Le pas suspendu des « mouches en lait »
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2019 – 2, n° 70. Hommage à Jean-Yves Pouilloux et à André Tournon - Auteur : Demonet (Marie-Luce)
- Résumé : Cette communication met en évidence l’évolution de la position d’André Tournon sur la segmentation de l’Exemplaire de Bordeaux, et, en se fondant notamment sur les avancées permises par l’outil informatique, revient sur certains de ses arguments exemples à l’appui.
- Pages : 55 à 73
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406101536
- ISBN : 978-2-406-10153-6
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10153-6.p.0055
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/02/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : André Tournon, Montaigne, segmentation, scansion, comma, ponctèmes, typographèmes
Le pas suspendu
des « mouches en lait »
Au début de « L’énergie du langage coupé » (1995), l’une des trois contributions qui l’ont lancé sur la piste de la segmentation des Essais, notre collègue invoquait l’esprit de Lewis Carroll qui lui-même avait invoqué celui du logicien Goclenius : je me tiendrai dans leur sillage, par fidélité à André Tournon, par intérêt pour l’auteur de la Logique sans peine et aussi pour ce Goclenius qui a consacré dans son Lexique de philosophie un important article Signum1. André Tournon a prêté une attention persévérante à cette « évidence » des « mouches en lait » (1997), expression empruntée à Villon et à Rabelais pour désigner ces retouches manuscrites sur l’Exemplaire de Bordeaux (désormais EB) qui devraient « sauter aux yeux » et qu’il considérait comme de véritables « signatures » de Montaigne2.
Du « langage coupé » à la profération
Cette longue étude développée dans au moins vingt-six contributions et sur plus de vingt ans répondait à deux enjeux majeurs : l’un était philosophique, dès son premier article sur le « langage coupé » (1992), jamais renié même si André Tournon s’est éloigné des considérations stylistiques 56de la critique qui réduisait l’allure des Essais à une imitation de Sénèque et Tacite ; l’autre affectait les éditions du texte, d’abord concentrées sur « l’aveuglement » des éditions Municipale et Villey-Saulnier, ensuite sur les « bévues » et « bourdes » de l’édition de 1595. Sa préoccupation s’est trouvée stimulée en 2007 par la nouvelle édition de la Pléiade plus encore que par celle de la Pochothèque (2001), aucune ne reproduisant toutes les majuscules de scansion d’EB puisqu’elles se fondent sur la version posthume. Les reprises d’analyses et d’arguments qui se greffent les uns sur les autres au fil de ses travaux s’expliqueraient par le fait qu’André Tournon s’est adressé à différents publics : spécialistes de Montaigne principalement, de la Renaissance en général, de l’histoire du droit, de linguistique et d’histoire de l’orthographe. Il aurait aimé convaincre les montaignistes : il y est parvenu pour certains, mais non pour tous. Après avoir blâmé la « censure rationaliste » des auteurs de l’Édition Municipale, il voyait dans l’élimination postérieure des retouches une « convention tacite de censure » entre les éditeurs et des spécialistes gênés par ces signes autographes3.
André Tournon a dû être déçu par mes réticences envers les principes qui ont guidé son édition de l’Imprimerie Nationale (1998), comme je l’ai écrit dans un compte rendu : il m’est apparu plus tard, dès que j’ai pu vérifier que les progrès de l’encodage informatique permettaient de transcrire intégralement EB et de baliser l’emplacement des retouches, ratures, additions et repentirs afin de les faire tous voir, que sa démarche était légitime, mais encore peu convaincante dans sa réalisation. Je trouvais que l’édition papier n’était pas à la hauteur de cette ambition et la consultation des variantes qu’il procurait, nécessairement sélectionnées, malaisée. Dans la reprise de son édition pour le volume franco-italien paru chez Bompiani (2012), André Tournon a renoncé à ce point médian, qui en dérangeait beaucoup, en revenant au ponctème visible sur EB (souvent un comma) ou en lui préférant le tiret4.
57La chronologie des commentaires portant sur cette segmentation particulière, et sur la façon dont l’édition de 1595 ne la suit pas, montre que son point de vue a changé : lorsqu’il a regardé de près les arrêts et les lettres de Montaigne, il a reconnu l’importance de la tradition de l’écriture juridique qui employait systématiquement des majuscules, avec peu ou pas de ponctuation, pour scander la profération de ce qui devait être dit et faire foi, comme témoignage ou comme sentence non définitifs5. Je lui ai communiqué trop tardivement mes propres recherches sur les pratiques des scripteurs de l’époque : ces hommes de loi et ces notaires ne supprimaient pas les signes de ponctuation pour mettre à leur place des majuscules, mais poursuivaient la tradition d’une ponctuation « blanche » avec majuscule, usages courants depuis le Moyen Âge roman jusqu’au xviiie siècle, par différence avec la ponctuation « noire » des ponctèmes proprement dits6.
Je me permets de poursuivre cette « conférence » sur la segmentation autographe des Essais en discutant cette opinion, inexacte à mon avis lorsqu’on regarde les textes tardo-médiévaux, que la ponctuation était alors lacunaire, ou volontairement supprimée : ponctuer n’était ni dans les usages du monde juridique, et guère dans la sphère privée. Aussi ne peut-on affirmer que la ponctuation des parties manuscrites d’EB soit manquante, imparfaite ou lacunaire : lorsqu’on regarde les manuscrits privés contemporains et dans le milieu auquel Montaigne appartenait, ils comportent peu de ponctèmes, comme en témoignent les lettres de Marguerite de Valois. Cette « puérile correction » de l’orthographe et de la ponctuation était affaire des pédagogues du temps où Montaigne était écolier, et deviendra affaire de professionnels quand il « dictera » 58et agencera ses Essais pour se faire imprimer. Malgré ces réserves, je considère qu’André Tournon a eu raison d’insister sur la façon dont Montaigne s’est emparé des possibilités expressives et philosophiques de ces signes muets, et nous aurions tort de ne pas nous y intéresser.
