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Classiques Garnier

En marge des livres

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En marge des livres


Michel Wasserman, Claudel Danse Japon,
Classiques Garnier, janvier 2012

Quatre ans après la parution de son ouvrage dont le titre  : D'or et de neige
Paul Claudel et le Japon indique clairement l'ambition panoramique, Michel
Wasserman publie une recherche scellée en trois mots sans grammaire  :Claudel
Danse Japon. Qui veut comprendre leur articulation doit suivre le fil -déroulé en
120 pages haletantes -qui rattache L'Homme et son désir (un scénario de ballet)
à La Femme et son ombre (un mimodrame), deux textes aussi minces que denses.
Puisque trajectoire il y a, l'auteur choisit la plus simple et nous conduit de
Rio où le «  Poëme plastique  »fut conçu, à Paris où le ballet fut représenté, et à
Tokyo enfin où il se transforma en une pièce de kabuki. Le lecteur, mettant ses
pas dans ceux du diplomate, partage alors les expériences du poète, de sorte
que son avancée dans l'ouvrage épouse la dynamique d'un parcours créateur.


Rio ou L'Homme et son désir
La première partie est placée sous le signe de l'effervescence brésilienne. La découverte des Ballets russes, l'impression profonde que tire Claudel de L'Après-midi d'un faune, l'offre sans lendemain faite à Nijinsky, le trio fécond qui réunit en 1917 autour d'un projet de ballet dédié à l'amour, au rêve, et à la forêt, le Ministre plénipotentiaire, son secrétaire (Darius Milhaud) et leur jeune amie (Audrey Parr), sont décrits avec humour et précision. On est bien dans l'esprit et le ton du « pique-nique d'idées, de musique et de dessins  »traduit en actions grâce au « petit théâtre portatif  » et à la « maquette de programme  » confectionnés par Audrey et ses acolytes, sous l'autorité un peu tyrannique du Maître. Car il s'agit d'être concret  ! L'Homme et son désir fut conçu pour une scène dont les potentialités découvertes autrefois à Hellerau sont encore à explorerl, comme l'indique d'emblée le poète  : «  La scène est divisée en trois étages, celui du milieu étant le plus large. Sur l'arête extrême du troisième se tiennent les Heures, exprimées par une ligne de femmes en marche  ».
Fort de ses compétences de metteur en scène, de scénographe et de musi- cien2, Michel Wasserman nous conduit à leur suite sur cette ligne de faîte issue
1 Voir Alain Beretta, « Une caractéristique claudélienne  : la scène à étages  », Bulletin de la Société Paul Claudel n° 203, p. 40-51.
2 Michel Wasserman a réalisé, au Japon, de nombreuses mises en scène d'opéra.
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de l'alliance entre les pas et les sons. Le ballet s'accomplit en effet à travers la musique de Darius Milhaud. Le commentaire qui éclaire le lecteur dans sa découverte de la partition est vraiment neuf. On entend pour la première fois « l'orchestre de solistes  »distribué « aux divers niveaux du dispositif  ». Un « léger claquement de castagnettes de fer et de bois  »souligne la progression des Heures à l'étage supérieur. Quand l'Homme apparaît à l'étage médian, flanqué de ses deux spectres féminins, «  le soprano et l'alto du quatuor vocal assument pour un temps [leur] identité biface  ». Puis l'Homme s'abandonne seul à son rêve « tandis que le ténor porte-parole entonne les quelques mesures d'une ronde enfantine  ». Fin de l'élégie  ! Au « mouvement provençalisant  » succède alors « une grande plage de musique expérimentale  » -détaillée aux pages 42, 43 et 44 de l'ouvrage -qu'achèvent, au seuil de sa seconde partie, les mots de Milhaud notés en conclusion de la partition  : «  On entend encore, dans le silence, l'écho d'un bruit. -Puis plus rien  ».

À Paris, grâce aux Ballets Suédois
Que faire d'un ballet dont Diaghilev ne veut pas, en dépit de l'intervention du peintre José Maria Sert  ? La situation se débloque en novembre 1920 au cours d'une audition donnée par Darius Milhaud devant le directeur des Ballets Suédois. Rolf de Maré accepte en effet de monter l'oeuvre dans son Théâtre des Champs-Élysées. Paul Claudel et Audrey Parr se remettent alors au travail à Copenhague où le hasard des affectations diplomatiques les a réunis  : « j'espère que vous aurez décors et costumes par la valise qui sera à Paris le 10 février  », écrit le poète à Milhaud. Il s'agit, précise-t-il, d'accentuer par les costumes le « caractère brésilien  » de L'Homme et son désir, ou plutôt de L'Homme et la forêt, titre de remplacement suggéré par crainte des lazzis parisiens.
