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Classiques Garnier

JYP et « nous »

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
    2019 – 2, n° 70
    . Hommage à Jean-Yves Pouilloux et à André Tournon
  • Auteur : Jenny (Laurent)
  • Résumé : Pour Jean-Yves Pouilloux, Montaigne est d’abord l’expression d’une vérité singulière qu’il a cherché à mettre en lumière, faisant du « nous » au centre des Essais le lieu paradoxal et difficile d’une expérience à la fois commune mais toujours singulière et unique. Ce lieu, Jean-Yves Pouilloux l’a habité et partagé durant ses années d’enseignement autant que dans ses relations d’amitié.
  • Pages : 23 à 30
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406101536
  • ISBN : 978-2-406-10153-6
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10153-6.p.0023
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 24/02/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Jean-Yves Pouilloux, Montaigne, vérité singulière, nous, expérience
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JYP et « nous »

Avoir été durant une quarantaine dannées lami proche de Jean-Yves Pouilloux (disons désormais JYP), avoir été engagé à ses côtés dans des aventures intellectuelles et esthétiques peu académiques, ne mautorise en principe pas à évoquer sa mémoire du point de vue dun seiziémiste patenté et moins encore dun montaigniste (même si je me suis dans le passé efforcé à lire Montaigne et risqué à en commenter certaines pages sans prétendre le moins du monde à la compétence dun spécialiste). De fait, sil nous est souvent arrivé de parler de Montaigne, plus souvent nous nous sommes entretenus de peinture, de perception, de langage, de Paulhan, de Ponge, de Leroi-Gourhan, de Mauss, de Queneau, et bien dautres, mais aussi de psychanalyse, damour bien sûr, denfants et des mille billevesées qui font la vie de lamitié, durant toutes les années où nous avions à cœur de ne jamais passer une semaine sans nous retrouver le samedi à 11 h au café de la Place, métro Edgar Quinet, autour dun « sec-beurre » et dun ballon de Côtes du Rhône. Pourtant, cest bien de son dernier livre, Montaigne, une vérité singulière1, que jaimerais partir puisquaussi bien cest la dernière trace qui me reste de son tour desprit, et comme toutes les traces : éminemment interprétable parce quincomplète, conjecturale, « en creux » et peut-être biaisée.

À première vue, le livre consiste en un recueil darticles écrits entre 2002 et 2009, au fil des conférences, invitations et contributions académiques. Mais si ce recueil a pu devenir un livre et être demblée reconnu comme tel par le directeur de la collection « LInfini », cest quil faut y voir nettement plus quun recueil tant sy dessine avec constance de chapitre en chapitre le portrait dune attitude de pensée. Ce portrait, cest évidemment celui dun Montaigne déniaisé, que JYP, parmi dautres, et au plus près dAndré Tournon, a dégagé de lhumanisme lénifiant où il se trouvait enfermé depuis la IIIe République par les manuels scolaires 24et la pensée radicale-socialiste. Mais, sil est vrai que, comme JYP le rappelle souvent, « la parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui lescoute » (III,13, 10882), il y a aussi dans la description de cette attitude de pensée beaucoup de traits qui regardent son herméneute, sans pour autant nécessairement lui ressembler. Jaimerais tenter délucider le lien complexe, didentification, de partage et de distance que JYP a pu entretenir avec une œuvre quil a commentée toute sa vie.

Et dabord cette œuvre, dont JYP na cessé de pointer la singularité, a-t-elle jamais été partageable ou ne faut-il pas admettre au contraire quelle consiste en une pratique de pensée sceptique poussée à sa limite et absolument hors du commun ? JYP a intitulé son livre, Montaigne une vérité singulière et ce qualificatif pourrait sembler enfermer Montaigne dans une solitude incomparable et inimitable. Mais, à tort ou à raison, je me plais à y lire autre chose qui me touche de près et qui relativise cette exceptionnalité du singulier. Pour moi, impossible de ne pas entendre que ce titre fait écho à un autre titre, celui dun livre que jai dédié à JYP en 1990 et qui sintitulait La Parole singulière. Si encore une fois il est vrai que « la parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui lescoute », je peux bien dire que JYP a été de ce fait une sorte de co-auteur de La Parole singulière, car je lui en faisais lire les chapitres au fur et à mesure que je les écrivais, et seule son écoute, que jaurais aimée parfois plus sévère, me donnait laudace de poursuivre dans le cheminement dune réflexion que jétais loin de savoir conduire en toute clarté par mes propres forces. Cependant lune des thèses de La Parole singulière visait à établir que la singularité stylistique nest jamais un idiotisme irréductible, quelle ne doit pas être comprise comme expression dune monade spirituelle et que, si elle consiste en un forçage et un déplacement de la langue particuliers, cette particularité se propose demblée à la généralisation. Toute innovation stylistique esquisse un changement de langue (mais lesquisse seulement, en indiquant les directions à partir dun certain nombre de cas) et fait ainsi miroiter une langue à venir dont la vocation serait dêtre reprise et parlée par tous. De là à conclure, analogiquement, que pour JYP la singularité montaigniste ne lisole pas et que tout son effort de commentateur a été pour se la rendre commune, il ny a quun pas que je pense pouvoir franchir sans trop de crainte de me tromper.

