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Classiques Garnier

L’influence des traditions de consolation avant et dans le premier livre des Essais La phrase, le chapitre, le livre

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
    2021, n° 73
    . varia
  • Auteur : Ordynski (Rémi)
  • Résumé : Montaigne est, comme son temps, imprégné des traditions de consolation, entendues comme pratiques sociales, philosophiques et rhétoriques. Déjà ambivalente dans les éditions des œuvres de La Boétie de 1571, cette influence l'est encore davantage dans le premier livre des Essais, et de manière spécifique. Le discours consolatoire ainsi que différentes postures et procédures traditionnelles y sont mis à l'épreuve, ce qui se manifeste à plusieurs échelles, de la phrase au livre.
  • Pages : 129 à 150
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406126072
  • ISBN : 978-2-406-12607-2
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12607-2.p.0129
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/11/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Consolation, premier livre, rhétorique, La Boétie, Ambroise
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L influence des traditions
de consolation avant et dans
le premier livre des
Essais

La phrase, le chapitre, le livre 1

Les éditions par Montaigne des œuvres de La Boétie2 instituent ce premier comme héritier des traditions de consolation. Trois gestes lattestent : lédition de la traduction de lun des textes les plus emblématiques, la Lettre de consolation de Plutarque à sa femme ; lactualisation de ce texte au vécu empirique de Montaigne, à travers lépître dédicatoire à sa propre épouse ; enfin, dans le récit sur la mort de La Boétie, les comportements comme la manière de conduire le récit sont dans une large mesure déterminés par les codes consolatoires3. Le recueil offre ainsi un précieux témoignage des manifestations de ces traditions au xvie siècle. Issues de lAntiquité, plusieurs fois réinventées dans une perspective chrétienne, ces pratiques reposent sur lusage normé aux plans rhétorique et social dun discours dinspiration philosophique 130caractéristique, dont la ritualité se traduit par la récurrence de raisons et dexemples topiques. Ancré dans des circonstances marquées par une affliction qui le fonde et contre laquelle il sélève, il peut être adressé « ad præsentem » ou « ad absentem4 ». Les travaux dA. Tarrête5, de J. Lecointe6 et ceux dirigés par C. Martin-Ulrich7, notamment, permettent de mieux comprendre plusieurs aspects de ces traditions qui parcourent tout le xvie siècle, avec deux moments importants, lévangélisme et le néostoïcisme. Elles sont marquées par une grande hétérogénéité, qui affecte le fond et la forme. Offrant à peu près toutes les combinaisons possibles du vers et de la prose8, elles se caractérisent par une pensée généralement syncrétique. Les auteurs cherchent à combiner largumentaire chrétien et lhéritage païen auquel ils ne renoncent jamais totalement, et, malgré une prédilection plus ou moins marquée pour le stoïcisme, mettent en concurrence plusieurs écoles philosophiques pour parvenir à leurs fins, à savoir lallègement de la douleur par la réfutation des opinions qui lui sont attachées. Les récentes éditions numériques par C. Noille de certains des principaux textes théoriques mettent au jour les points de continuité de ce discours qui peut sépanouir dans des genres très différents. Dans la première moitié du siècle, Érasme dans De conscribendis epistolis9 ou Pierre Fabri dans Le grand et vray art 131de pleine rhetorique []10 lappliquent à la relation épistolaire, Scaliger à la poésie dans ses Poetices libri septem11de 1561. Quant à Vossius, bien après Montaigne, en 1621, il reprendra les mêmes questions rhétoriques en les destinant à une forme se rapprochant du discours public dans ses Rhetorices contractae12. Ces textes fondent la pratique consolatoire sur la recherche de laptum : il sagit de régler le discours en fonction de plusieurs paramètres, le type daffliction, le ou la destinataire (son âge, son rang, son sexe, son type dâme), ainsi que le lien qui lunit avec celui, ou plus rarement celle13, qui prodigue la consolation.

Montaigne, dès 1571, se situe dans lécart par rapport à ces traditions. La traduction de la consolation de Plutarque est associée, dans le même recueil, à des textes de nature très différente, qui en relativisent limportance. Lépître de Montaigne à sa femme propose une délégation de la parole14 dont la portée a été diversement comprise15, notamment parce quelle est proférée dans un registre qui ne relève pas toujours de la solennité propre au discours consolatoire16. Dans le récit de la mort de La Boétie, la volonté du personnage de Montaigne de consoler son ami, comme lexige le rite social, se heurte à la posture de lagonisant qui semploie à camper le rôle, écrit par les traditions, du sage qui parvient à inverser la relation consolatoire et à fournir à ses proches une 132consolation dont il na lui-même nul besoin17. Le premier livre des Essais18 se raccorde au recueil de 1571 de plusieurs façons19 : une phrase suffit à ancrer lécriture dans un temps inauguré par la mort de La Boétie20. Un chapitre entier est consacré à lexploration du lien qui les unit. Le livre même semble dabord obéir à un principe de composition établissant les œuvres de La Boétie comme un élément central. Linscription conjecturale analysée par Alain Legros21 irait également dans le sens dun récit consolatoire commencé en 1571. Toutefois, le premier livre des Essais ne se donne pas à lire, loin sen faut, comme une autre Consolatio ad se, modèle presque entièrement perdu qui a pourtant marqué les traditions consolatoires, et qui exerce au temps de Montaigne une réelle fascination, comme lillustre laffaire Sigonius autour de la fausse redécouverte du texte cicéronien22. La rhétorique consolatoire est largement mobilisée dans le premier livre, mais elle se déploie de manière déconnectée du récit que la mort de La Boétie semblait esquisser23. Loin de sen tenir à cette source daffliction, Montaigne les multiplie dans le premier livre : à la mort de lautre sajoutent la sienne propre, la douleur, la maladie, la 133pauvreté, la défaillance de la mémoire, les calamités publiques, voire le dégoût des affaires, afflictions, traditionnelles pour la plupart, traitées de façon plus ou moins suivie, réelles ou hypothétiques, vécues au moment de lécriture ou révolues.

La notion de tradition transparaît donc dans litération à travers le temps de discours, de postures et de procédures spécifiques. Cest sous cet éclairage que nous souhaitons étudier ici le premier livre des Essais. Lhéritage consolatoire y est mis à mal par Montaigne, de plusieurs manières. Comme la remarqué Alexandre Tarrête, la consolation apparaît à lauteur des Essais comme un « exercice [] trop cérémoniel et rhétorique à son goût24 ». Il la soumet à un examen critique qui apparaît dès la première édition, ce qui ne lempêche pas dy revenir régulièrement, au point de faire de ce dialogue avec elle la matière presque exclusive de deux chapitres25. Largumentaire consolatoire est majoritairement déconnecté du grand récit quaurait pu constituer la mort de La Boétie, et délié en raison dune multiplication des peines, ce qui rend impossible tout ancrage unifiant. Si la parole consolatoire peut traditionnellement sadapter à différents genres et différentes visées (raconter, louer, exhorter, justifier, excuser…), elle est ici associée à des matériaux étrangers, ce qui conduit à sinterroger sur son mode dinsertion dans un projet qui est tout autre que consolatoire. Le traitement de cette matière par Montaigne est sujet à de nombreuses tensions, si bien que lon peut se demander ce quil reste des traditions de consolation dans le premier livre : leur mise à lépreuve aboutit-elle à une déconstruction totale ? Assiste-t-on à un rejet sans appel ou à une réinvention des traditions de consolation ? Que Montaigne essaie le discours consolatoire, il est aisé de sen convaincre, à léchelle de la phrase, dans plusieurs chapitres où abondent les raisons, les exemples topiques, les emprunts et références aux grandes œuvres traditionnelles. Nous nous intéresserons donc ici au degré de rayonnement de ces phrases et de ces segments, pour montrer que, par-delà latomisation de cette matière, certaines orientations liées à la composition, spécifiques au premier livre, peuvent être dégagées.

