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Classiques Garnier

Oraliser les Essais de 1595 Montaigne à son rythme

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
    2018 – 1, n° 67
    . varia
  • Auteur : Demonet (Marie-Luce)
  • Résumé : La réalisation d’une édition « sonore » ou « aurale » des Essais de 1595, « Montaigne à son rythme », a conduit à modifier quelque peu le texte pour le rendre lisible et compréhensible sans le traduire. Elle offre des enseignements sur la langue de Montaigne, sous réserve que les dernières corrections apportées par Marie de Gournay, normatives, ne jettent pas le doute sur les choix ultimes de l’auteur sur le lexique, la syntaxe et la ponctuation, et donc sur le rythme qu’il entendait donner à ses phrases.
  • Pages : 59 à 78
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406083986
  • ISBN : 978-2-406-08398-6
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08398-6.p.0059
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/07/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Oraliser les Essais de 1595

Montaigne à son rythme

La langue anglaise a deux adjectifs différents pour exprimer loralité de la lecture, oral et aural : la production par la bouche, et la réception par loreille. Si cette distinction nest pas encore adoptée en français, elle présente lavantage de mettre laccent, avec aural, sur lécoute et lauditeur. Dans une telle perspective, cette étude voudrait rendre compte dune édition « sonore » ou « auditive » des Essais de 1595, afin doffrir déventuels enseignements sur la langue de Montaigne, à nuancer en fonction dinterventions possibles de Marie de Gournay1. Elle voudrait mettre en évidence le versant aural du texte, sachant que la qualité de la perception dépend de la préparation du texte écrit et de la réalisation orale par le récitant.

LE CLOU DU LANGAGE

« Le langage des Essais [] cest le clou qui fixera la volubilité de nostre idiome », dit Marie de Gournay dans sa préface longue, avec un optimisme qui lui a été reproché2. Je ne parlerai pas de cette « fabrique 60de nouveaux mots » qui depuis sont passés dans la langue (« gladiateur »), ou non (« impremedité »), mais partirai de cette sûreté attribuée à la langue des Essais qui neutraliserait linconstance (la « volubilité ») du vernaculaire, sûreté que contredisent en partie les variantes de lédition de 1595 elle-même. Lexpérience dune écoute des Essais, indépendante ou non du texte imprimé, valait la peine dêtre tentée : mais quelle « langue » y entendons-nous ?

Beaucoup se trouvent embarrassés lorsquil faut lire à haute voix, comme enseignant ou comme étudiant, ou comme amateur, un extrait des Essais dans une édition non adaptée. Certaines pages sont aisées à maîtriser, dautres beaucoup moins, dautres enfin sont à éviter. Avoir des talents dacteur ne change pas grand chose à cette difficulté, sinon quun lecteur qui a quelque expérience de la respiration pourra plus facilement venir à bout dune période un peu longue. Et que faire des citations latines, qui peuvent dépasser la demi-page ou se multiplier à chaque phrase ? Sil nest pas étonnant que lauteur de lenregistrement fourni avec la voix de Michel Piccoli en 2003 propose une « réécriture pour loralité », il est curieux quil la déclare « édition » alors quil a opéré de larges coupes et quil se soit la plupart du temps débarrassé du latin et des autres langues étrangères3.

La version audio offerte dans ces chapitres enregistrés est, comme tout ce qui est numérique, dépendante de lévolution des standards technologiques, ni plus ni moins fragile que toute la musique enregistrée depuis le premier phonographe. La différence avec une édition papier est toutefois flagrante : les corrections sont malaisées et liées à la personne du lecteur. À moins de faire convertir le texte en parole par un robot, lenregistrement est étroitement tributaire de la voix de lhomme (ou de 61la femme), de lélément humain. Les suppressions sont faciles, mais les trois autres opérations (addition, interversion, remplacement) demandent plus de manipulations, alors que celle-ci est moindre lorsquil sagit de rééditer un texte sur un support papier – tout en représentant un certain coût.

De fait, personne na tenté denregistrer lintégralité des Essais tels quils ont été transmis4. Pas même nous, puisquil a fallu sélectionner les chapitres. Lédition sonore partielle accessible en ligne (seulement trente-sept chapitres, mais entiers5), fait partie dun ensemble déditions et de documents concernant Montaigne et rendus disponibles sur le site du CESR (BVH6). Les éditions numériques « génétiques » (ou plutôt « archéologiques ») en XML/TEI des Essais de 1580-1582 et surtout de lExemplaire de Bordeaux (désormais désigné par EB), avec la reconstitution virtuelle de ce qui reste de la « librairie » de Montaigne, ont marqué des étapes importantes dans le projet « Montaigne à lœuvre » (MONLOE), mais nous avions aussi proposé lédition numérique des Essais de 1595 avec leur enregistrement par un acteur. Le budget initial ayant été réduit dun tiers, toutes les prévisions nont pas pu être réalisées dans le temps imparti ni avec la seule subvention de lAgence Nationale de la Recherche. Lévaluation stipulait que lenregistrement nétait pas finançable, jugeant sans doute, sans que ce soit explicite, quune telle réalisation ne relevait pas de la recherche, seulement de la valorisation.

