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Classiques Garnier

Images posthumes d’une amitié ; ou, comment la rencontre se transforma en reconnaissance

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne Montaigne outre-Manche
    2022 – 1, n° 74
    . varia
  • Auteur : O'Brien (John)
  • Résumé : À partir d’une analyse des sources historiques, nous nous proposons d’interroger la stratégie, tant politique que littéraire, mise en place par Montaigne pour remodeler l’image de son ami sarladais ternie par son association à un brûlot sulfureux, La Servitude volontaire. Par ce procédé, Montaigne confère à La Boétie une identité propre, un statut et une lisibilité, et transforme le souvenir de ses rencontres concrètes en acte de reconnaissance.
  • Pages : 55 à 73
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406129752
  • ISBN : 978-2-406-12975-2
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12975-2.p.0055
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 30/03/2022
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : rencontre, La Boétie, reconnaissance, Servitude volontaire, famille, amitié
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IMAGES POSTHUMES DUNE AMITIÉ ;
OU, COMMENT LA RENCONTRE
SE TRANSFORMA EN RECONNAISSANCE

La scène se passe à Sarlat au mois de février 15741. Grâce à une escalade des murs, le sieur Geoffroy de Vivant (ou Vivans ; 1543-1592) se rend maître de la ville. Ce capitaine protestant agissant sous les ordres de François de La Noue na que trente-six hommes pour exécuter ce coup de main quil réussit pourtant sans difficulté2. Averti toutefois « que certain grabuge estoit arrivé à Casteljaloux3 », il sy achemine, met en déroute les troupes du sieur de Compagnol et du capitaine Bromataire, puis, aux côtés de son fidèle ami Guy de Montferrand, baron de Lagoiran, reprend le chemin de Sarlat. Sur ces entrefaites,

quelques habitants de son party, nommés Les Séries, Bournazel, La Bertrandie, sétant rebellés, se résolvoyent de luy fermer la porte à son retour, comme ils féirent, persuadez, à ce quils ont dit depuis, par les raisons dun livret que le sieur de la Boitie, lun de leurs concitoyens, avoit fait en ce temps là, La servitude volontaire ; et apres, cette canaille se laissa surprendre aux habitants catholiques qui les chassèrent ignominieusement de la place, et depuis périrent misérablement comme traistres4.

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Cet épisode est parfaitement emblématique dune certaine interprétation et dun certain usage de la Servitude volontaire lors des guerres de religion : cest un traité qui incite non seulement à la résistance, mais encore, selon les termes du texte, à la rébellion, et peut entraîner des conséquences graves ou franchement néfastes pour ses lecteurs ou auditeurs.

Quelques mois auparavant, à lassemblée protestante de Millau en décembre 1573, le traité est activement exploité dans un but semblable :

Les esprits étoient déjà si aigris que tout tendoit à une guerre nouvelle ; ce qui les anima encore davantage, furent certains escrits qui coururent en ce tems-là, entre autres le livre intitulé, (de lesclavage volontaire ou lAnthenoticon. Cestoit un ouvrage dEtienne de la Boëtie, Conseiller au Parlement de Bourdeaux []. On affecta de le répandre alors pour disposer les esprits à la révolte5.

Ici comme là, la véhémence du traité, sa puissance de persuasion, son aigreur même poussent les gens à la révolte contre lordre établi. Lenjeu nen est donc pas négligeable ; en particulier, lAnthenoticon (la Servitude volontaire) est classé parmi des « libelles [] tendant à aigrir les esprits », et qui sont, pire encore, des « livres séditieux6 ».

On comprend mieux dès lors pourquoi à partir de 1580 et de la première édition de ses Essais, Montaigne répondra très précisément à cet usage de la Servitude volontaire et à la représentation de son ami disparu que cet usage projette. Pour contrer toute accusation de rébellion et de sédition, il attaque dabord dans le chapitre i, 28 lemploi abusif de ce pamphlet qui explique par conséquent son absence des Essais, contre son idée première :

Parce que jay trouvé que cet ouvrage a esté depuis mis en lumiere, et à mauvaise fin, par ceux qui cherchent à troubler et changer lestat de nostre police, sans se soucier sils amenderont [….], je me suis dédit de le loger icy. (I, 28, 1947)

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Comme cette explication pourrait tout de même passer pour un choix personnel et une apologie de sa propre attitude politique, il enchaîne par le portrait intellectuel et moral de lauteur respectueux des lois et de la paix publique :

il [La Boétie] avoit unautre maxime souverainement empreinte en son ame, dobeyr et de se soumettre tres-religieusement aux loix sous lesquelles il estoit nay. Il ne fut jamais un meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son païs, ny plus ennemy des remuements et nouvelletez de son temps. Il eut bien plustost employé sa suffisance à les esteindre, que à leur fournir dequoy les émouvoir davantage. (loc. cit.)

Et il ajoute une remarque sur la visée véritable de louvrage, susceptible daffecter son interprétation : « Il lescrivit, par manière dessay, en sa premiere jeunesse, à lhonneur de la liberté contre les tyrans » (ibid., 183-184).

Si la première citation cherche à redresser la déformation du propos de la Servitude volontaire et la troisième à dénoncer toute utilisation et interprétation contraires aux intentions de son auteur, la deuxième restitue ce qui nest pas toujours présent dans les références politiques à ce traité, cest-à-dire un nom, une identité. Le plus souvent aux xvie et xviie siècles, le pamphlet de La Boétie est cité sans nom dauteur et parfois sans intitulé ; il circule de façon anonyme, sujet aux réfractions et aux torsions que son parcours lui imprime8.

Mais pourquoi cette valorisation dun ouvrage qui nest en principe quun parmi dautres dans le corpus de leur auteur défunt ? Montaigne lui-même nous lexplique sans ambiguïté lorsquil décrit dans le même chapitre 28 de ses Essais, en donnant à louvrage un titre précis, le propos dun « discours » intitulé la Servitude volontaire et rebaptisé ensuite Le Contre Un, avec la remarque suivante : « Et si suis obligé particulierement à cette piece, dautant quelle a servy de moyen à nostre premiere accointance. Car elle me fut montrée longue piece avant que je l[La Boétie] eusse veu, et me donna la premiere connoissance de son nom » (ibid., 184). « Il nest demeuré de luy que ce discours, encore par rencontre » (loc. cit.), mais il a fait naître une amitié dont lessayiste 58affirme qu« [i]l faut tant de rencontres à la bastir, que cest beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siecles » (loc. cit.). Un manuscrit de la Servitude volontaire – il doit bien sagir dun manuscrit – avait été donc loccasion de leur « accointance ». Avant la rencontre physique, la rencontre intellectuelle, comme un aléa, un hasard, mais qui devait tout changer9. Dans ces lignes qui sont autant une célébration quun tombeau résonne le double leitmotiv de la rencontre et du rôle particulier du manuscrit laboétien, en un lien indissoluble.

