Aller au contenu

Classiques Garnier

Typologie des lettres de Montaigne d’après l’Epistolica institutio (1591) de Juste Lipse

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
    2018 – 1, n° 67
    . varia
  • Auteur : La Charité (Claude)
  • Résumé : Malgré l’abondance de travaux sur la rhétorique épistolaire de la Renaissance, les lettres de Montaigne ont jusqu’ici échappé à la relecture des corpus épistolaires du xvie siècle à la lumière des traités d’épistolographie. Le présent article propose d’éclairer le corpus épistolaire de Montaigne à la lumière du traité contemporain de Juste Lipse, l’Epistolica Institutio (1591).
  • Pages : 211 à 227
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406083986
  • ISBN : 978-2-406-08398-6
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08398-6.p.0211
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/07/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
211

TYPOLOGIE DES LETTRES DE MONTAIGNE DAPRèS LEPISTOLICA INSTITUTIO (1591)
DE JUSTE LIPSE

Formules, contenu et style

La rhétorique épistolaire de la Renaissance a bénéficié dun regain dintérêt de la part des chercheurs depuis le début des années 2000, à la faveur de la publication dune série de monographies, que lon pense à La lettre familière au xvie siècle de Luc Vaillancourt, à notre Rhétorique épistolaire de Rabelais, à Lart de la lettre humaniste de Guy Gueudet ou encore à El arte epistolar en el Renacimiento europeo 1400-1600 de Pedro Martín Baños1. Curieusement, les lettres de Montaigne ont jusquici échappé à cette volonté de relecture des corpus épistolaires du xvie siècle à la lumière des traités dépistolographie. Certes, la correspondance de lauteur des Essais a fait lobjet de nombreuses études, riches et suggestives, mais dans une perspective essentiellement documentaire et biographique et portant le plus souvent sur les lettres adressées à tel ou tel destinataire, en particulier le maréchal de Matignon2. Les études montaignistes comptent du reste des synthèses fort utiles sur les lettres 212de Montaigne en général, pensons à la notice de Jean Balsamo dans le Dictionnaire de Michel de Montaigne, ou sur ses lettres missives en particulier, grâce à la notice dAlain Legros en tête de lédition de ce corpus dans Montaigne manuscrit3. Aucune de ces notices ne propose toutefois de lien explicite avec la théorie épistolaire des manuels de lépoque ou, plus largement, avec la rhétorique de la lettre à la Renaissance. Le présent article cherche à combler cette lacune, en se proposant déclairer le corpus épistolaire de Montaigne à la lumière du traité contemporain de Juste Lipse, lEpistolica Institutio (1591). Au reste, cette contribution cherche à faire écho à une proposition que Marc Fumaroli formulait en 1978 et qui a été depuis laissée en friche : « Cest en effet en France et en Belgique, à peu près au même moment, que deux auteurs, Montaigne et Juste Lipse, acclimatent définitivement dans la culture catholique la conception érasmienne de la lettre4. » Il sagira, dans un premier temps, de circonscrire le périmètre du corpus épistolaire de Montaigne et den proposer une typologie daprès les critères de Juste Lipse, avant détudier plus spécifiquement le sermo, ce style de la conversation de tous les jours qui est, selon lhumaniste brabançon, consubstantiel à lépistolarité.

LEPISTOLICA INSTITUTIO (1591)
COMME ABOUTISSEMENT
DE L
ÉPISTOLOGRAPHIE HUMANISTE

LEpistolica Institutio (1591) offre un éclairage particulièrement pertinent pour étudier la pratique épistolaire de Montaigne. Cela dit, le traité paraît à lextrême fin de la vie de lauteur des Essais et rien ne permet de supposer quil en ait eu connaissance. Au reste, il va de soi que Montaigne na pas attendu ce manuel pédagogique pour écrire ses lettres, dont la 213grande majorité ont été rédigées dans lurgence, sans apprêt et sans intention de les publier un jour. Il reste que Montaigne est lié à Juste Lipse dont il a été le correspondant. Sil ne reste plus aujourdhui que trois lettres de lhumaniste brabançon, il est certain que Montaigne lui a adressé des lettres qui sont aujourdhui perdues5. Il existe donc une relation épistolaire entre les deux hommes et sans doute aussi une affinité quant à la nature même de lépistolarité. Dans lEpistolica Institutio, Juste Lipse envisage, après Érasme et Juan Luis Vives, le sermo comme style caractéristique de la lettre qui correspondrait à une expression de soi sans apprêt, apparentée à lidéal revendiqué par Montaigne dans ses Essais. Ce sermo correspond à lidéal stylistique dune rhétorique étrangère à la rhétorique, proche dune certaine négligence étudiée, et qui nen relève pas moins paradoxalement dune forme achevée déloquence qui est dautant plus efficace quelle avance masquée et peut passer inaperçue à un lecteur non averti6. Au reste, il est évident quentre les Essais et ce qui reste de la correspondance Montaigne, il y a un écart sensible pour ne pas dire un fossé, que seules les balises de lépoque peuvent mesurer.

