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Classiques Garnier

The President’s foreword

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AVANT-PROPOS DU PRéSIDENT

Chères consœurs et chers confrères, chères amies et chers amis,

Je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue au 75e congrès de lAssociation Internationale des Études françaises. Je salue chaleureusement celles et ceux qui sont venus pour la première fois et je salue avec gratitude les fidèles qui fréquentent régulièrement notre congrès annuel. Je noublie pas celles et ceux qui ne sont pas dans la salle, mais nous suivent de loin, en visioconférence. Merci à toutes et à tous pour votre venue et pour votre présence qui me permet douvrir cette assemblée générale, la première que je préside. Je profite de cette occasion pour remercier tout dabord les membres du Conseil de leur confiance quand ils et elles mont élu Président de lAIEF lors de leur réunion le 5 juillet 2022. Je suis entré dans cette fonction le premier janvier 2023, étant donné que le mandat du Président se mesure à laune de lannée calendaire.

Aujourdhui, dans cette assemblée générale, le moment est venu pour remercier coram publico mon prédécesseur Charles Mazouer davoir dirigé notre association à contre-courant des difficultés causées par une pandémie qui nous a surpris tous et toutes, quasiment du jour au lendemain, à la mi-mars 2020 et qui a paralysé de longs mois notre vie publique. Le mandat de Charles Mazouer comportait toutes les phases de cette pandémie qui a rendu impossible le rythme habituel de nos travaux, y compris celui de nos rencontres et de nos réunions en présentiel. Ceci a eu pour conséquence lannulation du congrès de 2020 – on était alors encore peu expert dans lorganisation de tout un congrès en ligne, pour ne pas parler des préoccupations personnelles auxquelles chacune et chacun dentre nous devait faire face –, puis en 2021 un congrès en visioconférence – la nécessité denseigner à distance avait entre-temps fait de nous des experts et expertes en la matière – et 16enfin en 2022 un format mixte avec un nombre déjà considérable de participantes et participants sur place, ici dans lamphi Guizot de la Sorbonne, et avec des communicantes et communicants, des auditrices et auditeurs qui ont parlé ou écouté devant les écrans de leurs ordinateurs. On peut facilement simaginer les soucis dun Président responsable du fonctionnement dune société savante dans ces conditions exceptionnelles et peu propices à ce que lon appelle en anglais « business as usual ». Je remercie donc Charles Mazouer davoir maîtrisé avec énergie et efficacité les défis imposés par la pandémie au cours de son mandat de Président. Je suis très heureux davoir pris la relève à un moment où la vie suit de nouveau son cours habituel. Je me réjouis de pouvoir parler aujourdhui devant une assemblée qui sest vraiment rassemblée ici et maintenant. En même temps, il est possible de nous suivre de loin en streaming. Sil y a quelque chose dutile qui est ressortie de la pandémie – à part le développement dun vaccin efficace, bien sûr – cest que nous avons appris tous et toutes à nous servir des technologies de la télécommunication pour enseigner, pour rester en contact personnel et professionnel et pour se retrouver virtuellement en groupe, que ce soit pour des colloques ou pour dautres réunions. Nous aimerions maintenir ce double format à lavenir, à savoir un colloque sur place à Paris, avec la participation la plus nombreuse possible des membres de lAssociation et un format en streaming qui permettra à celles et à ceux qui ne peuvent pas se joindre à nous en présentiel de nous suivre en ligne. En ce qui concerne lorganisation de notre congrès sur place, je tiens ici à remercier vivement Madame Christine Noille, directrice du Centre détude de la langue et des littératures françaises de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université de son soutien et de nous avoir généreusement laissé les salles pour nos réunions.

Je reviens encore un instant sur les technologies de la télécommunication. Cliquer sur un lien pour se connecter à une visioconférence est devenu pour nous un acte facile à effectuer et menant dans quatre-vingt-dix pour cent des cas au résultat souhaité. Mais installer une telle connexion et savoir quoi faire au moment où elle est perturbée demandent une expertise qui excède de loin celle dont la plupart dentre nous disposent. Heureusement que nous avons un secrétaire général qui dispose de cette expertise. Je rappelle quAndrea Del Lungo est non seulement professeur de littérature française du dix-neuvième siècle en 17Sorbonne, mais quil est aussi spécialiste des humanités numériques et nous profitons beaucoup de ses connaissances dans ce domaine. Je remercie donc Andrea de nous tenir en contact avec nos collègues qui se joignent à nous en ligne, mais pas seulement pour ceci. La liste serait trop longue pour énumérer ici tous les détails de ses activités au sein de notre association. En une seule phrase, il est en fait le pivot de notre communauté.