La relation entre les retouches manuscrites et la pensée de Montaigne était importante à ses yeux car il estimait que ces signes autographes étaient l’une des formes « signées » de l’auctorialité, incomprises de ceux qui ne les respectaient pas. En s’attaquant à l’édition de 1595 il complétait les réquisitoires de Claude Blum contre les éditions Marie de Gournay par une argumentation interne (la compréhension du texte) à laquelle s’ajoutera une argumentation externe et historique allant de la force du témoignage à la profération juridique de la ratification, d’autant plus que l’Ordonnance de Moulins (1566) avait consacré la prééminence de l’écrit sur le témoignage, contre les anciens usages. S’il s’en est pris d’abord à l’édition Villey et à ses petits arrangements avec l’édition de 1595 pour les additions manquantes et les passages manuscrits rognés, il s’est concentré ensuite sur les éditions modernes fondées sur l’édition posthume. Il appréciait l’édition Folio de 2009 qui tente de transcrire EB en donnant le résultat des retouches, mais non les ratures, et qui a eu le tort de considérer ce document comme un « brouillon7 ». Il préparait à la même époque son édition bilingue : celle-ci fournit en appendice une sélection de passages comparés à 1595, tout en restant de difficile consultation.
Dès 1992 André Tournon a distingué avec soin la « scansion » des majuscules et la ponctuation proprement dite, l’ensemble étant appelé « segmentation » (les distinctiones des médiévaux). Il était alors quelque peu péremptoire, affirmant qu’elles n’avaient jamais été imprimées, mais il a admis plus tard que l’édition de 1595 avait reproduit en partie ces modifications, lui-même révisant au fur et à mesure de ses calculs cette part non négligeable – et inexplicable – de fidélité : de 30 % à 50 %, jusqu’à l’intégralité pour certains chapitres8. Il a revu à la hausse la 59proportion de majuscules suivies par 1595, pour constater des exemples d’ultra-fidélité, là où l’édition posthume ajoutait des majuscules de scansion quand EB n’en montrait pas, comme dans « De l’expérience ». Dans son dernier état des lieux il évaluait à une centaine de cas son inventaire partiel des infidélités et des contresens9.
La textométrie, qui a pris le relais de la lexicométrie fondée sur le vocabulaire, peut aider à affiner ses analyses, ou parfois à les rectifier, puisqu’il est possible de rechercher par types les différents séparateurs balisés dans un texte, y compris la ponctuation blanche et l’esperluette, qui n’est pas si anodine. De telles statistiques sont désormais accessibles, notamment avec l’outil TXM qui s’appuie sur l’encodage en XML/TEI de la ponctuation10. André Tournon comptait plus de 7000 retouches autographes de segmentation en 1997 : le balisage précis effectué depuis permet de confirmer cette estimation, portée à 7519 ; nous devrions être bientôt en mesure de les décompter encore plus précisément en les distinguant des autres types de modifications (plus de 20 000) et en suivant toute leur histoire depuis 1580 jusqu’à l’édition posthume11.
J’ai déjà étudié certains signes, rares et relativement faciles à localiser, dans quelques ouvrages imprimés du xvie siècle : point d’exclamation, d’interrogation, point-virgule, hyphen. Restaient à exploiter les signes les plus nombreux, maîtrisables seulement si l’on peut effectuer des études quantitatives sur des corpus étendus, et qu’André Tournon avait comptabilisés manuellement. Je rêvais du moment où je pourrais lui montrer la fréquence absolue ou relative des ponctèmes non seulement par pages et chapitres, mais par nombre de mots, par phrases – et même par cahiers car il est probable que le ou les compositeurs de 1595 ont procédé par formes et non par pages, en alignant et comparant les différentes éditions.
60La transcription par Alain Legros et le balisage de l’intégralité des manuscrits de Montaigne (lettres et arrêts autographes inclus), des éditions de ses œuvres (Essais et Théologie naturelle), permet désormais d’observer sa façon de ponctuer en relation avec ses pratiques d’écriture, depuis la note de premier jet jusqu’à la relecture soigneuse (mais inachevée) de l’imprimé sur EB. La ponctuation des imprimés à cette époque est moins l’expression graphique d’une oralisation antérieure que celle d’un codage social et civil destiné à soumettre la parole à un cadre grammatical – non fixé à cette époque – et les travaux récents des médiévistes qui ont comparé les manuscrits du Moyen Âge tardif avec leurs premières impressions le confirment : la ponctuation médiévale était déjà loin du marquage de l’oral, elle s’en écarte encore davantage avec le règne du livre imprimé. Avant tout syntaxique, elle servait à segmenter la phrase en parties du discours12.
Bévues et contresens
Le fait est difficilement contestable : depuis qu’André Tournon à fait émerger le principe de la scansion autographe, nul lecteur de l’Exemplaire de Bordeaux ne peut en ignorer l’existence, nul ne peut faire comme s’il ne les voyait pas, surtout depuis que nous disposons de deux numérisations en couleur accessibles en ligne qui permettent de les agrandir – car il est bien besoin d’une loupe. Aller jusqu’à écarter l’édition de 1595, appelée encore « factice » par André Tournon en 2013, comme dernier état voulu par l’auteur, avait donné lieu à des échanges fournis dans plusieurs forums du Bulletin, avec Michel Simonin (janvier-juin 1999 et janvier-juin 2000), puis, moins polémique, avec Jean Céard (2003, 2008) et enfin avec l’équipe éditoriale de la Pléiade (2008). Le débat est loin d’être clos.
Pour André Tournon, « toute l’œuvre de Montaigne est en jeu » et il invitait à poursuivre son inventaire en recherchant ces retouches sur les parties manuscrites tout en admettant le caractère interminable de ce relevé : « l’enquête a bien des chances d’être longue et plus de chances 61encore de rester inachevée13 », et en 2013 il affirmait encore : « le chantier s’étend à perte de vue14 ». C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, malgré les éditions numériques génétiques de 1580-1582 et d’EB qui n’étaient pas encore disponibles lorsqu’il publiait ces lignes, une grande partie de cette enquête reste à poursuivre. Il déclarait, dépité par le peu d’écho accordé à ce type de travaux : « L’absence d’objections argumentées donne à penser que les contradicteurs ont renoncé à soutenir leurs conclusions15 ».
