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Classiques Garnier

Hommage à Marie-Joséphine Whitaker

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HOMMAGE À MARIE-JOSÉPHINE WHITAKER

MARIE-JOSÉPHINE WHITAKER

Madame Marie-Joséphine Whitaker, professeur de littérature française à luniversité Witwatersrand de Johannesburg, puis en retraite à Paris et à Londres, a publié de nombreux ouvrages. Après sa thèse sur « Rimbaud, essai dinterprétation dune expérience poétique », soutenue en 1950 à luniversité de Paris IV et publiée dans La Structure du monde imaginaire de Rimbaud (Nizet, 1972), elle a consacré plusieurs articles à cet écrivain : « Les délires de Rimbaud, un prophète qui signore », dans les Cahiers de lAssociation internationale des Études françaises, 1984 ; « Rimbaud et le dégagement rêvé », dans la Revue dHistoire littéraire de la France, 1993 ; et « Rimbauds theatre of the self », ibid., 1994. Sur Musset, elle a écrit un ouvrage intitulé : « Lorenzo ou Lorenzaccio ? misères et splendeurs dun héros romantique », aux Archives des lettres modernes, vol. 240, 1969 ; et sur Corneille « LIllusion comique ou lécole des pères », dans la Revue dHistoire littéraire de la France, septembre-octobre 1985.

Lessentiel de son œuvre critique a porté sur lœuvre de Claudel, sur laquelle elle a publié un essai, Renaissance du théâtre, le sens de la destinée et sa figuration dans la dramaturgie de Paul Claudel (Slatkine, 1983), une édition critique de La Messe là-bas (Presses universitaires de Franche-Comté, 2009), et de nombreux articles :

Dans le Bulletin de la Société Paul Claudel :

« Le vitalisme de Claudel dans les Cinq Grandes Odes », no 51, 1973,3.

« Mise en scène du Livre de Christophe Colomb au théâtre de la Ville à Gdynia », no 127, 1992.

« Partage de Midi à Montpellier », no 131, 1993.

« Claudel au Canada », no 136, 1994.

« La traduction en polonais du Soulier de satin, version pour la scène », no 141, 1996.

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« Claudel et Rimbaud, une rencontre de jeunes », no 152, 1998.

« Claudel et les psychologues, entretien avec Boris Cyrulnik », no 168, 2002,4.

« Première de Partage de Midi en Pologne, le 27 mars 1923 », no 170, 2003,2.

« Knowing the East », no 177, 2005,1.

Dans la Revue dHistoire littéraire de la France :

« Temps et mouvement dans Partage de Midi », no 87, juillet 1987.

« Claudel, Longin et le sublime », no 101, 2003,1.

Dans diverses revues :

« Claudel, the poet of les Cinq Grandes Odes et lAngleterre », EnglishStudiesinAfrica, 1974, vol. 17, no 2.

« Les vingt Partage de Midi », ClaudelStudies, III,1, 1976.

« Les “délires” de Rimbaud, une prophétie qui signore », Cahiers de lAssociation internationale des Études françaises, 1984.

« Y a-t-il une psychologie claudélienne ? », Mélanges de littérature française offerts à Mikaël Shackelton, université de Cape Town, 1985.

« Linfluence de Rimbaud sur Claudel », Cahiers du Centre dÉtudes théologiques de Caen, décembre 1986.

« Claudel and Poland », Claudel Studies, vol. XIV, 1 et 2, 1987.

« La clameur noire dune poétique inspirée », Poétique, no 74, avril 1988.

« Rimbaud dans le théâtre de Paul Claudel », dans La Dramaturgie claudélienne, Klincksieck, 1988.

« Leau agile : une réflexion sur la deuxième des GrandesOdes », Albion Press, Ontario, Canada, 1994.

« Au cœur de la dramaturgie claudélienne : le devenir dans le dramatique et le lyrique de lécriture poétique et théâtrale des 19e et 20e siècle », Presses universitaires franc-comtoises, no 870, Besançon, 2002.

« Connaissance de lEst et Mallarmé », Bulletin de lAssociation pour la recherche claudélienne,no 3, 2004.

« Sublime, risque et réalisme dans le théâtre de Paul Claudel : trois figures polonaises », Éditions de luniversité catholique de Lublin, 2004.