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Le premier livre :
lieu dexploration du discours consolatoire

Contrairement au recueil évoqué de 1571, où Montaigne se révélait empêché dans son effort consolatoire (par lui-même dans la lettre à sa femme et par le personnage de La Boétie dans le récit adressé à son père), il sadonne dans le premier livre des Essais à une exploration assidue, étendue dans le temps, du discours qui relève de ces traditions. En traitant de la mort, de la douleur ou de la maladie, il active un horizon dattente dans lesprit de ses contemporains qui lisent, disent ou écrivent des consolations. Dès les premiers chapitres, Montaigne joue avec cette attente, en thématisant dans le titre une passion (« De la tristesse », dont il s« exempt[e]26 » dès la première phrase, mais qui nest pas sans rappeler le Περὶπένθους de Crantor, parfois considéré comme le premier texte consolatoire, et que Cicéron traduit par « DeLuctu27 ») ou une valeur cardinale, traitée de manière expéditive et distante (« De la Constance »), chapitres finalement déceptifs au regard des traditions de consolation.

Pour évaluer le degré dimprégnation dun chapitre, à partir de la phrase, une étude des traditions de consolation, de lAntiquité jusquau xvie siècle, permet de dégager plusieurs critères. Comme elles sont marquées par la ritualité, elles utilisent certains signes de reconnaissance qui doivent être lisibles dès le titre. Elles se consacrent à une passion, déclenchée par une source daffliction explicite ; elles formulent lintention dadoucir, voire de supprimer cette passion, par les deux moyens identifiés par Cicéron dans les Tusculanes28 et attestés dans tous les traités ultérieurs : le déploiement des raisons et des exemples. Enfin, les traditions ont élaboré 135divers marqueurs, qui correspondent à des techniques argumentatives (les renversements logiques de type « mors vita, vita mors », le jeu sur les différentes échelles) ou à des traits formels (un certain usage de la citation, de la prosopopée29, par exemple). Parole adressée, que le destinataire soit nommé ou pas, elle présente des marques dinterpellation proches du discours parénétique30. Enfin, plus lancrage dans un temps de crise est fort, plus on sapproche du cœur de la consolation. Commençons, à titre dexemples, par deux chapitres qui traitent occasionnellement de ces traditions. Dans « Des Menteurs », Montaigne développe au fil des éditions en la parodiant lune des stratégies consolatoires les plus caractéristiques, qui consiste à envisager les bienfaits dune calamité, en loccurrence la mauvaise mémoire. Ce qui nétait quun exorde enfle au fil des éditions : dans les éditions avant 1588, lauteur se borne à constater, non sans ironie, que cette défaillance le rend exceptionnel. À partir de lédition de 1588, il commence une phrase, qui inaugure un exercice se prolongeant jusque sur lExemplaire de Bordeaux : « Ie me console aucunement31 ». Plusieurs propositions vont progressivement être rattachées à cet énoncé recteur, qui formulent chacune un avantage, plus ou moins sérieux, de cette tare supposée32. Ici, le matériau consolatoire traité tardivement et de manière ludique est expansé sans que le reste du chapitre en soit affecté ; linfluence disparaît dès que la question principale annoncée en titre survient. Autre exemple dinfluence secondaire, dans « Du pedantisme », la consolation est abordée brièvement, en tant que tradition scolaire, mais reçoit une violente charge, rangée du côté du savoir et non pas de la sagesse, de la faiblesse et non pas de la force, contrairement aux valeurs quelle promeut33.

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Certes, ni le premier livre, ni aucun des chapitres qui le composent, ne se donnent à lire comme une consolation au sens strict, un texte ancré dans une situation daffliction qui détermine lintégralité du discours. Toutefois, deux chapitres sen approchent (I, XIV/XL et I, XIX/XX), à tel point que nous proposons de les lire comme des chapitres « consolatoires », cest-à-dire affiliés aux traditions de consolation34. Évoquant les déclamations35 dans leur conception initiale, ils se prêtent à une saisie consolatoire, de manière oblique. Leur titre reprend une idée qui est au cœur de largumentaire traditionnel et signale un dialogue avec les Tusculanes36, œuvre centrale dans notre perspective. Montaigne y met à lépreuve la parole consolatoire, par lexamen darguments et dexemples communément utilisés pour soulager des grands maux de lexistence, la mort, la douleur, la pauvreté, quil emprunte aux œuvres qui ressortissent à ces traditions. Certains éléments sont présentés comme propices à lallègement de la douleur ou de la crainte ; dautres, sont rejetés, comme une partie de largumentaire stoïcien sur la douleur, ainsi que la prouvé B. Perona37. En ce qui concerne les sources, A. Tarrête 137remarque à propos du troisième livre que Montaigne « délaisse un peu les consolations proprement dites, peut-être à cause de leur construction rhétorique trop visible », et quil préfère emprunter aux autres œuvres des auteurs de consolations38. La matière des deux chapitres en question, il la puise principalement dans les Tusculanes, dans le De natura rerum39, deux œuvres que Sabine Luciani a récemment relues à la lumière de ces traditions, prouvant quelles correspondent toutes deux à ce que David Scourfield appelle des « méta-consolations40 ». Les éléments traditionnels proviennent également des lettres de Sénèque, mais aussi de certains de ses traités, en incluant les consolations. Prenons lexemple de la prosopopée de la nature qua précisément analysée B. Perona, qui montre notamment que Montaigne sy livre à un étoffement de la prosopopée lucrécienne41. Le même procédé de la prosopopée de la nature se trouve également à la fin de la Consolation à Marcia, où la voix du consolateur se combine et se confond avec celle de la nature pour adopter un point de vue surplombant sur lexistence, en lenvisageant à léchelle du cosmos42.

Les deux chapitres consolatoires des Essais témoignent en particulier dun vif intérêt pour la formulation des raisons topiques. Par la citation, 138Montaigne sapproprie les pouvoirs dune parole qui le fascine avant tout dun point de vue esthétique, comme le prouvent ses notes de lecture sur Lucrèce dans les marges du livre III en question43. Il en explore le pouvoir pragmatique et esthétique en mettant en concurrence les raisons topiques et leur formulation en langue vernaculaire :

Davantage cela nous doit consoler, que naturellement, si la douleur est violente, elle est courte : si elle est longue, elle est legere : si gravis, breuis : si longus, leuis. Tu ne la sentiras guere long temps, si tu la sens trop : elle mettra fin à soy, ou à toy : lun et lautre revient à un. Si tu ne la portes, elle temportera []44.