Le plan du traité de Juste Lipste témoigne en tout cas éloquemment de limportance accordée à lelocutio en général et au sermo en particulier, et cela au détriment des autres considérations rhétoriques, notamment les parties de la lettre, les types épistolaires, la dispositio et lordre que Juste Lipse traite avec une concision extrême. Quon en juge à partir de la table des matières :

Caput i. De nominibus variis Epistolæ : et de forma apud veteres (Chapitre 1. Des différents noms et de la forme de la lettre chez les Anciens)

Caput ii. Quid sit Epistola, et quæ ejus partes (Chapitre 2. Ce quest la lettre et quelles en sont les parties)

Caput iii. Materies definita, divisa, et de præmissis Epistolæ (Chapitre 3. Contenu défini et divisé et ce qui se met au début la lettre)

214

Caput iv. De iis quæ ad finem epistolæ, itemque de Signo (Chapitre 4. De ce qui se met à la fin de la lettre, ainsi que ce qui concerne le sceau)

Caput v. De Materie varia, ejusque sectione (Chapitre 5. Des différents contenus et de leur typologie)

Caput vi. De Inventione pauca et Ordine (Chapitre 6. Quelques mots sur linvention et lordre)

Caput vii. De Sermone. quæ de eo dicenda ; et primum de Brevitate (Chapitre 7. Du style de la conversation, ce quil faut en dire et, premièrement, de la brièveté)

Caput viii. De Perspicuitate : qui peccetur in eam, qui paretur (Chapitre 8. De la clarté, ce qui en détourne et ce qui y contribue)

Caput ix. De Simplicitate duplici ; et ad hanc monita (Chapitre 9. De la double simplicité, avec des conseils à ce propos)

Caput x. Junctim de Venustate et Decentia (Chapitre 10. De lélégance et du décorum conjointement)

Caput xi. Ad Sermonem distincte transitum. eum parari Imitatione ad hanc tria præcepta. Et primum de iis qui, et quand legendi (Chapitre 9. Du style de la conversation en détail, comment lacquérir par limitation, avec trois préceptes à ce sujet et dabord quels auteurs il faut lire et à quel moment)

Caput xii. De Excerptis ; quo ordine ea instituenda, et a quibus singula carpenda (Chapitre 12. Des extraits, dans quel ordre il faut les enseigner et à quels auteurs ces morceaux choisis doivent être empruntés)

Caput xiii. De Expressione et formatione Stili, per tria genera Imitationum7 (Chapitre 13. De lexpression et de la formation du style grâce à trois types dimitation)

LEpistolica Institutio est en fait dune grande utilité pour comprendre ce qui constituait aux yeux des contemporains de Montaigne et de Juste Lipse les caractéristiques minimales dune lettre dans ses parties invariable et variable, de même que les traits spécifiques du sermo, fondé sur la brevitas, la perspicuitas, la simplicitas, la venustas et la decentia.

215

ÉTABLISSEMENT DU CORPUS éPISTOLAIRE
DE MONTAIGNE

Avant dentrer dans lanalyse des lettres à la lumière du traité de Juste Lipse, il faut évoquer la question du corpus épistolaire de Montaigne. Ce corpus pose en effet des problèmes détablissement au point que, dun éditeur et dun critique à lautre, le nombre de pièces à y inclure peut presque varier du simple au double, ce qui est symptomatique du peu dintérêt que ces textes ont suscité jusquici, du moins du point de vue du genre et du style épistolaire. Ainsi, une définition minimaliste de ce corpus tend à ny inclure que les seules véritables lettres missives, cest-à-dire celles qui ont été effectivement envoyées à un destinataire dans une visée pragmatique. Cest le choix qua fait Alain Legros dans son édition des « Lettres missives de Monsieur de Montaigne8 », dans lesquelles il inclut les 26 lettres rédigées entre le 11 mars 1581 et le 2 septembre 1590 et adressées à une diversité de destinataires, parmi lesquels on compte notamment le Sénat de Rome, le maréchal de Matignon, les jurats de Bordeaux et le roi Henri IV. À lautre bout du spectre, on trouve une définition maximaliste du corpus épistolaire de Montaigne, qui compterait alors 41 pièces. Pour parvenir à ce nombre, il faut, à linstar de Jean Balsamo dans la notice déjà évoquée, inclure, outre les 26 lettres missives :

les sept épîtres dédicatoires jointes à la traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond et à lédition des œuvres et traductions de La Boétie, rédigées entre la fin août 1563 et le 24 novembre 1570 ;

les quatre chapitres des Essais de 1580 qui comportent un dédicataire explicite, à savoir : i, xxvi « De linstitution des enfans » à Diane de Foix ; i, xxix « Vingt neuf sonnets dEstienne de La Boetie » à Diane de Guiche ; ii, viii « De laffection des peres aux enfans » à Madame dEstissac ; la fin de ii, xxxvii « De la ressemblance des enfans aux peres » à Marguerite de Gramont ;

les deux lettres de remonstrance des jurats de Bordeaux des 31 août et 10 décembre 1583, co-signées par Montaigne ;

216

ainsi que les envois dexemplaires des Essais de 1588 à Mademoiselle Paumier et à M. Loysel.

On le constate, le corpus épistolaire de Montaigne est à géométrie variable.

Ces hésitations dans létablissement du corpus sont liées à la définition même de ce quest une lettre et posent la question des limites du genre épistolaire. Or, cette interrogation parcourt les traités dépistolographie de la Renaissance. Ainsi, Juan Luis Vives, dans son De Conscribendis epistolis (1534), soulignait déjà le risque quil y avait à adopter une définition trop inclusive de lépistolarité, restreinte à la présence de la seule salutation, et qui ferait que toute lœuvre de Cicéron pourrait être considérée comme des lettres, traités philosophiques et plaidoyers compris :

Je ne souhaite pas discuter ici lextension quil convient de donner au nom de lettre, mais si nous acceptons que tout ce qui porte une salutation soit appelé lettre, alors quest-ce qui empêchera de considérer les Tusculanes et le De finibus de Cicéron comme des lettres à Brutus, De la vieillesse et De lamitié comme des lettres à Atticus, le De officiis comme une lettre à son fils Marcus et, si lon ajoutait aux discours Pro Milone et Contre Verrès, la salutation « Aux juges », cela en ferait-il des lettres9 ?

