En marge des livres
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
2015 – 1, n° 215. Paul Claudel et André Gide - Auteur : Wasserman (Michel)
- Pages : 83 à 84
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782812446030
- ISBN : 978-2-8124-4603-0
- ISSN : 2262-3108
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4603-0.p.0083
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/06/2015
- Périodicité : Quadrimestrielle
- Langue : Français
Sukehiro Hirakawa, À la recherche de l’identité japonaise – le shintô interprété par les écrivains européens, L’Harmattan, 2012.
Illustre comparatiste, professeur émérite à l’université de Tokyo, Sukehiro Hirakawa a publié en 2012 chez L’Harmattan un recueil de textes qu’il présente, non sans quelque malicieuse provocation bien dans la manière de ce disciple d’Étiemble, comme un « éloge » de la « créolité » du Japon : ceci au sens où, selon les termes de l’auteur, « ce pays périphérique, tolérant à l’introduction sélective de productions ultra-marines », présente « la coexistence étrange et productive de cultures d’origines diverses ».
Le concept doit beaucoup, chez M. Hirakawa, à Lafcadio Hearn dont il est au Japon un spécialiste reconnu, l’ayant beaucoup traduit et lui ayant consacré plusieurs ouvrages. On sait peu généralement que l’auteur de Kwaidan et de In Ghostly Japan, grand interprète des mythes et légendes du Japon auprès du public occidental, s’était auparavant intéressé en précurseur à la culture créole louisianaise, et avait passé deux ans à la Martinique où il avait été fasciné par l’emprise du vaudou sur l’univers mental des populations d’origine africaine.
Constater la résistance des croyances ancestrales dans un territoire labouré depuis des siècles par les missions catholiques le préparait, selon M. Hirakawa, à reconnaître au Japon l’importance de la religion nationale, ou shintô, sous la façade bouddhiste, produit d’importation (et donc de créolisation) au Japon comme il l’est dans tous les pays de l’Extrême-Orient. Si une part importante de l’ouvrage de M. Hirakawa porte (c’est le titre du chapitre iii) sur « Les expériences martiniquaises et japonaises de Lafcadio Hearn », le chapitre i, intitulé « Le pays des kami – le Japon de Lafcadio Hearn et Paul Claudel » nous concerne directement.
M. Hirakawa y rappelle la singulière sympathie que Claudel (qui n’a pas de mots assez durs pour condamner le bouddhisme perçu comme un culte du néant) éprouve pour l’animisme (sentiment du génie du lieu, des végétaux et des êtres) qui est au fond de la vision shintoïste du monde. L’auteur nous rappelle la belle lettre adressée après la Seconde Guerre mondiale par Claudel à son ami Yoshio Yamanouchi, qui lui avait servi de truchement auprès des milieux artistiques au cours de sa mission, et
dans laquelle, évoquant avec nostalgie ce « paradis de beauté » qu’avait été pour lui le Japon, Claudel ajoutait y avoir « respiré ce que beaucoup de visiteurs étrangers sont incapables de comprendre, une atmosphère religieuse », soit aux yeux de M. Hirakawa « une atmosphère shintoïste ». Et l’auteur de citer longuement le texte fondamental de la période nipponne, le « Regard sur l’âme japonaise », où Claudel progressant dans la forêt solennelle éprouve par une sorte d’illumination ce sentiment de crainte révérentielle propre au shintoïsme dans lequel il voit « l’attitude spécialement japonaise devant la vie », attitude qu’il peut parfaitement selon M. Hirakawa faire coexister avec sa propre foi. Ce n’est donc sans doute pas par simple politesse de diplomate que l’ambassadeur est amené à déclarer devant les auditeurs de sa conférence de Nikko combien il lui paraît justifié « que le Japon a[it] été appelé la terre des Kami » (les dieux du shintoïsme), « cette définition traditionnelle [lui paraissant] encore la plus juste et la plus parfaite qui ait été donnée de [leur] pays ».
Michel Wasserman