Je ne lui apporte pas ici la contradiction, mais propose de revoir certains de ses arguments car je ne les trouve pas assez probants. Le fait que nous ayons consacré presque trois ans, Alain Legros et moi-même, aidés d’une équipe d’ingénieurs qui a fait de son mieux pour reprendre à nouveaux frais la transcription d’EB, y compris avec ses ratures et surcharges, exprime un désir de répondre à sa demande et de réaliser ce qu’il souhaitait, par un traitement élargi à tous les autographes. Le fait que je travaille actuellement à l’édition numérique balisée de l’exemplaire de 1595 conservé à Anvers et portant les corrections de Marie de Gournay en serait une autre preuve : comme je l’ai exposé dans deux articles récents, je rejoins les doutes d’André Tournon sur l’édition de 1595, mais je la déclarerai moins « apocryphe » qu’arrangée de telle manière que le texte paraisse suffisamment « civil » : « Encore se faut il testonner, encore se faut il ordonner & renger pour sortir en place » (1595, II, vi, p. 241)16.
La prise en compte des retouches de ponctuation et surtout de majuscules aborde un problème de fond : les partisans de l’édition posthume, notamment ceux qui l’ont éditée, considèrent que Marie de Gournay a parfaitement compris les propos de Montaigne et que les contresens sont rares. Elles sont parfois soutenues par une lecture idéologique des Essais favorisant la doxa actuelle d’un Montaigne conservateur, occupé par sa carrière et considérant les Essais comme un moyen d’y parvenir ; 62doxa qui contrebalancerait une autre doxa, plus ancienne mais mal vue aujourd’hui, qui lisait dans ce texte, avec André Tournon, l’expression d’une recherche pyrrhonienne de la vérité, une esthétique de la contingence et une zététique à l’œuvre. Ceux qui ont pris le parti de l’ambition contre la subtilité philosophique de l’auteur, qui ne voient que simulacre et rhétorique astucieuse dans ces protestations de sincérité, font peu de cas des majuscules.
Ma propre enquête, que je ne peux pas détailler ici tellement les vérifications de ponctuation sont chrono- et paginophages, s’est attachée à suivre une bonne partie des exemples proposés par André Tournon dans les appendices de 2009 (Route par ailleurs), de 2012 (Saggi) et dans plusieurs autres articles. Même si ses transcriptions d’EB et de 1595 se sont améliorées dans les dernières études, les « mélectures », comme disent les philologues, ont souvent suscité des commentaires peu justifiés par la segmentation. Mes vérifications m’ont souvent conduite à voir sous les signes d’autres signes que ceux qu’il avait lus : ces divergences ne concernent que la ponctuation, non les majuscules qui, comme André Tournon l’a souvent souligné, sont parfaitement repérables17.
Comme du temps de Montaigne et Marie de Gournay, André Tournon a été plus ou moins bien servi par les imprimeurs et correcteurs : il est difficile de savoir si l’auteur ou le préparateur de la copie pour le Bulletin ou pour les premiers articles, souvent recomposés par les revues, est responsable des coquilles et inexactitudes. Dans « L’exemplaire et la copie » (1999), je ne trouve pas moins de douze différences de graphies et de ponctuation dans le texte de 1595 pour le passage de l’« Apologie », cité et commenté depuis à plusieurs reprises, à propos des sacrifices cruels offerts aux dieux (manuscrit en italiques) :
L’ancienneté pensa […] et Alexandre arrivè a l’ocean Indique jeta en en mer en faveur de Thetis plusieurs grans vases d’or : <Re>mplissant en outre ses autels […] ainsi que plusieurs nations, & entre autres la nostre, avoient en usage ordinaire : &Et croy qu’il n’en est aucune exempte d’en avoir faict essay18.,[…]
63La transcription d’EB est moins fautive, mais présente néanmoins deux modifications de ponctuation, alors que les majuscules de scansion sont bien respectées. Le fait que 1595 ait un point au lieu de ce qui était un comma sur EB (partie manuscrite elle-même raturée et retouchée) avant « Et Alexandre » n’interdit pas de penser que le participe « Remplissant », précédé d’un comma dans les deux cas, puisse renvoyer à la fois au contexte gauche immédiat ou lointain, quelle que soit la ponctuation qui précède ce participe. Le R majuscule est « restitué » d’après 1595 comme Michel Simonin l’avait fait remarquer19, et le jugement contenu dans les deux dernières clauses de cette longue phrase coupée d’une addition peut se référer à la série des exemples et plus généralement au sujet de la proposition principale, cette « ancienneté » qui sacrifiait jusqu’aux hommes.
On n’y voit rien
On n’y voit rien est le titre d’un ouvrage de Daniel Arasse, qui traite des escargots et autres bestioles saugrenues figurant dans certains tableaux religieux de la Renaissance20 : c’est-à-dire, le contraire de l’évidence des « mouches en lait ». De nos jours on distingue mieux leur présence et leurs espèces grâce à la disponibilité des documents originaux (EB reste toutefois un « trésor » d’accès très restreint) ou de fac-similés de meilleure qualité. L’article paru dans les Cahiers textuels (1993) commente un point-virgule perçu comme le résultat d’une virgule primitive surchargée à la plume pour renforcer la clausule du chapitre « De la tristesse », clausule niant la sensibilité de l’auteur aux violentes passions : « J’ay l’apprehension naturellement dure ; eEt l’encrouste & espaissis tous les jours par discours21 ». Mais, sur EB comme en 1588, il s’agit d’un point-virgule imprimé et il y en a un autre sur la même page, à la deuxième ligne, ponctème lui aussi suivi d’une majuscule manuscrite : 64il sert à séparer deux exemples de morts de joie, d’un troisième, celui de la proposition principale. Je suppose qu’André Tournon n’avait pas à sa disposition d’exemplaire de 1588 autre que EB, ce qui peut expliquer cette méprise. En outre, l’édition de 1588 ne montre que huit points-virgules imprimés, répartis seulement dans les quatre premiers cahiers : un essai vite abandonné par l’imprimeur22 ?
