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Classiques Garnier

Rencontres de Brangues 2020

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
    2020 – 3, n° 232
    . Premières correspondances
  • Auteurs : Pérez (Claude), Parsi (Jacques)
  • Pages : 119 à 121
  • Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406113034
  • ISBN : 978-2-406-11303-4
  • ISSN : 2262-3108
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11303-4.p.0119
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 21/12/2020
  • Périodicité : Quadrimestrielle
  • Langue : Français
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Rencontres de Brangues 2020

Les Rencontres de Brangues (annulées en juin pour cause dépidémie) eurent lieu à loccasion des Journées du patrimoine. Le film de Gilles Blanchard, Dune folie lautre, en constitua lun des deux temps forts claudéliens, avec le court-métrage consacré à laventure du Soulier de satin porté par lassociation Théâtrensemble. Deux spectacles lun tiré de la mythologie : La Guerre de Troie (en moins de deux) dEudes Labrusse et lautre de la vie et de lœuvre de Tchekhov : Regardez la neige qui tombe de Philippe Mangenot, occupèrent les deux soirées dautomne. Un récit musical sur le thème des Voyages dUlysse réunit les enfants des environs, accompagnés de leurs parents. Un concert de chants baroques conçu par Claire Delgado Boge (soprano) clôtura, avec le soutien de la chorale de Brangues, ces Rencontres désormais inscrites dans le cadre plus large du festival du Solstice de Brangues.

Dune folie lautre

Paul Claudel disait : « Les grands hommes sont des paraboles vivantes ». Cela vaut aussi pour les grandes femmes, naturellement, et donc pour Camille, qui est devenue lune dentre elles.

Camille est devenue une parabole ou comme on dit à présent une icône. Cette métamorphose est la clé de sa célébrité. Cest elle qui lui permet désormais déclipser sur la toile et sur les réseaux son dramaturge de frère. Cest peut-être aussi la cause de son infortune : en devenant une parabole, elle est devenue un cliché. Elle est devenue un exemple, et même le parfait exemple : celui de lartiste opprimée et de linjustice faite aux femmes. Dans cette opération, sa singularité sest évaporée et, en même temps quelle, un peu, ou beaucoup, de sa vérité. Les icônes, les paraboles, exigent que les choses soient un peu arrangées : quon prête par exemple à Camille une passion pour Rodin dont le moins quon puisse dire est que les (rares) archives ne confirment pas la virulence ; ou quon 120donne à une femme usée et psychotique de cinquante ans le visage avenant dune actrice qui en a trente-cinq. Si lon veut faire du symbolique, il faut simplifier. Il faut éliminer ce qui ne cadre pas avec le symbole.

Le film de Gilles Blanchard Dune folie lautre qui a été montré à Brangues le samedi 19 septembre, sous lorage, ne propose pas une parabole. Cest une œuvre critique, une machine contre le cliché – ce cliché qui sétale, dès les premiers plans, dans le discours dune ministre inaugurant le musée de Nogent. (Coïncidence : au même moment, chacun pouvait lire sur son téléphone portable lannonce de la proposition dune panthéonisation dArthur Rimbaud…)

La machine de Blanchard est conçue de la façon suivante. Les dialogues dabord : ils sont une sorte de centon, composé de textes empruntés aux archives, et notamment au dossier médical de Camille. Blanchard dit quil a « scénarisé les archives ». Cest bien ce quon constate en effet. Cest ce quavait fait aussi Bresson au moment du Procès de Jeanne dArc – autre femme, et autre symbole. Les deux films ont du reste en commun un même côté critique, abrasif. Ils sont exigeants lun et lautre, peu portés sur les concessions, le film de Blanchard devant aussi sans doute à ce choix du collage darchives sa construction fragmentée.

Mais il ny a pas que les dialogues. Il y a aussi les acteurs : pour sen tenir aux deux protagonistes (il y a bien dautres personnages : parents, médecins, malades, journalistes…) Blanchard lui-même, qui tient le rôle de Claudel, et Dominique Hubin, qui est Camille. Alors que la silhouette longiligne du premier aussi éloignée que possible de celle du poète-diplomate, bloque toute identification, la seconde, une actrice internée vingt ans en hôpital psychiatrique après des débuts éclatants, apparaît à lécran comme une autre Camille. Allongée sur son lit et lisant son texte derrière un cendrier débordant de cigarillos, Hubin ne joue pas Camille. Elle ne la joue pas : mais elle la représente.

Dune folie lautre, dit le titre, et cest bien cela. Tout discours sur la folie, sur la psychose, court le risque de larrogance : « cest bien simple, je vais vous expliquer ». Le film nexplique pas, il tente dapprocher. On songe à Conrad, dans Au cœur des ténèbres : « Come and find out », « Approche et devine ». Cest bien ce qui se passe ici. Les archives dune part, Dominique Hubin de lautre, permettent à Blanchard, nous permettent à nous, dapprocher ; elles permettent, le film permet, une connaissance approchée. Est-ce à dire quau terme de la projection nous aurions « deviné » comme nous y invite la courte sentence de Conrad ? Ce nest pas sûr – comment être sûr quon a deviné juste ? Du moins 121sentons-nous de nouveau, grâce à cette actrice, ce médium dont laspect physique (tellement éloigné de celui dAdjani ou de Binoche) ne peut pas ne pas rappeler Camille au moment de son internement, du moins sentons-nous de nouveau la pointe de lénigme et de la souffrance : cette pointe, justement, qui sétait émoussée, usée par le frottement répété de la parabole et le ressassement du cliché.

Claude-Pierre Pérez

À la recherche du Soulier

Le 1er juillet 2018, au cours des Nouvelles Rencontres de Brangues, était donnée une intégrale des quatre journées du Soulier de satin par une troupe amateure de cinquante-cinq comédiens sous la direction de quatre metteurs en scène différents, un par journée1. Bertrand Petit, linitiateur de laventure née à Grenoble est venu rappeler cette équipée insensée en présentant un petit film de trente-cinq minutes À la recherche du Soulier. Ce court-métrage garde la trace des répétitions qui se sont étalées sur plus dune année, par des acteurs qui, parfois sinon souvent, ignoraient jusquau nom de Paul Claudel avant de se lancer dans lentreprise. Les images de la représentation révèlent à ceux qui ne lavaient pas vu le curieux dispositif qui, dans la scène de la charmille par exemple, voit trois Prouhèze dialoguer avec trois Camille… Les différents metteurs en scène viennent enfin témoigner devant la caméra de leur travail, de leurs intentions et de leur émerveillement devant la ferveur et lenthousiasme de tous ces comédiens amateurs. La projection fut suivie dun échange animé entre ceux qui gardaient le souvenir enchanteur de cette représentation de dix heures daffilée, devant la Ferme de Brangues.

Jacques Parsi

1 Voir le compte rendu du Bulletin 226.