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Classiques Garnier

Exposition

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Exposition


Camille et Paul Claude1,1885-1905
deux artistes à l'oeuvre

Après deux expositions antérieures consacrées aux oeuvres et au parcours culturel et professionnel de Paul Claudel, en 1995 et 2001, la Maison Ravier de Morestel présente une nouvelle exposition sur le thème des rapports artis- tiques, culturels et affectifs entre le poète et sa soeur. Le parcours conçu par Marie Victoire Nantet (commissaire scientifiques) met en lumière une série de rapprochements jumelés entre les deux créateurs sur les plans artistique et biographique. Les vingt ans embrassés par l'exposition voient l'éclosion parallèle de leur génie. Mais celui de Paul est voué à un avenir encore plus brillant, tandis que celui de Camille sera tragiquement limité à cette courte période où elle a réalisé la série d'oeuvres qui feront sa réputation durable.
Cette exposition est accompagnée d'un catalogue rédigé par Marie-Victoire Nantet, qui permet d'approfondir le parcours esthétique et personnel des deux créateurs par un commentaire détaillé et richement illustré. Une introduction par Nathalie Lebrun, Co-Commissaire de l'exposition, pose des questions essentielles qui viendront à l'esprit d'un public de spectateurs conçu comme des amateurs de culture artistique et littéraire sans être nécessairement spé- cialiste de la famille Claudel. « Quels sont les rapports qu'entretiennent frères et soeurs lorsqu'ils se destinent à une carrière artistique, parfois dans le même domaine  ? [...] Quelle est la nature des relations particulières qui découlent de la spécificité de ces duos  :entre frères, entre soeurs et entre frère et soeur  ? Est-on capable de mesurer objectivement la part subtile de la psychologie et son influence dans l'acte créateur  ?Les familles inconnues d'artistes doués sont tout aussi nombreuses. Quelles sont donc les prédispositions qui font naître ces fratries  ? On suppose aisément que l'entourage, le contexte social et intellectuel contribuent à la formation de ce déterminisme familial  » (p. 6).
L'exposition propose de répondre à ces questions délicates d'abord en évoquant le sol géographique, intellectuel et familial d'où les deux créateurs sont issus, par des documents historiques, des photographies de famille et des oeuvres artistiques, plastiques ou imprimées. Lasalle 1, « Années d'apprentissage et débuts artistiques  », situe l'inspiration essentielle pour la vocation des deux dans le milieu littéraire et artistique du symbolisme - celui de Mallarmé et de Rodin. Elle propose également des exemples de l'influence de l'Extrême-Orient
1 Les organisateurs de l'exposition ont bénéficié des conseils d'Anne Rivière pour le choix des oeuvres de Camille Claudel.
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qui était très apprécié pendant les années 1880-90, une inspiration que Paul et Camille ont partagée et qui a durablement influencé l'oeuvre du poète, en particulier. L'exposition, et son catalogue, offrent de nombreux exemples d'oeuvres japonaises pour illustrer cet aspect de leur art ; dans l'exposition elle-même, l'on aura la chance exceptionnelle de contempler des exemplaires originaux, tracés de la main de Claudel, des éventails du « Souffle des Quatre Souffles  »,illustrés par Tomita Keisen pendant l'ambassade japonaise du poète.

Le parcours mène ensuite à la salle 2, avec une série de photos et d'oeuvres sculptées consacrées au milieu d'origine et à la famille Claudel, montrant comment le paysage du Tardenois, les rapports familiaux et l'atmosphère de l'enfance ont inspiré des sculptures de Camille, le personnage dramatique de Tête d'Or et le drame de L'Annonce. Les salles 3 et 4 sont consacrées aux rapports artistiques  :d'abord le rôle de la musique, une influence subtile, mais profonde, qui réunit la sculptrice de «  La Joueuse de Flûte  » et de «  La Valse  » au poète admirateur de Beethoven et futur collaborateur de Milhaud et de Honegger. La salle 4 présente des oeuvres qui illuminent l'époque des «  recherches formelles  » des deux, les proses de Connaissance de l'Est et la recherche par Camille de nouvelles formes d'expression, des formats plus réduits et le travail plus raffiné de la matière précieuse du marbre.
La dernière salle est consacrée à «  1905, les ressorts intimes de la création  ». L'année se révèle tragique pour les deux sur le plan affectif, avec l'effondrement psychologique et créateur de Camille, suite à sa rupture avec Rodin, et la crise personnelle dans la vie de Paul, amenée par le départ de son amante Rosalie. L'exposition rappelle le voyage que les deux ont fait ensemble à cette époque dans les Pyrénées et l'achèvement du dernier chef-d'oeuvre de Camille, le « Buste de Paul Claudel à 37 ans  », que l'on pourra admirer ici. Pour sa part, le poète rédige son essai « Camille Claudel, statuaire  » où il célèbre la gran- deur de l'oeuvre de sa soeur ; comme le dit Marie-Victoire Nantet, « Chacun se découvre dans le miroir qu'on lui tend  » (p. 53). C'est la dernière étape, le dénouement du drame des vingt ans au cours desquels l'on a suivi le fil de ces rapports complexes et la violence passionnée que frère et soeur partagent dans leur vie individuelle et dans leur création artistique.
Ainsi, l'organisation de l'exposition en une série d'étapes thématiques et biographiques impose une structure cohérente au parcours des deux créateurs et permet d'offrir quelques éléments de réponse à l'énigme des vocations dans la famille Claudel et la part des relations entre Paul et Camille dans l'évolution de leur génie. Les oeuvres choisies pour rendre ce parcours visible et intelligible aux spectateurs sont exceptionnellement éloquentes et parfois très rares ;elles permettent d'entrer plus profondément au coeur de l'aventure artistique et lit- téraire des deux créateurs. Parmi les plus intéressantes sont certaines des plus belles sculptures de Camille, prêtées par des propriétaires particuliers ou par le Musée Rodin; des éditions rares des oeuvres de Paul, comme le frontispice

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et la première page des Cinq Grandes Odes créés par Zdenka Braunerova ; et de magnifiques illustrations ou costumes dessinés pour les pièces par plusieurs artistes comme Roger de la Fresnaye et Maurice Denis. La documentation bibliographique, chronologique et historique qui termine le catalogue ajoute un complément très utile.

Nlna HELLERSTEIN
































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