Or, cette une mise en garde nous apparaît importante, notamment en regard de linclusion dessais dans le corpus épistolaire au seul motif quils sont adressés à des dédicataires explicites. Mais alors comment fixer les limites du genre épistolaire, si la présence dune salutation ne suffit pas à faire une lettre ? LEpistolica Institutio de Juste Lipse fournit des balises précieuses en ce sens. De fait, lhumaniste brabançon estime que toute lettre comporte un contenu conventionnel (« Sollemnis Materies », p. 18) qui est partout le même et un contenu variable (« Variantem Materiem », p. 20) qui varie selon loccasion et le but de la rédaction. Or, la présence du contenu conventionnel nous apparaît un critère discriminant utile pour circonscrire un corpus épistolaire. Daprès lanalyse quen propose Juste Lipse, ce contenu invariable correspond à six éléments que nous étudierons plus en détail dans la section suivante :

217

le nom du destinataire et la salutation (« Nomina et salus », p. 10) ;

la formule dadieu ou de valédiction (« Valedictio », p. 14) ;

lindication de lieu (« Loci adjectio », p. 14) ;

lindication de temps (« Temporis », p. 14) ;

la formule de politesse de conclusion (« Suscriptio », p. 14) ;

la signature (« Superscriptio », p. 14).

À la lumière de ces éléments invariants de la lettre selon Juste Lipse, il faut clairement retrancher du corpus épistolaire de Montaigne à la fois les quatre chapitres des Essais adressés à des dédicataires et les deux envois dexemplaires des Essais de 1588. Les 35 pièces restantes ressortiraient bel et bien, quant à elles, au genre épistolaire, même sil est évident quil y a des distinctions à faire entre les 26 lettres proprement missives qui ont été effectivement envoyées et qui correspondent en cela à létymologie depistola selon Juste Lipse10, les sept épîtres dédicatoires qui sadressent, par-delà le destinataire explicite à celui que Benoît Melançon11 appelle le « tiers inclus », à savoir tous les lecteurs des éditions imprimées dans lesquelles elles sont incluses, et les deux lettres de remonstrance cosignées par les jurats de Bordeaux. Dans ce dernier cas, les remonstrances relèvent de ce que Juste Lipse, après Suétone et Cassiodore, appelle lettres formelles (« Formales ») ou officielles (« Canonicas », p. 18), dans la mesure où elles concernent les affaires publiques et quelles sont utilisées à la cour des princes. Au reste, leur style est contraint par un formulaire (« una ac simili forma », p. 18) incompatible avec le sermo, sans compter quil est impossible dévaluer la part qui revient à Montaigne dans la rédaction de telles lettres. Cest pourquoi, bien quelles appartiennent clairement au genre épistolaire selon Juste Lipse, nous les exclurons du corpus étudié, comme elles ne sont pas susceptibles déclairer le style ou la langue de Montaigne, et cela, dautant que lépistolier tend à écrire le nom de la ville dont il a été maire, « Bourdaus » ou « Bourdeaux », là où les lettres de remonstrance proposent plutôt la graphie « Bourdeaulx » ou « Bourdaulx ».

218

Lampleur du corpus et les limites de cet article contraignent à proposer une lecture sérielle des lettres de Montaigne, en proposant des regroupements sous forme de typologie. Pour alléger les références dans la suite du texte, nous renverrons aux lettres que nous citerons dans les éditions suivantes, en utilisant exclusivement le numéro séquentiel dans la liste qui suit, classée par ordre chronologique :

Corpus épistolaire de Montaigne

1. Lettre à son père sur la mort de La Boétie, écrite peut-être à la fin août 1563 et publiée à la fin des Œuvres de lami du 24 novembre 1570 (dans Œuvres complètes, éd. M. Rat, Paris, Gallimard, 1962, p. 1347-1360) ;

2. Épître dédicatoire à son père du 18 juin 1568, le jour de la mort de ce dernier, en tête de la traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond (éd. Rat, p. 1360-1361) ;

3. Épître dédicatoire à Henri de Mesmes du 30 avril 1570, de la traduction par La Boétie des Règles de mariage de Plutarque (éd. Rat, p. 1361-1362) ;

4. Épître dédicatoire à Michel de lHospital du 30 avril 1570 des Poemata de La Boétie (éd. Rat, p. 1363-1365) ;

5. Épître dédicatoire à M. de Lansac non datée de la traduction de la Mesnagerie de Xénophon par La Boétie (éd. Rat, p. 1366-1367) ;

6. Épître dédicatoire à Paul de Foix du 1er septembre 1570 des Vers françois de La Boétie (éd. Rat, p. 1367-1370) ;

7. Épître dédicatoire à sa femme du 10 septembre 1570 de la traduction de la Consolation de Plutarque à sa femme par La Boétie (éd. Rat, p. 1371) ;

