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Classiques Garnier

Présentation

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Alexandre Dumas
    2017, n° 44
    . Dernières cartouches
  • Auteur : Peeters (Guy)
  • Résumé : Les écrits d’Alexandre Dumas père n’ont pas tous été recueillis dans ses œuvres complètes. Des préfaces, des récits cynégétiques et des scènes de mœurs, publiés assez tardivement par le romancier, révèlent ici des événements et des personnages ignorés par les biographes. Cette petite anthologie est précédée d’une introduction qui éclaire le contexte de la rédaction et de la publication de ces textes retrouvés et identifie les personnalités évoquées.
  • Pages : 11 à 13
  • Revue : Cahiers Alexandre Dumas
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406074106
  • ISBN : 978-2-406-07410-6
  • ISSN : 2275-2986
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07410-6.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/12/2017
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Présentation

Les textes dAlexandre Dumas rassemblés ici sont des textes retrouvés dans des préfaces ou dans des revues des années 1860, et majoritairement, des années 1867 et 1868. Ils sont « inédits » au sens où ils nont jamais été repris en volume.

Évocations de chasses de naguère, souvenirs de scènes vécues autrefois.

Lâge et létat de santé du romancier léloignent de plus en plus, et bientôt complètement, des divertissements cynégétiques. Désormais les ressouvenances, plus que le présent, simposent à Dumas et lamènent à refeuilleter sa vie.

Souvenir, doux présent du ciel, à laide duquel lhomme revit dans son existence passée, miroir magique qui réfléchit les objets en leur prêtant la vague poésie du crépuscule, le suave contour de la distance, cest près de moi surtout que ta présence est irrésistible1 !

Il sévade ainsi dun quotidien de plus en plus déprimant. Désormais, comme le regrette son fils en pleine ascension, il est devenu « Dumas père » pour les respectueux et « le père Dumas » pour les insolents2. Le bout de la route sannonce. À la veille de son retour définitif de Naples déjà, en février 1864, Dumas le reconnaissait dans des lignes fort amères, voire désespérées.

Je vieillis, non pas physiquement, mais moralement. Vous verrez, quand vous vieillirez à votre tour, comme cela rend triste. Les poseurs… disent : « Dieu ! Lâme immortelle ! etc. ! » Moi, je dis comme lÉvangile : « Souviens-toi que tu nes que poussière et que tu retourneras en poussière », et de quelque façon que lon retourne laxiome, du moment où lon est bien convaincu de sa vérité, je défie quon le retourne de façon à faire rire.

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Il y a des moments où il me semble que jai déjà dans le crâne un peu de cette belle et bonne fange quHamlet trouve dans celui dYorick. Pouah3 !

Et en 1868, quand, dans un salon, une dame lui soumet une sorte de questionnaire de Proust – un test alors très à la mode –, le romancier écrit, en face de la question : « Quelle est votre situation desprit actuelle ? » : « Lattente de la mort4 ».

Ah ! sil pouvait se libérer de ses dettes, comme il nourrirait « la haine du papier et de lencre5. » Mais sa situation financière est déplorable et il faut faire face.

À Paris, depuis lété 1865, il vit dans un quatrième étage du boulevard Malesherbes « comme un poète inconnu6 ». Sa fille, Marie, qui partage lappartement avec lui, mène son ménage, tâche de restreindre les dépenses, sollicite ses relations pour payer le loyer et faire face aux dettes pressantes, court parfois au Mont-de-Piété pour mettre en gage une pièce dargenterie

Pour les lecteurs, bien sûr, il sefforce par tous les moyens de donner le change. Il multiplie les conférences à Paris, en province et à létranger. Le public sy bouscule et cela le rassure lui-même. Il entend également rester un témoin de son temps : en 1866, quand lItalie sapprête à déclarer la guerre à lAutriche, il se rend aussitôt à Naples, puis à Florence ; lannée suivante, il gagne Francfort, pour sy documenter avant de rédiger La Terreur prussienne. Il ressuscite son journal Le Mousquetaire qui disparaît six mois plus tard, faute de lecteurs ; il récidive avec Le Dartagnan qui na guère plus de succès.

Et bien sûr, du matin au soir, il écrit, ou, lorsque sa main ne lui obéit plus, il dicte ses œuvres à un secrétaire. Les romans, les adaptations théâtrales dœuvres anciennes, les articles se succèdent. Linspiration nest plus toujours au rendez-vous et pour pallier ce manque, il arrive 13que lécrivain insère dans les œuvres nouvelles des textes tirés de ses Mémoires ou des « Causeries avec mes lecteurs ». Mais qui pourrait lui en vouloir ? Alexandre Dumas est exténué.

Oui, il est loin le temps où, seul à sa table de travail, Dumas rédigeait ses romans en riant ou en pleurant de ses propres inventions, où les lecteurs, impatients de connaître la suite du Comte de Monte-Cristo, piétinaient dès laube à la porte du Journal des Débats.

À présent, englué dans la détresse financière, Alexandre Dumas, se bat contre la fatigue, la maladie et le désespoir. Il fait front comme il peut. Il brûle ses « dernières cartouches ».

Ces textes retrouvés complètent une œuvre gigantesque et étourdissante. Ils témoignent de ce combat final pour exister. Ils prouvent que, la plume à la main, grâce à sa faconde, à son inventivité et à son humour, Dumas réussit encore et toujours à entraîner, à amuser le lecteur et à ressusciter pour lui des événements et des personnages, jusquici inconnus, qui ont traversé sa vie.

Sans doute, dautres textes demeurent cachés dans les journaux et les revues du dix-neuvième siècle.

La chasse est ouverte, pour longtemps encore.

La suite à demain, comme le promettaient les feuilletons.

Guy Peeters

1 Le Monte-Cristo, Causerie avec mes lecteurs, 12 novembre 1857.

2 Préface du Fils naturel, prépubliée dans Le Figaro du 2 juillet 1868.

3 Letttre dAlexandre Dumas à Gaspard de Cherville datée de Naples, le 8 février 1864. – La lettre, communiquée par son destinataire, est publiée dans Le Temps du 11 décembre 1880.

4 Le Figaro, supplément littéraire du dimanche, 3 novembre 1883. Le jeu de questions, soumis à Dumas en 1868, est reproduit en fac-similé.

5 Alexandre Dumas, Lettres à mon fils, Mercure de France, 2008 : lettre 228 datée de Naples le 11 août 1861.

6 V. Charles Chincholle, Alexandre Dumas aujourdhui, Paris, Jouaust, 1867, p. 5. – Fin 1866, Dumas signe une préface pour le roman Dans lombre de Charles Chincholle (1845-1902). Celui-ci collaborera par plusieurs articles au Mousquetaire II et au Dartagnan.