Et pourtant, la proposition initiale exigeait bien une forme de recherche jusque-là inédite et représentait un pari : faire lire le texte intégral, sinon lintégralité des Essais, à partir du texte de 1595, avec des graphies et 62une ponctuation modernisées, et surtout avec une prononciation actualisée et un rythme qui en facilitent la compréhension. Lobjectif était aussi de diffuser des fichiers écoutables par les malvoyants, qui, à ma connaissance, nont pas accès aux Essais autrement quen braille. Pierre Villey lui-même était aveugle : il se faisait lire les textes et les transcrivait. Alors que les livres audio se multiplient pour les classiques, les textes anciens originaux sont encore rares et souvent substantiellement modifiés. Conserver la langue de Montaigne, ou du moins les traces écrites dont nous disposons, suppose un certain nombre dobstacles à surmonter, tant pour le lecteur que pour lauditeur. Contrairement aux apparences, létablissement du texte à lire relève de choix éditoriaux aussi délicats que ceux qui guident une édition classique, mais on nen perçoit que le résultat.

OBSTACLES LINGUISTIQUES

Ces difficultés peuvent être dues à la pensée « ondoyante » de Montaigne, aux usages citationnels qui nous paraissent démesurés, difficultés renforcées par trois types dobstacles linguistiques qui correspondent aux grandes sections de la grammaire : le lexique, la morphologie et la syntaxe. La question des graphies (à distinguer de la ponctuation, cruciale pour le rythme) peut être résolue assez facilement – dautres lont fait avant nous –, même si la modernisation est gourmande en temps de traitement et de vérification.

Le choix des chapitres à lire sest partiellement effectué en fonction de la langue et du style : si le livre III na pas été enregistré en entier, ce nest pas parce que les chapitres 4, 7 et 10 étaient jugés moins intéressants, mais faute de crédits et de moyens humains pour le traitement. La question se posait autrement pour les livres I et II, dont beaucoup de chapitres pratiquent, certes très librement, la forme lâche du commentaire ou des « observations7 », disposition peu audible retrouvée en partie dans « Sur des vers de Virgile » (III, 5). Quant à « lApologie de Raymond Sebond », 63cest précisément une « apologie », un traité dont la composition défie une lecture orale cursive et intégrale, même silencieuse. Cet abandon nest pas sans regret.

Une édition sonore ne faisant pas entendre le découpage physique du livre doù elle vient, elle na pas non plus de notes de bas de page et doit faire le choix de laisser le texte tel quil est, ou bien de le modifier : radicalement dans le cas dune traduction, modérément pour une adaptation, imperceptiblement dans la solution choisie. Le critère majeur étant celui de lintelligibilité, tout effort na cependant pas été épargné à lauditeur, à qui on ne fera pas croire quil entend un texte moderne, car jai considéré quun lissage total était un acte interprétatif qui dépassait nos objectifs. Lauditeur contemporain averti a aussi lhabitude deffets détrangeté considérables dans la littérature actuelle, même en traduction, comme chez Salman Rushdie, Don DeLillo, James Ellroy… Qui déchiffre demblée les référents dun roman historique français comme Au revoir là-haut de Pierre Lemaître, ou du théâtre de Valère Novarina ? Sans parler des expérimentations romanesques ou anti-romanesques des années soixante et de lhabitude significative quont prise les romanciers de livrer quelques clés linguistiques et documentaires à la fin de leurs fictions. Lintellection humaine peut se passer de saisir tout le vocabulaire, et les écrivains contemporains ne dédaignent pas les localismes, les archaïsmes, les termes techniques, les néologismes et les sociolectes. En revanche, la capacité dattention sera perturbée par une signification qui sest modifiée avec le temps, par laccord du verbe au singulier pour plusieurs sujets, par laccord de proximité en genre et en nombre, par des tournures disparues comme le redoutable « si est-ce que », qui fait une excellente question de grammaire pour lagrégation de lettres, mais reste énigmatique pour le lecteur-auditeur moyen.

Les éditeurs commerciaux ou scientifiques ne modernisent guère la langue de Ronsard, pas plus que celle de Du Bellay ou de Marot, dont les éditions actuelles se contentent souvent dactualiser les graphies et dajouter des notes. La poésie reste intouchable, la rime la protège. Cest comme si la prose didées de la Renaissance, surtout celle dun « philosophe », devait être facile, limpide, transparente, de façon à ne pas gêner la communication des concepts, leur transfert dun cerveau à lautre, alors que la langue de Montaigne est souvent bien plus accessible que celle de Rabelais, en cours de traduction intralinguistique pour la 64quatrième fois. Personne na encore enregistré non plus les cinq livres de Gargantua et Pantagruel dans leur langue dorigine et les nombreuses adaptations théâtrales offrent des morceaux choisis et retravaillés. Or les étrangetés de la langue de Montaigne peuvent avoir un effet « poétique » sur le public actuel qui profiterait des sauts et gambades sur des sentiers inconnus.