8. Lettre au Sénat de Rome du 11 mars 1581 (Alain Legros, Montaigne manuscrit, op. cit., p. 665) ;

9. Lettre à Matignon du 30 octobre 1582 (éd. Legros, p. 667-668) ;

10. Lettre aux jurats de Bordeaux du 21 mai 1583 (éd. Legros, p. 669-670) ;

11. Lettre à Matignon du 14 décembre 1583 (éd. Legros, p. 671) ;

12. Lettre à Matignon du 21 janvier 1584 (éd. Legros, p. 673) ;

13. Lettre à M. Du Puy du 23 avril 1584 (éd. Legros, p. 674-675) ;

14. Lettre à Matignon du 12 juillet 1584 (éd. Legros, p. 676-677) ;

15. Lettre à Matignon du 19 août 1584 (éd. Legros, p. 679) ;

16. Lettre aux jurats de Bordeaux du 10 décembre 1584 (éd. Alain Legros, p. 680-681) ;

17. Lettre à Matignon du 18 janvier 1585 (éd. Legros, p. 681-683) ;

18. Lettre à Matignon du 26 janvier 1585 (éd. Legros, p. 684-685) ;

19. Lettre à Matignon du 2 février 1585 (éd. Legros, p. 687) ;

20. Lettre aux jurats de Bordeaux du 8 février 1585 (éd. Legros, p. 688-689) ;

21. Lettre à Matignon du 9 février 1585 (éd. Legros, p. 689-691) ;

22. Lettre à Matignon du 12 février 1585 (éd. Legros, p. 693-694) ;

23. Lettre à Matignon du 13 février 1585 (éd. Legros, p. 696-697) ;

24. Lettre à Matignon de février 1585 (éd. Legros, p. 698-699) ;

219

25. Lettre à Matignon du 22 mai 1585 (éd. Legros, p. 700-702) ;

26. Lettre à Matignon du 27 mai 1585 (éd. Legros, p. 705-706) ;

27. Lettre aux jurats de Bordeaux du 30 juillet 1585 (éd. Legros, p. 708-709) ;

28. Lettre aux jurats de Bordeaux du 31 juillet 1585 (éd. Legros, p. 710) ;

29. Lettre à Matignon du 12 juin 1587 (éd. Legros, p. 711-712) ;

30. Lettre à Matignon du 16 février 1588 (éd. Legros, p. 714) ;

31. Lettre à Henri IV du 18 janvier 1590 (éd. Legros, p. 716-719) ;

32. Lettre à un inconnu du 10 mars ou mai 1590 (éd. Legros, p. 722) ;

33. Lettre à Henri IV du 2 septembre 1590 (éd. Legros, p. 723-724).

TYPOLOGIE DU « CONTENU INVARIABLE »
(
SOLLEMNIS MATERIES) DES LETTRES DE MONTAIGNE

Force est de constater chez Montaigne le caractère extrêmement convenu et limité au strict minimum de cette partie de la lettre que Juste Lipse estime invariable. Cela est particulièrement vrai de la première partie, celle où lon trouve le nom du destinataire et la formule de salutation (Nomina et salus). Dans lensemble de sa correspondance, on relève la reprise du même titre dappel dans le nom du destinataire et dans la formule de salutation. La seule nuance tient au rang hiérarchique quoccupe le destinataire par rapport à Montaigne. Ainsi, lépistolier nutilise que le titre de « Monseigneur » ou « Monseignur » quà lusage de son père, auquel il est juridiquement soumis comme fils, à lendroit du maréchal de Biron, lieutenant-général en Guyenne et issu de la haute noblesse, ainsi quavec Michel de lHospital, ancien chancelier de France et haut officier de la couronne. Par contre, avec ses égaux ou ses inférieurs, Montaigne utilise toujours « Monsieur » comme titre dappel avec le nom du destinataire et dans la salutation, quil sagisse des jurats de Bordeaux, de M. Du Puy, dHenri de Mesmes, de M. de Lansac ou de Paul de Foix. Sans surprise, il utilise le titre dappel « Sire » dans ses deux lettres à Henri IV. Dans le cas de sa femme, il lui donne le titre de « Madamoiselle12 » dans le nom du destinataire, mais utilise comme 220salutation « Ma femme ». On remarquera que, contrairement à lusage néo-latin très orné du premier xvie siècle13, Montaigne évite lemploi de toute épithète dans la formule de salutation, à lexception de la lettre au Sénat de Rome où il utilise la formule « Illustrissimi Signori ».

Quant à la formule dadieu ou valédiction (Valedictio), par laquelle se clôt la lettre, il y a là aussi peu dinvention de la part de Montaigne qui utilise les mêmes formules de façon répétitive. Seules quelques rares lettres sont dépourvues dune telle formule, par exemple celle quil adresse à son père à propos de la mort de La Boétie ou celle quil envoie au Sénat de Rome. En revanche, lépistolier tend à utiliser presque toujours la même formule avec les mêmes destinataires. Ainsi, avec son père, Henri de Mesmes, Michel de lHospital ou les jurats de Bordeaux, Montaigne tend à terminer sa lettre en priant quil leur donne « treslongue et tresheureuse vie ». À ladresse de M. de Lansac ou de sa femme, lépistolier se contente de prier Dieu pour quil les « maintienne en sa garde ». Il arrive que Montaigne allonge la prière à Dieu pour une très longue et très heureuse vie du destinataire. Cest le cas de lépître dédicatoire à Paul de Foix où lépistolier double sa prière dune offre de service : « Sur ce, apres avoir vous avoir presenté ma treshumble affection à vostre service, je supplie Dieu vous donner, Monsieur, tresheureuse et longue vie » (no 6). Dans le cas des lettres au maréchal de Biron, la valédiction saccompagne toujours dun baisemain qui témoigne du rapport hiérarchique entre les deux hommes, par exemple dans la première lettre conservée, celle du 30 octobre 1582 : « jai faict ce mot pour vous baiser tresbumblemant les meins priant dieu Monseignur vous donner longue et hureuse vie » (no 9). Enfin, seule la deuxième lettre à Henri IV comporte une valédiction qui est différente de toutes les autres formules employées par Montaigne dans sa correspondance, ce qui na rien de surprenant vu le rang du destinataire : « Je suplie dieu pour vostre prosperite et 221sante » (no 33). De manière plus générale, ces formules finales utilisent majoritairement le verbe prier qui permute parfois avec recommander et beaucoup plus rarement avec supplier.

