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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Alexandre Dumas
    2010, n° 37
    . L’art et les artistes contemporains au salon de 1859
  • Auteur : Schopp (Claude)
  • Pages : 9 à 12
  • Réimpression de l’édition de : 2010
  • Revue : Cahiers Alexandre Dumas
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406095118
  • ISBN : 978-2-406-09511-8
  • ISSN : 2275-2986
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-09511-8.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/07/2019
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Avant-propos

La peinture et la poésie ne sont pas sœurs, « c'est que la peinture est égoïste./ La poésie décrit un tableau : elle n'aura jamais l'idée d'y rien changer, d'en altérer les lignes, d'en trans- former les personnages./ La peinture traduit la poésie : elle ne s'inquiète ni des traits arrêtés, ni des costumes traditionnels, ni des contours tracés par la plume./ Plus le peintre sera grand et individuel, plus la traduction s'éloignera de l'original. Tant que les peintres ont été idéalistes, [...] la poésie biblique et évangé- lique a été aussi bien rendue que possible./ Mais, quand Raphaël eut fait Les Sibylles ; Michel-Ange, Le Jugement dernier ; quand la peinture païenne, sous le pinceau de Carrache, se fut substituée à la peinture chrétienne [...], la poésie et la peinture rompirent l'une avec l'autre. À l'heure qu'il est, il est impossible qu'un poète et un peintre jugent de la même façon./ Le peintre peut voir juste à l'endroit du poète, et le poète le reconnaître ; mais le peintre n'admettra jamais que le poète voie juste à l'endroit du peintre. » Malgré ce constat d'incompatibilité de pratiques, enregistré dans Poètes, peintres et musiciens (Prépublication : Le Mousquetaire, 27 août 1855), Dumas est l'un des écrivains du XIX^ siècle à s'être penché avec le plus de constance et souvent de perspicacité sur les arts plastiques : historien d'art (La Galerie de Florence, qui essaime dans La Peinture chez les Anciens, Les Médicis, Italiens et Flamands, Trois Maîtres), collectionneur, ayant, selon Charles Yriarte, choisi des chefs-d'œuvre, en particulier de Delacroix, « peintre de la pitié et du désespoir » qu'il adorait, il « vivait dans l'art jusqu'au cou, il l'avait dans les moelles, allait droit aux lions et montrait un tendre pour les passionnés et les épiques ». Tout au long de sa vie il a vécu davantage en confraternité avec les peintres qu'avec les poètes, fréquentant les ateliers, incapable

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Cahiers Alexandre Dumas n°37

de se passer dans ses voyages au long cours de peintres compa- gnons (Louis Boulanger, Eugène Giraud, Godefroy Jadin, Adrien Dauzats, Jean Moynet), visitant régulièrement le Salon, qui lui avait donné en 1827 le sujet de sa première pièce Christine à Fon- tainebleau, composé d'après le bas-relief de Félicité de Fauveau représentant Christine de Suède refusant la grâce de Monaldeschi. Aussi L'Art et les artistes contemporains au Salon de 1859 dont les Cahiers Dumas proposent une réédition, cent cinquante ans après son apparition, n'a-t-il rien qui puisse surprendre. La genèse de ce texte est peu documentée : c'est au retour de son long voyage en Russie et dans le Caucase (10 mars 1859) et projetant son voyage de découverte du bassin méditerranéen que Dumas, aux abois sans doute après les sommes englouties dans le périple russe, reçoit de la part de L'Indépendance belge, quotidien fondé en 1830 avec l'indépendance de la Belgique, commande de ce traditionnel compte rendu. Le journal, antibo- napartiste et financé en partie par le duc d'Aumale, après avoir été dirigé par le Bordelais Edouard Perrot, l'est depuis 1856, par le Marseillais Léon Berardi, adjoint de Perrot depuis 1846. Dumas, qui a collaboré au journal·, pendant son exil à Bruxelles (1852-1853), est sans doute sur un pied de familiarité avec celui- ci ; cependant on peut supposer l'entremise du peintre Alfred Stevens, son intime depuis ces jours d'exil. En effet, tandis que le quotidien publie en feuilleton le Salon du romancier fran- çais. Le Monte-Cristo, hebdomadaire de ce dernier, imprime en neuf articles les Impressions d'une femme au Salon de 1859 de Mathilde Stevens, belle-sœur du peintre^ le titre de ce Salon son- nant comme un hommage aux Impressions de voyage de Dumas.

^ « L'église Sainte-Marie de Schaerbeek », 5 mars 1852 ; « Le Cours d'Émile Des- chanel », 19 mars ; « Almanach d'hygiène de Place », 4 janvier 1853). ^Mathilde Kindt, Mme Arthur Stevens (Bruxelles, 8 juin 1833 -Paris, 18, rue Blanche, 9®, 17 mai 1886), fille de Jules Kindt, sénateur bruxellois, et d'Aminthe Couyère, épousa à Saint-Josse-ten-Nodde le 19 avril 1856 le frère des peintres Joseph et Alfred Stevens, Arthur Stevens, critique et marchand d'art, le couple venant se fixer presque aussitôt à Paris, où Arthur Stevens devint le marchand des peintres de Barbizon, soutenant Millet, Corot, Daubigny, Whistler et Cour- bet, et où l'étourdissante Mathilde, passionnée de Gounod en musique, de Delacroix en peinture, de Victor Hugo et Banville en poésie, de Gustave Flaubert en prose, ouvrit un salon couru que fréquentèrent Baudelaire, Flaubert, Gautier, Renan, Tourgueniev, Verlaine, Offenbach, Rimski-Korsakov. Auteur, elle débuta sa carrière littéraire en 1858 avec Le Roman du Presbytère, signé Mathilde Hame- linck, dont la parution en feuilleton dans un journal de Bruxelles fut rapidement