La séquence est déjà redondante dans lédition de 1580, ce qui traduit une recherche de la formule la plus expressive de largument attribué à Épicure. Sur lExemplaire de Bordeaux, lapparition de la citation qui avait sans doute donné naissance à ce segment, puisquelle napporte aucune idée nouvelle, se justifie par la perfection rythmique et sonore de lhypozeuxe cicéronien45. Montaigne continue son effort de traduction : la dernière formulation, qui se veut plus synthétique grâce aux dérivés, apparaît également sur EB, ce qui invalide lhypothèse de lexercice de style dun écrivain en formation. Quant aux exemples, si importants dans les consolations, une notation faite sur le ton de la confidence sinscrit pourtant dans une réflexion au cœur des traditions : « Mais venons aux exemples, qui sont proprement du gibier des gens foibles de reins, comme moy []46 », écrit-il à propos des opinions qui provoquent la douleur. On retrouve lopposition « âmes fortes / âmes faibles » qui sous-tend les préconisations dÉrasme, de Scaliger et de Vossius ; la destination des exemples aux âmes faibles, dans un débat qui parcourt les traditions, donne raison à Sénèque47, contre 139Scaliger48. Montaigne oscille entre lessai de largumentaire traditionnel et la recherche dune parole consolatoire plus personnelle. En labsence de destinataire explicite, il fait un usage de la parole qui nest pas unifié par la recherche de laptum. Sadressant tantôt à lui-même, tantôt à un fictus interlocutor caractéristique, confondant parfois les deux, il établit un ethos dont la plasticité est de plus en plus grande, de la parole du sage au ton plaisant, ouvert au prosaïsme, à lironie et au sourire49, quÉrasme déconseille, sauf si elle sapparente à une « consolation amicale » (« tam amice consolari ») dans le De Conscribendis epistolis50. Un constat simpose avec une évidence grandissante au fil des éditions : plus Montaigne revient à ces chapitres consolatoires, plus il séloigne dune consolation en bonne et due forme. Le présent se démultiplie, ce qui oblige à renoncer à un ancrage dans une énonciation et dans une affliction déterminées. Les passions, au lieu dêtre affaiblies, domptées par la raison, semblent attisées par limpression provoquée par les formules et les exemples convoqués. Montaigne exacerbe jusquà les dévoyer certains principes propres au discours consolatoire. La combinaison de différentes écoles philosophiques nassure pas le retour à lordre auquel tend la consolatio rationis. Les différents jeux déchelle, temporelle et spatiale, les renversements logiques, destinés à déraciner les opinions douloureuses, entraînent une incertitude généralisée51. Au lieu du triomphe de la sagesse et de la raison, nous assistons plutôt à celui de la sensibilité, jointe à limagination. Le travail de sape seffectue alors de lintérieur, dans lessai réitéré du discours consolatoire, pour ainsi dire poussé dans ses retranchements. Ce qui, à léchelle de la phrase, pourrait 140entrer en conformité avec la parole consolatoire, sestompe voire sannule quand on linscrit dans le chapitre.

Du De excessu fratris dAmbroise à « De lamitié » :
donner forme à linconsolable

Alors quil déploie largumentaire consolatoire dans plusieurs chapitres proches, Montaigne semble lexclure de celui quil écrit sur lami perdu. Il prend même le contrepied des traditions quand il se présente comme inconsolable à la fin du chapitre « De lamitié » :

Depuis le jour que je le perdy,

quem super acerbum,

Semper honoratum (sic Dii uoluistis) habebo,

je ne fay que trainer languissant : et les plaisirs mesmes qui soffrent à moy, au lieu de me consoler, me redoublent le regret de sa perte52.

Au moment de se déclarer inconsolable, Montaigne feint doublier jusquà lexistence des traditions de consolation, puisquil nenvisage comme expédient, pour en nier lefficacité, que les plaisirs, au lieu de penser aux méthodes généralement plus austères de la consolatio rationis. La polyphonie dans la phrase nintroduit aucune possibilité de récupération du pathos par le logos, mais vient au contraire grever ce premier53. Dans le chapitre, le rapport avec ces traditions est toutefois plus complexe quun simple rejet. En réalité, linvocation de lami et la conception du lien qui les unit en sont imprégnées. Pour montrer comment fonctionne cette influence dans le chapitre, un rapprochement peut être établi avec un texte ancien54, identifié par Charles Favez comme appartenant aux premières consolations chrétiennes55, le De excessu fratris141(Satyri) de saint Ambroise56. Ce discours consécutif à la mort de son frère est composé de deux livres, qui correspondent à deux moments, à deux lieux et à deux étapes de la consolation. Dans le premier, prononcé le jour des funérailles en la cathédrale de Milan, la lamentation domine ; les lumières de la consolation, païenne mais surtout divine, commencent à peine à percer, elles napparaîtront vraiment quau deuxième discours, prononcé une semaine plus tard, devant le tombeau. Du frère biologique au frère de cœur57, la distance qui sépare les deux textes mérite dêtre franchie58 : lexpression dun lien exceptionnel, qui survient moins « [d] une fois en trois siecles59 », et des conséquences de la mort sur celui-ci, présente en effet plusieurs points de convergence. Commençons par le traitement des points les plus topiques. La lamentation conduit à confesser, comme dans lextrait cité de Montaigne, que, depuis la mort, les plaisirs sont inopérants60. Léloge du disparu aboutit 142dans les deux cas à une comparaison qui se fait au détriment de soi61. Cest au moment de définir la relation qui unissait les deux êtres que la ressemblance se fait plus troublante :

Nam cum omnia nobis essent nostra communia, individuus spiritus, individuus affectus []62.

Montaigne emploie quasiment la même formule, mais il en explicite la source :

Tout estant par effect commun entre eux, volontez, pensemens, jugemens, biens, femmes, enfans, honneur et vie : et leur convenance nestant quune ame en deux corps, selon la tres-propre definition dAristote, ils ne se peuvent ny prester ny donner rien63.

Ladjectif « individuus » ne peut manquer de rappeler la nature du lien que cherche à identifier Montaigne : « Car cette parfaicte amitié, dequoy je parle, est indivisible64 ». On peut bien sûr trouver lexpression dune idée proche chez dautres auteurs : Aristote signale déjà quelle na rien de rare65. Par exemple, Augustin sen rapproche dans les Confessions quand il évoque la mort de son ami, mais dans une perspective si différente que cela renforce paradoxalement la proximité entre Ambroise et Montaigne66. Chez ces derniers, le principe dune « âme en deux 143corps » est compris de façon presque littérale. Puisque tout est commun entre ceux que la mort a séparés, que faire, matériellement, de la part de lautre en soi, dès lors quil nest plus ?

Numquam enim totus in me fui, sed in altero nostri pars major amborum  [ ]  ; in isto enim corpore, quod nunc exanimum jacet, praestantior vitae meae functio ; quia in hoc quoque quod gero corpore, uberior tui portio 67 .

Nous estions à moitié de tout ; il me semble que je luy desrobe sa part []68.

La mort est incompréhensible parce quelle sépare ce qui est indivisible. Partant, lune des solutions pour les survivants serait de mourir à leur tour, ce quils formulent à la fois comme un désir et comme un phénomène en cours daccomplissement, conséquence de la séparation. Montaigne lexprime par le truchement dHorace69 et de Catulle70. Ambroise lénonce sans détour, évoquant le lieu où se trouve à présent son frère, qui a fait davantage que lui ouvrir le chemin : « [] coepi enim jam hic non esse peregrinus, ubi melior mei portio est71 ». Cette étude comparée, dont nous livrons ici une version abrégée72, met en lumière plusieurs éléments. Malgré les différences évidentes entre les deux textes73, tout se passe comme si la raison, impuissante à dépasser la douleur, finissait par lalimenter, en cherchant à définir le lien qui les unissait. Cela correspond à la phase qui inaugure le discours consolatoire daprès les traités, à savoir celle de la lamentation : il faut exposer les raisons de la douleur avant de procéder à leur confutatio, laquelle naura jamais lieu dans le chapitre « De lamitié ». Il nous 144semble tout à fait significatif que les éléments cités se trouvent tous dans le premier livre dAmbroise et majoritairement vers la fin du chapitre « De lamitié ». Montaigne suspend sa parole au moment où la consolation doit amorcer une conversion qui consacre le triomphe du logos ; terminant par ce qui ouvre la consolation dAmbroise, il donne forme à ce quil énonce dans les mêmes lignes, à savoir le fait quil ne peut, ou ne veut, se consoler. Linconsolable, chez Montaigne, nest pas simplement une formule ou une figure, cela tend à devenir un principe de composition, par le renversement de la structure rhétorique habituelle dune consolation.