Envoyés huit jours plus tard, les « dessins  » d'Audrey « accompagnés d'explications aussi dépourvues de littérature que possible  »sont actuellement conservés au Musée de la Danse de Stockholm. Michel Wasserman décrit avec soin le trésor en « quatorze petits feuillets de papier àlettre à en-tête de la "Commission internationale du Slesvig"  »enfouis sous le titre de « L'Homme et la forêt -Observations générales  »dans un dossier du fonds d'archives des Ballets Suédois. « Les costumes ci-joints  »,précise Claudel en préambule, « ont été dessinés dans l'esprit de donner à la fois l'impression d'un instrument de musique ou plutôt d'une source sonore et d'un animal de la Forêt brésilienne (Floresta). La forme humaine mariée à une forme végétale est l'instrument d'un son  ». Des quinze costumes dessinés par Audrey Parr, certains manquent; restent leurs traces, visuellement inscrites dans les quinze descriptions si précises du poète  : « Quand la Femme I se dévoile elle apparaît peinte complètement en vert clair. Cheveux noirs et raides ressemblent à des filants ou des racines. La

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91 mèche par devant passe sur la poitrine, traverse le pagne et revient se terminer sur la cuisse. Les yeux donnent l'impression d'être constamment fermés3  ».
La suite, racontée avec entrain, est connue. À partir de mars 1921, Claudel est à Paris pour six mois, dans l'attente de rejoindre son Ambassade à Tokyo. Il peut donc suivre de près la création de L'Homme et son désir. Le 4 juin 1921 a lieu l'avant-répétition générale, bien accueillie, note Claudel dans son Journal  : «  Je suis acclamé. Toute la salle se tourne vers ma loge  ». À la Générale du lendemain, hélas, c'est un tollé dont Michel Wasserman détaille avec effarement les retom- béesnégatives dans la presse. La quasi nudité du danseur Jean BSrlin surtout, fait scandale. L'auteur est blessé dans sa vanité par tant d'incompréhension, mais non le poète qui déclare à Audrey Parr dans une lettre du 10 juin 1921
« Nous avons fait vraiment quelque chose de neuf et qui marque une date. Quelque chose de complètement neuf, on ne voit pas ça souvent  »  !
La Femme et son ombre sur une scène de kabuki, à Tokyo
Un des articles les plus pertinents consacré au spectacle du Théâtre
des Champs-Élysées paraît à Tokyo en novembre 1921 sous la signature du
Japonais Yanagizawa Ken, soit juste après l'arrivée de l'Ambassadeur, et en son
honneur sans doute. Seize mois plus tard, en mars 1923, ce dernier fait paraître
dans deux revues différentes la première version de La Femme et son ombre et la
deuxième, qui sera créée dans le cadre du Théâtre Impérial le 26 mars 1923, en
présence des trois Princes du sang. Dans cet intervalle de temps, s'intercale la
surprenante proposition émanant des « milieux traditionnels du kabuki  », de
reprendre L'Homme et son désir au Théâtre Impérial. C'est sur le refus opposé
par Paul Claudel à cette proposition qui supposait l'abandon de la musique de
Darius Milhaud, que Michel Wasserman fonde la dynamique de la rupture, qui
sous-tend sa réflexion  : Le scénario de La Femme et son ombre rédigé au Japon
pour un théâtre kabuki n'est pas une nouvelle mouture de L'Homme et son désir.
L'objectif de l'écrivain est de « reconsidérer entièrement les choses, sur
la base d'un argument nouveau adapté à la scène locale  ». L'adaptation de
son mimodrame inspiré des « spectacles japonais auxquels [il] avait assisté  »
aux conditions du kabuki, se réalise, à la demande des commanditaires, par
l'insertion indispensable de répliques et de poèmes. Cependant, la création
de cette deuxième version se passe mal. Les scènes dansées sont réglées à la
dernière minute pas des assistants, en l'absence du chorégraphe Matsumoto

3 La Femme I - 21cm x 17,5 cm. Crayon, aquazelle, montage papier, «  L'Homme et la forêt —Observations générales  », Musée de la Danse, Stockholm, p. 7. L'image est reproduite dans Claudel Danse Japon, ainsi que Les Heures noires, Les Heures blanches, La Lune, Les Servantes (ou serviteurs) de la Lune, Les Musiciens (photographie de la maquette de décor), Grelots I, La Corde d'or I et La Corde d'or II (photographie de la maquette de décor), La Cymbale.