Ces trois précisions par Montaigne portant sur lutilisation de la Servitude volontaire, la représentation de son auteur et linterprétation de son texte ne viennent donc pas dun simple souci de rectification. Conçues comme un ensemble, elles composent une poétique de la reconnaissance qui vise à une transformation du statut de La Boétie par le biais du discours de lamitié. Il sagit pour Montaigne dinfléchir la représentation de son ami pour ensuite réorienter linterprétation donnée de lui, même sil lui est impossible de supprimer certains usages contemporains quil voit dun mauvais œil. À la fixité conjoncturelle qui ne trouve dans la Servitude volontaire quune source à piller à des fins polémiques ou politiques10, Montaigne oppose le discours dune transvaluation qui livrera à ses lecteurs la possibilité de bien connaître et reconnaître « la face dhomme11 » qui est celle de La Boétie. En faisant donc du chapitre i, 28 le point de convergence où simbriquent, autour dun manuscrit particulier, la rencontre et la reconnaissance réunies sous légide de lamitié, lessayiste regroupe tous ces éléments dans une campagne habilement orchestrée de déplacement qui mettra désormais laccent sur les qualités éthiques (amitié) et littéraires (poésie, orations) du Sarladais, tout en minorisant son rôle polémique, rapidement congédié. Si cest un manuscrit qui a rendu possible l« accointance » des deux parlementaires, ce sera lamitié née de cette rencontre qui rendra possible la reconnaissance (anagnorisis) à partir de la reconstruction des traits 59propres à établir lidentité et lactivité de La Boétie et à lui restituer son véritable visage ; ce qui rendra possible, dans un deuxième temps, le passage de la défiguration dun texte à la re-figuration dun homme. Nous examinerons ces aspects tour à tour.

« UN SOUVENIR DE TON CAMARADE »

Linitiative de Montaigne se produit au moment de la création des premières histoires littéraires de la France. Neil Kenny a finement étudié la naissance de cette tradition nationale corrélée à la mémorialisation dun panthéon décrivains12. Dans le cas qui nous intéresse, une étape décisive est marquée par la publication des Bibliotheques de La Croix du Maine en 1584 et de Du Verdier en 1585. Ce dernier publie deux courtes entrées sur La Boétie, lune énumérant les opuscules parus en 1571/72, lautre consacrée à la Servitude volontaire avec un renvoi au chapitre i, 2813. Chez La Croix du Maine, tout dans son entrée sur La Boétie est rapporté à Montaigne ; ce premier nest reconnaissable que dans la mesure où il est associé à son ami. Cest dailleurs sous la même influence montaignienne que le bibliographe recense les différents ouvrages du Sarladais, dont le « Contre-un, traittant de la servitude volontaire14 », car en revendiquant pour La Boétie la paternité de ces ouvrages, il ne fait que répéter, comme le fera Du Verdier, des informations dont les Essais sont la source. Et son entrée sur Montaigne lui-même scelle le culte de lamitié des deux Périgourdins par un système de renvois qui resserrent les liens entre eux15. Montaigne miroir de La Boétie, à condition que celui-ci soit refait à limage et selon les principes de celui-là.

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Il est instructif de constater combien cette initiative en histoire littéraire détermine la suite de la réception de La Boétie. Des plus grands aux plus petits, la tradition des elogia et des vitæ dans la littérature de la première modernité française emboîte le pas à Montaigne, reproduisant la voie tracée par les histoires littéraires.

Gabriel de Lurbe présente un exemple de ce procédé dans son De illustribus Aquitaniæ viris de 1591. Sans nommer explicitement Montaigne, son éloge de La Boétie, pour bref quil soit, est subtilement tissé de souvenirs et dimitations des Essais. Après le panégyrique des dons littéraires du Sarladais, De Lurbe poursuit :

Certúmque est anno ætatis decimo octauo libellum de Seruitute voluntaria, qui manibus doctorum teritur, ab eo dictatum fuisse16.

« Il est certain que le libelle De la Servitude volontaire, qui est fortement utilisé et manié par les doctes, avait été rédigé par lui à lâge de dix-huit ans. »

Ces informations proviennent du chapitre « De lamitié » comme lindique dailleurs la traduction en latin, « manibus doctorum teritur », de lobservation de Montaigne à propos de la Servitude volontaire, « [i]l court pieça entre les mains des gens dentendement » (I, 28, 184). Mais De Lurbe renchérit sur sa source en citant dans la suite de cette phrase deux vers dHorace absents des Essais : « mors quę æquo pede pulsat pauperum tabernas, regúmque turres17 ». La raison nen est pas difficile à découvrir : Montaigne citera des vers horatiens en I, 28 pour pleurer La Boétie ; De Lurbe en prend le relais mais en jouant sur un registre complémentaire chez le même poète latin, lomniprésence de la mort qui engloutit tout. Léloge de La Boétie par Montaigne inspire chez De Lurbe une mimésis littéraire qui ne sera pas le seul exemple de ce phénomène.

Un des témoins méconnus de cette influence montaignienne dans la réception de La Boétie est un chanoine théologal et vicaire-général de Sarlat, Jean Tarde (1561-1636). Ses Chroniques (début xviie siècle), restées en manuscrit jusquau xixe siècle, sont le récit des événements marqueurs de la ville et de léglise de Sarlat sans compter aussi des commentaires sur des épisodes plus personnels. Sous lannée 1563, elles contiennent 61un éloge de La Boétie qui na pas été remarqué. Il est suffisamment bref pour être cité dans son intégralité :

Le 18 daougst, décéda Estiene de la Boétie, conseiller du roy en la cour de parlement de Bordeaux, aagé de 33 ans, nay dune fort honorable famille de Sarlat. La nature lavoit doué dun beau jugement et son travail lavoit randu scavant ès lettres grecques et latines, et en toute sorte de science. Ses poèmes et discours de la « Servitude volontaire » qui restent de luy, sont choses quil fit par forme dexercitation pendant sa jeunesse. Si, quelques jours avant de mourir, il eût faict quelque autre chose, on eût veu des conceptions bien plus relevées et une vivacité desprit différente du commun des hommes de son temps. Cestoit une âme moulée au patron de quelque ancien sénateur grec ou romain, mais la mort le ravit avant quil eût moyen de se faire cognoistre18.