De même, pour ce qui est de lindication de lieu (Loci adjectio), Montaigne se plie pratiquement toujours à cet usage, sauf pour quatre lettres (nos 1, 5, 24 et 32). Par ailleurs, cest de Montaigne que lépistolier envoie la majorité de ses lettres, 19 en tout (nos 3, 4, 6, 8, 10, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 29, 31 et 33). Bordeaux arrive au deuxième rang avec trois lettres (nos 9, 25, 26), puis Paris au troisième rang avec deux lettres (nos 2 et 7). Les localités de Le Castera (no 13), de Feuillas (no 28), de Libourne (no 27), de Mont-de-Marsan (no 11) et dOrléans (no 30) arrivent ensuite à égalité avec chacune une lettre.

En ce qui a trait à lindication de temps (Temporis adjectio), elle nest absente que de trois lettres (nos 1, 5 et 24). Dans huit lettres (nos 13, 14, 22, 25, 29, 30, 31 et 33), lépistolier ne donne que le jour et le mois, ce qui, dans certains cas, pose des problèmes pour déterminer lannée. Dans les 22 autres cas, les lettres comportent une date complète avec le jour, le mois et lannée.

Sagissant de la formule de politesse finale (Subscriptio), on relève là aussi un emploi récurrent et stéréotypé en fonction des destinataires. Seules trois lettres en sont dépourvues (nos 1, 27 et 32). À légard de son père et de sa femme, Montaigne met bien sûr en avant la nature de leurs liens, avec un adjectif positif pour son épouse (« Vostre bon mary », no 7) et un superlatif pour le père (« Vostre treshumble et tresobeissant fils », no 2). Dans les autres cas, Montaigne tend, sans surprise, à se représenter comme serviteur de son destinataire avec des nuances hiérarchiques que marque le degré de ladjectif qui laccompagne. Ainsi, à lendroit dégaux, Montaigne se contente dun adjectif positif, par exemple « Vostre humble serviteur » à légard de Henri de Mesmes et de M. de Lansac. Par contre, dans les lettres au maréchal de Biron, Montaigne utilise systématiquement la formule « Vostre serviteur treshumble » avec quelques variantes dans la graphie et lordre des mots. À légard des jurats de Bordeaux, Montaigne utilise tantôt « Vostre humble frere » (no 10), tantôt « Vostre humble frere et servitur » (nos 16 et 20). Dans la lettre au Sénat de Rome, la subscriptio reprend la salutation : « Di VVSS. Ill. e servitore » (no 8). Enfin, avec Henri IV, lépistolier utilise deux adjectifs superlatifs et deux substantifs qui marquent son 222lien de sujétion au roi : « Vostre treshumble et tresobeissant serviteur et subjet » (nos 31 et 33).

Quant à la dernière partie invariable de la lettre, il sagit de la signature (Superscriptio). Seules deux lettres de Montaigne en sont dépourvues (nos 1 et 27). Toutes les épîtres dédicatoires comportent la signature au long « Michel de Montaigne » (nos 2, 3, 4, 5, 6 et 7). La lettre au sénat de Rome comporte la signature la plus longue, où lépistolier fait étalage de la titulature auquel il peut prétendre, dans le but de convaincre les destinataires de lui accorder la citoyenneté romaine : « Michele di montaigna cavallier de lordine de re christianissimo et gentillomo ordinario de la su camera » (no 8). On remarquera limprécision délibérée du titre de chevalier de lordre du roi, qui évite à Montaigne de préciser quil a obtenu lordre de Saint-Michel et non pas de celui, beaucoup plus prestigieux et plus récent, du Saint-Esprit. Dans tous les autres cas, lépistolier signe tout simplement « montaigne ». Il ny a rien détonnant à cela, vu que Montaigne14 tenait plus que tout à utiliser le nom de sa seigneurie comme signe de continuité familiale et de cohésion de sa race, comme il le souligne dans les Essais : « cest le lieu de ma naissance, et de la plus part de mes ancestres : ils y ont mis leur affection et leur nom » (III, 9, 1015).

TYPOLOGIE DU « CONTENU VARIABLE »
(
VARIANS MATERIES) DES LETTRES DE MONTAIGNE

Par delà le contenu invariable ou « solennel », toute lettre, selon Juste Lipse, comporte aussi un contenu variable quil passe en revue brièvement au chapitre v de son traité. Ce contenu peut être sérieux, érudit ou familier, chaque type appelant à son tour certains exemples ou subdivisions. Lhumaniste brabançon accorde une place particulière au contenu familier quil juge plus proprement épistolaire. Ce faisant, il pratique son droit dinventaire sur le De Conscribendis epistolis (1522), où Érasme, à côté des genres usuels (suasoire, judiciaire et épidictique), avait jugé utile dajouter le genre familier pour rendre compte au mieux de linfinie variété épistolaire. Voyons dans le détail ce quil en est :

223

Jappelle contenu variable ce qui varie dans chaque lettre : il sagit de loccasion et du but de la rédaction. Ce contenu est multiple et couvre autant de sujets que la vie elle-même. Quy a-t-il en effet parmi les affaires humaines ou divines que nous ne puissions pas exprimer par le discours ? Cela est aussi vrai des lettres qui sont une autre forme de discours. Mais bien que ce contenu soit étendu, il me semble possible de le réduire à trois types : sérieux, érudit et familier. Jappelle sérieux ce qui ressortit aux affaires publiques et privées et qui les aborde de manière complète et soignée. Parmi les affaires publiques, ce type comprend les rapports, les comptes rendus et les délibérations sur lÉtat, la guerre, la paix et les sujets de cet ordre. Parmi les affaires privées, on trouve les consolations, les rappels, les demandes, les reproches, les regrets, les recommandations, les félicitations et, en un mot, tout ce que nous écrivons de plus sérieux, lorsque nous nous fixons sur un sujet. Ce type de lettre est fréquent et est souvent utilisé par nécessité, mais aussi parfois par plaisir. Jappelle érudite une lettre qui relève du savoir et de la sagesse et qui donne à un sujet non épistolaire la forme dune lettre. Ce type épistolaire est triple : il est soit littéraire et aborde des questions plus agréables comme jadis les questions épistolaires de Varron ou les demandes par lettre de Valgius Rufus. Ou alors il est philosophique et traite de la nature ou de la morale comme les lettres de notre Sénèque et aussi celles de Platon. Il peut enfin être théologique, cest-à-dire consacré à des sujets sacrés comme les lettres dAugustin, de Jérôme, de Cyprien, de Basile et des deux Grégoire. Enfin, jappelle familière une lettre qui concerne nos affaires ou celles de nos proches ou tout ce qui nous préoccupe dans la vie. Cest là le sujet propre et le plus courant dans une lettre et si nous voulons être sincères, le seul qui lui convienne vraiment. Les deux types précédents – je veux dire la lettre sérieuse et la lettre érudite – sont souvent mélangées à la lettre familière, mais vraiment mélangées si bien que le contenu en est varié et pas unique15.