Cette louable entreprise de déchiffrer toutes les retouches se heurte au double obstacle de la taille et de la superposition des ponctèmes : une transcription qui se dit exacte ne peut l’être tout à fait, non par erreur de lecture volontaire, mais par mélecture – nous-mêmes avons failli plusieurs fois et continuons les mises à jour. Le trouble commence dès les deux premières lignes de la préface « Au lecteur », que je retranscris comme nous l’avons fait dans l’édition numérique, en plaçant à la suite l’original et la retouche :
Il t’advertit dés l’entrée, que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique & privée : jJe n’y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mMes forces ne sont pas capables d’un tel dessein. (f. a2r)23
André Tournon a vu un point remplaçant un comma après « privée » et « ma gloire », comme si la majuscule tracée sur la minuscule avait supprimé le point supérieur du comma24. À force d’observer ce type de modification sur EB et après discussion, nous avons conclu qu’à l’inverse le comma avait été maintenu dans les deux cas, et que ce que l’on croit être une biffure n’est que l’amorce du J de « Je n’y ay eu », puis du M de « Mes forces ». 1595 s’en tient à l’état de 1588 (comma + minuscule), et très souvent les « bévues » de cette édition ne sont que la reprise de l’édition antérieure.
À partir de 1999, c’est davantage l’édition de 1595 qui est la cible, tellement André Tournon avait été agacé par les éloges adressés à l’édition de la Pléiade. On sait l’importance qu’il accordait aux transformations de ponctuation dans le passage que Montaigne reprend au Plutarque d’Amyot, présenté de façon détaillée dans « Palimpsestes » 65en 2003, repris en 2008 et en 201225. Or le premier exemple fourni pose problème, faute de bien distinguer la retouche elle-même. Nous l’avons reproduite ainsi :
,. pPour autant que ce naistre n’acheve jamais, & jamais n’arreste, comme estant à bout., aAins depuis la semence va tousjours se changeant & muant d’un à autre,. cComme de semence humaine […] (f. 257r=265r)
Devant le « Ains » retouché, André Tournon a vu le maintien de la virgule alors que nous y avons décelé le changement d’une virgule en point (antéposé), ce qui supprime de fait la relance plus marquée d’une séquence virgule + majuscule, un type de modification très fréquent lorsque la virgule est suivie d’une conjonction de coordination ou de subordination. Un peu plus loin, à l’inverse, André Tournon n’a pas vu que la ponctuation d’EB était strictement la même sur 1588 et EB pour « devenant tousjours autre d’un autre : &Et par consequent se trompent » (ibid.) : l’effet de rupture puis de relance en est moins marqué. Il n’empêche que la confrontation de 1580, 1582, 1588 et EB pour ce passage, éclaire l’attention que Montaigne a accordée à la segmentation dès la première édition Millanges et la façon dont il s’est efforcé d’y revenir en renforçant son rythme.
L’utilisation du terme de « typographème » pour désigner seulement les retouches manuscrites affectant les majuscules sur l’imprimé aurait pu être une bonne idée, et une manière de rebaptiser autrement ce processus, alors que « retouche » évoque d’abord la couture ou la photographie maquillée. André Tournon le présente en 2012 dans « Après la controverse » et lors du colloque Hermès typographe (non publié)26. Le 66linguiste Göran Hammarström ayant déjà proposé ce terme en 1964 pour désigner tous les signes typographiques incluant les glyphes, les caractères, les signes de ponctuation et la majuscule, cette terminologie risquait d’apporter plus de confusion que de précision27.
Les ponctèmes sont des signes et, comme tous les autres semeia, ils renvoient à autre chose qu’eux-mêmes selon des modalités diversement probantes : signes certains (tekmeria), vraisemblables ou probables (eikota), téméraires ou douteux (eikaia)28. Elles correspondent à ce qu’André Tournon avait noté en 1992 à propos de l’évaluation des témoignages par le conseiller qui les « récite » devant les juges : « Bene probat, optime probat, parum probat ». Encore faut-il bien établir la réalité du fait sensible, ce que EB ne laisse pas toujours discerner. Entre 1992, date de sa contribution au colloque Montaigne et la rhétorique, et « Ny de la ponctuation » (1999), André Tournon a revu sa lecture des trois signes de ponctuation du célèbre passage sur l’orthographe, que nous transcrivons ainsi :
Je ne me mesle, n’y [sic] d’ortografe, : & ordonne seulement qu’ils suivent l’ancienne, : nNy de la punctuation : je suis peu expert en l’un & en l’autre. (f. 424r=433r)
En 1992 la transcription de la ponctuation ne correspondait pas à EB29 : pour les deux premiers ponctèmes, André Tournon voyait une virgule mais non la retouche en comma autographe ; le second ponctème était une virgule, retouchée plus visiblement par un comma autographe, et André Tournon y a vu un point-virgule, si bien que la majuscule en surcharge de « Ny » suivrait une ponctuation à priori plus forte. En 1999 il rectifie le second ponctème en comma, mais n’a toujours pas discerné le même phénomène après « ortografe ». Les surcharges présentent donc, dans la dernière couche, une série de trois commas et non la série virgule / point-virgule ou comma / comma. La responsabilité de ces problèmes 67en revient à la reproduction phototypique (Hachette, 1912), elle-même photocopiée, que le reprint en noir et blanc n’améliorait guère. L’édition de 1595 remplace ces deux virgules retouchées par des parenthèses, ce qui ne contredit pas la logique du texte et n’est pas une trahison : les parenthèses sont utilisées dans l’édition de 1588 et dans quelques additions manuscrites, même si dans ses instructions à l’imprimeur Montaigne ne les encourage pas : « <Qu>’il voie en plusieurs lieus ou il y a des parantheses s’il ne suffira de distingu<er> <le> sens aveq des poincts. » (f. a1v).
Dans la controverse qui a suivi la parution de la Pléiade, André Tournon avait fait porter sa critique sur « l’échantillon » de II, xiv (« Comment nostre esprit s’empesche soy-mesmes »), choisi par les éditeurs pour donner une idée des variantes de détail, y compris de ponctuation30. Faisant remarquer que ce chapitre ne montrait aucune retouche de majuscule, André Tournon a analysé subtilement l’infléchissement apporté par le nouveau découpage de 1595 : à la place d’une série de virgules comme en 1588 – série non modifiée sur EB –, trois exemples sont scindés par des commas qui semblent rattacher le jugement « où la raison et l’effet sont si opposites » aux seuls cas de la pierre philosophale et de la quadrature du cercle. Or on n’est nullement obligé de lire le passage ainsi, parce que les commas n’ont pas une fonction aussi séparatrice que celle qu’André Tournon leur attribuait, influencé comme il l’était par la signification moderne explicative qui s’impose à partir du xixe siècle. Tout dépend de la force que l’on attribue aux combinaisons de ponctèmes de niveau « moyen », véritables « arêtes » du « langage coupé » : virgule suivie de majuscule, comma suivi ou non de majuscule.
