Compte rendu
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers d’études nodiéristes
2019 – 2, n° 8. Littérature de jeunesse et Europe romantique - Auteur : Vacelet (Sébastien)
- Pages : 211 à 216
- Revue : Cahiers d'études nodiéristes
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406092209
- ISBN : 978-2-406-09220-9
- ISSN : 2556-2371
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09220-9.p.0211
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 02/05/2019
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
COMPTE RENDU
212213Aux origines du fantastique :
le roman de l’enfance de Charles Nodier
Jérôme Sorre, L’Hiver du magicien, Aiglepierre, éd. La Clef d’argent, coll. « LoKhaLe », 2017, 111 p., 17,5 x 11 cm. No ISBN : 979-10-90662-46-9, 6 €.
C’est avec plaisir et un certain enthousiasme que nous rendons compte d’un petit roman présentant un récit d’environ quatre-vingts pages tombé entre nos mains grâce à la complicité de Jacques Geoffroy. L’objet est d’entrée séduisant : on notera la jolie première de couverture qui présente un montage où l’on reconnaît, entre autres indices tentateurs, le portrait de Charles Nodier dressé par Guérin. Car c’est bien à nouveau au titre de personnage de fiction que notre écrivain est présent dans L’Hiver du magicien1, puisque son auteur, Jérôme Sorre, se propose d’explorer l’enfance imaginaire de Nodier pour mieux comprendre comment celui qui écrira Smarra, ou les Démons de la nuit avait pu s’intéresser dès son plus jeune âge à d’étranges phénomènes, jusqu’à ce que ceux-ci décident de sa vocation de conteur d’histoires fantastiques.
C’est donc bien un véritable petit roman d’initiation auquel nous avons affaire. La scène est à Besançon en 1790, alors qu’Antoine-Melchior Nodier est maire de la capitale franc-comtoise et que son fils, le petit Charles à peine âgé de 10 ans, est le témoin puis l’acteur de phénomènes mystérieux et inquiétants qui vont forger sa personnalité et sa vision du monde. En effet, c’est alors qu’il inspecte l’église des Dames de Battant, rue des Granges, lieu abandonné du fait des récents événements révolutionnaires qui ont secoué la ville, que retentit une voix d’outre-tombe qui terrorise Charles mais qui le conduira, poussé par la curiosité, à 214revenir dans cette église désaffectée pour découvrir la nature de cette manifestation fantomatique. De retour dès le lendemain en compagnie de son camarade Lubin, Charles constate, effrayé, que le phénomène se renouvelle mais Lubin, saisi par l’aspect lugubre et délabré du lieu, s’enfuit affirmant n’avoir rien vu ni entendu. Charles s’aventure chaque fois un peu plus au-devant de ce mystère : la voix qu’il entend est-elle celle d’un revenant ? Cet être surnaturel qui a aussi un corps, attire peu à peu à lui les bonnes grâces du garçon alors que ce dernier cherche à en savoir davantage à chacune de ses visites. Un lien se noue entre l’enfant et cette créature d’un autre espace-temps restée dans l’ombre. Cet homme étrange se dit magicien et enfermé dans l’endroit où il se trouve. Le roman d’initiation se double alors d’une intrigue policière à la façon d’Agatha Christie puisque Charles, qui s’est fixé pour but de venir en aide à ce magicien prisonnier, est censé trouver une clef permettant d’« ouvrir une grille qui n’a ni serrure ni poignée2 » ! Charles relève naturellement le défi et mène l’enquête. Si cet être fantastique a un nom, Mircea, ainsi que des origines avouées en Carniole (dans l’actuelle Slovénie, où Nodier séjournera réellement en 1813 comme le rappelle justement l’« Épilogue » de L’Hiver du magicien), le motif de sa présence relève d’un nouveau mystère. En effet, Charles apprend ainsi que « la vie d’un magicien se décompose en quatre temps, à l’instar des saisons de la nature3 », lorsque le mage lui révèle son secret : « j’étais en automne et elle m’a envoyé en hiver4 ». Le titre du roman commence à s’éclaircir, mais on comprendra que nous ne donnions pas davantage d’informations relatives à cette histoire pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur d’en découvrir la suite et le dénouement, pleins de surprises, tout en restant très cohérents.