224

Il est tentant dappliquer une telle typologie au corpus épistolaire de Montaigne, au moins pour ce qui est des trois grandes catégories de lettres sérieuses, érudites et familières. Bien que certaines lettres combinent assurément plus dun type épistolaire, on peut néanmoins considérer que les sept lettre ou épîtres dédicatoires (nos 1 à 7) jointes à la traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond ou aux éditions des œuvres et traductions de La Boétie ressortissent principalement au type de la lettre érudite. On pourrait ensuite affiner cette typologie, en cherchant à distinguer les lettres érudites qui ont une dominante plus littéraire ou philologique, comme cest le cas de la dédicace de la traduction de la Théologie naturelle au père de Montaigne (no 2), de lettres érudites plus philosophiques comme la dédicace de la traduction des Règles de mariage de Plutarque par La Boétie à Henri de Mesmes. (no 3). Au delà de ces sept lettres érudites, le corpus épistolaire de Montaigne est majoritairement constitué de lettres sérieuses publiques, qui correspondent aux missives envoyées au maréchal de Biron et qui constituent autant de comptes rendus sur les mouvements des troupes huguenotes en Guyenne, voire des tentatives de négociations diplomatiques entre factions rivales. À côté de ces lettres érudites et sérieuses publiques, on trouve quelques rares lettres sérieuses privées, par exemple celle que Montaigne adresse au maréchal de Biron le 16 février 1588 à propos de lagression quil a subie près de la forêt de Villebois (no 23). Toute imparfaite que soit une telle typologie, et malgré les désaccords qui pourraient exister sur le classement précis de telle ou telle lettre, force est de constater une absence importante dans ce corpus épistolaire, à savoir les lettres familières qui constituent pourtant le cœur de la pratique épistolaire humaniste.

LE STYLE DE LA CONVERSATION (SERMO)
DANS LE CORPUS
éPISTOLAIRE DE MONTAIGNE

La majeure partie de lEpistolica Institutio est en réalité dévolue au sermo, le style de la conversation qui est la marque spécifique de la lettre selon Juste Lipse qui prolonge, sur ce point, la réflexion dÉrasme et de Juan Luis Vives en matière de rhétorique épistolaire. Le plus intéressant 225est que lhumaniste brabançon ne se contente pas de mettre laccent sur le sermo de manière générale. Il cherche à en définir les traits constitutifs qui sont, selon lui, au nombre de cinq : 1) la brièveté (Brevitas) ; 2) la clarté (Perspicuitas) ; 3) la simplicité (Simplicitas) ; 4) lélégance Venustas) ; 5) le décorum (Decentia). Le style de la conversation propre à la lettre est donc une équation à cinq variables. Cette combinatoire permet de faire des analyses stylistiques particulièrement fines qui font apparaître le sermo comme un continuum en fonction du nombre de traits présents dans tel ou tel échantillon.

Il va de soi que chacune des 33 lettres du corpus épistolaire pourrait faire lobjet dune analyse détaillée dans cette perspective. Les limites de cet article ne permettent pas de sattarder à chaque lettre prise individuellement et obligent à formuler des remarques générales sur lensemble du corpus. Dabord, il convient de faire observer que les épîtres dédicatoires, sauf peut-être celle en tête de la traduction par La Boétie de la Consolation de Plutarque à sa femme, séloignent sensiblement de lidéal stylistique du sermo, bien que ces textes présentent par ailleurs toutes les caractéristiques de lépistolarité. Ainsi, dans la lettre où Montaigne relate à son père la mort de La Boétie, il insiste sur le caractère exceptionnel du discours du mourant qui est plein « de si belles imaginations » et de « tant deloquence » « quil y faudroit un beaucoup meilleur stile » (no 1) que celui quil emploie dans sa lettre. À la fois par sa longueur, par la complexité de sa syntaxe, par ses accents sublimes, par la part dimitation quil comporte et par les intertextes implicites quil mobilise16, ce texte na rien dune lettre écrite en sermo. On pourrait en dire autant des autres épîtres dédicatoires qui mettent en œuvre un style trop recherché pour correspondre à celui de la conversation17.

Par ailleurs, si lon se tourne du côté des lettres missives, force est de constater que les cinq traits définitoires du sermo y sont rarement, pour ne pas dire jamais, présents simultanément. Bon nombre des comptes rendus de Montaigne au maréchal de Biron ressortissent à la brièveté et à la simplicité de lettres écrites dans lurgence pour informer 226le destinataire. Quant à la clarté, il sagit là dun trait plus difficile à évaluer dans la mesure où la perspicuitas est toujours relative au contexte dénonciation que seuls lépistolier et son destinataire peuvent réellement apprécier. Il reste que certaines lettres sérieuses publiques de Montaigne au maréchal de Biron restent encore aujourdhui parfaitement claires, ce que le destinataire devait aussi assurément percevoir comme tel.