Même si elle avait eu le tort de n’accorder aucune attention aux majuscules de scansion, Nina Catach avait bien souligné la fonction flottante du comma, ponctème à tous usages dont elle souhaitait la conservation pour les éditions futures31. Dans les imprimés du xvie siècle, 68le comma alterne souvent avec des virgules, beaucoup plus qu’avec des points, et marque une pause plus longue sans achever la « sentence », au témoignage d’Élie Vinet qui suit Mathurin Cordier, Étienne Dolet et Robert Estienne32. Le comma est souvent le point d’achoppement des nombreuses analyses d’André Tournon, par ailleurs pertinentes dans leur façon de souligner des problèmes d’interprétation sur des passages précis. J’imagine, mais rien n’est sûr, que celui ou celle qui a reponctué la fin de ce chapitre ii, xiv telle qu’elle était en 1588 et sans aucune intervention manuscrite, a surtout voulu ménager la respiration, fût-elle mentale, du lecteur.
En admettant que ces retouches marquent et ratifient une attitude réflexive de Montaigne, il n’est pas sûr que, lorsqu’il s’est relu, et surtout lorsqu’il a relu une version imprimée qu’il n’avait pas contrôlée, il ait retrouvé lui-même ce qu’il avait voulu dire. Nous ne savons pas ce qu’était cet « EB-bis » comme André Tournon appelle cet autre exemplaire annoté, ce « faux jumeau » d’EB transmis à Marie de Gournay, difficile à lire aux dires mêmes de l’éditrice, et qui a servi de copie de référence pour l’imprimeur. Pour l’imprimeur certes, mais non pour le compositeur : selon ce que j’ai pu apprendre des historiens du livre, les imprimeurs de l’époque recopiaient ou faisaient recopier entièrement un manuscrit (fût-il manuscrit seulement pour un tiers), surtout lorsque l’archetypum n’était pas directement utilisable, à plus forte raison s’il fallait passer d’un format in-quarto à l’in-folio et revoir entièrement le calibrage.
On ne peut faire l’économie d’au moins deux copies des Essais, autres qu’EB, ce qu’André Tournon admettait, même s’il tenait à l’idée qu’EB n’était pas un brouillon : l’une serait l’archetypum (le faux jumeau), alors que la copie réalisée par l’imprimeur serait l’exemplar33. Quelqu’un (Pierre de Brach ? Marie de Gournay ?) a donc recopié ou fait recopier l’archetypum disparu et le compositeur n’avait ni EB ni celui-là sous les yeux lorsqu’il remplissait son composteur avec les caractères, mais une 69recopie intégrale (disparue), sur des feuilles de format in-folio, de ce qui était à l’origine un in-quarto, plus « propre » qu’EB, mais abondamment annoté et offrant de nouvelles additions et leçons. Je suppose que l’exemplar avait déjà déplacé le chapitre i, xiv, changement inadmissible selon André Tournon qui y voyait une sorte de censure des éditeurs. Une bonne partie des retouches de majuscules qu’on voit sur EB devaient figurer aussi sur l’archetypum, sans doute pas exactement les mêmes ni aux mêmes endroits. Même recopiée une ou deux fois, une virgule corrigée en comma est malaisée à analyser : lorsque cette combinaison se présente, le copiste ultime ou pénultième a souvent vu un point-virgule, ou a transformé en points-virgules des ponctèmes superposés qu’il distinguait difficilement, comme nous autres.
Une raison supplémentaire invite à ne pas voir de points-virgules là où il y a retouche : ce seraient vraiment des exceptions. Pas plus que Dolet dans son traité de la ponctuation, Montaigne ne connaît ce ponctème qui ne figure que sporadiquement chez les imprimeurs, sous influence italienne, dans la deuxième moitié du xvie siècle34. 1588 ne l’ignore pas, on l’a vu, mais c’est surtout 1595 qui en offre des centaines (1116) et 1598 réduira cet excès. Dans mes vérifications sur l’usage du point-virgule en 1595 pour le livre III (chapitres i à x inclus), sur les 155 occurrences ce ponctème remplace pour plus de la moitié des cas (83) une virgule, et dans deux cas seulement une virgule manuscrite. Viennent ensuite les cas assez nombreux (48) où les points-virgules remplacent par fusion une retouche manuscrite où une virgule se trouve changée en comma35. Le point-virgule n’est pas à cette époque un signe de ponctuation forte et se situe quelque part entre la faible et la moyenne. Si je peux défendre la cause du comma, à conserver dans toutes les transcriptions diplomatiques, mon premier argument serait sa fréquence 70très élevée dans les retouches de ponctuation, en particulier dans le livre III ; le deuxième serait celui de la souplesse, d’une plasticité qui se combine avec les retouches portant sur les majuscules. André Tournon faisait de cette malléabilité l’un des moyens de percevoir l’irréductible singularité des Essais.