RETOUCHES LEXICALES

En premier lieu, il a été nécessaire de changer légèrement le texte afin que lacteur-lecteur puisse se lapproprier, même sil avait pour guide lédition de la Pochothèque8. Nous en avons suivi la plupart du temps les leçons et notes de vocabulaire tout en tenant compte des éditions originales et dEB, et des autres éditions critiques, en modernisant cependant les noms propres et la ponctuation9.

Procéder à des « retouches » est lexpression adéquate pour ce procédé, retouches étant un terme quaffectionne André Tournon pour qualifier les interventions manuscrites de Montaigne sur limprimé10, et son usage en peinture comme en couture renforce la pertinence de la métaphore : dautant plus que Montaigne compare son propre texte à une « tissure » comme il le fait aussi avec une peinture ou un portrait. Sauf rare exception, ces retouches sont rendues peu perceptibles à laudition car elles ont consisté à remplacer un terme, une expression, par un autre terme ou une autre expression présents ailleurs dans les Essais ; à accorder en genre et en nombre le verbe avec ses sujets, les adjectifs avec leurs substantifs, à remplacer parfois ès par aux, aucuns et aucunement par « quelques » et « quelque peu » lorsquils avaient un sens positif, du tout par « entièrement » pour la même raison ; à préférer cou à col, mou à mol, à cause des confusions possibles, à loral, avec colle/col de chemise et molle, dautant 65plus quon ne sait pas trop sil sagissait chez Montaigne dune habitude graphique ou dun reflet de la prononciation du temps11.

Tous ces substituts se trouvent ailleurs dans le texte et les binômes utilisés par Montaigne ont été utiles. Parfois la modification a été entérinée par un état du texte plus tardif, voire allogène : lindéfini de sens positif « aucuns » de la préface au lecteur (« ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs »), a été remplacé à la plume par « quelques » sur lexemplaire de 1595 dAnvers corrigé par Marie de Gournay12 et reporté en 1598, un type de correction dont elle ne dit rien, qui ne figure pas dans les errata et quelle applique peu ailleurs13. « Daucuns » diront quil sagit de la langue de Marie de Gournay, et non de celle de Montaigne : toutes ces substitutions manuscrites étant balisées dans la version en préparation, le lecteur curieux pourra en tenir compte, mais certaines variantes des exemplaires de 1595 posent néanmoins problème14.

Le lexique a évolué depuis lépoque de Montaigne, et le nombre de notes de vocabulaire, dans nos éditions récentes (quatre à cinq par page en moyenne), montre ces déplacements de sens. Jai renoncé à offrir un substitut pour tous les cas, car souvent lécoute nest pas vraiment gênée et lauditeur « suffisant » doit pouvoir rectifier en fonction du sens global. Plus ennuyeuse est la présence de termes dont la signification a notablement changé, comme « police », qui peut induire en erreur ceux qui ignorent son sens étymologique, si bien quil a fallu parfois le remplacer par « gouvernement » ou « société ». Ou encore 66ce « suffisant », à ne pas traduire par « arrogant » mais plutôt par « capable ». En revanche, il était difficile de substituer « balançoire » et « bouger » à « branloire » et « branler » : je les ai laissés, et tant pis pour les ricanements adolescents. Après tout, un tel vocabulaire peut attirer lattention, fût-ce de manière apparemment provocante, sur cette métaphore du mouvement du monde.

ÉTABLISSEMENT DU TEXTE

La préparation du document à lire, expressément adaptée à la lecture à haute voix et à lécoute, pourra servir à qui le désirera puisque le texte en sera publié en ligne. Elle a été conduite en plusieurs étapes :

1. À partir de la transcription en HTML sur le mystérieux site américain « Trismégiste » (ca. 1998, sans mention de lexemplaire suivi), modernisation des graphies par un procédé semi-automatique, restitution des passages en grec15 ;

2. Correction des coquilles (de loriginal et de la transcription) à laide dautres états du texte (1580, 1582, 1588, EB, 1598), ou de notre initiative, en comparant avec les éditions critiques et dautres exemplaires de 1595 ;

3. Retouches ciblées de vocabulaire, morphosyntaxe, syntaxe, en plaçant la leçon originale en note ;

4. Traduction des citations lues, références en note ;

5. Modification de la ponctuation en fonction dune lecture à haute voix ;

6. Enregistrement, écoute, corrections sur le fichier-son, reprises, nouvelle écoute (parfois deux) ;

7. Synchronisation entre la lecture et la vidéo du fac-similé, avec insertion des textes originaux et des références en marge droite ;

8. Report des modifications et corrections sur le texte à publier.

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Jinsisterai ici sur les étapes 3 à 5, qui impliquent et affectent la langue, tout en laissant pour une autre étude les « solécismes » : en particulier, celui des accords du verbe et de ladjectif en genre et en nombre, Marie de Gournay appliquant parfois aux Essais la règle du genre « praestantior » (le masculin dominant, selon Linacre), aux dépens de la règle de proximité à laquelle on voudrait revenir aujourdhui16.