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92 Kôshirô. Le metteur en scène Osanai Kaoru se décourage et laisse tomber. Le compositeur Kineya Sakichi tente de satisfaire le poète. Soixante musiciens traditionnels distribués en cinq orchestres  : «  un pour chaque personnage  », illustrent l'action (alors que Milhaud la rythmait). Le décor (fidèlement décrit dans un article paru en avri11923 dans la revue Josei), déboussole le peintre Kaburagi Kyokata, son superviseur. Claudel lui impose en effet tardivement d'appliquer à La Femme et son ombre le dispositif à étages de L'Homme et son désir. Ce « placage assez artificiel  », selon Michel Wasserman, nuit à la lisibilité d'un spectacle que la critique unanime ou presque, rejette en raison de ses poncifs décoratifs et de son intrigue sans originalité, dans la tradition des « drames de revenants  ». L'Ambassadeur que l'on n'a pas informé, l'ignore superbement.
L'approche de Michel Wasserman est moins littéraire que théâtrale  : le texte en soi, ses motifs et échos dans le flux créateur claudélien, lui importe moins que ses conditions d'existence sur scène. Aussi seplace-t il sur ce terrain pour affirmer que La Femme et son ombre n'est pas un Nô. Le spectre voilé par l'écran de tulle ne se confond pas avec le shite. Le rôle principal revient à la femme vivante interprétée, comme il se doit, parla star du kabuki Fukusuke. Serait-ce alors « une sorte de Nô  », selon les termes de Claudel  ?Sans doute, à l'horizon d'un poète ébloui par une forme découverte après le kabuki, répond l'essayiste en conclusion de son analyse.
De la ligne de faîte occupée par les Heures, le lecteur arrivé au terme de son beau parcours, voit désormais s'ouvrir la perspective chorale du dernier théâtre claudélien, engagée par la transformation d'un « ballet brésilien » en un « drame lyrique à la japonaise  ».
Marie-Victoire NarrrET



Paul Claudel et la Chine4
Gilbert Gadoffre serait sans doute ému de voir la Chine universitaire aussi ouverte à Claudel qu'elle apparaît ici et porteuse d'un tel regard de l'intérieur. On ne saurait trop en remercier les organisateurs de ce colloque de Wu han qui a le mérite d'ouvrir dans son sillage la voie à de nouvelles recherches.
On est d'abord frappé de l'importance accordée, chez Claudel à la culture artistique et philosophique de la Chine, et notamment du tao dont il a pénétré l'esprit dès les premières Connaissance de l'Est. Il a épousé la personnalité des
4 Colloque de l'Université de Wuhan, sous la direction de M. DU Qinggang et de Mme WANG Jin.
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93 poètes et des peintres, adopté leur façon de voir et leurs techniques. Il a pénétré la mentalité rurale du peuple et compris la richesse de ses traditions, même si, aux yeux de certains, le fait religieux paraît un obstacle à une compréhension plus approfondie.
En introduction, Michel Autrand présente Le Repos du septième jour comme la révélation par une dramaturgie chinoise de l'homme universel à travers l'être profond de l'auteur. Dominique Millet-Gérards voit en lui et François Cheng deux « passeurs  » entre l'Occident et l'Orient. Ils communient tous deux dans un sens commun de la beauté essentielle des choses, du «  Souffle- Esprit  »qui les anime. Alors que Claudel vérifie en Orient ses intuitions d'un christianisme nourri des « grands penseurs médiévaux  », Cheng affirme en Occident sa profonde culture chinoise relue à la lumière des « grands penseurs européens  ». Claudel se montre aussi sensible à la nature qu'à la culture de la Chine. Il se plonge dans la substance même du pays pour reproduire l'attitude de ses peintres et de ses poètes. Le Tao-tei-king, comme en témoignent les poèmes « Portes  » et « Hankeou  » a aussi contribué à son intuition de la Chine.
