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Classiques Garnier

Présentation

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Présentation

Ce dossier sur la figure du sage-ignorant dans lœuvre et dans la vie de Montaigne est issu dune journée détudes organisée le 28 mars 2019 à lUniversité Bordeaux Montaigne par Jean François Dupeyron et Fabien Pascal Lins (EA 4574-SPH) et par Violaine Giacomotto (Centre Montaigne-EA4195-Telem). Nous remercions SPH, le Centre Montaigne et le laboratoire TELEM pour leur soutien à ces travaux.

Ceux-ci peuvent être lus comme une seule et même discussion à partir du commentaire de la forte remarque de Montaigne qui, dans lApologie de Raymond Sebond, sinsurge explicitement contre toute forme de dogmatisme : « La peste de lhomme, cest lopinion de savoir » (II, 12). Laffichage de ce refus des certitudes acquises – peut-être dailleurs nest-ce quun affichage – semble avoir pour corollaire la mise en œuvre dun autre type de savoir, ou plutôt de savoir-vivre, fortement lié au concept dignorance. Dailleurs, en nous présentant plusieurs figures emblématiques de lignorance tout au long des Essais, Montaigne souligne à maintes reprises ladmiration quil porte à des personnages tels que Socrate, les paysans de son domaine et les Indiens dAmérique.

Le plus souvent perçu comme un des hommes les plus lettrés de son siècle, il semble à première vue paradoxal que Montaigne ait valorisé la sagesse de personnes habituellement taxées dignorance, cest-à-dire les « honnêtes gens », dits « simples et grossiers » et assurément, étrangers au cercle restreint des « fines gens », humanistes érudits et membres de lélite intellectuelle de son temps. Laffirmation des figures paradoxales de « sage-ignorant » peut donc soulever de nombreuses questions.

Doté dune des bibliothèques les plus fournies de son siècle, comment Montaigne aurait-il pu condamner lappétence pour le savoir ? Lexpression dune préférence pour les « sage-ignorants » traduirait-elle simplement la vaine nostalgie dune forme de naturalisme hellénistique ? Quels rapports lauteur des Essais établit-il entre savoir et ignorer ? Confère-t-il un statut épistémologique à lignorance et si oui lequel ? Dans 94quelle mesure peut-on discourir à propos de ce que lon ignore ? Une parole philosophique qui assume son ignorance gagnerait-elle, selon Montaigne, en véridicité ? Sagit-il prioritairement dêtre ignorant et de le rester, ou plutôt de se reconnaître comme tel et de chercher à ne plus lêtre ? Montaigne distingue-t-il lignorance de la bêtise ? La « simplicité » des paysans et la « naïveté » naturelle des Indiens dAmérique, tels que Montaigne les décrit, peuvent-elles être reliées à des positions philosophiques telles que, par exemple, linscience socratique et la docte ignorance cuséenne ? En quelle mesure le savoir-ignorant que Montaigne semble appeler de ses vœux serait-il utile ou salutaire ? Quels effets, en somme, pourrait avoir lassomption de lignorance sur linterlocuteur ou même sur le lecteur ?

Les auteurs ayant contribué à ce dossier ont cherché, non pas à faire nécessairement partager toutes leurs réponses, mais avant tout à nous faire partager leurs questions. En effet, questionner, se questionner, sétonner, cest déjà être au cœur des pratiques philosophiques. Là est la modeste mais franche ambition de ces textes.

Jean-François Dupeyron (SPH)
et Fabien Lins (SPH)