Le passage que nous venons de proposer dune phrase au chapitre, il convient à présent de leffectuer du chapitre au livre. Dans les premières éditions, la fin du chapitre « De lamitié » est censée fonctionner comme une rampe de lancement pour la lecture de lœuvre de La Boétie que le livre est censé renfermer à une place centrale. Les projets dinsertion de la Servitude volontaire et des vingt-neuf sonnets révèlent dabord la profonde continuité entre le premier livre et le recueil de 1571, puisque Montaigne continue son œuvre de diffusion des textes que son ami lui a confiés en mourant. Dans la fin du chapitre « De lamitié », juste après la lamentation polyphonique, le surgissement de la voix du disparu est chargé dopérer un basculement dans le discours, ce que suggère ladversatif « mais74 ». Le procédé rappelle un certain usage consolatoire de la prosopopée, qui consiste à travestir la voix du consolateur pour faire résonner une dernière fois celle du défunt, technique quutilisent, pour prendre deux exemples très différents, saint Jérôme pour consoler Paule de la mort de sa fille Blésilla ou Antoine Héroët dans l« Epitaphe de Louise de Savoie ». Dans les consolations, le procédé vise à renforcer la persuasion, le consolateur cherchant à rendre convenable le discours du défunt, qui semble relayer le sien propre. Ici, laptum est impossible à régler car Montaigne comprend le procédé à la lettre : il sagit vraiment de la voix de La Boétie, ce que suggère linjonction « oyons », mais dune voix qui ne peut sarticuler avec le texte qui lenvironne, en particulier avec la lamentation qui précède et, surtout, qui ne correspond pas à lêtre dont on déplore la perte : un « garçon », de dix-huit (édition de 1580), puis seize ans (Exemplaire de Bordeaux), un amant, dont 145la parole « gaillard[e] », « enjoué[e] », « vi[ve] », voire « bouillant[e]75 » ne peut convenir à lévocation dont il vient de faire lobjet, ni même à lêtre que connut Montaigne76. Cette mise en scène textuelle est dautant plus probante si lon suit lhypothèse de M. Magnien, selon lequel Montaigne naurait peut-être jamais réellement pensé à intégrer la Servitude Volontaire au premier livre77. En conservant les références au Contre Un qui ouvrent et clôturent le chapitre, en le remplaçant par un autre texte, avant dy renoncer, Montaigne désigne certes une place vide, mais également les vains efforts pour la combler : lami ne peut être entendu, dautant plus que ses « vers se voient ailleurs », le changement sensoriel étant significatif. Les traces exhibées de cette impossible prosopopée donnent une forme au caractère inconsolable de Montaigne. Lenjeu nest pas seulement psychologique ou esthétique : à laffliction personnelle viennent sajouter les calamités publiques, qui sont, nous dit lauteur, la véritable cause de labsence du Contre Un. Cette séquence aurait également une fonction de diversion : le montage dramatique qui fait se superposer lhistoire accidentée du livre, celle du deuil et celle des conflits religieux et politiques produit une complexification du simple récit consolatoire qui aurait pour effet destomper le malaise de Montaigne à légard de ce texte si dangereux.

De la phrase au livre : le rayonnement de la parole consolatoire en question

Puisque les matériaux relevant des traditions sont disposés de façon préférentielle dans les deux chapitres consolatoires, et à une place bien précise dans le chapitre « De lamitié », il apparaît que leur disposition nest pas aléatoire. Il y a bien un lien entre le surgissement de la parole consolatoire et certains éléments de composition. Létude de la ventilation, 146dans les cinquante-sept chapitres, des différents critères que nous avons dégagés renforce cette hypothèse spécifique au premier livre, les deux suivants obstruant de plus en plus la saisie consolatoire dun extrait, à cause de la longueur des chapitres et de titres qui ignorent à peu près totalement les traditions de consolation. Jusque dans lExemplaire de Bordeaux, une grande proximité apparaît entre les deux chapitres consolatoires, les seuls qui présentent lintégralité des neuf critères78, proximité accentuée par la brièveté des chapitres qui les séparent. Lun (I, XIV) est plutôt isolé, alors que lautre (I, XX) appartient déjà à une séquence formée par les chapitres « De la peur », « Quil ne faut juger de nostre heur, quaprès la mort » et, après lui, « De la force de limagination ». Dans cette première configuration, la majeure partie du discours consolatoire précède ainsi le chapitre « De lamitié », comme pour court-circuiter par avance son déploiement à propos du deuil de La Boétie et souligner le fait que les remèdes adressés aux autres ne valent pas pour soi, du moins en lespèce. Une telle approche permet dapporter un éclairage nouveau sur la question du déplacement du chapitre xiv devenu xl dans lédition de 1595. O. Chouchena a récemment récapitulé les différentes hypothèses qui ont été émises pour lexpliquer79. Notre contribution se situe ici dans la lignée de lanalyse de G. Defaux qui constatait déjà la création dune nouvelle séquence composée des anciens chapitres I, 39 et 40 lesquels, en plus dêtre « très personnels », ressemblent de très près au chapitre mobile « par son esprit et par les thèmes quil traite80 ». La présence des traditions de consolation dans ces chapitres prouve cette parenté. Toutefois, là où G. Defaux concluait, à la lumière de lavant-propos du sixième livre de LInstitution oratoire, à la présence diffuse et implicite de La Boétie dans le chapitre en question, il nous semble important que lami ny soit pas mentionné explicitement. Par ce déplacement, Montaigne ne 147renonce pas totalement à « un dispositif essentiellement architectural, monumental et symbolique81 », mais il opte pour un autre ordonnancement, où le chapitre évidé perd son statut central, mais conserve son rôle de repère : de part et dautre de celui-ci, à sept chapitres de distance précisément, se situent à partir de 1595 deux pôles consolatoires dune dimension à peu près équivalente, ayant chacun à sa tête, lun des deux chapitres consolatoires82. Le nouveau chapitre I, XL étant éloigné de son pendant, leffet de redondance, concernant notamment le discours consolatoire sur la mort, est estompé. Un nouvel équilibre est restauré, qui ne réside pas dans le foyer de tensions situé vers le centre du livre, mais sorganise à partir de lui.

Le rayonnement de la parole consolatoire est parfois minimal quand, cantonné au niveau de la phrase, le segment en question est associé à des matériaux autres, mais il peut également opérer à léchelle du chapitre, voire du livre. Si lon sintéresse aux phrases qui, quel que soit langle abordé, jouissent du rayonnement maximal sur lensemble des trois livres, celles qui composent lavis « Au lecteur », on observe là aussi une référence consolatoire particulièrement complexe :

Je lay voué à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que mayans perdu (ce quils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance quils ont eu de moy83.

Par ces mots, ainsi que la montré Jean Starobinski84, lensemble des Essais est placé dans limminence de la mort. La « vo[cation] » de lœuvre, nous dit Montaigne, réside dans la « considération de la per[te] », à la fois entendue comme phénomène et comme conséquence affective 148de celui-ci, que ressentiront alors ses proches. Ces deux éléments apparaissaient déjà dans les paroles adressées par La Boétie à Montaigne :

[] & vous asseure que ce qui me fait avoir quelque soing que iay de ma guerison, & naller si courant au passage que iay desia franchy à demy : cest la consideration de vostre perte, & de ce pauvre homme, & de ceste pauvre femme (parlant de son oncle & de sa femme) que iayme tous deux unicquement : & qui porteront bien impatiemment (ien suis asseuré) la perte quils feront en moy []85.