« Rimbaud, Claudel, la passion du voyage », dans Heroism and Passion in Literature, Literaturwissenschaft, vol. 77, 2004.

« Claudel et la “resilency” », Mélanges offerts à Michel Autrand, Annales littéraires de luniversité de Franche-Comté, no 105, 2004.

« Le manuscrit de La Messe là-bas », dans Les Manuscrits de lœuvre en chantier, Éditions de luniversité de Dijon, 2005.

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« Connaissance de lEst : les paysages », Bulletin de lAssociation pour la recherche claudélienne, no 4, 2005.

« Le Journal de Claudel : pensée politique ou recherche dune sagesse », dans Claudel politique, Aréopage, 2009.

« Formes et thématique du désir dans lœuvre de Paul Claudel », Mélanges offerts à ZbigniewNaliwajek, dans Territoires comparatistes, 2014.

« Statisme et vie intérieure du personnage dans Partage de Midi », dans Statisme et mouvement au théâtre, La Licorne, hors-série, 2014.

Marie-Joséphine Whitaker est aussi lauteur de nombreux comptes rendus douvrages, darticles et de colloques sur Claudel, comme sa présentation du tome II de Le Poëte et la Bible, dans le Bulletin de lAssociation Guillaume Budé, 2005.

Michel Lioure

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HOMMAGE À MARIE-JOSÉPHINE WHITAKER
(19-02-1925 – † 11-01-2023)

Comme un lac plein de sources

Déborde par toutes ses coupures !…

Po, 226.

Échanges, Partages ! Cest le cas entre les claudéliens dispersés sur la planète, de Dallas à Tokyo, dont Marie-Joséphine Whitaker, née Polakiewicz, qui écrivit principalement à Johannesburg avant sa retraite à Paris, où, à la Sorbonne, elle avait obtenu son doctorat. Cet hommage à lamie qui vient de nous quitter, à 97 ans, souligne nos liens daffection.

À partir de 1972, au château de Brangues, se créait comme un esprit de famille. Pierre Claudel et Renée Nantet, à lorigine de ces « Rencontres », y ont accueilli des professeurs, chercheurs, admirateurs 148de Paul Claudel, tels le Président Senghor, le P. Daniélou, J. Madaule, E. M. Landau, Moses Nagy, Joseph Boly, Gérald Antoine et bien dautres personnalités, comme Marie-Joséphine. Ces trois journées incluaient un spectacle. Ainsi, J.-L. Barrault y joua-t-il « Sous le vent des îles Baléares ».

Cest là que jai rencontré Marie-Joséphine, « Muse » savante, toujours charmante. Nous avons gardé contact jusquà la fin. Elle enseignait alors à luniversité Witwatersrand de Johannesburg, y devint « Directrice du French Department » en 1978. Pour ses vacances, elle venait en Europe, faisait un tour en sa Pologne natale, sarrêtait à Paris, et tenait à passer à Caen. Nous lui faisions découvrir ses deux abbayes millénaires, les « Plages du Débarquement »… Lors de ses vacances, avec nous elle se trouva vite en famille, telle une grand-mère pour les enfants, chargée de cadeaux choisis avec soin pour chacun.

Je ne saurais assez souligner sa générosité, en particulier sa proposition denseigner, en 1984, comme « visiting lecturer » au « Département de français ». Javais une centaine détudiants, auxquels je fis dabord étudier Tête dOr1. Pour faciliter lapprentissage, Marie-Joséphine leur avait demandé de ne sexprimer quen français dans lenceinte de son département. Les rapports avec les professeurs étaient beaucoup moins hiérarchisés quen France, et au déjeuner, je me mêlais aux étudiants pour des dialogues amicaux. Jai été frappé par la qualité découte et la bienveillance de Marie-Joséphine envers eux.

En mai 1986, elle minvita à nouveau et me proposa daller à Maseru comme « external examiner ». Il sagissait dévaluer lannée de travail de chaque étudiant. Cette mission au Lesotho prolongeait lautorisation du premier détachement. Avec subtilité, Marie-Joséphine sut régler les formalités complexes de notre administration française.

Dépaysement exceptionnel et expérience inoubliable ! Je vivais en famille avec elle et Franck, son mari. Les rapports de la maîtresse de maison avec Eunice, son employée zouloue, tenaient du pittoresque. Pour faciliter les multiples appels aux services, sa « case » jouxtait la maison des maîtres. Puis, prévoyant leur départ en Europe pour la retraite, ils firent construire pour elle et son époux une petite maison sur le terrain imposé par le régime de lapartheid.