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Et ce qui me justifie, cest une autre considération, touchant à lusage du pronom « nous » dans le texte même de Montaigne et dans le commentaire de JYP qui relaie sa parole. Aussi singulière soit la pratique de pensée de Montaigne, elle est soutenue et attestée par un « nous » qui la rapatrie dans lexpérience commune, non cependant sans quil en souligne dans le même mouvement le caractère absolument paradoxal : « Nous sommes tous des lopins, et dune contexture si informe et diverse, que chaque piece, chaque momant fait son jeu. Et se trouve autant de difference de nous à nous-mêmes, que de nous à autruy. » (II,1,337). Ainsi la communauté qui est hautement affirmée dans le « nous » de la première proposition est évidée dans le même mouvement par la mise en évidence de linconsistance de ses unités. Là où aucune unité nest semblable à elle-même, comment pourraient-elles former un ensemble ? Ou faut-il admettre que ce que « nous » avons en commun cest le défaut didentité qui nous fonde ? Il y a là quelque chose de presque impensable mais qui me semble être lespace même où JYP se débat avec Montaigne. Car il arrive souvent quil reprenne à Montaigne ce « nous », lélargissant encore en nous y incluant, nous lecteurs et lui-même, par exemple lorsquil écrit : « Le monde est infiniment plus varié que nous ne voulons le croire, et si divers que tout principe unificateur relève dune présupposition sans preuve ; il est possible quelle savère exacte, il est probable quelle ne reflète que des imaginations éprises dordre, de cohérence, dharmonie. » (p. 18) Jessaye de prêter loreille à ce nous. Si je lentends bien, il cherche à se loger au plus près de la parole montaignienne, dy conjoindre son énonciation. Mais cest dans une phrase qui souligne les difficultés de « tout principe unificateur ». Ainsi, ce qui pourrait nous permettre de faire corps avec Montaigne est aussi ce qui nous en éloigne, une illusion dunité.

Sil est une question dont nous avons souvent débattu, JYP et moi, cest celle de lusage du « nous » dans les textes théoriques. Le modèle ne nous en venait pas de Montaigne mais de Merleau-Ponty, et plus généralement de ce quon pourrait appeler « lappel à lévidence phénoménologique ». Les thèmes du « retour aux choses mêmes », de lépochè, présupposent un socle dexpérience commune, une sorte de sol universel retrouvable à volonté par tout être qui se retourne avec sincérité sur soi, en deçà de sa culture, de ses convictions ou de ses préjugés. Nul besoin, dans la parole, de justifier à chaque fois cette thèse philosophique sous-jacente, 26le simple usage du « nous » y pourvoit et leffectue en silence. Lefficacité de son usage ne fait pas de doute. Et lenseignant hors-pair qua été JYP a su en faire le ressort dune pédagogie « inclusive ». Liant toujours son commentaire des œuvres, y compris les plus paradoxales (comme celle de Paulhan), à un appel au « nous », JYP savait aller séduire létudiant le plus rétif ou désintéressé, lui faire place, lobliger à mesurer la proximité entre son expérience naïve et les pensées apparemment difficiles et lointaines décrivains ou de philosophes. À peine le « nous » proféré, la partie était sinon gagnée tout au moins sérieusement engagée. Le jeune auditeur, presque socratiquement interpelé quoique par des voies résolument non dialectiques, ne pouvait plus que « suivre » un discours qui le regardait de si près. Il y a de nombreux témoignages de lenthousiasme qua ainsi su soulever JYP à luniversité et dans dautres lieux de parole. Moi-même, imprégné de culture phénoménologique, jétais conscient de lattrait du « nous », de sa « puissance ». Mais je faisais aussi part à JYP de mes soupçons. Derrière le « nous », ny avait-il pas toujours un coup de force, et dautant plus insidieux quil présupposait le « commun », leffectuait performativement sans jamais avoir à le prouver ? Et je me demandais si dailleurs cette évidence naturelle sur laquelle il reposait nétait pas quune pure fiction philosophique, dautant plus aisément admise par nous-mêmes quelle nous garantissait tout à la fois une nature pleine, une centralité personnelle et une appartenance communautaire. Il y avait dans la phénoménologie une plénitude enviable, trop enviable peut-être, et qui saccommodait mal des pensées de la négativité qui avaient cours au même moment et en contestaient le confort. Comment dès lors faire son chemin dans la pensée et dans lécriture ? Que faire du « nous » si efficace, si attirant et si incontournable puisquécrire, cest précisément poser lhypothèse dun « nous », aussi réduit soit-il dans les faits, mais par principe indéfiniment extensible ?