Haiying Quin reprend la notion de souffle et met celui de la prosodie claudélienne en rapport avec le Wen Qi, souffle littéraire chinoisb. On retrouve le tao avec l'opposition vide/plein, idée/blanc, aiguë/grave de l'alternance du Yin yang correspondant aux deux temps de la respiration du rythme binaire de l'iambe claudélien. Dans son sens premier, le Qi correspond au tao, soit au rôle créateur du «  Souffle-Esprit  »chez Claudel. En second, il signifie le tempéra- ment de l'écrivain, en rapport avec le souffle spirituel claudélien, tandis qu'au troisième, plus technique, il est proche de la respiration du langage écrit de Claudel. Cette confluence réunit ceux pour qui la poésie est un «  chant de vie  ».
Michel Arouimi découvre une autre parenté de Claudel avec la poésie traditionnelle chinoise par le rapport des contraires dans l'alternance du Yin yang'.
L'architecture du poème « Pagode  »semble déterminée par celle de la tour à sept étages. Les jeux impliquant le symbolisme de cette architecture en découvrent l'harmonie et le mystère. Mais de cruelles évocations expriment la division de l'être résolue par une adhésion consciente au sacré.
Qinggang Du suit Claudel dans son étude de l'écriture chinoise, et surtout dans sa création d'idéogrammes dans l'alphabet occidental, de mots unissant le dynamisme vivant des êtres à l'abstraction du signe graphique. Dotés d'une âme qui remédie à l'arbitraire des signes, ils annoncent une écriture poétique nouvelle avec Segalen, Michaux, Ponge.
5 «  De Claudel à François Cheng  :l'intuition chinoise dans les poèmes de Hankeou  ».
6 «  Le souffle du vers chez Claudel et le Qi littéraire chinois  ».
7 «  La pagode graphique de Claudel  ».
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94 Selon Éric Benoit8, les paysages, les jardins sont des objets spirituels empreints de mystère. L'attitude du fen-shui, science des directions et des courants, en fournit le sens au poète. La direction des flux et des courants indique les quatre directions s'écartant du centre qui est la croix. Claudel voit dans l'espace chinois structuré selon les quatre points cardinaux un signe cru- cifère. Mais son christianisme est inculturé dans la réalité chinoise qui peut être réinterprétée selon un symbolisme chrétien, établissant un va-et vient Orient/Occident, référent biblique/référent chinois pour arranger ensemble les deux mondes selon l'alternance taoïste du Yin yang.
Christèle Barbier9 distingue des convergences, est-ce sous l'influence de l'art chinois et du tao  ?entre la signification plastique du Soulier de satin et celle des paysages « Montagnes et eau  » ou Shan Shui. La qualité du regard permet au spectateur ou au peintre d'entrer dans le tableau ou de prendre pos- session du paysage. L'écriture établit un rapport entre description et intrigue. Elle compose des tableaux comme le regard du Jésuite (I, 1) qui contemple les soeurs mortes. Le Soulier de satin est une somme dont les parties s'ajustent entre elles comme les plans d'une peinture en laissant le vide, passage nécessaire vers Dieu, désigner le sens profond de l'aeuvre.
Jean-Christophe Blondel10 constate que si la tournée de Partage de midi en avri12009 a provoqué des enthousiasmes, il y a eu aussi des incompréhensions qu'il attribue aux fractures interculturelles. Le public chinois a trouvé la tra- duction trop fleurie et complexe pour suivre la pièce. Son éducation positiviste fait qu'il a besoin, à l'exemple de Mesa, de comprendre pour ressentir, au lieu de comprendre le monde avec sa chair. Il a aussi mal perçu le romantisme et la moralité de la pièce. Mais la musicalité de la langue séduit un public qui ne la comprend pas et la modernité du texte provoque le choc qui met en chemin.
Pour Baorong Gong, l'esthétique du Soulier de satin correspond à celle de la Chine par le primat de l'émotion sur une action faite d'une multitude d'intrigues, par celui de l'épique sur le dramatique, l'absence des trois unités et un théâtre total, danse, musique, peinture.
Moriaki Watanabell en précise l'influence japonaise grâce aux références de la quatrième Journée. La didascalie finale, paraphrase fidèle de la note du Journal (648) sur l'orchestre bugaku, les tableaux relatifs à la cour espagnole empruntés à une épopée du xiiie siècle, les images des saints et les estampes japonaises, les chants d'Isabelle tirés d'une anthologie japonaise mais aussi dans la deuxième Journée la scène de saint Jacques proche du « genre médita- tif  »japonais, celle de l'Ombre double proche du nô, et dans la troisième celle
8 « L'interrogation herméneutique de Claudel devant la Chine, ou  :l'orientation crucifère  ».