Au reste, bon nombre des lettres de Montaigne respectent aussi un décorum minimal, ne serait-ce que dans le choix des formules de salutation ou de politesse finale. Pour Juste Lipse, toutefois, la decentia ne se limite pas au souci dadapter son discours au destinataire, elle implique également une adaptation au sujet de la lettre elle-même, voire à la tournure desprit de lépistolier. Or, de ce point de vue, la deuxième lettre de Montaigne à Henri IV offre un exemple de réussite achevée de mise en œuvre de cette decentia, alors que lépistolier réussit le tour de force de respecter la majesté du roi, tout en étant fidèle à lui-même, le tout avec un panache certain qui na certes pas dû déplaire à Henri IV :

Sire vostre majeste me fera sil luy plaist ceste grace de croyre que je ne plaindray jamais ma bource aus occasions ausquelles je ne voudrois espargner ma vie Je nay jamais receu bien quelconque de la liberalite des Rois non plus que demandé ny merité et nay receu nul payement des pas que jay employes a leur service desquels vostre majeste, a heu en partie cognoissance ce que jay faict pour ses predecesseurs je le feray encore beaucoup plus volontiers pour elle. Je suis Sire aussy riche que me souhaite Quand jauray espuise ma bource aupres de vostre majeste, A Paris je prendray la hardiesse de le luy dire et lors sy elle mestime digne de me tenir plus long temps a sa suitte elle en aura meilleur marche que du moindre de ses officiers[.] (no 33)

Seule la venustas est absente des lettres sérieuses publiques de Montaigne, lurgence dans laquelle elles ont été rédigées excluant une telle élégance. Le plus intéressant est que, pour Juste Lipse, cette grâce du style peut être cultivée par le recours à des proverbes et à des allusions aux faits et aux dits des Anciens, de même quà des vers ou à des maximes spirituelles en grec et en latin18. Rien de tout cela, bien sûr, nest présent dans le corpus épistolaire montaignien, mais on y reconnaîtra bien sûr lun des traits caractéristiques des Essais.

227

Au terme de cette étude, il nous faut revenir à la proposition de Marc Fumaroli qui supposait que Montaigne et Juste Lipse avaient définitivement acclimaté la conception érasmienne de la lettre, lhumaniste brabançon formulant dans lEpistolica Institutio lidéal stylistique du sermo dont les Essais de Montaigne seraient la meilleure illustration en prose. À y regarder de près, pourtant, force est de constater que le sermo tel que le théorise Juste Lipse ne sincarne complètement ni dans les lettres de Montaigne ni dans ses Essais, mais se situe quelque part à mi-chemin entre les deux. Si les lettres comme les Essais mettent souvent en œuvre brièveté, clarté et simplicité, en revanche, chez Montaigne, le décorum en tant quadaptation au destinataire ne se trouve que dans le corpus épistolaire, alors que lélégance fondée notamment sur les citations bilingues de vers des Anciens est lapanage des Essais. Ne serait-ce que comme étalon stylistique des Essais, les lettres de Montaigne gagnent donc à être relues à laune de lEpistolica Institutio de Juste Lipse.

Claude La Charité

Université du Québec à Rimouski

1 L. Vaillancourt, La Lettre familière au xvie siècle. Rhétorique humaniste de lépistolaire, Paris, Honoré Champion, 2003 ; Claude La Charité, La Rhétorique épistolaire de Rabelais, Québec, Nota bene, 2003 ; G. Gueudet, LArt de la lettre humaniste, dir. F. Wild, Paris, Champion, 2004 ; et P. Martín Baños, El arte epistolar en el Renacimiento europeo 1400-1600, Bilbao, Universidad de Deusto, 2005.

2 Voir notamment L.-H. Labande, « Correspondance de Montaigne avec le maréchal de Matignon », Revue du Seizième Siècle, IV, 1906, p. 1-16 ; R. Trinquet, « Montaigne et le Maréchal de Matignon », BSAM, 14-15, 1975, p. 11-34 ; et R. Cooper, « Montaigne dans lentourage du maréchal de Matignon », MS, 13, 2001, p. 99-140. Dans sa biographie, P. Desan exploite particulièrement cette correspondance quand il est question du maréchal de Matignon (Montaigne. Une biographie politique, Paris, Odile Jacob, 2014, passim).

3 Le lecteur pourra du reste se reporter aux bibliographies de ces deux notices pour avoir un aperçu des travaux publiés sur la correspondance de Montaigne : J. Balsamo, « Lettres de Montaigne », dans Dictionnaire de Michel de Montaigne, dir. P. Desan, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 671-675 ; et A. Legros, « Lettres missives de monsieur de Montaigne », dans Montaigne manuscrit, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 655-663.

4 M. Fumaroli, « Genèse de lépistolographie classique : rhétorique humaniste de la lettre, de Pétrarque à Juste Lipse », RHLF, novembre/décembre 1978, 6, p. 892-893.

5 M. Magnien, « Trois lettres de Lipse à Montaigne (1587 [?] – 1589) », MS, 16, 2004, p. 104-110.

6 On consultera à ce sujet Rhétorique de Montaigne, dir. F. Lestringant, Paris, Champion, 1985 et Montaigne et la rhétorique. Actes du Colloque de St Andrews 28-31 mars 1992, dir. J. OBrien, M. Quainton et J. J. Supple, Paris, Champion, 1995, en attendant la publication des actes du colloque Montaigne, une rhétorique naturalisée ? tenu les 21 et 22 avril 2017 à lUniversity of Chicago Center in Paris, dir. Ph. Desan, B. Perona et D. Knop, Paris, Champion, à paraître.