Le parallèle ne concerne pas seulement les idées, mais également les mots et la syntaxe (notamment les deux subordonnées coordonnées, dont la dernière se termine par une relative enchâssée, à la formulation si proche : « la connaissance quils ont eu de moy »/« la perte quils feront en moy »). Lusage des parenthèses est également intéressant, puisquelles traduisent un écart énonciatif : dans les paroles de La Boétie rapportées par Montaigne, elles renvoient tour à tour aux explications du narrateur et aux prévisions pathétiques de lagonisant, ce qui accentue le mélange des voix. Au seuil des Essais, elles soulignent le décalage entre le livre destiné aux proches, et un avertissement adressé au lecteur, puisque, comme La Boétie, il parle deux à la troisième personne. Les deux auteurs formulent une intention, celle de prendre en charge la douleur de leurs proches à lheure de leur mort. La Boétie, celui de Montaigne du moins, fait de sa mort un livre, en manifestant non seulement de la constance pour lui-même, mais également de lhumanité et de la sensibilité à légard de ses proches, dernier éclat de vertu du sage. Il adopte une stratégie de consolation fondée sur la passion de lespérance, destinée dordinaire aux âmes faibles. La construction que Montaigne propose est tout autre : la posture consolatoire est dabord un simulacre temporel. Il nest pas en train de composer sa mort comme un livre, mais son livre comme sil était « bien tost » mort. Le livre, chargé de pallier sa propre perte, ne vise pas exactement à consoler, au sens prévu par les traditions : il ne sagit pas dapprendre à accepter la perte, mais bien de la nier, la « connaissance » de lêtre perdu étant alors, « plus vifve (beau paradoxe !) et plus entière ». Cest bien à partir des traditions de consolation que Montaigne justifie loriginalité de son livre. Autre indice de cette influence, dans le deuxième livre, Montaigne fait 149prononcer à Sénèque, lune de ces figures traditionnelles de sages qui meurent en consolant leurs proches, des paroles destinées explicitement à consoler son épouse, dans une formule qui est, la transposition pronominale mise à part, le calque de celle qui termine lextrait cité de lavis « Au lecteur ». À propos de sa propre mort, il rattache explicitement cette « cognoissance » à un moyen de « consoler » :

Parquoy mamie, disoit-il, ne la deshonnore par tes larmes, affin quil ne semble que tu taimes plus que ma reputation : appaise ta douleur, et te console en la cognoissance, que tu as eu de moy []86.

Sénèque parle de conformité à la sagesse stoïcienne, quil a lui-même incarnée de son vivant, et sérige en exemple auprès de son épouse. Chez Montaigne, la « connaissance » sentend tout autrement, renvoyant à la fois à la présence perpétuée par-delà la mort et à la deuxième naissance opérée par le livre. Dans lavis « Au lecteur », la référence consolatoire fait à la fois office dexcusatio (la prise en considération des proches garantit la magnanimité et prémunit contre lécueil de la vanité) et de lointain modèle, qui nest pas sans rappeler la consolation épicurienne par la « recordation87 » des bonheurs passés.

Linfluence consolatoire dans le premier livre des Essais savère aussi profonde que complexe. Montaigne ne se contente pas de se livrer à lexamen critique de ce type de discours ; il met à lépreuve la parole consolatoire, sur un mode sérieux, léger, ou parodique, ce qui lui permet den explorer, voire den renouveler les pouvoirs esthétiques et pragmatiques. La multiplication des sources daffliction abordées, la dissociation du discours consolatoire, lui-même éclaté, et du récit inauguré avec celui de la mort de La Boétie, ne permettent pas lancrage que semblait promettre le recueil de 1571, auquel le premier livre se raccorde pourtant. De manière spécifique, la matière et la manière consolatoires ne sont ni totalement déconstruites, ni convoquées de manière aléatoire. Elles fournissent la substance presque exclusive de deux chapitres où lauteur revient inlassablement aux grandes questions qui traversent les traditions de consolation, si bien que ces chapitres méritent dêtre désignés comme consolatoires, cest-à-dire intrinsèquement affiliés aux traditions, fût-ce 150dans une grande tension avec celles-ci, tant leur imprégnation est forte. Linfluence consolatoire peut survenir à des endroits stratégiques du chapitre, comme la lamentation de la fin du chapitre « De lamitié » qui propose un renversement de la construction rhétorique traditionnelle, telle que lon peut la trouver dans le discours dAmbroise consacré à la mort de son frère. Par le déplacement de lancien chapitre I, XL, le premier livre passe dune construction mémorielle à une organisation numériquement moins satisfaisante88, mais qui propose un agencement plus équilibré des chapitres où linfluence consolatoire est la plus nette, en deux pôles placés à égale distance du chapitre qui devait faire résonner la parole de lami. Ces éléments de composition reposent sur un usage très personnel et libre des traditions ; ils sont toujours susceptibles de changement et de mouvement, que ce soit à léchelle de la phrase, du chapitre et du livre, qui ne fonctionnent pas comme des unités cloisonnées. Les traditions de consolation offrent un ensemble de modèles et de références que lauteur se plaît à renverser, à jouer lune contre lautre, bref à mettre à mal, mais qui lintéressent dans la mesure où elles autorisent la mise en récit de soi et lélaboration dun lien avec lautre dune grande intensité et dune grande complexité, et ce dès le recueil de 1571. À lintérieur des pratiques électives que constituent les traditions de consolation, souvent mobilisées au sein de communautés soucieuses de réaffirmer leurs valeurs en temps de crise, Montaigne opère en quelque sorte une nouvelle démarcation ; le traitement, souvent subversif, de ces traditions, pesantes car incontournables à lépoque, lui permet de se singulariser, ainsi que son livre.

Rémi Ordynski

Sorbonne Nouvelle

1 Tous les éléments abordés ici font lobjet dun développement dans ma thèse de doctorat actuellement en cours de rédaction (« Montaigne et les traditions de consolation : “[] pour moy, ou pour un autre []” », Université Sorbonne Nouvelle, dir. M. Magnien, soutenance prévue pour 2022) : je suis contraint dy renvoyer globalement, et par anticipation. Je remercie vivement M. Magnien et A. Tarrête pour leur lecture de cette communication et pour leurs conseils.

2 Nous renvoyons ici au premier volume des œuvres de La Boétie : La Mesnagerie de Xenophon. Les Regles de mariage, de Plutarque. Lettre de consolation, de Plutarque à sa femme. Le tout traduict de Grec en François par feu M. Estienne de la Bœtie Conseiller du Roy en sa court de Parlement à Bordeaux. Ensemble quelques Vers Latins et François, de son invention. Item, un Discours sur la mort dudit Seigneur, De la Boëtie, par M. de Montaigne, Paris, F. Morel, 1571.

3 À plusieurs reprises dans ce texte, La Boétie révèle à Montaigne la part quil prend au tourment que sa mort causera à ses proches. Malgré son état de plus en plus préoccupant, il annonce à Montaigne son intention : « [] ie les consoleray [] » (ibid., f. 123-ro). C. Blum identifie lépître consolatoire comme lun des modèles de ce texte (« De la Lettre sur la mort de La Boétie aux Essais : allongeail ou répétition ? », RHLF, 88, 1988, p. 937).

4 La distinction que propose cette double formule provient de la lettre également appelée « Lhistoire des calamités dAbélard », Abélard–Héloïse. Correspondance. Lettres I–VI, trad. R. Oberson, Paris, Hermann Éditeurs, 2007, p. 27.

5 Sur la consolation en général, voir notamment : A. Tarrête, « Remarques sur le genre du dialogue de consolation à la Renaissance », Bulletin de lAssociation détudes sur la renaissance, lhumanisme et la réforme, No 57, 2003, p. 133-161 ; id., « La Consolation de Guillaume du Vair sur la mort de sa sœur », Les funérailles à la Renaissance, Genève, Droz, 2002, p. 499-516).