Je tiens à remercier aussi Jean Garapon, vice-président de notre association et rédacteur en chef des Cahiers pour ses conseils et pour le soin quil prend afin que les fascicules de notre revue paraissent chaque année avec une ponctualité scrupuleuse et dans une qualité impeccable.

Je me réjouis de vous présenter un nouveau membre du bureau. À sa réunion en janvier, le Conseil a élu Angela Ryan vice-présidente de lAssociation. Angela nous est bien connue depuis longtemps comme membre du Conseil et elle sest beaucoup investie ces dernières années dans la communication externe de notre Association. Elle a notamment pris des initiatives pour attirer lattention des collègues sur lAIEF dans le monde entier. Elle est professeur de littérature française à lUniversité de Cork en Irlande. En sa qualité de vice-présidente, Angela continuera à promouvoir nos activités à léchelle internationale dans lespoir dattirer de cette manière de nouveaux membres. Nous lui en sommes très redevables.

Je remercie également Anne Régent-Susini davoir accepté dassumer la responsabilité de coordonnatrice dans le contexte de la mise au concours du prix de lAIEF. Au début de cette année, elle a lancé un appel aux universités des deux pays sélectionnés pour le prix de 2023, à savoir le Portugal et le Brésil. Je reviendrai tout à lheure sur le résultat de cet appel.

Pour terminer ces remerciements adressés aux membres du bureau dont le soutien a rendu très agréable les six premiers mois de ma présidence, jexprime ma gratitude envers Romain Jalabert, notre trésorier qui a succédé à Jean-Baptiste Amadieu dans cette fonction et nous présentera tout à lheure son rapport.

Quand jai été élu Président de lAIEF, je me sentais très honoré pour plusieurs raisons. Tout dabord, je lai déjà mentionné, par la confiance que les membres du Conseil mont témoignée. Deuxièmement, par la 18longue liste déminents prédécesseurs qui minspirent du respect envers les tâches qui mattendent, respect qui est en même temps accompagné par la joie daccepter ce défi. Et troisièmement, par le fait que je succède dans cette fonction à mon ancien directeur de thèse et mon maître à penser, le professeur Wolfgang Leiner qui a présidé lAIEF de 1992 à 1995 et qui a parrainé la soutenance de ma thèse dhabilitation à diriger des recherches à lUniversité de Tübingen en Allemagne. Cest lui qui ma encouragé à devenir membre de lAIEF dans les années de sa présidence et je nai jamais regretté davoir suivi son conseil. LAIEF est devenu pour moi un lieu déchanges intellectuels et de découvertes continues. Cest la seule société savante que je connaisse qui ne se consacre pas à un seul siècle ou à un seul auteur, mais souvre dans les programmes de ses congrès à des sujets variés, choisis parmi les œuvres de toutes les époques de la littérature française et de toutes les aires géographiques de la francophonie. Il va de soi que les présidentes et présidents des séances ainsi que les communicantes et communicants sont tous spécialistes dans un certain domaine, comme nous autres, auditeurs et auditrices, le sommes aussi, mais la participation à ces journées détudes annuelles début juillet à Paris nous permet de regarder au-delà des limites de nos spécialités et den profiter pour nos propres travaux de recherche. La vue macroscopique sur lobjet littéraire qui attire notre attention est parfois aussi fructueuse que la micro-analyse de ce dernier. Mais nos réunions ne sont pas seulement un forum déchanges intellectuels, ce sont aussi des rencontres amicales. Jai senti cet esprit de convivialité dès ma première participation au congrès de lAIEF, je lai senti chaque fois que je suis revenu à Paris pour participer au congrès annuel et au conseil en janvier et je le sens aussi aujourdhui.