Tarde reprend dans cette entrée, parfois textuellement, le jugement de Montaigne dans les toutes premières pages du chapitre de « De lamitié ». Il est vrai que le résultat nest pas finalement tout à fait admirable. Tarde na pas toujours bien compris le sens ni le propos de sa source et certaines tournures font preuve de la confusion (« une âme moulée au patron de quelque ancien sénateur grec ou romain ») ou frôlent le ridicule (« Si, quelques jours avant de mourir, il eût faict quelque autre chose »). Cet éloge nen atteste pas moins le rayonnement de Montaigne même loin des principaux cercles lettrés. Le nom de lessayiste nest nulle part prononcé, mais il est partout présent ; sans lui, il est quasiment impossible de parler de La Boétie. Les deux ne font quun.

Ce seront toutefois les Elogia de Scévole de Sainte-Marthe, entamés en 1598 et terminés en 1630, qui représenteront le point culminant de cette tradition. Ils contiennent à partir de lédition de 1602 un diptyque de La Boétie et de Montaigne, la place de choix étant réservée à La Boétie, peut-être pour des raisons de chronologie19. Le Sarladais y est célébré en tant que poète et traducteur. Seule une petite remarque glissée en fin déloge constate discrètement que :

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Cætera ne quam fortè pio cineri maculam aspergerent, vt pote liberius paulò scripta quàm vt hæc tempora ferre possent ; amicorum consilio latuêre20.

Passage qui subit dans la traduction de Colletet un développement plus explicite qui livre des compléments dinformation au cas où limplicite serait trop obscur pour ses lecteurs :

« Quant à ses autres Escrits, ses Amis intimes ne furent pas davis de les publier, de peur de ternir en quelque sorte sa memoire. Cestoient des discours dEstat quil avoit composez sur les affaires de son temps, comme un traitté de la Servitude volontaire, & quelques memoires de nos troubles sur lEdict de Janvier 1562. Et pour ce que ces matieres estoient un peu trop chatoüilleuses & trop delicates, & quelles estoient conceuës avec un peu plus de liberté que la saison ne le pouvoit souffrir, on se resolut de les supprimer apres sa mort, comme il les avoit tousjours cachées pendant sa vie21. »

On reconnaîtra sans difficulté dans ce descriptif des éléments tirés du chapitre « De lamitié » et de la lettre de Montaigne sur la mort de La Boétie : aussi bien les intitulés des discours en question quune paraphrase de lavertissement de lessayiste, « affin que la memoire de lauteur nen soit interessée en lendroit de ceux qui nont peu connoistre de pres ses opinions et ses actions, je les advise que… » (I, 28, 194).

Ce nest pourtant là le dernier mot ni de Sainte-Marthe ni de Colletet. Au contraire, la suite de léloge est imbue de lesprit de pietas, dans lhommage littéraire et personnel que Montaigne rend en tendre choéphore à son ami défunt :

Michaël Montanus eius æqualis, popularisque & collega coniunctissimus [] operibus à se collectis in perenne amoris erga illum sui pignus & monumenta adiungi voluit22.

« Michel de Montagne qui estoit de mesme condition que luy, & quil aymoit dune amitié fort estroite [] eut soin de recueillir ses œuures. Et mesme pour gage eternel de son amitié inviolable, il les voulut laisser à la posterité avec des Eloges solemnels, & bien dignes du merite de lun & de lautre23. » 

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Lambiance antiquisante est palpable, surtout dans limitation virgilienne de Sainte-Marthe, « amoris … pignus & monumenta24 », laquelle Colletet ne reproduit pas, préférant comprendre « monumenta » au sens horatien dune œuvre littéraire pérenne et voir dans Montaigne le pratiquant du même genre que lui, lelogium.

Lapogée de cet elogium invoque les deux amis en leur adressant une apostrophe aussi passionnée que lyrique :

Salvete ô felices animæ, gemini Musarum ocelli, & commune hoc vobis ambobus Elogium boni ac volentes accipite. Absurdum enim fore arbitrabar, si quorum animos perpetuus amor in vita coniunxerat, eorum nomina post obitum inepta seiungeret laudatio25.

« Je vous saluë icy de tout mon cœur, ô bienheureuses Ames, lumieres jumelles de nos Muses ; [] ne desdaignez point je vous supplie de recevoir favorablement ce seul & petit Eloge que jay tracé pour vous deux ensemble, & que je vous offre en commun. Jay pensé quil eust esté mal à propos [] si soubs pretexte de vous voir loüer davantage, jeusse separé vos noms apres vostre mort, vous quune rare amitié avoit tousjours estroittement unis, & dont elle navoit fait quun cœur pendant vostre vie26. » 

Là encore, Sainte-Marthe ne se prive pas des ressources de la poésie latine : les « felices animæ » dOvide et de Virgile, le « perpetuus amor » de Catulle27. En réponse à Montaigne qui avait regretté, à travers des citations dHorace, de Térence et de Catulle (I, 28, 193-194), la perte de son « frère » (frater), de cette « moitié de son âme » (partem animæ), Sainte-Marthe va en sens inverse, en les réunissant par un autre topos de la rhétorique de lamitié, une âme en deux corps. Il sait allier dans son elogium deuil et célébration en hommage autant au chapitre « De lamitié » quaux deux écrivains que ce chapitre met en scène. Et la reconnaissance opère ici à plus dun niveau et avec plus dun sens, depuis lidentification du jeu des allusions à limitation de Montaigne jusquà lhymne qui fait fondre La Boétie et Montaigne en un seul être, jouissant dune même identité et dune même renommée.

