Présentation
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2020 – 1, n° 71. varia - Auteurs : Dupeyron (Jean-François), Lins (Fabien Pascal)
- Pages : 93 à 94
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406106470
- ISBN : 978-2-406-10647-0
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10647-0.p.0093
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/05/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
Présentation
Ce dossier sur la figure du sage-ignorant dans l’œuvre et dans la vie de Montaigne est issu d’une journée d’études organisée le 28 mars 2019 à l’Université Bordeaux Montaigne par Jean François Dupeyron et Fabien Pascal Lins (EA 4574-SPH) et par Violaine Giacomotto (Centre Montaigne-EA4195-Telem). Nous remercions SPH, le Centre Montaigne et le laboratoire TELEM pour leur soutien à ces travaux.
Ceux-ci peuvent être lus comme une seule et même discussion à partir du commentaire de la forte remarque de Montaigne qui, dans l’Apologie de Raymond Sebond, s’insurge explicitement contre toute forme de dogmatisme : « La peste de l’homme, c’est l’opinion de savoir » (II, 12). L’affichage de ce refus des certitudes acquises – peut-être d’ailleurs n’est-ce qu’un affichage – semble avoir pour corollaire la mise en œuvre d’un autre type de savoir, ou plutôt de savoir-vivre, fortement lié au concept d’ignorance. D’ailleurs, en nous présentant plusieurs figures emblématiques de l’ignorance tout au long des Essais, Montaigne souligne à maintes reprises l’admiration qu’il porte à des personnages tels que Socrate, les paysans de son domaine et les Indiens d’Amérique.
Le plus souvent perçu comme un des hommes les plus lettrés de son siècle, il semble à première vue paradoxal que Montaigne ait valorisé la sagesse de personnes habituellement taxées d’ignorance, c’est-à-dire les « honnêtes gens », dits « simples et grossiers » et assurément, étrangers au cercle restreint des « fines gens », humanistes érudits et membres de l’élite intellectuelle de son temps. L’affirmation des figures paradoxales de « sage-ignorant » peut donc soulever de nombreuses questions.
Doté d’une des bibliothèques les plus fournies de son siècle, comment Montaigne aurait-il pu condamner l’appétence pour le savoir ? L’expression d’une préférence pour les « sage-ignorants » traduirait-elle simplement la vaine nostalgie d’une forme de naturalisme hellénistique ? Quels rapports l’auteur des Essais établit-il entre savoir et ignorer ? Confère-t-il un statut épistémologique à l’ignorance et si oui lequel ? Dans 94quelle mesure peut-on discourir à propos de ce que l’on ignore ? Une parole philosophique qui assume son ignorance gagnerait-elle, selon Montaigne, en véridicité ? S’agit-il prioritairement d’être ignorant et de le rester, ou plutôt de se reconnaître comme tel et de chercher à ne plus l’être ? Montaigne distingue-t-il l’ignorance de la bêtise ? La « simplicité » des paysans et la « naïveté » naturelle des Indiens d’Amérique, tels que Montaigne les décrit, peuvent-elles être reliées à des positions philosophiques telles que, par exemple, l’inscience socratique et la docte ignorance cuséenne ? En quelle mesure le savoir-ignorant que Montaigne semble appeler de ses vœux serait-il utile ou salutaire ? Quels effets, en somme, pourrait avoir l’assomption de l’ignorance sur l’interlocuteur ou même sur le lecteur ?
Les auteurs ayant contribué à ce dossier ont cherché, non pas à faire nécessairement partager toutes leurs réponses, mais avant tout à nous faire partager leurs questions. En effet, questionner, se questionner, s’étonner, c’est déjà être au cœur des pratiques philosophiques. Là est la modeste mais franche ambition de ces textes.
Jean-François Dupeyron (SPH)
et Fabien Lins (SPH)