Le principe de modernisation des graphies accompagne le choix de faire prononcer de la façon la plus moderne et neutre possible, sans rechercher deffets à lancienne ni daffects appuyés, pour obtenir un texte fluide autant que faire se pouvait. Si Montaigne déclare quenfant il était « maître ouvrier » dans ces représentations du théâtre en latin par sa capacité à incarner des personnages en parlant surtout de son jeu dacteur, il dit aussi quil était piètre récitant dun discours préparé17. Laisser venir naturellement le texte, cétait renoncer à la scansion orale dun « langage coupé », telle que la ponctuation assez dense dEB (sur limprimé) et de 1595 pouvait les laisser entrevoir : on pourrait sy essayer, mais je ne crois pas que cette segmentation – quelle soit autographe ou imprimée – corresponde à une oralisation dorigine, particulièrement invraisemblable dans le cas des additions, mais plutôt à un rythme mental quil ne me paraît pas judicieux de superposer au rythme dune parole que nous imaginons être celle de Montaigne. Le principe de la prononciation moderne a lavantage de concentrer lattention sur le lexique et la syntaxe, afin que le rythme virtuel qui constitue la « sentence » ne soit pas martelé par larticulation forcée des consonnes telle quelle sentend dans les performances de restitution18.

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CHOIX DE LÉDITION DE 1595

Nous aurions pu faire lire lédition Villey-Saulnier, ou lédition Folio, ou lédition de lImprimerie Nationale, qui prennent pour référence lExemplaire de Bordeaux : outre quelles nopèrent pas les mêmes choix de transcription des parties manuscrites pour la ponctuation, et utilisent obligatoirement lédition de 1595 pour les lettres et lignes rognées, elles demandaient den confronter les solutions sur des textes numériques, non disponibles sauf pour Villey, afin de déterminer quelle serait la plus propre à une lecture orale. Quant à la transcription exacte dEB par nos soins, elle ne pouvait guère se prêter à un tel exercice doralisation avant son achèvement (décembre 2015), alors que lenregistrement avait commencé bien avant celui-ci. EB nest pas prononçable tel quel : quelle que soit la solution choisie pour la transcription, elle demandait à être amendée, ce que lédition de 1595 fait assez bien, mais non parfaitement comme on sait.

Ces trois éditions modifient souvent la ponctuation de 1588, les retouches sur limprimé et les additions : elles ne reproduisent pas toujours les majuscules de scansion, qui, comme la analysé A. Tournon, font partie du système ponctuant de Montaigne tout en nétant pas prononçables sinon comme pauses ; elles suppriment souvent des virgules considérées comme aberrantes (lorsquelles sont placées entre le sujet et le verbe, par exemple, ou entre ce et que, comme le voulait Étienne Dolet) ; elles complètent la ponctuation considérée comme défaillante ou lacunaire dans les additions manuscrites afin de réduire la différence entre la partie imprimée, qui segmente généreusement au niveau des syntagmes, et les additions marginales, qui offrent une ponctuation de base, ou même absente dans leur premier jet. En effet, lorsque Montaigne relit ses additions longues – la numérisation montre déjà la différence entre les encres –, il lui arrive dajouter une virgule ou un point, plus rarement deux-points, pratiquant la ponctuation après coup comme un bon élève qui, une fois quil a écrit sa composition au fil de la plume, la reprend pour marquer les parties de lénoncé : ces retouches autographes dans les additions segmentent plutôt au niveau supérieur des propositions ou « clauses » et sont minimales. Certains ajouts (parmi ces additions que jappelle « spontanées », voir infra), nen ont pas du tout.

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Rien nobligeait à suivre la ponctuation de 1595, pour deux raisons : la première a été amplement avancée par André Tournon et permet de constater que LAngelier et Marie de Gournay nont pas toujours suivi les indications fournies par EB, même sil est probable quil y a eu une copie meilleure, voire deux. Sans pouvoir reprendre ici les argumentations respectives des spécialistes de lédition de 1595, il faut bien imaginer au moins une copie réalisée à partir dun autre exemplaire de 1588, que David Maskell à la suite de Richard Sayce appelle la « copie de Montaigne », et Philippe Desan, lexemplar, daprès la terminologie des imprimeurs à lépoque : copie envoyée par Pierre de Brach ou Mme de Montaigne à Marie de Gournay, et destinée à limprimeur. Cette hypothèse est acceptée par Jean Céard (éd. Pochothèque, p. xxiii) comme par Jean Balsamo (éd. Pléiade, p. xlii-xliii). Mais puisque léditrice indique quil restait une autre copie « de la dernière main » de Montaigne au château et quelle est allée la voir en 1595-1596 après la livraison des premiers exemplaires, il nest pas sûr que ce soit lExemplaire de Bordeaux – cest bien la main de Montaigne, mais est-elle la « dernière » ? –, sauf si lon admet que Montaigne a continué à augmenter son texte sur EB en tant quexemplaire de travail : les corrections dAnvers contiendraient dans ce cas les ultimes leçons avant sa disparition (hypothèse de Michel Simonin). Tous les spécialistes ne sont pas de cet avis, et EB peut aussi être considéré comme un brouillon abandonné dès que la copie « propre » a été entreprise, copie que Montaigne na pas pu sempêcher de corriger et daugmenter selon son principe décriture19.