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Montaigne et le vingt-huitième chapitre du premier livre de ses Essais sont plus quun repère pour ses successeurs, ils sont indispensables à une certaine compréhension de la toute première réception dun La Boétie conçu strictement dans la perspective de lamitié. Le fait que celui-ci soit doté dun nom, dun statut, et dun contexte historique, social et littéraire est dabord et avant tout le travail dun Montaigne endeuillé et soucieux de protéger la réputation de lAmi disparu. Cest cet ensemble déléments qui sera transmis aux premiers historiens de la littérature ; même lattribution de la Servitude volontaire à la paternité du Sarladais a un objectif précis, celui de larracher à lanonymat dans lequel elle sombre, sujette à toutes les déformations et à toutes les aliénations.

On le sait, sur son lit de mort, La Boétie fait de Montaigne le « successeur de [s]a Bibliotheque & de [s]es livres », legs qui sera, dit-il, μνημόσυνον tui sodalis, « un souvenir de ton camarade28 ». La réaction de lessayiste devant ce legs nest pas une simple commémoration, mais linscription de ce souvenir dans le monument littéraire que les Essais étaient déjà en passe de devenir. Il réussit de ce fait à infléchir en même temps la notion de famille telle que Kenny lanalyse. À côté du travail des familles biologiques décrivains, certes fort opératoires à la première modernité, Montaigne invente une famille intellectuelle à laquelle il nest pas rattaché par des liens du sang – Gournay, La Boétie (lun et lautre des orphelins) et De Brach – mais quil rassemble et cultive sous le signe de lamitié29. Sa surenchère est dy ajouter une dimension « fraternelle », ses étroites relations avec La Boétie reconnaissables par une représentation et une interprétation renouvelées et qui, à la différence du contexte polémique, pourront dailleurs déterminer lusage qui en sera fait. Et Montaigne a gagné son pari auprès de sa postérité immédiate : sans lui, La Boétie nest pas intelligible ni même, à la limite, pensable.

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« ORNAMENT DE NOSTRE SENAT »

« Dans les années qui suivirent sa disparition, La Boétie fut célébré en tant que poète et quorateur », observe Jean Balsamo judicieusement30. « Conseiller du Roy au Parlement de Bordeaux [] Poëte Latin & François, historien & orateur », confirme La Croix du Maine31. En parallèle à la réorientation des données opérée par Montaigne, cest justement au sein du parlement que La Boétie est lobjet déloges. Dès 1582, Antoine Loisel porte un toast aux grands esprits de ce parlement, citant en particulier les « Boyers, les Chassaignes, les Ferrons, Rouffignacs, Pommiers, Calvimonts, Carles, Langes, Alesmes, Moncaults, Boities, Mallevins, Pontacs, Montaignes, & infinies autres lumieres de ce ressort32 ». En même temps que le nom de La Boétie, on notera ici celui de sa famille maternelle, les Calvimont, celui de la famille de son épouse, les Carle, et celui des Ferron, famille de son proche parent, ami et collègue, Arnauld de Ferron33. Membre déjà dun clan respecté et influent, La Boétie occupe sans conteste une place éminente parmi les plus grands lauréats du parlement quil avait servi et parmi les grandes familles qui y siégeaient. Ce descriptif est confirmé par dautres sources. Dans sa Chronique bourdeloise de 1594, De Lurbe enregistre sous lannée 1563 une disparition brutale : « Estiene de la Boytie Conseiller en la Cour, recommandé pour son sçavoir & vertu, & duquel les œuvres Latines & Françoises se voyent, meurt en la fleur de son eage34 ». Lattention du lecteur est dirigée, dans cette entrée sommaire, vers son statut de conseiller, vers son érudition, vers sa vertu, bref vers tout ce qui fait un orateur et parlementaire éminents. Dans sa publication complémentaire, De Lurbe souligne le fait que La Boétie avait été nommé parlementaire à Bordeaux à peine majoritaire et quil était bien supérieur à sa charge35. 66En 1594, le parlementaire Florimond de Ræmond lappellera « jadis riche honneur de nostre Parlement » et en 1597 « jadis lornement de nostre Senat36 », écho du « senatus ornamentum » de Lurbe37. De Thou reprendra la même terminologie dans son Histoire universelle : « lornement du Parlement de Bordeaux38 ». Lorsquen 1576 Pierre de Brach fait léloge des « Senateurs de nostre Parlement » alors disparus, il commémore parmi eux « Boëtie [] qui toutefois encore / A laissé des fragmens que tout le monde honore39 ». Tous ces témoignages insistent sur les qualités professionnelles et personnelles du Sarladais et sur son parcours exceptionnel, un parcours dorateur et décrivain auquel la Parque avait coupé court. Et avant de devenir souvenir ou monument, il était déjà ornement : première étape dune canonisation.

Cest également dans ce cadre que La Boétie est perçu comme poète. Là aussi, Montaigne – parlementaire comme lui, ne loublions pas – y laisse son empreinte. Au lendemain de la disparition de son ami, il mène une campagne pour pérenniser sa mémoire, campagne qui aboutira en 1571/72 à la parution de ses vers latins et français et de ses traductions40. À la place de la Servitude volontaire, Montaigne mettra dans ses Essais les « vingt & neuf sonnets » avant de les biffer sur lExemplaire de Bordeaux41 ; et il reproduira certains vers de La Boétie au fil de son texte42. À la vérité, il ne fait que favoriser à son tour la préférence de son ami périgourdin qui cite volontiers au cours de la Servitude volontaire ses 67propres traductions poétiques de vers latins ou grecs et se plaît à évoquer avec admiration des poètes contemporains tels que Ronsard, Du Bellay et Baïf, manifestant en cela le soutien quil apporte à lépanouissement de la langue française et surtout de la poésie française43.

Dans le sillage de Montaigne et même avant, les poètes du Sud-Ouest, en grande partie parlementaires, sempressent de compter La Boétie parmi leur nombre. Dès 1563, Maurice de Marcis, avocat au parlement de Bordeaux, évoque le souvenir du conseiller défunt en unissant son nom à celui de Ferron, tout comme Martin Despois, avocat au même parlement, le fera avec La Boétie et Montaigne (le discours de lamitié encore une fois) dans un éloge des traductions et des poésies du Sarladais remontant à la première décennie du xviie siècle44. Florimond de Ræmond, successeur de Montaigne au parlement de Bordeaux, conservera deux distiques inédits de La Boétie dans des œuvres publiées en 1594 et 159745. En 1604, le poète agennais, Antoine de La Pujade, saluera le « docte La Boitie, / Qui fut un grand poète et un grand orateur46 ».

