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Classiques Garnier

Nécrologie

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NÉCROLOGIE

À Marie-Rose Carlié.

« Il est vivant ce soir ! » Par ce cri denthousiasme Marie-Rose Carlié débutait souvent ses récitals au service des grands poètes, Supervielle, Péguy, Rimbaud, Claudel… Affirmation sacrée de la comédienne retrouvant chez chaque spectateur, sa propre conviction quun artiste a sa part dimmortalité lorsque son texte est servi avec cette âme « capable de prendre feu » selon Claudel. De lâme et du métier, Marie-Rose Carlié en a.

Après une formation de Conservatoire, elle passe une année au Centre dramatique de lEst et dans diverses troupes où elle joue les rôles du théâtre classique de Molière, Marivaux, Musset, de Giraudoux, Claudel. « Nempêchez pas la musique » avait repris ce dernier de lÉcclésiaste. Cest sous cet éclairage inspiré que Marie-Rose, pendant douze années, bâtit les programmes où musique et poésie se marient aux Jeunesses Musicales de France. Elle a pour partenaire, Alexandre Lagoya, Jean-Philippe Collard, Pedro Soler.

Les rencontres sous les voûtes claudéliennes entre Marie-Rose Carlié et Louis Fournier sont nombreuses. Marie-Rose fit découvrir le poëte à son « cher époux » et :

« Pour Marie-Rose en compagnie de qui jai découvert le divin Milosz, poète de lamour et avec qui, surtout, jai découvert lAmour, en nouveau gage ? une future union entière et dirai-je unanime, pour la vie et pour le reste ; lannée 1947 commence dans quelques heures la verra-t-elle son nom changé ? Puisse Dieu le vouloir et le permettre. Amen. 31 décembre 1946, Louis. »

Leur union contredit avec malice le Claudel du Soulier de satin, car pour eux, le mariage cest lamour ET le consentement, le mariage considéré comme lun des Beaux-Arts, entre un farfadet lunaire et dune fée solaire. Les raccompagner au sortir de la messe à la mémoire de Claudel, cétait toujours la chance de recueillir les perles de leur grande culture. Louis

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Fournier fut de 1964 à 2001 responsable de lédition du bulletin de la Société Paul Claudel, et cest à lui « que lon doit de pouvoir entendre aujourdhui, grâce à son coffret Claudel parle, lentretien pirate, amicalement soutiré à lhomme de Brangues par Pierre Schaeffer et Jacques Madaule »1.

Il y a les années fructueuses du passage Pouchet près de Saint-Joseph des Épinettes. Léglise en tant que passage remplit leur réalité, on entre rue des épinettes et lon en sort cité des fleurs, cela leur va bien. En 1963, lOffice Parisien dÉditions et de Réalisations Artistiques (O. P. E. R. A.) est fondé, autrement dit le Palais Fournier. Marie-Rose et Louis obtiennent deux prix de lAcadémie Charles Cros, en 1962 pour Cinq prières dans la cathédrale de Chartres de Péguy, en 1966 pour ce Claudel parle. Il y a aussi avec les disques Jéricho La vierge au pied de la croix de Claudel avec Marie-Rose, Jean Négroni et Marie-Claire Alain à lorgue, La vie de Sainte Thérèse de Lisieux, La messe là-bas, avec la Société Paul Claudel et lO. R. T. F, et avec Erato Le bœuf et lâne de la crèche où Marie-Rose a pour partenaire, Jacques Fabri et Louis de Funès. Il y a les années fertiles de la rue des Lions Saint-Paul, où le voisinage avec Renée Nantet-Claudel renforce leur amitié. À la chapelle St-Paul, Marie-Rose donne LÉtonnante conversion de Paul Claudel « deux heures sans filet (…) virtuosité confondante (…) danse accompagnant le phrasé, diction parfaite » écrit Jacques Boncompain en 2005. Louis part en 2010. Marie-Rose avec quelques amis reprend le flambeau O. P. E. R. A. qui réédite Ignace de Loyola cette nouvelle vie qui commence, Thérèse de Lisieux – Paul Claudel et récemment édite le récital Debussy de Pascal Gallet. Elle y lit les textes de Marguerite Long. Toujours à laffût de la nouveauté, elle permet la production du film Tout est fini pour moi de ce qui meurt, daprès la vie et lœuvre de Claudel. « Tout est fini pour moi de ce qui meurt, cette phrase, en boucle dans ma tête » me dit son amie Dominique Poisson lorsquelle mapprend le départ de Marie-Rose vers lespace infini qui sélargit lorsque la matière libère la vie en qui demeure léternité que nous partageons. « Montagnes, donnez-vous la main ! », elle est vivante ce soir ! pour tous ceux qui lont connue.

François Claudel et Michel Itty

1 F. Angelier, Bulletin no 200, 4e trimestre 2010, p. 68-69.