La tâche n’est pas facile pour ceux qui s’intéressent au poids des marques de l’écrit dans leur relation avec la pensée, et elle ne l’est pas non plus pour les sceptiques qui ne voient, dans cette obstination de Montaigne à corriger ponctuation et majuscules, qu’une entreprise interrompue ou abandonnée, laissée ensuite aux professionnels qui ont contribué à établir l’édition posthume à leur guise. Les exemplaires de 1595 ne sont pas tous identiques comme les relevés de Richard Sayce le montrent, complétés par l’examen d’autres exemplaires. Celui d’Anvers a des corrections de ponctuation de la main de Marie de Gournay, surtout dans les raccords de citations, aucune ne figurant dans les errata. L’une de ces corrections mérite attention car elle correspond à une addition manuscrite sur EB :
J’ay un bon <gar>çon de tailleur a qui <je n>’ouis jamais dire une <ver>ite non pas quand elle <s’of>fre pour luy servir <uti>lemant Si come la <ver>ite le mansonge n’avoit <qu’u>n visage nous serions <en> meillurs termes. [point ajouté] cCar nous <pre>nderions pour certein <le co>ntrere <l’o>ppose de ce que diroit <le m>antur. [point ajouté] mais […]
Le texte devient en 1595 et sur cet exemplaire :
J’ay un bon garçon de tailleur, à qui je n’ouy jamais dire une verité, non pas quand elle s’offre pour luy servir utilement : [MdG Si,]>si comme la verité, le mensonge n’avoit qu’un visage, nous serions en meilleurs termes : car nous prendrions pour certain l’opposé de ce que diroit le menteur. Mais […]36
Marie de Gournay a achevé de marquer la segmentation d’une addition fort peu ponctuée, et sa modification est pertinente. André Tournon aurait pu interpréter ce « Si » de relance après ponctuation moyenne et bien détaché par une virgule comme un bon exemple d’interprétation correcte. Toutefois, voir dans les retouches l’effet d’une tension entre la 71ponctuation de l’imprimé (syntaxique, dans l’ampleur de la période) et la ponctuation stylistique manuscrite (scandée) ne s’applique pas partout. Ses rectifications ultérieures montrent qu’André Tournon éditeur en était bien conscient. J’ai défendu pour ma part l’idée que les modifications de la ponctuation imprimée d’une édition à l’autre, notamment le surcroît de ponctèmes et le surnombre de commas, va dans le sens d’un habillage syntaxique renforcé pour que l’édition apparaisse plus convenable, et pour que la langue française, aussi ponctuable que la latine, laisse voir sa grammaticalité en séparant bien les syntagmes. Mais Montaigne les sépare trop, en renforçant souvent ce qui était ponctuation faible en moyenne, ou ponctuation moyenne en forte : cette surcharge peut effectivement engendrer une tension entre la pratique de l’imprimeur – sous la direction des éditeurs de 1595 – et les marques graphiques d’auctorialité ratifiée. Là où les majuscules de scansion restent en 1595, soit grâce au scribe de la copie in-folio, soit grâce à Marie de Gournay elle-même, soit grâce à un correcteur d’atelier, elles sont d’autant plus pertinentes. On n’y voit rien, on y voit beaucoup.
Le rôle de la ponctuation peut donc relever du colifichet de grammairien comme du philosophème. André Tournon a laissé de côté au bout de quelques années les retouches de ponctuation seule pour s’intéresser surtout aux retouches de majuscules (les « typographèmes »), en vertu de ce qu’il avait découvert grâce à Sandro Bianconi pour la profération judiciaire en Italie, et à Katherine Almquist pour les arrêts de Montaigne rapporteur37. Il ne se situait pas dans la perspective d’une segmentation imprimée qui aurait eu un rôle de guide pour l’oralisation et la prononciation : ni en amont, quand les ponctèmes indiqueraient une variation 72phonique, ni en aval pour une pause ou modulation à respecter dans la lecture à haute voix d’un texte écrit. La profération mentale suppose un accent d’intensité et c’est la force illocutoire de la majuscule qui joue ce rôle : les arrêts « arrêtent », les jugements « jugent », les dicta « décident », tout en étant « tenu[s] en suspens38 ».
André Tournon a beaucoup insisté sur ce processus de ratification par l’écrit : non pas comme un certificat de vérité décerné à l’énoncé, mais comme valeur déclarative d’un intertexte, des formules d’autrui (il est resté fidèle à la formula mise en évidence par Fausta Garavini), ou de Montaigne lui-même, afin de délimiter ce à quoi le lecteur doit être attentif : cette invitation est d’autant plus envisageable que la fonction de marquage du discours rapporté, dans les éditions Millanges, est la principale qu’on constate pour la séquence virgule + majuscule. Je n’ai trouvé que trois cas (deux avec « Et », un avec « Outre »), où cette séquence en 1582 peut s’expliquer par une relance de narration, à rapprocher du « récit » objectif du conseiller.
En 2014 encore, nous échangions avec André Tournon nos idées et perspectives sur la segmentation des Essais, et nous étions d’accord déjà sur un point : la nécessité de continuer à travailler sur cette question apparemment oiseuse mais importante pour la compréhension du texte. Oiseuse, parce qu’elle apparaît à beaucoup comme peu signifiante eu égard à l’interprétation littéraire, et encore moins dans une approche philosophique ou sociologique de cette œuvre. Importante toutefois, car une phrase « rompue » par un point mal placé, ou au contraire une phrase bien lissée dans une période, peuvent modifier notre lecture, alléger le « poids du témoignage philosophique » et atténuer la force de ces signes de réflexivité39.
Les outils informatiques et statistiques appliqués à des corpus enrichis permettront d’étayer ou d’infléchir les conséquences herméneutiques qu’André Tournon tirait de la segmentation manuscrite de l’Exemplaire de Bordeaux, et de mettre en regard ce qu’il en advient réellement dans les éditions suivantes. Ils ne fourniront pas une nouvelle philosophie des Essais, ne traceront pas de frontière plus nette entre le doute et la conviction, ni n’annuleront les intuitions et opinions des experts. Ils 73aideront moins à distinguer les traces des signatures qu’à les compter, les passer au crible des contextes, les « mettre en rôle ». Je ne crois pas que la technologie blanchisse Marie de Gournay de toute intervention malheureuse, mais elle offrira la possibilité de reformuler des hypothèses et à en suspendre éventuellement les arrêts. Elle ne transformera pas les signes de ponctuation vraisemblables ou douteux en signes certains de la pensée de Montaigne, mais fournira de nouvelles données à ceux qui partagent, avec André Tournon, une véritable « addiction au texte40 ».
Marie-Luce Demonet
1 Rodolphus Goclenius (Göckel), Lexicon philosophicum, quo tanquam clave philosophiae fores aperiuntur, Francfort, Veuve Mathias Becker, 1613, 1615. Reprint Hildesheim, New-York, G. Olms, 1980, p. 1045-1050.
2 1997 (2001), « “Mouches en lait”. L’inscription des lectures », dans Lire les Essais de Montaigne, actes du colloque de Glasgow 1997, réunis par Noël Peacock et James J. Supple, Paris, Champion, 2001, p. 75-88. Je donne entre parenthèses la date de publication, la date de rédaction ayant son importance dans la chronologie des articles.