9 «  Montagnes et eau dans Le Soulier de satin  ».
10 «  La réception de Partage de midi parle public chinois  ».
11 «  Le Soulier de satin ou le grand Jeu transculturel du monde  ».
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95 de l'Ange pêcheur, du kabuki avec le jeu de la traction fatidique, etc., Autant de preuves de l'hybridité claudélienne des écritures.
Barbara Bohac12 décèle une compréhension profonde de l'art chinois chez Claudel qui ne veut pas seulement regarder, mais étudier et question- ner. Il ne copie pas la nature comme l'art occidental, mais l'invente au lieu de contrefaire les choses crées.
Claudel a prétendu que les mots occidentaux peuvent être considérés comme des idéogrammes. Yongda Yin13 distingue les types qu'il a établis pour conclure qu'il construit les siens à partir de mots existants au lieu d'analyser les mots français entant qu'idéogrammes. Dans les Cent Phrases pour éventails, le Caoshu, art hautain voulu par Claudel, art de l'espace et du geste associe les espaces sémantique, graphique et gestuel.
Yvan Danie114, après avoir recensé les études claudéliennes qui se sont déroulées dans le sillage de Gilbert Gadoffre, étudie la place de la montagne, comme espace, motif littéraire et symbole spirituel. Claudel, à la différence de Segalen qui se veut exote, approche le paysage chinois dans un esprit tel que la présence de la montagne révèle une poétique de contemplation, de connivence, de participation et d'harmonie partagée. Il habite les lieux dont il évoque les paysages ou les tâches agricoles saisonnières. Le Repos du septième jour pose une analogie entre montagne et vie monastique qui suppose attention au monde et conscience du monde. Dans les exégèses, la montagne chinoise des souvenirs claudéliens devient la montagne de Dieu.
Claude Pilletls oppose la double approche claudélienne de la Chine dans Connaissance de l'Est. L'une, celle du croyant, déceptive, incomplète, dévaluée par le dogme catholique ne présente qu'un monde spirituellement clos sur lui-même. L'autre, celle de l'artiste placé au coeur du monde visible et invisible inverse le rapport  :l'incomplétude chinoise, l'étrangeté à l'absolu et à la transcendance ouvrent sur la catholicité du monde.
Pour Michel Collotlb, Claudel est entré dans l'univers chinois par ses paysages selon une approche polysensorielle, ouïe, odorat, goût, toucher, kinesthésie, cénesthésie, qui accorde moins d'importance aux formes et aux contours du paysage qu'à son atmosphère physique et affective.
Du fait de sa fibre paysanne proche d'une Chine rurale, il a, par la symbiose avec l'environnement, la même relation au paysage que le paysan chinois. La même aussi que les poètes parla corrélation entre le site et le point de vue de l'homme. L'interaction entre paysage et état d'âme a été théorisée
12 «  Esthétique et herméneutique de l'objet chinois chez Claudel à l'époque de Connaissance de l'Est  ».
13 « Pour un cratylisme claudélien —Paul Claudel et l'écriture chinoise  ».
14 « Études claudéliennes et perspectives chinoises  :l'exemple de la montagne chinoise dans l'oeuvre de Claudel  ».
15 « Connaissance de l'Est  : l'envers et le tout chinois de la poésie  ».
16 « Claudel et les paysages chinois  ».
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96 par les arts poétiques chinois. La contemplation fait découvrir la tension entre visible et non visible. L'efficacité donnée aux choses parle non visible selon le tao permet une co-naissance au monde qui transgresse la dualité sujet-objet. Elle donne la conscience de l'unité entre le monde et l'homme, permet de ne plus faire qu'un avec le paysage, d'entrer en lui et d'avoir accès à la chair même du monde.
Dongmei Dail' nous donne un aperçu documenté et précis sur un moment important de la carrière et de la formation de diplomate et d'économiste de Claudel. Le rôle de ce dernier pourrait cependant être minoré. Négociateur actif et habile sous la direction de la Légation de Pékin, il n'a aucun rôle déci- sionnaire, ni pour le retour à une direction française voulue d'ailleurs par la partie chinoise, ni pour le maintien de l'école française.