6 Voir, par exemple, J. Lecointe, « Éthos stoïque et morale stoïcienne. Stoïcisme et rhétorique évangélique de la consolation dans le De contemptu rerum fortuitarum de Guillaume Budé (1520) », Stoïcisme et christianisme à la Renaissance, textes réunis par A. Tarrête, Cahiers V. L. Saulnier, no 23, Paris, Éditions rue dUlm, 2006, p. 35-58.

7 Les recherches menées et organisées par C. Martin-Ulrich depuis une dizaine dannées, consacrées à la consolation de lAntiquité à lépoque moderne, ont notamment donné lieu à la parution dun numéro dExercices de rhétorique (« Sur la consolation », C. Martin-Ulrich, dir., no 9, 2017, en ligne) et permis lélaboration dune anthologie, à paraître aux Belles Lettres en 2022.

8 De lusage de la citation au poème entier, en passant par le prosimètre de Boèce.

9 Érasme, « De conscribendis epistolis (1522), ch. 49-50 », C. Noille (éd.), Ph. Collé et Ch. Noille (trad.), Exercices de rhétorique, 9, 2017 [En ligne] http://journals.openedition.org/rhetorique/540 (consulté le 23/04/2019).

10 P. Fabri, Le grand et vray art de pleine rhetorique [], Paris, Denis Janot, 1534, f. Cxxxi-ro-Cxxxii-ro.

11 J. C. Scaliger, « Poetices libri septem (1561), III, 122. La consolation », Exercices de rhétorique, 9, 2017 [En ligne] http://journals.openedition.org/rhetorique/537 (consulté le 12 septembre 2020).

12 G. J. Vossius, « Rhetorices contractae (1621), II, 24. De la consolation », C. Noille (éd. et trad.), Exercices de rhétorique, 9, 2017 [En ligne] http://journals.openedition.org/rhetorique/534 (consulté le 10/12/2020).

13 Avec Marguerite de Navarre (La Navire, Dialogue en forme de vision nocturne) et Hélisenne de Crenne (Les espitres familieres), le xvie siècle fait entrer les femmes dans les traditions dans le rôle de la consolatrice, et non plus seulement de laffligée.

14 « Mais ie laisse à Plutarque la charge de vous consoler [] vous priant de le croire pour lamour de moy. » (La Mesnagerie [], f. 89-vo).

15 À la suite de lanalyse de cette lettre élaborée notamment par Paul J. Smith (Réécrire la Renaissance [], Amsterdam, Rodopi, 2009, p. 76-89) J. Vignes en propose une lecture rhétorique qui tient compte du statut de dédicace de ce texte, ce qui interdit de le lire avec les mêmes critères quune lettre privée (id., « La lettre de consolation de Plutarque à sa femme traduite par La Boétie et ses prolongements chez Montaigne, Céline et Michaël Foessel », Exercices de rhétorique 9, 2017 [En ligne] http://journals.openedition.org/rhetorique/545 (consulté le 12/09/2020).

16 Voir, en particulier, lexorde de lépître dédicatoire, où Montaigne réfléchit sur les liens entre mariage et galanterie (op. cit., f. 89-ro).

17 Nous interprétons ainsi, par exemple, la réaction dopposition de La Boétie face à largument censément consolateur avancé par Montaigne : « La mort na rien de pire que cela, luy dis-je lors, mon frere : Mais na rien de si mauvais, me respondit-il » (ibid., f. 123-ro). Deux exemples canoniques : Socrate et Sénèque. Cette preuve de vertu est un véritable lieu commun, quutilise par exemple Quintilien pour illustrer le courage de son fils (Institution oratoire, « Avant-propos » du livre VI).

18 Notre édition de référence est : Les Essais, éd. J. Balsamo, M. Magnien, C. Magnien-Simonin ; « Notes de lecture » et des sentences peintes, éd. A. Legros, Paris, Gallimard, 2007 (Bibliothèque de la Pléiade, 14). Nous y renvoyons sauf mention contraire.

19 Cest lun des axes importants de létude de G. Defaux (Montaigne et le travail de lamitié [], Orléans, Paradigme, 2001, passim) qui identifie de nombreuses allusions à La Boétie, notamment dans le premier livre. Dans notre perspective, nous distinguerons entre les évocations explicites de lami perdu, qui opèrent un ancrage, et celles qui traitent de la mort ou de la douleur en général.

20 Lancrage temporel opéré par la phrase commençant par « Depuis le jour que je le perdy [] » (E. I, XXVII, p. 200), est thématisé par sa place et sa fonction dans le chapitre, nous y reviendrons.

21 Voir A. Legros, Essais sur poutres, Paris, Klincksieck, 2000, p. 39-52.

22 Voir sur cette question, A. Tarrête, « La Consolation de Guillaume du Vair sur la mort de sa sœur », art. cité, p. 504-505.

23 De manière significative, le raccordement entre lentrée en écriture et laffliction provoquée par un événement accidentel ne se fera quau deuxième livre, et dune manière voilée. À Madame dEstissac, Montaigne confie : « Cest une humeur melancolique, et une humeur par conséquent très ennemie de ma complexion naturelle, produite par le chagrin de la solitude, en laquelle il y a quelques années que je mestoy jetté, qui ma mis premierement en teste ceste resverie de me mesler descrire. » (E., II, VIII, p. 404).

24 Id., Dictionnaire Montaigne, Ph. Desan (dir.), s. v. « Consolation », Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 383.

25 E., I, XIX/XX, « Que Philosopher, cest apprendre à mourir » et XIV/XL, « Que le goust des biens et des maux despend en bonne partie de lopinion que nous en avons ».

26 E., I, II, p. 35.

27 Cicéron, Académiques, II, XLIV.

28 « Duplex est igitur ratio ueri reperiendi non iniis solum quae mala, sed in iis etiam quae bona uidentur. Nam aut ipsius rei natura qualis et suanta sit, quaerimus, [] aut a disputandi subtilitate orationem ad exempla traducimus » « Cela posé, il existe deux procédés pour découvrir la vérité, et cela non seulement pour ce qui nous paraît mauvais, mais aussi pour ce qui nous paraît bon : ou nous examinons la nature de la chose en soi, son caractère et son importance, [] ou bien, renonçant aux finesses de la dialectique, on recourt à la méthode des exemples » Cicéron, Tusculanes, III, XXIII-56, trad. J. Humbert, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 34.

29 Le lien entre consolation et prosopopée est notamment établi par N. Doiron (« Poétique de la consolation classique. Lexemple du Recueil (1627) de Faret », Dix-septième siècle, PUF, 2007, 4, no 237, p. 785).

30 Voir, sur ce point, C. Martin-Ulrich, « Parénétique de la consolation : louer et exhorter dans la lettre (Philippe Du Plessis-Mornay, Guillaume Du Vair et Antoine de Nervèze) », Rivista italiana di filosofia del linguaggio, Université de Calabre, Rende, 2015, p. 130-143.

31 Essais de Michel Seigneur de Montaigne, Paris, Abel LAngelier, 1588, p. 10-vo (éd. consultée dans la base en ligne « Corpus Montaigne » sur le site Classiques Garnier Numérique).

32 E., I, IX, p. 56-57.

33 « Nous nous laissons si fort aller sur les bras dautruy, que nous anéantissons nos forces. Me veux-je armer contre la crainte de la mort ? cest aux despens de Seneca. Veux-je tirer de la consolation pour moy, ou pour un autre ? je lemprunte de Cicero : je leusse prise en moy-mesmes, si on my eust exercé. Je naime point cette suffisance relative et mendiée. » (E., I, XXIV, p. 143).

34 Nous distinguons entre « consolatoire » (qui ressortit aux traditions) et « consolateur » (qui est de nature à provoquer lapaisement) : si les traditions sont massivement convoquées, le travail de subversion dans ces deux chapitres produit parfois leffet inverse, comme lhypotypose finale de I, XIX/XX.