Continuons donc à cultiver et notre amitié et la belle tradition des études littéraires dans toute létendue historique de leurs objets constituant les archives de la littérature française et francophone. Oui, je le sais bien, les études littéraires sont aujourdhui en crise. Mais quand je regarde de plus près ma trajectoire universitaire – jai commencé mes études de lettres modernes en 1976 – il me faut constater que les études littéraires ont été constamment en crise ces dernières décennies et elles ont tout de même survécu. Javoue que les voix qui contestent aujourdhui les études littéraires sont plus fortes et plus nombreuses quelles ne létaient dans le passé, mais les difficultés qui en résultent – pour une large part 19la réduction des budgets disponibles – ne sont pas insurmontables. En tout cas, je peux vous assurer que nous, les membres du bureau, ferons de notre mieux pour maintenir le fonctionnement de notre Association. En cette tâche, nous nous en remettons également à votre soutien, à vos cotisations par exemple et à votre collaboration. Vous pouvez nous faire parvenir des propositions de sujets pour le programme de nos futurs congrès ou vous pouvez faire de la publicité pour notre Association auprès des collègues de vos pays pour quils deviennent membres de notre communauté. Si nous défendons de cette manière notre cause commune, je suis sûr et certain que lavenir de notre société sera couronné de succès.

Un de ces succès est dailleurs le prix que nous décernons chaque année à une jeune chercheuse ou à un jeune chercheur pour un article consacré à un sujet des littératures en langue française. Cette année nous avons reçu onze articles en provenance du Brésil et du Portugal. Le jury a sélectionné un lauréat brésilien qui a soumis un article sur le caractère philosophique de lœuvre du marquis de Sade. Le prix sera remis au lauréat en visioconférence à la fin de la troisième journée de notre congrès.

Il revient au Président aussi le rôle douloureux de commémorer les membres de lAIEF qui ont disparu lannée précédente et au fil des six premiers mois de lannée en cours. Je remercie vivement Jean Garapon de son aide précieuse dans cette triste tâche.

Madeleine Lazard, figure familière de nos congrès et longtemps membre du Conseil, est décédée, centenaire, le 15 mai 2022. À la fin de sa longue vie, elle avait réuni en 2016 ses souvenirs dans un beau livre au titre baudelairien Vois se pencher les défuntes années. Elle a également écrit un livre sur ce poète quelle aimait. Pour évoquer sa mémoire, il suffirait de citer le titre du volume de Mélanges que ses élèves et amis lui avaient offert en 2000 – Joyeusement vivre et honnêtement penser –,titre qui fait écho à lélan fécond, multiforme de la Renaissance dont elle était notamment spécialiste. Se consacrant dabord à lhistoire du théâtre (La Comédie humaniste au xvie siècle et ses personnages est le titre de sa thèse de 1978), elle fut vite recrutée par lUniversité de Paris III, où elle fit toute sa carrière. Vinrent ensuite de nombreuses biographies, qui la firent connaître du grand public : Montaigne, Rabelais lhumaniste, Brantôme, Agrippa dAubigné, Louise Labbé, lyonnaise. À cela sajoutent des éditions savantes de comédies ou du 20Registre-Journal de Pierre de lÉtoile, de très nombreux actes de colloques sur la reine Marguerite de Valois, sur Brantôme ou dAubigné, qui disent le rayonnement et la générosité de la chercheuse quelle était, sans oublier des synthèses qui ont fait date sur les femmes au xvie siècle. Nous pensons en particulier à louvrage Les femmes et la Renaissance, paru aux éditions Fayard en 2001. Je rappelle enfin que Madeleine Lazard avait en 1999 dirigé une journée de notre Association sur la biographie.

La même année a vu disparaître une autre seiziémiste de renom en la personne de Nicole Cazauran, professeur émérite à Paris IV, elle aussi membre fidèle de notre Association. Longtemps maître de conférences à lÉcole Normale Supérieure de Jeunes Filles, Nicole Cazauran y avait formé des générations de sévriennes avant dêtre élue à Paris IV. Sa thèse en premier lieu, publiée chez Droz en 1976, portait sur Catherine de Médicis et son temps dans La Comédie humaine. Elle se dirigea rapidement ensuite vers létude de Marguerite de Navarre, qui devait être au centre de sa vie entière de chercheuse. Elle multiplia en effet les éditions critiques et les analyses des œuvres de Marguerite, depuis LHeptaméron jusquau théâtre et aux œuvres mystiques. Elle dirigea ensuite, à partir de 2001, en dix tomes aux éditions Honoré Champion, lédition monumentale des Œuvres complètes de cette grande figure de la Renaissance. Et noublions pas les éditions de Pantagruel et de Gargantua à lImprimerie Nationale, ni lapport de Nicole Cazauran à létude de la littérature polémique du xvie siècle. Elle avait ainsi participé en 1983 à la journée de lAssociation consacrée au pamphlet jusquà la Révolution, avec une communication sur « Polémique et comique dans La Satire ménippée ».