Toutefois, on peut contester que cette autre copie faite sur 1588 (donc au format in-quarto) ait été celle envoyée à Paris : elle peut être restée au château et ce serait encore une autre copie, cette fois dictée par Montaigne, qui aurait gagné les ateliers. Cette solution proposée par M. Simonin (les autres copies seraient « de sauvegarde ») consiste à en imaginer deux, outre EB, ce qui permet dexpliquer non seulement les variantes entre EB et 1595, mais entre les différentes leçons de 1595, qui ont aussi leur importance si lon veut pouvoir juger de « la » langue de 70Montaigne. Deux stylèmes sont peu appréciés de Marie de Gournay : larchaïsme et le régionalisme (elle tolère le gascon) : ainsi corrige-t-elle « sorcerie » en « sorciere », « dessoude » en « desordre », deux exemples significatifs étudiés ailleurs20.

Un autre argument peut être avancé en faveur dune copie spécialement réalisée à lintention de limprimeur, lexemplar envoyé à Paris, ou copy-text selon lappellation anglo-saxonne21 : le format. Ici je maventure sur le terrain de lhistoire du livre, qui nest pas le mien, à laide dinformations recueillies auprès des spécialistes au CESR. Admettons que soit resté au château EB et ce que jappellerais la copie-quarto, établie sur un autre exemplaire de 1588, postérieur à EB mais antérieur et distinct de lexemplar : Marie de Gournay a pu recopier intégralement les Essais pour les livrer à limprimeur, et ce serait une « recopie » de la « copie de Montaigne ». Avant 1588, déjà, Montaigne avouait, après le passage (retouché !) où il déclarait ne se soucier ni dorthographe, ni de ponctuation :

Qui connoistra combien je suis peu laborieux, combien je suis faict à ma mode, croira facilement, que je redicterois plus volontiers, encore autant dessais, que de massujettir à les resuivre ceus cy, pour cette puerile correction. (f. 433vo)

Je prendrais volontiers cette interrogation, souvent commentée, à la lettre : et sil lavait fait ? Montaigne aurait « redicté » les Essais (non pas dautres, mais ceux-là augmentés), que lon prenne le verbe redicter dans le sens de « recomposer » ou dans celui de la lecture à haute voix à quelque secrétaire. Même recopié de sa main au propre sur un autre exemplaire de 1588, celui-ci restait un in-quarto surchargé de longues additions et de minutieuses retouches, puzzle peu adapté au futur calibrage in-folio dun copy-text utilisable par limprimeur (les abréviations nauraient nullement suffi à lajustement). Jimagine donc à mon tour deux solutions : soit Montaigne a « redicté » intégralement sur des feuilles vierges « autant dessais » (sans sinterdire de les remanier), et 71pourquoi pas déjà sur un format plus grand ; soit cest Marie de Gournay qui la fait à partir de la « copie de Montaigne », produisant un exemplar qui devient le copy-text à lintention de limprimeur. Le format le plus courant serait un in-plano plié non pas en quatre mais en deux : cest le format des feuilles qui portent les arrêts parlementaires, par exemple. Cette dimension de papier ressemble fort à ce « cayer de copie » que La Croix du Maine, dans sa préface à sa Bibliothèque françoise (1584), dit avoir transmis à LAngelier lorsquil lappelle sa « minute » :

[] un cayer de copie, qui sont douze pages descriture, ou bien (pour le mieux donner à entendre) trois fueilles de grand papier remplies de douze faces ou costez de minute escrite de ma main, contenant chacune page plus de quarante lignes, & chacune ligne plus de douze syllabes [= des mots ?], pour fournir à deux compositeurs qui travailloient sur ce livre22.

Il sagit de léquivalent de douze pages in-folio, à plus de quarante lignes (1595 en a 44), que lauteur décrit avec précision. Les différences de graphies et de ponctuation avec EB peuvent certes sexpliquer par lintervention dun secrétaire, mais plus probablement par celle de Marie de Gournay grâce à ce que jappellerais « la preuve par le point-virgule ».