Ces hommages sont autant dactes de reconnaissance, de célébration et de commémoration, nés au sein dune familia47, cest-à-dire dun réseau étroit de connaissances personnelles et daffinités intellectuelles et professionnelles, complémentaires de la « famille » inventée par Montaigne. Intégré, pour ainsi dire, à lédifice scripturaire du Palais de lOmbrière, La Boétie jouit de la plus haute estime en tant que poète accompli, orateur distingué et parlementaire éminent.

Décrits controversés, point de nouvelles.

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BIFURCATIONS

Récapitulons. Face à la défiguration subie par un manuscrit qui avait été la cause de sa rencontre avec La Boétie, Montaigne établit les principes dune reconnaissance, propre à rendre à La Boétie sa « face dhomme », en faisant de la lecture – en loccurrence celle du chapitre i, 28 – la scène dune anagnorisis, selon une corrélation dont Terence Cave le premier avait souligné la pertinence48. De façon indépendante mais convergente, le renom de La Boétie est perpétué dans les milieux parlementaires et poétiques (qui sont souvent les mêmes). Entre une famille qui nen est pas une et une familia qui labsorbe en ses rangs, lenjeu ne varie pas.

Et pourtant des éléments hétérogènes viennent brouiller ce tableau aux lignes si nettes. Il est temps dévaluer leur importance.

Revenons tout dabord à Jacques-Auguste de Thou. Curieusement, en même temps que le jugement négatif quil porte sur la Servitude volontaire, il lui consacre un hommage et une apologie. Dabord, le sommaire du livre v signale lexistence dun « [l]ibelle excellent, composé [] par Etienne de La Boetie Conseiller au Parlement de Bourdeaux, sous le titre du Contrun, ou de la Servitude volontaire49 ». Ensuite, racontant la révolte de la gabelle en 1548, à laquelle il rattache la rédaction du traité de La Boétie, De Thou émet le jugement suivant :

Mais ce Livre a été employé depuis à un usage & pris dans un sens bien different de celui de lAuteur, par des gens qui navoient en vue que danimer lesprit des Peuples, & qui le publierent dans cette intention après le Massacre de Paris, cest-à-dire vingt-quatre ans après quil fut composé, & par conséquent depuis la mort de La Boëtie50.

« Usage », « sens », « intention » : tout largument de Montaigne est là et De Thou sen fait lécho. Dune part, la Servitude volontaire est donc un pamphlet destiné à aigrir les esprits et à inciter à la rébellion, sinon à la sédition ; de lautre, cependant, sa visée a été volontairement déformée par lusage qui en a été fait, son sens méconnu et ses véritables 69intentions bafouées ; bref, il demeure un texte défiguré. De Thou ne réconcilie pas le va-et-vient entre ces contradictions et il nest pas seul.

Le chapitre sur La Boétie dans les Vies des poètes bordelais et périgourdins de Colletet offre un exemple plus développé de ces tendances contradictoires. Elles sont notamment évidentes lors de sa discussion de louvrage controversé :

Son excellent Discours de la servitude volontaire, ou le Contre un, qui fut un essay de sa premiere jeunesse, nayant pas atteint le dix huictiesme an de son aage lorsquil le composa, tesmoigne la passion quil avoit pour la liberté, et jusques à quel poinct il estoit naturellement ennemy de la tyrannie. Aussy, ce libre discours fut reçeu de la France avec un grand applaudissement, et imprimé à part en plusieurs lieux. On le peut voir encore tout entier dans le troisiesme volume des Mémoires de lestat de France soubs le roy Charles 9, et pour ce que ceste matiere est un peu trop chatouilleuse et conçeue avec un peu plus de liberté que la saison ne le pouvoit souffrir, Michel de Montagne, qui recueillit ses œuvres après sa mort, fut conseillé de supprimer ce libre discours51.

À la passion pour la liberté dont fait preuve lauteur correspond la liberté de lécrit, ce « libre discours » dont la notion méritera en elle-même une étude à part52. Toutefois, la description de la Servitude volontaire est plus que surprenante et tout sauf objectivement vraie : nous avons en réalité la preuve que si le traité avait été bien accueilli par des « gens dentendement » (I, 28, 184), il ne fut pas « receu de la France avec un grand applaudissement », les Memoires de lestat de France étant par ailleurs un recueil clandestin livré au bûcher bordelais en 157953. Le problème vient en partie de lamalgame dintertextes dont cet extrait est tissé : il rappelle Montaigne lui-même qui justifiait lomission du traité dans les opuscules de 1571/72 en prétextant quil était dune « façon trop delicate et mignarde pour [l] abandonner au grossier et pesant air dune si mal plaisante saison54 ». Mais, dans la suite de la phrase, Colletet y soude une réminiscence de Sainte-Marthe (« un peu 70plus de liberté… »), dans la traduction quil avait lui-même donnée de lextrait en question55. Le passage maladroit du discours libre applaudi de tous au discours trop libre supprimé par Montaigne est perceptible. Comme chez Jacques-Auguste de Thou, une tension est provoquée par deux réactions opposées que lexplication ou lapologie ne parviennent pas à gommer.

Le même phénomène peut se reproduire en séquence chronologique. Déjà, dans une note postérieure recollée à son journal sous lannée 1574, Pierre de lEstoile fait léloge de la Servitude volontaire paru dans les Memoires de lestat de France : « naiant esté imprimé, [il] y tient ung des premiers lieus pour estre bien faict56 ». Lidentité de lauteur restera cachée. En 1595, François Le Poulchre dresse la liste de « sept couples damis » de lAntiquité, à commencer par Hercule et Philoctète, auxquels il joint un couple contemporain : « Michel seigneur de Montagne sapparie en ses Essais, en amitié avecques ces anciens : avecques Estienne de la Boetie57 ». Vers la même époque, Philibert Mareschal distingue rigoureusement, à linstar de Du Verdier, les opuscules de 1571/72 davec le traité de la Servitude volontaire tout en leur attribuant cependant la paternité de La Boétie, à la suite de Montaigne58. Au milieu du xviie siècle, lHistoire de France de François de Mézeray affirmera :

Mais sils [les huguenots] ne faisoient pas la guerre avec les armes, ils les faisoient avec la plume, employant les Escrits & les Libelles comme des avant-coureurs de leurs desseins. Premierement, ils renouvellerent le Traité de la servitude volontaire [manchette : Anthenoticon], que la Boëtie Conseiller au Parlement de Bordeaux, jeune homme de grand cœur & de grand esprit, avoit fait du regne de Henry II, pour une autre occasion59.