3 1992 (1995), « L’énergie du “langage coupé” et la censure éditoriale », dans Montaigne et la rhétorique, actes du colloque de St Andrews 1992, réunis par John O’Brien, Malcolm Quainton, James J. Supple, Paris, Champion, 1995, p. 117-133 (p. 118).
4 J’utilise le terme de « comma » pour désigner le deux-points : Dolet le nomme ainsi dans son traité sur la ponctuation française (1540) et Montaigne fait de même dans ses instructions manuscrites à l’imprimeur, portées sur l’Exemplaire de Bordeaux (EB, f. a1v) ; il ne met pas de « s » au pluriel. Michel de Montaigne, Saggi, Traduzione di Fausta Garavini, Note di André Tournon, Testo francese a fronte a cura di André Tournon, Milano, Bompiani, 2012.
5 Voir en particulier « La scansion dans les documents juridiques du xvie siècle, et ses effets sur les écrits d’un ancien magistrat de la même époque », dans L’Écriture des juristes, xvie-xviiie siècles, études réunies par Laurence Giavarini, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 241-258.
6 2013 (2016), « Rhétorique de l’écrit imprimé à la Renaissance », Dossiers d’HEL, SHESL, actes du colloque de Paris 2013 « Écriture(s) et représentations du langage et des langues », Histoire, Épistémologie, Langage, 9, 2016, p. 146-161 (en ligne) ; 2015, « Ponctuer et dicter chez Montaigne », dans Ponctuation, segmentation, matérialité des textes. Langues d’Europe (Moyen Âge et Renaissance), colloque de Salamanque 2015, org. S. Baddeley, F. Jejcic, E. Llamas Pombo, G. Parussa, D. Smith, à paraître (éditions de l’Université de Salamanque). La notion de « ponctuation blanche » s’est répandue à partir des travaux d’Henri Meschonnic et Gérard Dessons sur le rythme du poème : Michel Favriaud, « Quelques éléments d’une théorie de la ponctuation blanche par la poésie contemporaine », L’Information grammaticale, 102, 2000, p. 18-23.
7 « Forum : édition des Essais », BSIAM, 52, 2e semestre 2010, p. 113-117.
8 34 % dans 1995 (1996) « Le “bon ange” et le bon usage : Montaigne au purgatoire », BSIAM, Marie de Gournay et l’édition de 1595 des Essais de Montaigne, VIII, 1-2-3, janvier-juin 1996, p. 39-53 (p. 41), chiffre monté à 50 % dans « L’exemplaire et la copie », BSIAM, VIII, 13-14, janvier-juin 1999, p. 71-77 (p. 75-76). Les différences dépendent de la façon dont on compte pour une ou pour deux les retouches qui associent changement de ponctuation et surcharge par majuscule, comme l’auteur l’admet dans « Je n’ai jamais lu les Essais de Montaigne », Cahiers textuel, Le Livre I des Essais de Montaigne, 12, 1993, p. 9-29 (p. 19).
9 « “… au premier que je rencontre”. Remarques préliminaires sur le double texte de l’édition de référence (Bompiani, Milan 2012) », BSIAM, 57, 2013, 1, p. 81-99 ; « Parole de badin, parole irrécusable », Réforme, Humanisme, Renaissance, 76, juin 2013, p. 107-118.
10 Outil développé par Serge Heiden à l’ENS de Lyon. Voir les travaux d’Alexei Lavrentiev et sa thèse, qui se fondent sur TXM : Tendances de la ponctuation dans les manuscrits et incunables français en prose, du xiiie au xve siècle, ENS-LSH, Lyon (dir. C. Marchello-Nizia), juillet 2009.
11 On compte 3403 retouches de ponctuation, plus 4116 modifications de minuscules en majuscules, soit 7519 retouches de segmentation au total. Je ne sais sur quelles bases André Tournon parvenait à 9000 dans « “Ny de la punctuation”. Sur quelques avatars de la segmentation autographe des Essais », Nouvelle Revue du xvie Siècle, 17/1, 1999, p. 147-159 (p. 147).
12 Voir les actes du colloque de Salamanque 2015, à paraître.
13 « Coupez ! Ceci n’est pas un article », BSIAM, 55, 2012, 1, p. 289-293 (p. 293).
14 « Parole de badin, parole irrécusable », article cité, p. 110.
15 Ibid., note 2, p. 111.
16 Dans « Oraliser les Essais de 1595 : Montaigne à son rythme », dans La Langue de Montaigne, numéro spécial du BSIAM, dir. D. Knop et V. Giacomotto-Charra, 67, 2018-1, p. 59-78, et « Soupçons sur les éditions posthumes à la Renaissance », dans L’éditeur à l’œuvre, colloque de Bâle 2018, Dominique Brancher et Gaëlle Burg (dir.), à paraître (Université de Bâle).
17 Voir le passage sur « la farcissure » dans I, xx (EB, f. 31v ; 1595, p. 41 ; Pléiade, p. 91) : André Tournon a d’abord vu un point-virgule manuscrit après « examples » dans « Variantes attestées et variantes douteuses », Nouveau BSIAM, III, 1, 1er semestre 2008, p. 17-32 (p. 23), alors qu’il s’agit d’une virgule retouchée en comma. Son édition de 1998 avait mis un point haut mais celle de 2012 revient au comma, comme l’avait fait 1595.
18 1595, II, xii, p. 339. Il me semble qu’André Tournon n’avait pas alors d’exemplaire original de 1595 sous les yeux. La pagination de 1588 est ici erronée (217r-v au lieu de 225r-v).
19 Réponse de Michel Simonin à André Tournon dans le forum du BSIAM, 2000-1.
20 Paris, Denoël, 2005.
21 « Je n’ai jamais lu les Essais de Montaigne », 1993, article cité, p. 12-13.
22 D’après les requêtes effectuées avec TXM par Lauranne Bertrand et Mathieu Duboc et le commentaire de Toshinori Uetani, les points-virgules se répartissent ainsi : 4 sur le premier cahier, 2 sur le second, 1 sur le troisième et 1 sur le quatrième (2r-13, 4r-2, 4r-11, 4v-16, 5r-4, 5r-17, 10r-3, 13v-14).