La deuxième raison qui ma fait modifier la ponctuation de 1595 résulte de ces observations et de mes propres recherches sur les différences entre la ponctuation de limprimé (1580, 1582, 1587, 1588, 1595), et celle des parties manuscrites dEB, et de tous les documents autographes comparés aux usages de lépoque23 : les résultats en ont été exposés lors des colloques de Bordeaux (décembre 2014) puis de Salamanque (septembre 2015), ce qui ma permis de proposer quatre niveaux de ponctuation propres à Montaigne : 1) de verve (sans ponctème, dans une seule lettre et les additions spontanées) ; 2) neutre, à trois ponctèmes (six lettres, les arrêts autographes, les additions relues) ; 3) grammaticale avec marquage minimal des parties de lénoncé (les additions marginales recopiées) ; 4) 72rhétorique, à segmentation accentuée24 (les additions interlinéaires, les retouches sur limprimé). Ainsi lusage du point-virgule peut-il servir de shibboleth : il est absent de 1580 et 1582, sporadique en 158825 (8, sur les quatre premiers cahiers uniquement), massif en 1595 (1116 occurrences). Bien plus, lexemplaire de 1582 conservé à Bordeaux (en ligne) montre des corrections manuscrites pertinentes, dont la suppression systématique à la plume des six points-virgules primitifs, pour leur substituer quatre deux-points (le « comma » de Montaigne) soigneusement répliqués dans la marge, et deux points. Enfin, le fac-similé de lexemplaire de 1582 publié par Philippe Desan (collection particulière) à la STFM en 2005 montre des virgules imprimées à ces mêmes endroits, témoins de corrections en cours dimpression. Or la transcription dEB ne montre aucun point-virgule dans les parties manuscrites. Par conséquent le passage de la virgule au point-virgule sur 1595 peut difficilement être imputable à la volonté de Montaigne qui aurait défait son usage antérieur, alors que le deuxième ponctème est particulièrement apprécié de Marie de Gournay si lon en juge par sa fréquence dans la préface longue (68 occurrences). Quoi quelle dise de son « extrême superstition » observée à légard du texte sacré (f. ī ijro), ces interventions montrent quil faut tenir compte des corrections en partie effectuées au château de Montaigne sur cette « autre copie », mais garder en mémoire que léditrice ne renonce pas à laméliorer.

UNE PONCTUATION AURALE

Régulatrice de la lecture à haute voix, la ponctuation du texte a été entièrement reprise, selon une actualisation personnelle : je nai cherché ni à restituer une ponctuation dépoque, ni à fixer une prétendue ponctuation moderne qui ferait consensus – il ny en a pas, pas plus quil ny en avait du temps de Montaigne et de Marie de Gournay. Pour 73le seul chapitre « De la colère » (II, xxxi), par exemple, les différences existent entre toutes les versions : 1582 augmente un peu le nombre de virgules par rapport à 1580, 1587 en ajoute ou en enlève, 1588, 1588-EB et 1595 segmentent beaucoup plus (25 %) par rapport au nombre de mots, mais pas toujours au même endroit.

Lobservation des textes et létude diachronique des usages montrent que la ponctuation est moins la transcription dune oralisation qui serait la parole de lauteur que le balisage des parties de lénoncé : syntagmes, groupes sujets, groupes compléments, propositions, clauses, afin de montrer la grammaticalité de la langue par une sorte de visualisation mentale. La ponctuation imprimée, en particulier, surtout retouchée comme Montaigne la fait, est un habillage littéraire et une ostension de lécrit, ce que jai appelé une présentation « civile » de la parole – grâce à lécrit – et non son reflet. La preuve, cest quun autre peut sen charger comme le montrent les instructions manuscrites à « limprimur » [sic] sur EB26, en fait à lintention de la personne responsable de la mise au net.

La ponctuation rhétorique ajoute lexpression des affects avec les points dexclamation et dinterrogation, mais aussi les moments darticulation des composants de la période, le balancement protase/ apodose, dont la suture est souvent marquée par deux-points alors quil ne faudrait pas baisser la voix étant donné que le sens est suspendu. Il faut aussi compter avec les effets de décrochement que sont les incises et les parenthèses, particulièrement importants lorsquon devine des effets dironie, difficiles à apprécier toutefois. Il est délicat de donner à un acteur une injonction didascalique comme au théâtre, du type avec ironie, car on nen est jamais sûr pour un texte publié sans autre mode demploi que la « bonne foi » de la préface et le contrepoint dune « confession ironique et moqueuse ».

Lapprentissage dune ponctuation minimale qui guide la lecture sur le modèle latin remonte au moins à lépoque où Montaigne était élève des classes de grammaire au Collège de Guyenne. Une page de la Maniere dinstruire les enfans attribuée à Élie Vinet de façon erronée par Millanges (1610) ou à Robert Estienne dans la plupart des catalogues, est probablement lécho de lenseignement de Mathurin Cordier au Collège de Guyenne (et repris par Vinet), de laveu même dEstienne 74dans le titre de son édition de 154027. Lauteur recommande de « bien regarder les marques » qui se limitent à trois : sarrêter un peu sur « , », plus sur « : », du tout [=complètement] sur « . » Le commentaire qui suit le point explique que cette pause sert à :

reprendre son haleine, & amener une nouvelle sentence en changeant aucunement [= un peu] de voix28.

Cet exercice servira autant au français quau latin, précise-t-il. Quant au point dinterrogation, signe « ecphonétique » avec lexclamation, il est, à lépoque de Montaigne, dun usage récent, et non systématique lorsque la proposition est syntaxiquement interrogative. Pour la lecture, javais ajouté des points « interrogants » à la fin de toutes les phrases interrogatives lorsquil ny en avait pas, même en 1595 qui pourtant étend cette pratique. En fait, lusage délever la voix à la finale nest pas universel de nos jours, comme lacteur la montré intuitivement alors que la syntaxe ne laissait aucun doute sur la modalité de la phrase. Par exemple, dans « De la vanité », pour dire « Que peut-on faire quand cest une harangue qui porte la vie en conséquence29 ? », linterrogation est toute dans la syntaxe, qui suffit. Lélévation de la voix produirait un effet artificiel, oratoire, lorsque le texte nest pas adressé à quelquun, sinon à un lecteur ou auditeur virtuel qui ne répondra pas à la question posée. La diction intime et discrète que javais demandée concordait mal avec une intonation trop marquée30.