Faisant étalage de ses connaissances des histoires de Thou et dAubigné (ce dernier est plagié dans cet extrait), Mézeray revient à limage dun La 71Boétie mis au service du conflit contrairement à ses intentions profondes. Quelque vingt ans après, Charles Sorel, discutant, comme LEstoile avant lui, des Memoires de lestat de France, précisera : « Il se trouve la des Pieces telles que le Traité de la Servitude volontaire ou du Contre-un qui est un Livre contre les Monarques attribué à Estienne de la Boëtie60 ». « Attribué à » : la perception quil sagit dun écrit anti-monarchiste fait hésiter Sorel, qui se réfugie dans la prudence quant à la paternité du traité.

Cinq illustrations dune même tendance : de la polémique à lamitié, de latmosphère antiquisante à lactualité politique, de lapologie à la réserve, les sources historiques révèlent que ce sont la disjonction et léclatement qui dominent le portrait de La Boétie.

AXIOLOGIES

Il serait tout de même erroné de conclure à une inadvertance ou, pire, à une incohérence du commentateur dans les témoignages évoqués. Les traits que nous venons de relever tiendraient plutôt à la nature dun texte, la Servitude volontaire, capable de nourrir des valeurs simultanées, voire contradictoires. Essayons de justifier cette hypothèse.

Dabord, des parallèles : Lucien et Julien lApostat. Si les réactions contrastées de la Renaissance devant lœuvre de Lucien ont suscité une abondante littérature critique, Julien, quoique moins familier au public, suit le même parcours. Alors que sa vie et ses actions ne cessent de susciter la condamnation, ses écrits sont en revanche applaudis depuis Érasme pour leurs qualités satiriques et éthiques61. Ces deux tendances sont irréconciliables et ne sont jamais formellement réconciliées à la Renaissance. Elles co-existent. Le texte de La Boétie ne serait pas dans ce cas une exception inédite, mais il se retrouverait tout de même en compagnie bien hétérodoxe…

72

Ensuite, une perspective critique. Dans Pré-histoires, Terence Cave identifie tout un corpus de composantes de ce quil dénomme un « texte troublé », « indice dune incertitude épistémologique, dune angoisse ontologique ou axiologique62 ». En particulier, lorsquil en vient à analyser dans l« Apologie de Raymond Sebond » la logique de lantipéristase, figure de lintensification dune qualité en réaction ou en résistance à son contraire, il met en évidence linversement axiologique que cette figure peut faire naître, mais en nous avertissant :

Lantipéristase [] nest pas un simple contraste, une coincidentia oppositorum, ou un paradoxe, mais un mouvement de transvaluation qui permet dentretenir successivement – sinon simultanément – deux attitudes, ou même plusieurs attitudes, radicalement différentes63.

Basculements, bifurcations, apologies, déploiement de deux séries de jugements qui sintensifient en sopposant : on entrevoit sous cet éclairage comment ces réactions de la part des premiers critiques de La Boétie témoignent non dun embrouillage, mais dun trouble devant une pensée aussi déconcertante que celle de la Servitude volontaire.

Enfin, on pourrait développer, par extension, en sinspirant de cette optique cavienne, la notion de texte troublant64, celui qui divise lopinion et fait scandale65. La Servitude volontaire est justement ce scandale, cette pierre dachoppement (grec : scandalon), qui fait obstacle à son intégration à la riche moisson dhommages que son auteur recueille. Négativement, ce traité peut faire figure de brebis galeuse, et soumise en tant que telle à toutes les exclusions, surtout que chaque rencontre, chaque nouvel usage peut altérer la représentation et linterprétation de ce texte et de son auteur et risque de subvertir les critères de la reconnaissance que Montaigne avait soigneusement mis en place. Mais positivement, il peut être lu comme le vecteur dune pensée qui nen reste pas moins audacieuse. Cest Colletet qui le signale en faisant de la Servitude volontaire un exemple illustre du libre discours, cest-à-dire quil réoriente la lecture 73de ce traité de façon à lui ouvrir une voie nouvelle dans sa diffusion et son interprétation futures. Insistons, avec Cave, sur le fait quil ne sagit pas là dune succession, allant du négatif au positif, mais dune simultanéité. La défiguration et la re-figuration seront effectivement lhistoire même de La Boétie à la première modernité, une oscillation entre deux pôles, le ressassement dune certaine idée de lhomme et de lami et la perpétuelle fuite en avant dun manuscrit qui mènera une vie de nomade, privée de paternité et souvent dintitulé ; manuscrit qui na pas de chez soi où être à soi et qui passe à côté des efforts pour monumentaliser son auteur dans les histoires littéraires, les elogia ou les productions parlementaires.

Lerrance au rendez-vous de la rencontre et de la reconnaissance : le destin de la Servitude volontaire.

John OBrien

Université de Durham

1 Pour cet événement, nous suivons Faits darmes de Geoffroy de Vivant, éd. Adolphe Magen, Agen, Michel et Médan, 1887, p. 10-12. Consulter aussi Jean-Joseph Escande, Histoire de Sarlat, Sarlat, Lafaysse, 1903, p. 145-146 et Anne-Marie Cocula, « Trois siècles de carnaval à Sarlat », Annales du Midi, t. 93, no 151, 1981, p. 5-16, ici p. 10-13.

2 J.-J. Escande, Histoire de Sarlat, op. cit., p. 145, indique « une troupe composée de quarante gentilshommes et dune vingtaine de soldats ».

3 Faits darmes, éd. citée, p. 12.

4 Ibid., p. 12-13. Une insertion portée en marge ajoute « intitulé » avant « La servitude volontaire ». Pour lidentification de ces personnages, voir Jean Tarde, Chroniques, annotées par le Vicomte Gaston de Gérard, introduction de Gabriel Tarde, Paris, H. Oudin et Alphonse Picard, 1887, p. 253-254, n. 2 et 3, et p. 254, n. 2. Tarde, pas plus quEscande ou Cocula, ne mentionne la Servitude volontaire.