35 Selon la définition quen donne J. Chomarat à propos dÉrasme, soit, pour résumer, un exercice dinspiration scolaire et qui consiste à plaider une cause fictive, souvent pour et contre, pour exercer et démontrer son talent (voir J. Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Érasme, II, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 934-941). Il établit le lien entre consolation et déclamation, à partir de la Consolatio de morte filii præmature (ibid., p. 958-962).

36 S. Luciani montre que Cicéron sest « livré dans les Tusculanes à une analyse théorique de la consolation sans pour autant perdre de vue sa double expérience de sujet souffrant et de thérapeute », quelle confronte à la pratique de la correspondance (« Leuatio aegritudinum. Consolation et vérité chez Cicéron », dans P. Galand et E. Malaspina (éd.), Vérité et apparence. Mélanges en lhonneur de Carlos Lévy, offerts par ses amis et ses disciples, Turnhout, Brepols, 2016, p. 269). Pour une étude consacrée à laspect thérapeutique des Tusculanes, voir B. Koch, Philosophie als Medizin für die Seele. Untersuchungen zu Ciceros Tusculanae Disputationes, Stuttgart, Steiner, 2006. Sur linfluence considérable des Tusculanes sur Montaigne, voir M. Magnien, « Montaigne (re)lecteur des Tusculanes », dans Ph. Ford & N. Kenny (éd.), The Library of Montaigne, Proceedings of the tenth Cambridge [], Cambridge, Cambridge French Colloquia, 2012, p. 157-182. Notons que la lecture consolatoire des Tusculanes apparaît déjà chez Pétrarque, qui dans lune de ses Lettres Familières (XVIII, 14, t. V, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 280), présente comme merveilleux les pouvoirs de chacun des livres qui composent le dialogue de Cicéron.

37 B. Perona, « “Que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de notre opinion”. La recherche inquiète d“un discours qui face pour nous” », BSIAM, 2014-1, no 59, p. 122-127.

38 A. Tarrête, « La consolation dans le livre III des Essais », Autres regards sur les Essais, Livre III de Montaigne, Paris, Atlande, 2017, p. 109-110.

39 S. Luciani, « Lucrèce et la tradition de la consolation », Exercices de rhétorique, 9, 2017 [En ligne] http://journals.openedition.org/rhetorique/519 (consulté le 19/04/2019).

40 Le terme, plus éclairant quélégant, a le mérite de montrer que la consolation consiste à opérer une saisie parmi un matériau plus large, qui lui préexiste et qui fonctionne comme une réserve darguments et dexemples. Peuvent entrer dans cette catégorie tous les ouvrages de philosophie morale qui traitent des sources daffliction, mais également les traités épistolaires, rhétoriques, notamment. D. Scourfield distingue entre les consolations qui relèvent dune pratique sociale adressée, et les « méta-consolations » qui proposent une réflexion sur ce type de discours ou sur les questions généralement abordées (J. H. D. Scourfield, « Towards a genre of consolation », dans H. Baltussen (éd.) Greek and Roman Consolations, Eight studies of a tradition and its afterlife, Wales, The Classical Press of Wales, 2013, p. 20).

41 B. Perona, Prosopopée et persona à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 268-270.

42 E., I, XIX, p. 94 : « Sortez, dit-elle, de ce monde, comme vous y estes entrez. Le mesme passage que vous fistes de la mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites-le de la vie à la mort. Vostre mort est une des pieces de lordre de lunivers, cest une piece de la vie du monde. » À mettre en relation avec le consolateur qui relaie la prosopopée de la nature chez Sénèque (« Consolation à Marcia », Dialogues. Consolations, t. III, texte établi et trad. par R. Waltz, Paris, Les Belles Lettres, 1961, p. 36) : « Intraturus ex urbem diis hominibusque communem, omnia complexam, certis legibus aternisque deuinctam, indefatigata cælestium officia uolentem ». « Tu vas faire ton entrée dans la ville commune des dieux et des hommes, ville qui comprend tout lunivers, qui obéit à des lois constantes et éternelles, où les corps célestes accomplissent leurs infatigables révolutions ».

43 Dans lune des pages de garde postérieures de son exemplaire du De rerum natura (E., éd. et trad. A. Legros, p. 1219), Montaigne écrit à propos des vers qui précèdent la prosopopée de la nature (livre III) : « Locus perelegans de vitae commoditatibus quas videmur morientes perdidisse. » « Très beau passage sur les bienfaits de la vie que nous pensons avoir perdus en mourant ».

44 E., I, XL, p. 265.

45 Cicéron, De Fin., II, XXIX.

46 E., I, XL, p. 267.

47 Sénèque, qui prend soin de justifier le recours à ce type de remèdes, dit à Marcia : (« Consolation à Marcia », II-2, Dialogues. Consolations, t. III, trad. R. Waltz, Paris, Les Belles Lettres, p. 15) : « Ad speciosa stupenti duo tibi ponam ante oculos maxima et sexus et sæculi tui exempla. » « Toi, les beaux traits téblouissent ; je vais te mettre sous les yeux deux exemples illustres, que moffrent ton siècle et ton sexe ».

48 J. C. Scaliger, Poetices libri septem, éd. citée, § 4 : « Sin a vulgi opinionibus usuque maxime abhorrent ac propterea ægre animum subire valent, tum vero non tam rationibus atque argumentis fides extorquenda quam exemplorum frequentia persuasio insinuanda. » « Si au contraire ceux quon cherche à consoler ont la plus grande horreur des opinions et pratiques du vulgaire, et que, pour cette raison, ils sont en état daffronter leur détresse, il ne faudra pas tant arracher leur conviction par des raisonnements et des arguments quinsinuer la persuasion par lusage répété dexemples » § 4.

49 B.-R. Vasselin, « Lironie et lhumour dans “Que Philosopher cest apprendre à mourir” », Montaigne et lintelligence du monde moderne. Essais, livre I, Paris, Presses Universitaires de France, 2010, p. 57-97.

50 Érasme, De conscribendis epistolis[], Lyon, Thibaud Payen, 1557, p. 198. Pour la traduction, nous renvoyons à lédition citée de C. Noille.

51 S. Giocanti (Scepticisme et inquiétude, Paris, Hermann, 2019, p. 403-476) démontre que le scepticisme, en particulier chez Montaigne, nest pas incompatible avec une visée consolatrice, contrairement à ce que lon pourrait croire. Nous ninsistons pas sur ce point, puisque nous nous intéressons ici aux consolations en tant que traditions.

52 E.,I, XXVII, p. 200.

53 La citation de Virgile (Enéide, V, 49-50) se situe dans une continuité tonale et syntaxique avec la parole de lauteur.

54 La datation nest pas certaine : P. Boucheron propose la date de 378 (La Trace et laura. Vies posthumes dAmbroise de Milan (ive-xvie siècle), Paris, éditions du Seuil, 2019, p. 39).

55 C. Favez (La consolation latine chrétienne, Paris, Vrin, 1937, p. 21) identifie ce texte à la fois comme une oraison funèbre et une consolation.

56 Nous renvoyons, pour le texte latin, à : Ambroise, « In libros duos de excessu fratris satyri » (De exc.), Sancti Ambrosii Mediolanensis episcopi. Opera omnia, Patrologiae latinae, Tomus 16, éd. originale, Paris, 1845, réimpression anastatique par Brepols, 1993, p. 1302 ; pour la traduction française, Sur la mort de son frère, trad. M. Bonnot, Paris, Migne, 2002.

57 Montaigne et La Boétie sinterpellent à plusieurs reprises comme des frères dans lextrait de lettre qui clôt le recueil de 1571. On sait que dans « De lamitié », le lien de fraternité est distinct de lamitié ; néanmoins, dans le montage final de citations de Catulle, le mot « frater » apparaît trois fois (E., I, XXVII, p. 201).