23 Consultable sur le site des BVH, université de Tours.
24 Leçon de l’Imprimerie Nationale (1998) et des Saggi (2012).
25 2003 (2009), « Les palimpsestes du “langage coupé” », dans La Langue de Rabelais – la Langue de Montaigne, actes du colloque de Rome 2003, édités par Franco Giacone, Genève, Droz, 2009, p. 351-369 ; « “C’est un langage coupé” : les segmentations superposées dans les Essais de Montaigne », communication au colloque Problématiques de la ponctuation dans les textes anciens et modernes, org. Claire Blanche-Benveniste et Michèle Fruyt, Paris (EPHE et ENS-Ulm), 18-19 avril 2008, actes non publiés, mais André Tournon m’avait transmis son texte ; « Coupez ! », 2012, article cité ; « Après la controverse », 2012, article cité.
26 « Après la controverse », 2012, article cité ; « ‘Il sera dit’… Typographèmes dans les Essais de 1592 », dans Françoise Lavocat et François Lecercle, Hermès typographe : Les dispositifs typographiques et iconographiques comme instruments herméneutiques (xvie-xviiie s.), colloque de Paris-Sorbonne, 27-28 janvier 2012, inédit transmis à Olivier Guerrier qui me l’a communiqué. Cette ultime contribution insiste sur l’espace temporel « signé » par l’usage du futur dans la formule juridique « il sera dit », dont la retouche est l’équivalent graphique.
27 Göran Hammarström, « Type et typème, graphe et graphème », Studia neophilologica, 36, 1964, p. 332-340.
28 J’ai présenté ces distinctions dans « Les signes probables (eikota) au temps de Montaigne », 2001, repris dans À plaisir. Sémiotique et scepticisme chez Montaigne, Orléans, Paradigmes, 2002, ch. 16 ; « L’essai : un témoignage en suspens », dans Carrefour Montaigne, actes du colloque de Padoue 1993, édité par Fausta Garavini, Pise-Genève, Edizioni ETS-Slatkine, 1994, p. 117-145 (p. 129, p. 143).
29 Dans « Ny de la ponctuation », 1999, article cité.
30 « Pour le forum du Bulletin de la Société des Amis de Montaigne. Un échantillon doublement probant (Notes critiques sur la nouvelle édition des Essais dans la collection de la Pléiade) », Nouveau BSIAM, II, 2, 2e semestre 2007, p. 119-124. Ce chapitre se situe p. 404 de l’édition de 1595, mais les pages 40-404 ont été recomposées dans au moins deux exemplaires : il faut ajouter celui de la Bibliothèque municipale de Tours à l’exemplaire de Besançon signalé par R. Sayce. Ils contiennent des différences de graphie, dont sept de ponctuation (aucune pour ce chapitre très court), hésitations entre la virgule et le comma.
31 Nina Catach, « L’orthographe de Montaigne et sa ponctuation d’après l’Exemplaire de Bordeaux », dans Éditer les Essais de Montaigne, actes du colloque de Paris IV-Sorbonne des 27-28 janvier 1995, réunis par Claude Blum et André Tournon, Paris, Champion, 1997, p. 135-172.
32 Voir mon analyse de cette question dans « Oraliser les Essais de 1595 », 2018, article cité.
33 Je donne à ce terme le sens que les historiens du livre lui attribuent, qui n’est pas exactement celui de Philippe Desan, lequel correspondrait davantage à la fusion de l’archetypum et de l’exemplar (« De l’exemplar à l’exemplaire de Bordeaux », dans Lire les Essais de Montaigne : perspectives critiques, édition citée, 2001, p. 247-280) : voir Anthony Grafton, The Culture of Correction in Renaissance Europe, Londres, The British Library, 2011, p. 49.
34 Sur l’histoire du point-virgule voir Annette Lorenceau, « Histoire du point-virgule et des deux-points dans la ponctuation française », Trames. Actualité et histoire de la langue française. Méthodes et documents, Université de Limoges, 1984, p. 99-107 ; Nina Catach, « La ponctuation dans les imprimés, des débuts de l’imprimerie à G. Tory et E. Dolet », dans La Ponctuation : recherches historiques et actuelles, Tome I, Paris/Besançon, CNRS-HESO, 1977, p. 29-57 ; Jacques Dürrenmatt, « Grandeur et décadence du point-virgule », Langue française, 172, 2011-2, p. 37-52.
35 J’en ai relevé aussi 12 pour une ponctuation absente dans le manuscrit : 7 pour virgule + point, 2 pour comma + majuscule rectifiée, 1 point manuscrit, 1 (double) pour une parenthèse, 1 point-virgule remplaçant un point d’interrogation vraiment anomalique en 1588.
36 1595, I, ix, « Des menteurs », p. 19 (1595) ; EB, f. 11v. La correction est intégrée au texte de la Pléiade (p. 58), qui ne signale pas la variante ; la Pochothèque suit l’original de 1595 (p. 92), sans modification.
37 Sandro Bianconi, « L’interpunzione in scritture pratiche fra la metà del Cinquecento e la metà del Settecenti », dans Emanuela Cresti, Nicoletta Maraschio, Luca Toschi (dir.), Storia e teoria dell’interpunzione, actes du congrès de Florence 1988, Roma, Bulzoni, « Studi e testi », 1992, p. 231-243 ; Katherine Almquist, publication de cinq arrêts autographes au rapport de Montaigne, dont quatre dans le BSAM de janvier 1998, p. 13-98, et un dans Montaigne Studies, vol. 10, 1998, p. 213-228, portant ainsi à dix le nombre d’arrêts autographes connus en tenant compte des cinq arrêts publiés jadis par Paul Bonnefon. Ces dix « arrêts » ou plutôt dicta, comme précisé par André Tournon, ont fait l’objet de nouvelles transcriptions dans la publication numérique, par A. Legros (BVH, Monloe), de 47 arrêts au rapport de Montaigne. Voir aussi, du même, dans le BSIAM 58, 2013-2, p. 33-40, plusieurs corrections apportées à la collecte des certifications de présence du conseiller Montaigne fournie par K. Almquist en appendice du premier des deux articles mentionnés ci-dessus.
38 « Après la controverse », 2012, article cité, p. 266.
39 « Coupez ! », 2012, article cité, p. 293.
40 « Après la controverse », 2012, article cité, p. 251.