Autre disparition, celle de Michel Autrand, historien du théâtre et grand spécialiste de Paul Claudel. Il avait parmi nous, en 1999, dirigé la journée sur le vers théâtral. Normalien de la promotion 1954, il fut professeur aux Universités de Poitiers, puis de Nanterre et enfin de Paris IV. Il donna dabord une excellente édition scolaire des Pensées de Pascal, rééditée par la suite, et contribua avec dautres au célèbre Manuel de la littérature française depuis 1945, chez Bordas. Cétait en effet la littérature du xxe siècle qui lattirait et particulièrement celle de Claudel, dont il donna des éditions critiques de LAnnonce faite à Marie, de Protée, du Soulier de satin, œuvre dont il ne cessa danalyser la dramaturgie et les personnages, de scruter le sens profond. Mais il fut également un éditeur infatigable de textes, contribuant à de multiples 21éditions dœuvres complètes dans la collection de La Pléiade : Claudel bien sûr, mais aussi Malraux et Saint-Exupéry. Il laisse également des synthèses sur Le théâtre en France de 1870 à 1914, sur lhumour de Jules Renard, des travaux sur Michel Butor et sur Anatole France. Une œuvre critique au total vaste et diversifiée, unifiée par une extrême rigueur dans la lecture des textes.

Très remarquable fut aussi la trajectoire de chercheur et denseignant de Bernard Beugnot qui est décédé le 6 mars 2023 à Nice à lâge de 91 ans. Né à Paris, il fit ses études de lettres modernes à lÉcole Normale Supérieure, rue dUlm et fut reçu à lagrégation en 1958. Après quelques années dans lenseignement secondaire, il sétait installé au Canada pour enseigner à lUniversité de Montréal à laquelle il est resté fidèle jusquà sa retraite en 1997. À Montréal, Bernard Beugnot est devenu ce quil restera pour toujours dans notre mémoire : un éminent dix-septiémiste. Au début de sa carrière universitaire, il sest consacré à létude de lœuvre de Jean-Louis Guez de Balzac : une bibliographie critique publiée en 1967, une édition critique des Entretiens parue en 1972 et un livre sur le genre de lEntretien au xviie siècle en 1971. Y succéda une étude sur la vie retirée sous le titre Discours de la retraite au xviie siècle (PUF, 1996). Mais tout dix-septiémiste quil était, il avait aussi une prédilection pour quelques auteurs du XXe siècle. Cest ainsi quil dirigea les deux volumes des Œuvres complètes de Francis Ponge dans la collection de la Pléaide (parus respectivement en 1999 et en 2002) et les deux volumes du Théâtre de Jean Anouilh, parus également dans la Pléiade en 2007. Membre de lAIEF depuis les années 1970, il figura trois fois comme orateur sur le programme de nos congrès. En 1972, il parla sur « Le dialogue comme forme littéraire au xviie siècle », en 1977 sur le roman par lettres au xviie siècle et en 1986 sur la mode dans lœuvre de Francis Ponge.

Pour terminer cet hommage rendu à nos regrettés collègues, jaimerais citer un passage tiré dun article que Bernard Beugnot a publié juste un an avant sa disparition dans un ouvrage collectif consacré à la fonction de la littérature :

Faire lapologie de la littérature, écrit-il, [] cest revendiquer la liberté de penser, décrire, de parler, la possibilité de parcourir et de découvrir le monde dans lespace dune chambre, de refuser la pensée unique, la mode, la brièveté 22à la place de la méditation, la dévoration du temps à la place de sa dégustation. Cest aussi affirmer que le legs du futur saccumule sur le legs du passé1.

Ce sont de très belles paroles susceptibles de nous motiver à poursuivre nos études littéraires dans lesprit humaniste quétait celui de Bernard Beugnot.

Pour terminer, il ne me reste quà remercier les présidentes et le président des journées du congrès actuel davoir organisé ce beau programme et je remercie les oratrices et les orateurs de nous avoir fait aujourdhui et de nous faire demain et après-demain parcourir et découvrir le monde varié, ouvert, illimité de la littérature dans lespace clos dun amphithéâtre où nos pensées sont libres de jouir et de profiter du rayonnement esthétique, épistémologique, éthique ou moral de lœuvre littéraire.

Rainer Zaiser

1 Bernard Beugnot, « À lécoute du singulier : paysages littéraires, paysages intérieurs », dans Pascal Bastien, éd., Notre première modernité. Éloge des humanités en onze parcours, Montréal, Leméac, coll. « Domaine histoire », 2022, p. 171-185, p. 176.