Il me semble que chez JYP la confrontation à Montaigne a précisément offert des solutions au dilemme du « nous », montrant lexemple dun usage du « nous » à extension variable, à densité variable, à cohérence variable, en sorte que chaque occurrence nous propose plutôt lapparition dun « nom » substantiellement nouveau que la réitération dun pro-nom identique et creux. Et avant même de parler de Montaigne, je dirais que le premier modèle de communauté problématique du « nous » tient tout simplement à la « relation critique » dont JYP, parmi dautres, a fait son 27métier. En effet, et on me pardonnera dy revenir une troisième fois en si peu de lignes, si « la parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui lescoute », cela signifie clairement que ces deux « moitiés » nont rien dabsolument homogène ni de superposable. Starobinski nous en a bien averti, et de façon lumineuse, il nest pas de « relation » critique sans « distance » et sans arpentage de cette distance. Commenter une œuvre, cest sans doute faire effort pour rejoindre l« autre » ou plus exactement sa parole – ce qui creuse un écart entre lui et lui-même – et affirmer en elle lentente dun sens « commun » dont nous savons bien cependant quil nest le fait dune conjonction provisoire « entre-deux », conjecturale et réfutable. Dans la relation critique, le Je du critique tend à se fondre en lautre non sans lexpulser de lui-même et tenter damoindrir lhétérogénéité de son irréductible part propre. Le « nous » quil nous présente au terme de cette opération est fatalement un être composite, lun de ces monstres à deux têtes dont liconographie renaissante était justement friande…

Cependant forger un « nous » hétérogène avec Montaigne, cest moins lui faire violence quà aucun autre, car cest en pleine lucidité que ce dernier mine par avance la consistance du « moi » quil forme avec lui-même, avant de le conjoindre à quel quautre que ce soit. Si le « moi » (qui nexiste pas encore dans le vocabulaire de Montaigne et attendra encore un siècle pour apparaître dans le lexique) comporte déjà une intrinsèque hétérogénéité, il devient plus admissible, pour le rejoindre, de lui prêter de laltérité. Encore fallait-il débusquer en Montaigne cette radicalité dont saccommode mal limage bonhomme et rassurante dune subjectivité pleine et équilibrée quont forgée de lui quelques strates de commentaire humaniste.

Et la tâche nest pas si aisée quil y paraît. Car il ne sagit pas seulement de balayer quelques siècles dinterprétation. Il sagit aussi apparemment de contredire Montaigne. On se heurte en effet à certaines de ses formules les plus fameuses telles que notre entente croit de bonne foi devoir les entendre. JYP sy affronte franchement dans son chapitre « La forme maîtresse ». Que faire, par exemple, de « chaque homme porte la forme entiere de lhumaine condition » (III,ii, 805), déclaration solennelle qui semble universaliser en chacun le partage dune même plénitude ? JYP objecte à cette lecture par de nombreux arguments. Les premiers sont dordre 28historique et incriminent lanachronisme de cette lecture. Cette dernière sappuie sur lévidence a-temporelle dun républicanisme égalitaire qui ne pouvait être celui de laristocrate Montaigne à lépoque où il écrivait les Essais. Dailleurs, et contradictoirement, ne renchérit-il pas sur Plutarque en posant quil y a sans doute plus de différence dun homme à un autre que dun homme à une bête (I, xlii, 258) ? Les seconds arguments sont dordre herméneutique et je les cite intégralement car ils constituent un exemple remarquable de la rigoureuse précision de lecture de JYP :

Le deuxième obstacle est littéral : « chaque homme porte… » ne se traduit pas nécessairement par « en chaque homme réside… » ; on peut aisément imaginer dautres significations, par exemple « supporte » au sens de « est soumis à… » ou « assujetti à… » ; « La forme entière » néquivaut pas à « la nature totale », au contraire forme et nature doivent être distingués, la forme ne dit rien de lêtre, elle désigne seulement – mais ce « seulement » est capital – la façon dont lêtre apparaît, la figure de sa manifestation ; « lhumaine condition » ne désigne pas davantage une supposée « essence » de lhomme, mais les données extérieures inévitables auxquelles tout homme est soumis, à savoir lêtre mortel. En sorte quil convient de lire à la lettre : « chaque homme supporte la forme entière de la nécessité de la mort ». (p. 75)

Enfin les troisièmes arguments sont dordre contextuel. On doit se garder doublier que la formule qui nous intéresse est directement précédée dune des affirmations les plus radicales et les plus célèbres de notre inconsistance dêtre :