5 Jacques-Auguste de Thou, Histoire universelle, La Haye, Henri Scheurleer, 1740, v : 1573-1580, p. 14 (livre lvii).

6 Ibid.v, p. 1. Pour la perception de la Servitude volontaire comme brûlot séditieux, voir John OBrien et Marc Schachter (dir.), Sedition. The Spread of Controversial Literature and Ideas in France and Scotland, c. 1550-1610, Turnhout, Brepols, 2021, p. 33, 142 ; Henri de Sponde, Annalium [] Cæs. Baronii continuatio, 3 t., Paris, Denys de La Noüe, 1641, iii, p. 562, sous lannée 1573 : « Intereáque seditiosissima scripta evulgârunt ad incendendos populorum adversus Regem animos : atque imprimis Anthenoticon Stephani Boëthij » (« Entretemps, ils [les huguenots] diffusèrent des écrits extrêmement séditieux pour enflammer lesprit du peuple contre le roi, et en premier lieu la Servitude volontaire dÉtienne de La Boétie »).

7 Les « Essais » de Michel de Montaigne, éd. Pierre Villey et V.-L. Saulnier, Paris, PUF, 1965. Ce sera notre édition de référence.

8 Pour lanonymat et la Servitude volontaire, voir John OBrien et Marc Schachter (dir.), La Première Circulation de la « Servitude volontaire » en France et au-delà, Paris, Champion, 2019, p. 98, 170, 184, 232, 277, 289-290.

9 On lira sur cet épisode les pages lumineuses dOlivier Guerrier, Rencontre et reconnaissance. Les « Essais » ou le jeu du hasard et de la vérité, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 71-75.

10 Voir par exemple J. OBrien, « Mais de quel roi parlez-vous, et de quel prince ? Sovereign Power, Freedom and La Boéties La Servitude volontaire in the 1580s », Modern Language Review, vol. 116, no 2, 2021, p. 245-263.

11 Estienne de La Boétie, De la servitude volontaire ou Contrun, éd. Malcolm Smith, avec des notes additionnelles de Michel Magnien, Genève, Droz, 2001, p. 70. Pour la notion de reconnaissance, le repère incontournable demeure létude de Terence Cave, Recognitions. A Study in Poetics, Oxford, Oxford University Press, 1988.

12 Neil Kenny, Born to Write : Literary Families and Social Hierarchy in Early Modern France, Oxford, Oxford University Press, 2020.

13 Antoine du Verdier, Bibliotheque, Lyon, Barthelemy Honorat, 1585, p. 278, 1197. Démarche semblable chez Jacopo Corbinelli : la Servitude volontaire évoquée sans nom dauteur (Première Circulation, op. cit., p. 181), alors que dans son édition de Dante il attribue à La Boétie quatre vers traduits dans les Regles de mariage de 1571 (De vulgari eloquentia, éd. et annotée par Corbinelli, Paris, Jean Corbon, 1577, iie partie, p. 30).

14 François Grudé de la Croix du Maine, Premier Volume de la Bibliotheque, Paris, Abel LAngelier, 1584, p. 76.

15 Ibid., p. 329.

16 Gabriel de Lurbe, De illustribus Aquitaniæ viris, Bordeaux, Simon Millanges, 1591, p. 115.

17 Horace, Odes, i, 4, v. 13-14.

18 J. Tarde, Chroniques, éd. citée, p. 240. Sur Tarde, consulter A. Dujarric-Descombres, « Recherches sur les historiens du Périgord au xviie siècle (suite) : Tarde », Bulletin de la société historique et archéologique du Périgord, t. 9, 1882, p. 371-412. Nous avons brièvement mentionné Tarde plus haut, n. 4.

19 Sur Sainte-Marthe et cet elogium, voir Warren Boutcher, The School of Montaigne in Early Modern Europe, 2 t., Oxford, Oxford University Press, 2017, ii, p. 36-41.

20 Scévole de Sainte-Marthe, Gallorum doctrina illustrium Elogia, Paris, Jacques Villerey, 1630, p. 40.

21 Guillaume Colletet, Éloges des hommes illustres, Paris, Antoine de Sommaville. Augustin Courbé et François Langlois, 1644, p. 148-149.

22 S. de Sainte-Marthe, Elogia, éd. citée, loc. cit.

23 G. Colletet, op. cit., éd. citée, p. 149-150.

24 Virgile, Énéide, v, 571-572 : « [equus] quem candida Dido/esse sui dederat monumentum et pignus amoris » ; cf. v. 538.

25 S. de Sainte-Marthe, Elogia, éd. citée, p. 41.

26 G. Colletet, op. cit., éd. citée, p. 152.

27 « Felices animæ » : Ovide, Fastes, i, 297, Virgile, Énéide, vi, 669 ; « amor perpetuus » : Catulle, poème 109, v. 1-2.

28 Michel de Montaigne, « Extraict dune lettre [sur] la maladie & mort de feu Monsieur de la Boetie », dans La Mesnagerie de Xenophon, Paris, Fédéric Morel, 1571, fo 125ro.

29 Pour Montaigne et Gournay comme exemple dune famille non-biologique, voir N. Kenny, Born to Write, op. cit., p. 137-138.

30 Voir La Première Circulation, op. cit., p. 231.

31 F. de La Croix du Maine, Bibliotheque, op. cit., p. 76.

32 Antoine Loisel, De lœil des rois et de la iustice, dans La Guyenne, Paris, Abel LAngelier, 1605, p. 44.

33 Voir Paul Bonnefon, Estienne de La Boétie, sa vie, ses ouvrages et ses relations avec Montaigne, Bordeaux, Chollet, 1888, p. 15-16 ; Anne-Marie Cocula, Étienne de La Boétie et le destin du « Discours de la servitude volontaire », Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 106.

34 Gabriel de Lurbe, Chronique bourdeloise, Bordeaux, Simon Millanges, 1594, fo 46ro.

35 G. de Lurbe, De illustribus, op. cit., p. 115.

36 Tertullien, De la couronne du soldat, trad. Florimond de Ræmond, Bordeaux, Simon Millanges, 1594, p. 4 ; F. de Ræmond, LAnti-Christ, Lyon, Jean Pillehotte, 1597, p. 269.