Je ne saurais assez la remercier de mavoir fait découvrir ce « nouveau monde ». Ainsi, elle me confia toute une journée à lune de leurs amies et jeus le bonheur de visiter le fameux « Kruger Park ». Une autre fois, ce fut un voyage touristique sur deux jours. Franck nous conduisit 149jusquà Cape Town, où du haut des falaises, nous apercevions des sites remarquables, dont « the Table Mountain », et par-delà Stellenbosch la région des vignobles dite « petite France ».

Avant de sinstaller à Paris pour sa retraite, en 1988, Marie-Joséphine passait nous voir en Normandie, presque tous les ans. Elle se trouva avec nous pour un spectacle Claudel, joué à Douvres-la-Délivrande, par des élèves de notre amie Yvonne Rabec, directrice du lycée professionnel « Notre Dame de Fidélité ». Il y eut un dîner à la maison avec Henri Claudel et son épouse Christine, Renée Nantet, dans une ambiance euphorique où Marie-Joséphine entonna joyeusement avec Christine, grecque dorigine, un chant grec. Elle lavait appris en séjournant à Chypre, au cours de sa longue « aventure » de Pologne à Johannesburg.

En vraie claudélienne, sans avoir sillonné le monde autant que le « Poëte-Ambassadeur », Marie-Joséphine multipliait les rencontres, et recevait, avec classe, des hôtes de qualité. Jamais elle na joué à « lintellectuelle » ou à « lérudite ». Toujours joyeuse, elle ne manquait pas dhumour. Sur le plan professionnel, elle était à la fois passionnée et rigoureuse. Mais serait-ce par hasard quelle choisit, ce travail exigeant : « lédition critique et étude de La Messe là-bas2 » ? Sur un tel texte, que de connotations possibles !…

Elle cultivait donc lascèse dune spécialiste de Claudel. Pour une « exilée », que de suggestions dans ce « là-bas » ! Pour le poëte chrétien, « lhistoire est comme une messe où Dieu de temps en temps se retourne et dit : Dominus vobiscum3 ». Il allait donc intégrer au spirituel notre « Grande Guerre » qui, en 1917 en particulier, atteignait lacmé de lhorrible ! Le poëte-ambassadeur vivait alors au Brésil. À juste titre, Catherine Mayaux voit en ce « là-bas » « la forte aura intertextuelle », dans une œuvre… « perpétuellement en chantier ». Et dune image fortement symbolique, elle résume : ce fut « un creuset » pour « lœuvre ultérieure » (BSPC, no 186, p. 68). Par cette étude, Marie-Joséphine aurait-elle pressenti, comme lappel dune transcendance, le signal dun « envol » ?…

Chère Marie-Joséphine, lors de cette « édition critique » tu as 84 ans. Étrange coïncidence ! En 1952, au même âge de 84 ans, et, à propos de ce même texte, Claudel souligne dans son Journal son « amertume poignante » : « personne [] na eu lair de sapercevoir de cette œuvre 150où javais mis tout mon cœur » (J.II, p. 802). Et voici que survint la réponse consolatrice de ton édition. Trop tard, hélas ! Le poëte chrétien naura pas pu ten remercier !

Comme lui, tu auras voyagé à travers lespace-temps ! Que dallers-retours sur notre planète, que de pages de notre poëte « auscultées » en profondeur !… On peut timaginer « comme un lac plein de sources » au plus près de son cœur… Autre richesse : par-delà tes travaux, jamais tu nauras oublié tes amis. Jusquà la fin ! Ainsi, avec toi, chère Marie-Joséphine, lon pressent en lappel dun « là-bas » un signe du « Très-Haut » !

Michel Brethenoux

Caen, 28/06/2023

1 Doù mon « Tête dOr ou le héros solaire », French Studies in Southern Africa, no 16 (1987).

2 Parue en 2009 aux Presses universitaires de Franche-Comté, 232 p.

3 Claudel, dès 1912, le jour de ses 44 ans (6 août), inscrit dans son Journal (J.I, p. 235) cette métaphore, tremplin potentiel de tout un scénario.