Je ne peins pas lestre. Je peints le passage, non un passage daage en autre, ou, comme dict le peuple, de sept ans en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. (III,ii, 805)

Mais une fois évacuée « la forme entière de lhumaine condition », il reste encore à faire un sort à « la forme maîtresse » et à la déclaration de Montaigne :

… il nest personne, sil sescoute, qui ne descouvre en soy une forme sienne, une forme maistresse, qui luicte contre linstitution et contre la tempeste des passions qui luy sont contraires. (III,ii, 811)

JYP note qua minima il faut relever une contradiction entre la conception dun moi « ondoyant et divers » et la subsistance en lui dune permanence qui se maintient malgré les changements. Cest découvrir 29dans la subjectivité un clivage qui entame sa plénitude et interdit de le traiter tout uniment. Mais on peut être plus précis et jaimerais demblée renchérir sur la lecture que va proposer JYP en mettant laccent sur limportance dune incise dans la citation de Montaigne : « sil sescoute ». JYP ne la commente pas mais il me semble quelle linspire. La « forme maistresse » na rien dun « donné », dune évidence manifeste pour le sujet qui en est le porteur. Elle est le résultat dune « escoute », terme que nous prendrons dans un instant au sens le plus littéral, et si cette forme se « descouvre », cest que, la plupart du temps, elle nous demeure dissimulée et opaque. Les exemples quen donne Montaigne sont ceux de « tendances » précoces, immaîtrisées et peu flatteuses, ainsi, en lui, « je ne sçay quel port de corps et de geste tesmoignant quelque vaine et sotte fierté » (II,xiv, 633). Il ny a rien là qui puisse constituer le socle satisfaisant dune identité simple. JYP remarque :

Montaigne fait lexpérience quen lui une disposition invétérée, qui est lui plus fortement encore que le « moi » quil pourrait croire connaître et être, qui linforme et lui donne son rythme de vie, son tempo, son phrasé, lui dicte ses réactions sans même lui demander son avis. (p. 87)

De là à situer « la forme maîtresse » du côté dun inconscient, voire dun inconscient langagier de coloration lacanienne, il ny a quun pas, que JYP franchit implicitement dans les dernières lignes de son chapitre, jetant un éclairage nouveau non seulement sur Montaigne lui-même mais sur la relation que « nous » lecteurs pouvons entretenir avec lui. L« écoute » en effet, donnée en effet par Montaigne, comme voie daccès à la « forme maîtresse » insue est tout autant écoute du corps que de la parole. Rien néchappe davantage à notre contrôle que notre voix et nos manières de dire. Et JYP de remarquer :

La « forme maîtresse » pourrait bien coïncider avec la forme de parole en effet inaperçue à chacun et pourtant immédiatement reconnaissable aux autres, résistant à tout apprentissage et à toute correction. (p. 90)

Et à cet égard nul nest plus près de notre vérité, ou au moins dune part de notre vérité, que celui qui nous écoute. Le « nous » formé par lécrivain et son herméneute est le modèle de cette communauté inégale où lun rejoint lautre en déchiffrant en lui la forme singulière dune parole où lui-même ne sentend pas. Cest dire que lécrivain et son 30lecteur (pourvu quil ait une attention critique à la forme de ce qui se dit, à son « style »), mais aussi bien lanalyste en « écoute flottante » et son analysant, réalisent au mieux ce « nous » qui ne saurait se résumer à une addition de semblables. Quant au « nous » de lamitié, tel que je lai connu de si longues années avec JYP, qui était aussi un nous d« entre-lecteurs », il avait sans doute ce même caractère mais enrichi dune réciprocité découtes où chacun espérait recevoir de lautre une part de lidentité quil manquait à reconnaître en lui. Ainsi, ce qui nous rassemblait, cétait bien ce défaut dêtre qui est sans doute la chose la mieux partagée du monde mais quun « nous » sefforce de réparer dans une opération toujours risquée par ce quelle suppose de confiance réciproque dans lusage que fera un autre dune clairvoyance sur nos failles.

À relire Montaigne, une vérité singulière, je comprends mieux désormais pourquoi, en dépit de toutes les réserves à son usage que nous avions soulevées ensemble, JYP na jamais lâché le « nous » ni dans sa pédagogie, ni dans ses écrits. Cest que, mentalement, il lui avait fait subir une cure montaignienne. Son « nous » navait plus le confort dune plénitude collective, dune homogénéité tranquille, il était émaillé de lacunes et dinstabilité. Il était adressé aux autres comme un projet plutôt que comme un donné, une forme faible, en partie vide, à compléter par la réciprocité des attentions.

Laurent Jenny

1 « LInfini », Gallimard, 2012.

2 Conformément à Jean-Yves Pouilloux dans son livre, je cite Les Essais daprès lédition Villey, Paris, PUF, 1978.