les résultats, sans toutefois trop bien savoir comment s'y prendre. D'un autre côté, l'intérêt que manifestent, pour les problèmes linguistiques, les représentants des sciences exactes, s'il nous sert de stimulant dans nos recherches, nous déçoit aussi parfois, dans la mesure surtout où nous avons l'impression que nos préoccupations propres leur échappent en partie. Ils sont habitués à travailler à paztir d'un corps de concepts sûrs et leurs démonstrations et déductions ne sont valables que dans la mesure où ces concepts de base le sont. La linguistique d'aujourd'hui, au contraire, est un terrain mouvant où de nouvelles conceptualisations, des remises en question constituent notre pain quotidien. Pour que quelque chose de valable puisse @tre fait dans le domaine de la quantification des recherches linguistiques, il est encore indispensable d'obtenir la collaboration — rare —d'un linguiste et d'un statisticien. Il est évident que le linguiste de la génération qui nous suivra aura en même temps une formation linguis- tique et mathématique. En attendant, Ch. Muller vient d'accomplir un tour de force  : en y consacrant plusieurs années de sa vie, il a réussi à s'initier aux problèmes de statistique, complétant ainsi son expérience de linguiste paz des exercices « quantitatifs  »quotidiens. Indépendamment donc de la valeur intrinsèque de son travail, il faut saluer en lui ce phénomène de « reconversion  »qui nous paraît symptomatique et prometteur.
D'autres que nous diront ce que les recherches de Ch. Muller ont apporté dans le domaine de l'affinement des techniques statistiques, en leur imposant, lors de leur application à la linguistique, plus de rigueur et de souplesse à la fois. Son travail qui soulève plus de problèmes qu'il n'en résout peut-être, nous intéresse plus pazticulièrement dans la mesure où il remet en question les approches méthodologiques visant la définition du style par des moyens statistiques.
Les écarts significatifs
Tout en acceptant les règles du jeu de l'actuelle linguistique statistique, telle du moins qu'elle a été introduite et vulgazisée en France par Pierre Gui- raud, l'Essai de Ch. Muller appazaît comme une interrogation portant tout d'abord sur la valeur de la méthode dite des écarts significatifs. Que le titre de l'ouvrage ne nous trompe pas  :dans la perspective de la recherche des écarts significatifs, la n statistique lexicale  » se transforme nécessairement en une stylistique  :tout écart paz rapport à une « norme  »est censé révéler des caractéristiques d'un auteur ou d'un genre, et nous sommes encore loin d'une méthodologie statistique qui nous proposerait les invaziants et non les variables du lexique.
La stratégie de Ch. Muller a consisté à éliminer toute source possible d'erreurs d'interprétation, toutes les causes de vaziations non stylistiques. En choisissant un seul auteur, Corneille, une seule pièce, l'Illusion comique, écrite pendant un laps de temps assez court, Ch. Muller a pu disposer d'un
123 corpus homogène, synchronique, facile à soumettre aux vérifications par dénombrements umtaues. La pièce, selon l'aveu de Corneille lui-même, étant un «  éstrange monstre  », composée d'un Prologue, de trois actes de « Comédie imparfaicte  » et du dernier acte qui est une Tragédie, la question que s'était posée le linguiste statisticien était de savoir si aux trois genres littéraires, sentis et postulés comme différents par l'auteur lui-même, correspondaient, sur le plan du lexique, des variations quantitatives suffisamment significatives pour être enregistrées.
C'est ici qu'apparaissent, selon nous, les principales difficultés. Sans parler du fait que le sentiment de l'auteur sur son oeuvre (c'est-à-dire, dans ce cas particulier, l'affirmation de Corneille que tel acte de sa pièce est «  tra- gique  » et tel autre « comique  ») n'est pas nécessairement un cntère objectif pour l'établissement des définitions, on peut se demander quels éléments de la définition de la tragédie, par exemple, doivent être pris en considération en vue de leur comparaison avec les critères quantitatifs d'un texte « tragique  ». Dans le cadre des conceptions de l'époque cornélienne, la définition de la tragédie est à la fois complexe et hétérogène. Elle comprend ainsi
a) une définition relativement lâche de la structure de la pièce considérée comme un récit syntagmatique ;
b) certaines règles formelles de versification ;
c) une certaine définition du « contenu tragique  »portant sur le caractère noble et tragique des personnages, de leurs sentiments et de leur langue.