Bernard Huer$ analyse les rapports de Claudel au Fujian où il vit en « harmonie avec le monde extérieur  ». C'est la Chine des cinquante premières Connaissance de l'Est. Il en a gardé des souvenirs, la cloche «  au son admirable  », la montée vers le monastère de Ku chan, sa maison, les pèlerinages de Yantaï au Gushan. La cérémonie de l'Oulamba a inspiré la descente en enfer du Repos du septième jour, une didascalie de Partage de midi évoque la demeure de Nantaï.
Wei Huang19 s'attache, lui, à la ville de Fuzhou que Claudel « adopte d'un seul coup comme une femme  ». Il cesse d'être un errant pour se sentir chez lui. Mal à l'aise à Shanghai, il fait à Fuzhou randonnées et découvertes. Il y vit sa première grande mission et son premier amour.
Sergio Villani20 étudie à travers la relation Claudel-Meyer la seconde Connaissance de l'Est acquise par Claudel dans l'espace washingtonien. A. Meyer qu'il désire convertir lui ouvre des musées tels que la Free Art Gallery. Elle lui offre son livre sur la peinture de Li Leung-Mien, l'initie à l'art Sung dont il apprécie la délicatesse et la structure aux trois niveaux superposés, naturel, analogique et spirituel. Il lui attribuera sa révélation du vieil art chinois.
Alain LerouxZl conteste, au nom de l'unité déconcertante de l'esprit humain, la thèse de Huang Bei selon laquelle Claudel, en tant qu'occidental et chrétien, est étranger à la sensibilité et à l'intelligence de l'Extrême-Orient. Il ne pense pas que son regard ne puisse être qu'exotique, même si Huang Bei lui reconnaît comme à Segalen une « erreur créatrice  » féconde dans la création artistique.
Selon Gen ZhangZZ, le pays n'est pas seulement pour Claudel objet de description, mais aussi personnage principal, héros, avec osmose entre l'humain
17 « Paul Claudel et l'Arsenal de Fuzhou  ».
18 «  Le Fujian dans la vie de Claudel  ».
19 «  À la recherche d'un paradis terrestre —Pourquoi Paul Claudel a-t-il tant aimé Fou-tchéou  ?  »
20 « Claudel-Meyer et l'art chinois  :une autre Connaissance de l'Est  ».
21 «  Pour un dialogue  ? À propos d'une lecture de Huang Bei de Cent Phrases pour éventails  »
22 «  La Chine aux yeux d'un poète européen  ».
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97 et l'environnement. Dans « Théâtre  », l'homme est assimilé au théâtre. Au-delà de la description de la chose, la quête du sens mène à célébrer l'existence par un symbolisme voué au chant de la puissance de l'être. L'oeuvre est située dans un présent intemporel proche de l'éternité.
Jiquan Xi23 présente les principaux éléments culturels chinois de Connaissance de l'Est, ceux du théâtre, du tao qui aide à comprendre le comportement social et le devenir historique de la Chine. Il y a la tombe aussi, les idéogrammes, le jardin qui offre un environnement et une harmonie naturels, une architecture de paysages d'eau et de montagne, le Feng Shui.
Selon Lin Che24, la Chine a favorisé le triple itinéraire professionnel, spirituel, littéraire de Claudel sans qu'il ait été pour autant pénétré de son esprit. Et le souffle poétique chinois lui a été plus étranger que la pensée phi- losophique du tao. Il a vu pourtant la symbiose entre calligraphie, peinture et poésie « qui usent du même pinceau pour composer les traits dans un même espace  ». Il n'est pas un érudit. Ses traductions sont infidèles, mais il a été un excellent passeur qui a fait aimer la poésie chinoise.
Jing Chenue. Claudel a su observer la souffrance, la misère, les labeurs, la gaieté et les joies du peuple chinois. Il a apprécié l'état primitif où il vivait. Avec sa perception de poète, il a pu distinguer la richesse et la valeur des cultures et des traditions populaires.
Jing Cheng26. Le calligraphe chinois produit des formes éloquentes en mettant dans l'exécution toute son intelligence, son imagination et son émo- tion. L'écrit a un pouvoir magique. La religion du signe est pratique parce qu'elle révèle la personnalité du scripteur et que la religion en Chine ignore la transcendance.
On ne peut que se réjouir de constater toutes les orientations de recherches ouvertes par la diversité de ces communications.
Jacques HOURIEZ
23 « Les éléments culturels dans Connaissance de l'Est  ».
24 « Paul Claudel connaissance de la poésie chinoise  ».
25 « Les Chinois dans Connaissance de l'Est de Paul Claudel  ».
26 « Religion du signe —une croyance pratique  ».
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