Entendons-nous bien : L’Hiver du magicien n’est pas une biographie romancée, c’est bien un roman, écrit avec talent et dans un style incisif, qui exploite avec ingéniosité l’univers propre de Nodier. Le monde fictif dépeint par Jérôme Sorre est effectivement habilement nourri d’expériences que l’adulte Charles Nodier aura vécues ou ressenties, et qui peuvent pour partie expliquer à rebours – si l’on peut dire – son penchant pour le fantastique. Ainsi Smarra, ou Les Démons de la nuit, 215conte publié en 1821 (Nodier a alors 41 ans) ayant fait date dans l’histoire de la littérature fantastique européenne, trouve ici sa source dans une enfance de l’auteur certes imaginaire (les amateurs de Nodier n’auront aucune peine à reconnaître l’origine fictionnelle du fameux « rhombus5 » et de la sorcière « Méroé6 ») mais qui est de nature à construire un personnage crédible dont cette première période de la vie reste encore assez mal connue, si ce n’est dans les grandes lignes. Pour le moins le roman et son auteur ne viennent-ils pas contredire les sources fiables dont on dispose en la matière. Les principes de Nodier concernant le fantastique n’y sont par ailleurs jamais trahis. Ainsi les conceptions selon lesquelles « le voile est ténu entre le rêve et la réalité » (propos du magicien-mentor7) et « les souvenirs [peuvent avoir] la consistance d’un rêve, ou d’un cauchemar8 », ou encore « le fantastique appart[ient] au réel pour qui sa[it] ouvrir les yeux9 » (affirmations du narrateur), sont en phase avec la pensée nodiériste.
Il convient de dire quelques mots au sujet du paratexte ne serait-ce que parce que celui-ci occupe dans ce petit volume une vingtaine de pages. L’intention est louable mais les explications fournies sur et autour de l’ouvrage peuvent désorienter : à qui s’adressent-elles ? Le public adolescent pourra trouver de l’intérêt à découvrir l’histoire de L’Hiver du magicien mais il semble que la postface d’Alain Chestier en particulier (intitulée « Rêver la réalité chez Charles Nodier »), qui occupe tout de même dix pages, ne soit pas vraiment lisible pour des adolescents d’aujourd’hui, ni même forcément éclairante pour des lecteurs plus chevronnés. En effet, cette postface, par ailleurs agréable à lire, n’est pas exempte d’une erreur factuelle persistante qui consiste à considérer le recueil des Infernaliana comme faisant partie des œuvres de Charles Nodier alors que Jacques-Remi Dahan a pourtant montré en 2009 que c’était hautement improbable10.
216Il faut surtout rendre grâce à Jérôme Sorre d’avoir écrit un roman qui trouvera aisément sa place, à défaut des œuvres de Charles Nodier elles-mêmes, dans les programmes de français des classes de collèges, par exemple en cycle 4, en classe de Quatrième, à travers l’objet d’étude intitulé « La fiction pour interroger le réel », afin d’introduire les élèves aux caractéristiques du fantastique romantique. Le grand mérite de L’Hiver du magicien réside effectivement dans sa capacité à faire éclore le printemps d’un écrivain comme Charles Nodier qui reste encore pour beaucoup, et peut-être encore plus dans les collèges et les lycées, à découvrir.
Sébastien Vacelet
Lycée franco-argentin Jean-Mermoz
Buenos Aires
1 Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à deux comptes rendus précédents publiés par nos soins qui présentent les aventures en B.D. de « Charles Nodier agent secret de l’Empire ! ». Voir Cahiers d’études nodiéristes no 4 (sous la dir. de C. Raulet-Marcel), p. 179-187, et no 5 (sous la dir. de G. Zaragoza), p. 173-177.
2 L’Hiver du magicien, p. 34.
3 Ibid., p. 36.
4 Ibid., p. 37.
5 Ibid., p. 54.
6 Ibid., p. 67.
7 Ibid., p. 62.
8 Ibid., p. 85.
9 Ibid., p. 88.
10 Voir J.-R. Dahan, « Infortunes des initiales, ou Charles Nodier mystifié », in J. Geoffroy (dir.), Dérision et supercherie dans l’œuvre de Charles Nodier, Dole, éd. de La Passerelle, 2009, p. 71-94. Cette même erreur est d’ailleurs malencontreusement répétée dans la « Bibliographie non-exhaustive » que propose l’ouvrage (p. 107).