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Le Salon s'ouvre le 15 avril 1859. Dumas prend la plume au sortir de l'exposition, « tout chaud de mes impressions et avec de la peinture plein les yeux ». Le premier article de son compte rendu, dont les destinataires sont avant tout les abonnés et les lecteurs belges, est imprimé dans le numéro du 23 avril 1859. Le 28 avril 1859, Eugène Delacroix écrit à Dumas : « Mon cher ami, / Je n'ai eu connaissance qu'hier seulement de l'article que vous m'avez consacré dans le feuilleton de UIndé- pendance.l Les difficultés de se procurer le journal quand le jour où il a paru est passé m'a privé pendant quelques jours du plaisir de le lire et de celui d'avoir à vous en remercier de tout cœur./ Vous vous souvenez, ami, d'un vieux camarade ; vous le traitez déjà comme s'il se trouvait installé dans sa petite immortalité, ou plutôt c'est vous qui me donnez par vos éloges, tout pleins de la chaleur que vous portez partout./ Vous vous plaignez avec raison de la tendance des arts. Nous visions en haut autrefois. Heureux qui pouvait y atteindre ! Je crains que la taille des lut- teurs d'aujourd'hui ne leur permette pas même d'en avoir la pensée. Leur petite vérité étroite n'est pas celle des maîtres. Ils la cherchent terre à terre avec un microscope. Adieu, la grande brosse, adieu les grands effets des passions à la scène !/Aussi pourquoi vous en allez-vous au Kamtchatka ? On me dit toutefois que vous en rapportez des trésors./ Je vous embrasse bien cher ami, et vous remercie de nouveau. »^

interrompue, par crainte de scandale. L'année suivante, elle fut chargée par Dumas père de rendre compte, dans Le Monte Crista, du Salon (Impressions d'une femme au Salon de 1859, imprimé en neuf articles : 28 avril, 5, 12, 19, 26 mai, 2, 9, 16 juin, 14 juillet 1859, édité ensuite par A. Bourdillat). Divorcée de Stevens, lancée désormais dans le journalisme, elle collabora à La France de Girardin, puis au Gil Bias, auquel elle donna jusqu'à la fin de sa vie une chronique hebdo- madaire signée Jeanne Thilda, tout en publiant des romans (L'Amant de carton, signé Stev, 1863 ; Madame Sosie, 1867 ; Pour se damner, 1883 ; Péchés Capiteux, 1884), ainsi qu'une réflexion sur le divorce (Le Oui et le non des femmes, 1862) et un recueil de poèmes (Les Frous-frous, 1879). Elle fut la fondatrice du Dîner des bas-bleus, réunion mensuelle réunissant hommes et femmes de lettres. Elle inspira à Maupassant Mme Forestier, figure féminine majeure de Bel Ami (1885). ^Publication : Lettres inédites de Eugène Delacroix, par Ph. Burty, A. Quantin, 1878,11, p. 213 ; Correspondance générale de Eugène Delacroix, publiée par André Joubin, Librairie Pion, 1936, t. IV, p. 95-97. Delacroix fait référence à ce passage du Salon : « Avant tout, avouons une tristesse dont nous avons été pris jusqu'au fond du cœur en visitant le salon : c'est que le niveau de la pensée va s'abais- sant, c'est que les peintres de genre se substituent aux peintres d'histoire ; c'est que vingt tableaux de chevalets envahissent la place d'un grand tableau ; c'est

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Dumas retourne « trois fois au Salon », s'arrêtant chaque fois « une demi-heure devant le tableau de Millet » Femme faisant paître sa vache. Dans son huitième article (11 juillet), inséré après la clôture provisoire du Salon, le 15 juin, il note qu'il n'a pas espoir de voir un tableau de Giraud, car il « écrit ces lignes la jambe étendue et enflée probablement jusqu'à la fin de l'ex- position » ; en effet, quinze jours plus tard, le 24 juillet 1859, il s'excuse auprès de Prosper et Hippolyte Valmore de ne pas avoir été le premier à aller leur serrer la main dans la douloureuse cir- constance des obsèques de Marceline Desbordes-Valmore, cou- ché qu'il est sur son lit, « pris par un épanchement au genou ». Les articles, correspondant aux chapitres de la présente édi- tion, sont imprimés dans les numéros datés 4 mai (Deuxième article), 6 mai (Troisième article), 9 mai (Quatrième article), 19 mai (Cinquième article), 3 juin (Sixième article), 22 juin (Sep- tième article), 11 juillet (Huitième article), 25 juillet (Neuvième article) et 25 août (Dixième et dernier article). Ils sont édités en volume par Achille Bourdillat qui, en cette année 1859, est pour Dumas, un éditeur transitoire entre Alexandre Cadot et Michel Lévy"^. L'œuvre est enregistrée par la Bibliographie de la France le 17 septembre 1859. Elle a été ensuite, et arbitrairement, exclue des prétendues Œuvres complètes. Cette seconde édition a pour souci de réparer une injustice. Claude Schopp.

que les succès de cette année, enfin, seront aux peintres d'animaux et aux pay- sagistes./ Pourquoi ces défaillances successives dans les jeunes générations ? Pourquoi cet oubli de la mission sainte ? Pourquoi cette espèce de négation de l'homme, ce mépris de la poésie, cette coupable apostasie de l'histoire, ce dédain des grandes pages, cet amour des petits feuillets, cette rage des Elzé- virs ? » La présente édition reproduit fidèlement cette édition, en amendant cepen- dant la graphie de certains noms propres. Les variantes de l'édition en feuil- leton dans L'Indépendance belge, moins les nombreuses variantes touchant la ponctuation, sont relevées infra.