Et, malgré mes réticences envers le « Eh quest-ce quun amy ! », version moins affective du célèbre et elliptique « O un amy » remplacé en 1595 mais toujours présent sur EB31, jai laissé la leçon posthume, 75probablement attribuable à Montaigne. Jai constaté (trop tard pour lenregistrement –mea culpa) que Montaigne avait réinséré un pathétique « O mon amy ! » dans le chapitre « De laffection des pères aux enfants » (II, 8) : or cest une leçon qui apparaît imprimée sur lexemplaire dAnvers (p. 253), restituée par la Pléiade, mais elle est en variante dans la Pochothèque et absente de lexemplaire transcrit.

La ponctuation proposée ici à la lecture à haute voix offre un rythme et un ton qui étaient les miens lorsque je lisais, et non une partition à suivre au ponctème près. « Lorsque je lisais » : en fait, la ponctuation théorique moderne que javais placée pendant la lecture silencieuse sest avérée parfois peu appropriée à la lecture orale effectuée dans un deuxième temps, celle qui a prévalu. Une autre lectrice, pour les livres I et II, a proposé dautres solutions et jai tranché avec le test du « gueuloir », façon dauraliser la lecture. Enfin, lacteur na pas toujours suivi la segmentation proposée, comme on peut lentendre.

RYTHME ET MODULATION

En raison de cette « rhétorique de lécrit imprimé32 », jai choisi de revoir la ponctuation de 1595 en fonction du rythme dune lecture aurale. La phrase ny est pas si éloignée de nos usages, mais le rythme que nous observons dans la lecture à haute voix, un rythme moulé par la tradition théâtrale et académique, est sensiblement différent des empans de la lecture silencieuse dun texte imprimé.

Même lorsque lon dispose de quelques sections manuscrites sur EB visiblement relues et ponctuées par Montaigne, la scansion proposée ici est libre puisque, à mon avis, Montaigne na pas indiqué ces ponctèmes en vue dune performance orale, mais comme support pour une copie ultérieure, sans appliquer à ces passages le système hyper-ponctué (ou hyper-scandé) que lon voit sur les chapitres imprimés et soigneusement retouchés.

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Un exemple de lintervention de lacteur concerne la mésaventure de Laodicé, dans une addition du chapitre « De la force de limagination » (I, 20/21, f. 35vo). La première ligne ayant été rognée, il ne nous reste que 1595 qui ponctue ainsi :

Amasis Roy dÆgypte, espousa Laodice tresbelle fille Grecque : et luy, qui se

segmentation que jai conservée dans le texte à lire. Mais lacteur a spontanément distribué les pauses autrement :

Amasis // roi dÉgypte / épousa Laodicé, très belle fille grecque :  / et lui // qui se montrait gentil compagnon partout ailleurs // se trouva court à jouir delle : et menaça de la tuer,  // estimant que ce fût quelque sorcerie. (p. 49 ; 1048)

Il a réduit la pause après « Égypte », na pas baissé la voix après « grecque » alors quil la fait après « jouïr delle », et aussi après « tuer », comme sil y avait un point double, et comme si la phrase était terminée. La partie manuscrite ne présentant ici aucun signe de ponctuation (niveau « de verve »), cette interprétation ma semblé tout à fait acceptable, même si elle segmente la phrase de façon encore plus marquée que lédition ne le fait. Un autre lecteur peut pratiquer une autre lecture, plus affective, plus personnelle ou plus fluide, qui réfléchirait moins après « tuer » et annulerait leffet dhyperbate. Mais il nest pas gênant que le verbe tuer donne à réfléchir.

Comme Montaigne le constatait pour lédition de ses « fantaisies » dans un livre, « chaque ouvrier » y met la main selon ses propres fantaisies, il nen est pas autrement pour une édition aurale : chaque lecteur opère avec ses yeux, son cerveau, son oreille et son phrasé. « La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui lécoute » (III, 13, 210) : cette assertion, souvent citée pour argumenter en faveur dune oralité de son écriture, peut être comprise autrement. Le texte créé par Montaigne est « interprété » par léditeur, en loccurrence une Marie de Gournay qui distinguait la langue des provinces de celle de « la France » et normalisait le texte ; puis par les éditeurs modernes, puis par lacteur qui lit, et enfin par un auditeur « suffisant » auquel lauteur a aussi « hypothéqué son ouvrage ». Les ajustements sont sans fin. Garder une petite distance ma paru souhaitable pour que la langue de Montaigne résonne à la fois 77comme celle dun autre parlant à la première personne, dun ami ou dune amie, fût-elle une admiratrice sautorisant quelques ingérences et nous autorisant à en faire autant.