Il est évident que, étant donné le choix du corpus, seuls les éléments définitionnels du « contenu  »tragique ou comique pouvaient être pris en considération par Ch. Muller pour sa définition implicite de ces genres. Autre- ment dit, ce que la statistique lexicale voudrait prouver, c'est l'existence d'une corrélation entre, d'une part, les sentiments nobles et tragiques et, de l'autre, la longueur moyenne des mots utilisés, la distribution des fréquences de ceux-ci ou les préférences marquées pour telle ou telle classe grammaticale. Les réti- cences relatives à l'établissement de ce genre de corrélations se résumeraient principalement en ceci
i. D'une part, les termes de la corrélation à établir paraissent par trop éloignés l'un de l'autre pour que celle-ci puisse être considérée comme pertinente.
2. D'autre part, les critères quantitatifs choisis sont trop généraux et, de ce fait, les corrélations ainsi établies ne sont pas exclusives  : on ne voit pas pourquoi tels écarts significatifs, caractérisant la tragédie, ne pourraient être constatés également pour les autres genres poétiques, l'épître ou l'ode.
Les mots-clefs et l'inertie stylistique
A supposer cependant que de tels écarts soient enregistrés et confirmés, peut-on passer de là à leur interprétation  ?Peut-on dire ce qui, dans tel cas ou tel autre, explique ou justifie les écarts  ?Assez curieusement, Ch. Muller s'engage ici dans une voie originale qui l'oblige à rejeter les conclusions aux- quelles était arrivé Pierre Guiraud. Tandis que pour Guiraud les fréquences significatives des mots, par exemple, l'amènent à distinguer les mots-clefs et à définir, dans cette perspective, la statistique lexicale comme une méthode de préparation du corpus pour une analyse « qualitative  » de la thématique d'un texte, Ch. Muller, au contraire, cherche à éliminer ce qu'il appelle le
124 « fait thématique  ». En effet, les distorsions des fréquences sont le plus souvent dues, selon Iui
1. soit à la « nature thématique  »évidente du genre donné  :ainsi, on peut prévoir d'avance que la tragédie aura souvent recours à la vertu et à l'honneur, tandis que la comédie emploiera plus fréquemment la peur et les coups;
2. soit à la « nature épisodique  »des situations pazticulières introduites dans le teste par l'auteur celles-ci provoquent l'apppazition d'un voca- bulaire caractéristique d'une pièce-occurrence et non du genre qu'on essaie de définir.
Une telle prise de position nous pazaît fort intéressante. Dans le premier cas, en effet, la description de la thématique d'un genre choisi n'accepterait que difficilement les « mots  »comme unités descriptives et exigerait une «  ana- lyse du contenu  » où les unités commutables — et de ce fait redondantes — auraient des dimensions plus lazges. Dans le second cas, les écarts théma- tiques non caractéristiques du genre rappellent de trop près le caractère azbitraue des « vocabulaires disponibles  »auxquels doivent faire face les techniciens qui s'occupent de l'établissement des vocabulaires dits fonda- mentaux.
Mais une telle exclusion de la thématique a pour conséquence de reposer le problème du style qui, de l'aveu même de l'auteur lors de la soutenance de thèse, ne peut se définir que négativement, qu'en tant que «  ce qui reste lorsqu'on a tout expliqué  ». Nous nous approchons ici de la conception du style très proche de la « forme du contenu  » hjehnsIevienne, et ceci constitue certainement une des plus grandes originalités —parmi tant de mises au point pertinentes —que nous propose en conclusion les recherches de Ch. Muller. A la recherche thématique à laquelle mène nécessairement la méthode dite des mots-clefs, il oppose la notion d' « inertie stylistique  »  :c'est dans la cons- tance des catégories grammaticales qu'il faudrait chercher les éléments de définition des styles et des genres. Ainsi, c'est, paz exemple, sur les écarts significatifs de l'emploi des prépositions à et de, de l'usage des pronoms ou des déterminatifs personnels que l'on doit se pencher pour trouver — si nous interprétons bien la pensée de Ch. Muller — de véritables vaziations sty- listiques. Et ceci d'autant plus que l'examen de toutes les occurrences de à dans le texte tragique n'explique en rien les préférences de la tragédie pour cette préposition, qu'il n'existe aucune occurrence qui serait déplacée dans le teste comique.