37 G. de Lurbe, De illustribus, op. cit., p. 115.

38 J.-A. de Thou, Histoire universelle, éd. citée, : 1543-1551, p. 458 (livre v).

39 Pierre de Brach, « Hymne de Bourdeaux », dans Poemes, Bordeaux, Simon Millanges, 1576, fo 83vo.

40 Cf. J. OBrien, « Un poème latin de La Boétie et ses variantes : lépitaphe sur la mort du marquis de Beaupréau », RHR, no 92, 2021, p. 29-47, surtout les p. 35, 41.

41 Voir Michel Magnien, « De lhyperbole à lellipse : Montaigne face aux sonnets de La Boétie », Montaigne Studies, t. ii, 1990, p. 7-25, et « Le Centre indécis du livre i : réflexions sur la “place” de La Boétie au sein des Essais » dans Roger Bruno-Vasselin (dir.), Montaigne et lintelligence du monde moderne, Paris, PUF, 2010, p, 115-133 ; Philippe Desan, « La Place de La Boétie dans les Essais ou lespace problématique du chapitre 29 » dans Montaigne dans tous ses états, Fasano, Schena, 2001, p. 37-68 ; J. Balsamo, « Montaigne, Cyprien de Poyferré et les sonnets de La Boétie », dans Marcel Tetel (dir.), Étienne de La Boétie. Sage révolutionnaire et poète périgourdin, Paris, Champion, 2004, p. 363-384.

42 Voir O. Guerrier, « En mille contraires visages : les présences lyriques de La Boétie », Montaigne Studies, t. xi, 1999, p. 155-168 ; Michèle Clément, « La Boétie poète-traducteur dans le Discours de la servitude volontaire », dans Romain Menini (dir.), Traductions de La Boétie, Paris, Classiques Garnier, « Cahiers La Boétie, no 7 », à paraître.

43 De la servitude volontaire, éd. citée, p. 64 ; J. Balsamo, « La Servitude volontaire : une défense et illustration de la langue française », « Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire », Fabula/Colloques, 2015.

44 Pour Marcis, voir Paul Courteault, « Poésies latines de Maurice de Marcis, avocat au parlement de Bordeaux », Bulletin de la Société des bibliophiles de Guyenne, 1959, p. 1-14. Pour Despois, voir Reinhold Dezeimeris, Poésies françaises, latines et grecques de Martin Despois, « Publications de la Société des bibliophiles de Guyenne », t. 2, Bordeaux, Gounouilhou, 1876, p. 107-110 ; P. Bonnefon, Montaigne et ses amis, 2 t., Paris, Armand Colin, 1989, i, p. 166-167 ; Nerina Clerici Balmas, « Le Souvenir dÉtienne de La Boétie chez quelques écrivains de son époque », dans Étienne de La Boétie, op. cit., p. 387, 395.

45 F. de Ræmond, op. cit. loc. cit., supra, n. 36.

46 G. Colletet, Vies des poètes agenais (Antoine de La Pujade – Guillaume du Sable), éd. Philippe Tamizey de Larroque, Agen, Prosper Noubel, 1868, p. 15. Ces vers sont également cités par J. Balsamo dans La Première Circulation, op. cit., p. 231, n. 1.

47 Pour cette idée, voir J. OBrien, « Le Récit familial », dans « La familia de Montaigne », Montaigne Studies, t. xiii, 2001, p. 7-12.

48 T. Cave, Recognitions, op. cit., p. 260, 262, 496.

49 J.-A. de Thou, Histoire universelle, éd. citée, : 1543-1551, p. 406 (livre v).

50 Ibid., p. 458-459 ; W. Boutcher, op. cit., ii, p. 48-49.

51 G. Colletet, Vies des poètes bordelais et périgourdins, éd. P. Tamizey de Larroque, Genève, Slatkine Reprints, 1969, p. 56.

52 Voir notre article à paraître, « Doctes et libres discours. De la république des juristes à celle des lettres ».

53 Voir la mise au point dAlain Legros, « La Boétie, De la servitude volontaire » sur le site MONLOE : MONtaigne à LŒuvre (Université de Tours).

54 Michel de Montaigne, « Advertissement au lecteur » dans La Mesnagerie de Xenophon, op. cit., fo 3vo.

55 Voir plus haut, p. 62.

56 J. OBrien et M. Schachter (dir.), La Première Circulation, op. cit., p. 197, n. 32.

57 François Le Poulchre de La Motte-Messemé, Le Passe-Temps, Paris, Jean Le Blanc, 1595, fo 39ro-vo ; éd. Brigitte Lourde, Paris, Champion, 2008, p. 113.

58 [Philibert Mareschal, sieur de la Roche,] La Guide des Arts et Sciences, et Promptuaire de tous Liures, Paris, François Jaquin, 1598, p. 169 (La Mesnagerie) ; 398 pour lentrée : « Estienne de la Boëtie, Discours de la servitude volontaire inseré au 28. ch. du i. livre des Essaiz de Montagne ».

59 François de Mézeray, Histoire de France, 3 t., Paris, Mathieu et Pierre Guillemot, 1643-1651, ii : 1646, p. 1151.

60 Charles Sorel, La Bibliotheque françoise, seconde édition, Paris, La Compagnie des Librairies du Palais, 1667, p. 336.

61 Voir par exemple Stefan Rebenich, « Julians Afterlife. The Reception of the Roman Emperor » dans Stefan Rebenich et Hans-Ulrich Wiemer (dir.), A Companion to Julian the Apostate, Leyde et Boston, Brill, 2020, p. 398-420, ici p. 402-407.

62 Terence Cave, Pré-histoires. Textes troublés au seuil de la modernité, Genève, Droz, 1999, p. 15. Je remercie Laurent Gerbier de mavoir posé la question du rapport entre cette notion et la Servitude volontaire.

63 Ibid., p. 49.

64 T. Cave, Pré-histoires, op. cit., p. 15, qualifie au passage les objets littéraires de « troublés ou troublants » (nous soulignons).

65 Pour le rapport entre reconnaissance et scandale, voir T. Cave, Recognitions, op. cit., p. 1-2.