58 Contrairement à Jérôme, à Paulin de Nole et à Augustin (dans le chapitre qui précède « De lamitié » notamment), Ambroise nest ni cité, ni mentionné dans les Essais. À défaut de pouvoir le prouver, quelques éléments rendent plausible le fait que Montaigne connaissait ce texte. Les œuvres complètes dAmbroise avaient fait lobjet dune édition par Érasme en 1529, puis 1539 chez C. Chevallon à Paris. Le [] de excessu fratris sui Satyri a ensuite été édité parmi les Opera D. Ambrosii Mediolanensis episcopi [], à Paris, chez C. Guillard et G. Desboys, en 1549-1550. En suivant cette hypothèse, Montaigne ne serait pas le premier à se souvenir dAmbroise en pleurant un ami mort prématurément. Ainsi Pétrarque ayant perdu Tommaso Caloiro (Fam., IV, 10, trad. A. Longpré, t. II, Paris, Les Belles Lettres, p. 2002, p. 66-67) : « Hanc acerbissimam fati vim deflere mecum et profundissimo simul vulneri meo paria, si possum, adhibere remedia meque ipsum meil literis et iusto volumine consolari, propositum est michi. Fecit hoc primus in morte dilectissime filie Marcus Cicero, divino ille quidem et inaccessibili quodam stilo ; fecit idem multis post seculis in morte fratris Ambrosius ». « Je me propose de pleurer ce dur coup du sort, dappliquer en même temps à ma blessure, si je le peux, des remèdes qui lui conviennent et de me consoler en écrivant des lettres et un livre adapté au sujet. Cest ce qua fait Cicéron, le premier de tous, avec son style divin et incomparable, à loccasion de la mort de sa fille chérie ; cest ce qua fait de même Ambroise plusieurs siècles après lui à loccasion de la mort de son frère [] ».

59 E., I, XXVII, p. 190.

60 « Etsi esset quod hic delectare non posset : et si quando voluissemus impense vitam producere, jam tamen sine te esse nollemus. » (De exc., I, 34, p. 1301) « Même sil y avait ici-bas des choses susceptibles de nous plaire, je ne pourrais sans toi éprouver de plaisir, et si, quelquefois, nous avions ardemment voulu prolonger notre vie, nous ne voudrions plus désormais quelle dure sans toi. » (Sur la mort de son frère, p. 36). Voir la citation du chapitre « De lAmitié » placée au début de ce développement.

61 « Labore inferior, sed amore conjunctior : non tam mea virtute habilis, quam tua patientia tolerabilis, qui pio semper sollicitus affectu latus meum tuo latere sepiebas []. » (De exc., I, 8, p. 1293) « Jétais moins résistant à la tâche, mais bien joint à toi dans lamour, non tant capable par mes qualités propres que capable dendurer grâce à ta patience, toi qui, toujours en souci à cause de ton affection fidèle, protégeais mon flanc par le tien [] » (Sur la mort de son frère, p. 23). À mettre en relation avec Montaigne (E., I, XXVII, p. 198) : « [] de mesmes quil me surpassoit dune distance infinie en toute autre suffisance et vertu, aussi faisoit-il au devoir de lamitié ».

62 De exc., I, 39. « Car alors que tout nous était commun, que nous avions un seul esprit, une seule âme, [] ». Sur la mort de son frère, p. 38.

63 E., I, XXVII, p. 197.

64 Ibid., p. 198.

65 Aristote, Éthique à Nicomaque, IX, 8, 2e.

66 Dans les Confessions (IV, 4.9), le deuil de lami anonyme est intégré à une séquence marquée par différentes formes derreurs, et débouche sur la crainte de la mort, contrairement à Ambroise ou Montaigne.

67 De exc., I, 6, p. 1292. « Car je nai jamais été tout entier en moi-même, mais la plus grande part de chacun de nous était placée en lautre [] ; dans ce corps qui gît maintenant inanimé, laccomplissement de ma vie est en effet plus grand car, dans le corps dont je suis chargé, la part qui te revient est la plus féconde » (Sur la mort de son frère, p. 22).

68 E., I, XXVII, p. 200.

69 Horace, Odes, II, XVII, 8-9. « Ille dies utramque / Duxit ruinam » « Ce jour a entraîné notre ruine à tous deux ».

70 Catulle, LXVIII, 24. « Tecum una tota est nostra sepulta anima ». « [A]vec toi tout entière mon âme a été ensevelie ».

71 De exc., I, 6, p. 1292. « Je commence à ne plus être étranger là où se trouve la meilleure partie de moi-même. » (Sur la mort de son frère, p. 22).

72 Voir le chapitre 3 de notre thèse, « Lami. De La Boétie aux Essais : premier récit consolatoire ».

73 Outre le contexte historique, la perspective idéologique, cest également la nature du texte qui diffère : Ambroise prononce un discours qui implique la communauté présente ; Montaigne parle en son nom propre.

74 « Mais oyons un peu parler ce garson de seize ans ». (E., I, XXVII, p. 201)

75 Ibid., p. 201-202.

76 Cette inadéquation entre lêtre et les mots quil a laissés est une source daffliction pour Montaigne-éditeur, sur laquelle il insiste encore davantage que sur la perte elle-même. Voir, par exemple, lépître dédicatoire à Paul de Foix des Vers François [].

77 M. Magnien, s. v. « Discours de la servitude volontaire », Dictionnaire Montaigne, op. cit., p. 507-513.

78 Les critères sont ceux que nous avons énumérés au début de cette communication (intention, raisons, exemples, passions, sources daffliction, interlocution, marqueur, ancrage, titre). Voir le chapitre 5 de notre thèse « Les deux chapitres intrinsèquement consolatoires des Essais » et les annexes 1 et 2 pour plus de détails.

79 O. Chouchena, « Conjectures sur le déplacement du chapitre i, 14/40 dans les Essais de Montaigne », Montaigne Studies An Interdisciplinary Forum (MS), no 32, 2020, Montaigne, la maladie et la médecine, p. 203-214. Les hypothèses vont de la taille des chapitres au rapport quils entretiennent avec tel auteur, en loccurrence Cicéron.

80 G. Defaux, « Montaigne, La Boétie, les Essais », MS, XI, no 1-2, 1999, p. 194.

81 Ibid., p. 185.

82 Une remarque importante au sujet du deuxième pôle que nous venons de délimiter. La présence, à lintérieur de celui-ci, du nouveau chapitre XXXIX, peut surprendre : si notre hypothèse est exacte, pourquoi ne pas avoir placé le chapitre juste après « De la Solitude », beaucoup plus proche des traditions ? La réponse est dans la première phrase de « Consideration sur Ciceron », présente dès 1580 : « Encorun traict à la considération de ces couples » (ibid., p. 253), en loccurrence Cicéron et Pline le Jeune dune part, Epicure et Sénèque de lautre. Les deux chapitres paraissent difficilement séparables.

83 E., « Au lecteur », p. 27. M. Simonin propose une interprétation de cette phrase en lien avec les Lois de Platon (« Rhetorica ad lectorem : lecture de lavertissement des Essais », MS, no 1, 1989, p. 65-67).

84 J. Starobinski, Montaigne en mouvement, Paris, Gallimard, 1993, p. 78-80.

85 « Extraict de la lettre à son père », La Mesnagerie [], op. cit., f. 123-vo.

86 E.,II, XXXV, p. 786.

87 Nous paraphrasons E., III, V, p. 883.

88 Voir, sur ce point, A. Legros, « Le “livre premier” et la protohistoire des Essais », BSIAM, no 53-1, 2011.