7 Justus Lipsius Principles of Letter-Writing. A Bilingual Text of Justi Lipsi Epistolica Institutio, éd. Et trad. R. V. Young et M. T. Hester, Carbondale et Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1996, p. 4, 8, 10, 14, 20, 22, 24, 28, 30, 32, 34, 42 et 46. Les traductions françaises, ici comme dans la suite de larticle, sont de nous. Les références ultérieures à lEpistolica Institutio renverront à cette édition et seront précisées dans le corps du texte ou en notes entre parenthèses.

8 A. Legros, Montaigne manuscrit, op. cit., p. 665-727.

9 « Nolo in præsentia dissere quam late nomen epistolæ extendendum sit, sed certe si recipimus ut quicquid salutationem præfert epistola dicatur, quid causæ erit quin libri Tusculunarum quæstionum Ciceronis aut De finibus epistolæ nominentur ad Brutum, De senectute vero et amicitia ad Atticum, De officiis ad Marcum filium, vel si orationi Pro Milone aut In Verrem salutationem præponas ad judices, epistolæ sint ? » (Juan Luis Vives, De conscribendis epistolis, éd. et trad. C. Fantazzi, Leyde, Brill, 1989, p. 26).

10 « EPISTOLÆ Græcanicum nomen est ἀπὸ τοῦ ἐπιστέλλειν, quasi Missoriam dicas » (p. 4). Le mot lettre (epistola) vient du verbe grec envoyer (apo tou epistellein) comme si lon disait missive (envoyée).

11 B. Melançon, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au xviiie siècle, Montréal, Fides, 1996, chap. vii, « Le tiers inclus. La triangularité de la lettre », p. 369-422.

12 Dans le chapitre « Des vaines subtilitez », Montaigne précise que ce titre convient aux femmes dun rang social moyen : « Les femmes de qualité, on les nomme Dames, les moyennes Damoiselles, et Dames encore celles de la plus basse marche » (Les Essais, éd. J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, 2007, I, liiii, p. 330). La citation ultérieure des Essais dans le corps du texte renverra à cette édition et sera précisée entre parenthèses.

13 Rabelais, par exemple, utilise volontiers des épithètes superlatives dans ces épîtres dédicatoires néo-latines. Voir, à ce propos, C. La Charité, « Lart de ladresse à autrui dans les traités épistolaires humanistes : du bon usage de lépithète dÉrasme à Juste Lipse », dans Formes et rituels de la civilité épistolaire xvie-xviiie siècles, éd. C. Lignereux, Paris, Classiques Garnier, à paraître. Au reste, Juste Lipse, dans deux de ses trois lettres à Montaigne, utilise la formule de salutation « Vir nobilissime » à lendroit de son destinataire. Voir M. Magnien, « Trois lettres de Lipse à Montaigne (1587 [?] – 1589) », art. cité, p. 106 et 110.

14 Voir, à ce propos, A. Jouanna, Montaigne, Paris, Gallimard, 2017, notamment p. 27-34.

15 « At Variantem Materiem appello QUAE DIVERSA IN QUAQUE EPISTOLA EST : IPSA OCCASIO SCRIBENDI ET CAUSA. Ea multiplex : nec minus late patet quam hæc vita. Quid enim rei divinæ aut humanæ est, quod non sermone communicamus ? Ergo et Litteris, quæ alter sermo. Sed tamen diffusam coercere his terminis posse videor, ut omnis ea sit triplex : Seria, Docta, Familiaris. SERIAM dico, quæ ad publica aut privata pertinet, sed uberius ea tractat, et cum cura. Id genus inter publica sunt : Narrationes, Dissertiones, Deliberationes, de statu rerum, de militia, de pace et his talibus. Inter privata ; Suasiones, Laudationes ; et uno verbo, quidquid paullo magis serio scribimus, et una in re velut figentes pedem. Quod genus sæpe incurrit, et plerumque necessario, interdum animi causa, usurpatur. DOCTAM dico, quæ ea quæ ad scientiam aut sapientiam, continet ; et res non epistolæ, epistolæ veste velat. Talis triplex : aut enim Philologa est, et in amœnioribus studiis occupatur ; ut olim Varronis Quæstiones Epistolicæ, Valgii Ruffi Quæsita per Epistolam. Aut Philosopha, et de Natura vel Moribus agit : ut Senecæ nostri epistolæ ; sed et Platonis. Aut denique Theologa, quæ in sacris rebus dedita : ut sunt Augustini, Hieronymi, Cypriani, Basilii, Gregorii utriusque. Denique FAMILIAREM dico, quæ res tangit nostras aut circa nos, quæque in assidua vita. Ea propria et creberrima Epistolæ materies ; et, si verum fateri volumus, germanæ illius una. Cui priora illa duo, Seria, inquam, et Docta, sæpe admixta : sed admixta ; variumque ei semper nec simplex argumentum. » (p. 20)

16 R. Trinquet, « Lettre sur la mort de La Boétie ou Lancelot de Carle inspirateur de Montaigne », dans Mélanges dhistoire littéraire littéraire (xvie-xviie siècles) offerts à Raymond Lebègue, Paris, Nizet, 1969, p. 115-125. Voir également, à ce propos, O. Millet, « Rhétorique de lindicible », à paraître dans Montaigne : une rhétorique naturalisée ?, op. cit.

17 Voir, par exemple, M. Magnien, « Montaigne encomiaste : les lettres-préfaces de La Mesnagerie de Xenophon », à paraître dans Montaigne : une rhétorique naturalisée ?, op. cit.

18 « Primum, ut Adagia Allusionesque ad dicta aut facta vetera, versiculos aut argutas sententias utrisque linguæ interdum immisceas » (p. 32). Par ailleurs, pour Juste Lipse, la venustas tient aussi au recours opportun aux saillies et traits desprit.