De tels indices que nous révèlent les méthodes quantitatives sont tota- lement invisibles à l'aeil nu, et c'est là que réside leur valeur heuristique. Met- tant en évidence les éléments linguistiques d'un niveau formel élevé, ces méthodes peuvent offrir à la recherche sémiologique des matériaux inédits et réussir à briser ainsi les résistances de scepticisme qui leur ont été souvent opposées par les linguistes.
A. j. GRBUHAs
MESSELAER (P. A.). - Le vocabulaire des idées dans le °QTrésor" de Brunet
Latin. Van Gorcum et C1e, s.l.n.d., 41z p.
Cette thèse de doctorat a été soutenue en décembre 1963 à l'Université d'Amsterdam  ; son sujet a été proposé par M. Paul Zumthor, qui en avait jeté les bases dans un article de la Zeitschrift für romarrische Philologie (1986, p 350)• C'est une application des théories de Trier et de ses successeurs sur les champs sémantiques et sur la description onomasiologique du vocabulaire.
125 Certes, les limites du sujet peuvent pazaître imprécises, car où commence et où finit le domaine des « idées  »  ?L'auteur n'a guère tenté de tracer ces limites, et la définition de son terrain pazt plutôt du centre que des contours, forcément vagues. D'emblée, il énumère sept « champs  »qui vont constituer l'ensemble dont il entreprend la description sémantique. Cinq d'entre eux se trouvent constitués dans la doctrine scolastique, et offrent une certaine cohérence extérieure au texte de Brunet Latin  : ce sont d'abord le domaine de la connais- sance, puis les matières scientifiques et didactiques que forment la rhétorique, la morale, la politique et la physique, au sens où l'époque prenait ces termes. Deux autres thèmes ont été traités en rassemblant des éléments lexicaux épars dans le texte  :celui des « puissances mentales  » et celui de l' « exercice de la pensée  » (dénominations et concepts modernes).
La méthode consiste à étudier les mots un à un, dans un ordre logique fourni par le champ sémantique auquel on a décidé de les rattacher ; le but est ici surtout d'en donner une définition exprimée ou suggérée par Brunet Latin, et à son défaut empruntée à des oeuvres de l'époque. Une seconde paztie, suivant une démarche onomasiologique, regroupe ceux qui ont trait à un même signifié, et tâche de préciser les relations qui les rapprochent ou les opposent, la plupart du temps au moyen de schémas ou de classements synoptiques. Elle se termine paz un coup d'oeil sur les phénomènes séman- tiques observés dans différents endroits de l'analyse lexicale.
L'intérêt de ce travail est d'abord de rassembler des renseignements solides sur le lexique d'un auteur dont la place dans la formation du voca- bulaire médiéval est connue, que Littré exploitait déjà, mais dont le teste appe- lait un examen nouveau. L'index (un bon millier de mots) facilite la collecte des indications concernant un mot donné. Outre les datations, dont quelques- unes avaient échappé aux lexicographes (le nouveau Dauzat en a déjà tiré profit  :voir paz exemple s.v. vraisemblable , il apporte surtout d'es définitions détaillées et motivées, qui nous font presque toujours défaut pour l'ancien français.
C'est ensuite un essai intéressant à une époque où la sémantique, cher- chant des voies neuves, tente d'échapper aux études parcellaires et d'aborder des ensembles pour mieux en éclairer les détails.
Ce livre sera enfin une contribution modeste, mais utile, à la connais- sance de la pensée médiévale, dont la plupart des ouvrages ne considèrent guère que l'expression latine.
On regrettera l'absence d'une bibliographie qui devrait rassembler les indications éparses dans le livre. Il y a des «  op. cit.  »dont on cherche labo- rieusement la clé  !
Charles MULLER