Marie-Luce Demonet

Centre détudes supérieures
de la Renaissance

Université François-Rabelais
de Tours

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ANNEXE

Contenu de lédition sonore

Au lecteur.

Livre I : Chapitre 8, De loisiveté ; Chapitre 19/20, Que philosopher, cest apprendre a mourir ; Chapitre 20/21, De la force de limagination ; Chapitre 24/25, Du pédantisme ; Chapitre 25/26, De linstitution des Enfants ; Chapitre 27/28, De lamitié ; Chapitre 29/30, De la modération ; Chapitre 30/31, Des cannibales ; Chapitre 38/39, De la solitude ; Chapitre 42, De linégalité qui est entre nous ; Chapitre 46, Des noms ; Chapitre 50, De Democritus & Heraclitus ; Chapitre 55, Des senteurs ; Chapitre 56, Des prières ; Chapitre 57, De lâge.

Livre II : Chapitre 1, De linconstance de nos actions ; Chapitre 2, De livrognerie ; Chapitre 3, Coutume de lîle de Cea ; Chapitre 5, De la conscience ; Chapitre 6, De lexercitation ; Chapitre 8, De laffection des pères aux enfants ; Chapitre 10, Des livres ; Chapitre 11, De la cruauté ; Chapitre 16, De la gloire ; Chapitre 17, De la présomption ; Chapitre 26, Des pouces ; Chapitre 30, Dun enfant monstrueux.

Livre III : Chapitre 1, De lutile et de lhonnête ; Chapitre 2, Du repentir ; Chapitre 3, De trois commerces ; Chapitre 5, Sur des vers de Virgile ; Chapitre 6, Des coches ; Chapitre 8, De lart de conférer ; Chapitre 9, De la vanité ; Chapitre 11, Des boiteux ; Chapitre 12, De la physionomie ; Chapitre 13, De lexpérience.

1 Publication en cours dachèvement sur le site https://montaigne.univ-tours.fr/category/multimedia/ed-sonore/ ; les chapitres sont proposés en streaming vidéo synchronisé avec le fac-similé de lédition de 1595, et au téléchargement en MP3. La vidéo permet de suivre le déroulement des images en même temps quon écoute, et de consulter dans le cadre droit le texte original et les références des citations lues en traduction.

2 Je cite la préface longue daprès lexemplaire de 1595 conservé à la bibliothèque de lArsenal (Rés. Fol. S 266, Gallica), f. ã iiijro. Pour le reste du texte, je suis lexemplaire dit dAnvers (XMPM_OD_R-40-05), numérisé dans le cadre du projet MONLOE par le Musée Plantin-Moretus, avec une préface « courte », manuscrite et non autographe, et les corrections manuscrites de Marie de Gournay. Les Essais de 1595 ont été édités à la Pochothèque par J. Céard, D. Bjaï, B. Boudou et I. Pantin (à partir de BnF Z 1580, graphies modernisées, Paris, 2001), et en Pléiade par J. Balsamo, C. Magnien-Simonin et M. Magnien (Paris, Gallimard, 2007, à partir de BnF Z Payen 15). Marie de Gournay a modifié ce passage en 1599 (préface au Proumenoir) : « Et cest le principal clou, qui fixera », encore atténué en 1635 : « Cest en verité lun des principaux clous, qui fixeront la volubilité de nostre vulgaire François, continue jusques icy » (f. [5]ro, éd. M.-C. Thomine, Œuvres complètes, Paris, Champion, 2002, I, p. 290). Elle emprunte limage du « clou » à Montaigne lui-même dans laddition qui constate lévolution rapide du français : « Cest aus bons et utiles escris de le [= le langage] clouër à eus », remarque que suit un fataliste « et son credit selon la fortune de son estat » (f. 441vo).

3 Montaigne, Les Essais, lecture M. Piccoli [Enregistrement sonore], Livre 1, dir. O. Cohen, Vincennes, Frémeaux & Associés, 2003.

4 Le livre audio, gratuit et en ligne, qui propose depuis 2013 la lecture intégrale des Essais, est fondé sur la « traduction en français moderne » par Guy de Pernon, laquelle est souvent une paraphrase qui oriente linterprétation : on peut discuter la transformation de « Il tavertit dès lentrée, que je ne my suis proposé aucune fin, que domestique et privée », parfaitement compréhensible, en « Il tavertit dès le début que je ne my suis fixé aucun autre but que personnel et privé ». Précisément, Montaigne ne se fixe rien.

5 Voir la liste en fin darticle.

6 Dès 2008 la première transcription des Essais de 1580 a été réalisée. MONLOE (« Montaigne à lœuvre ») a été sélectionné en 2012 par lANR : voir les différents articles publiés par A. Legros et moi-même dans le BSAM, les MS et la Bibliothèque dHumanisme et Renaissance depuis 2012, et sur HAL (CNRS). Contributeurs : M.-L. Demonet (CESR-BVH, responsable), J.-P. Corbellini (vidéo et synchronisation, MSH Val de Loire), M. Duboc (CESR-BVH, suivi du projet), É. Gauthier (CESR-BVH, préparation du texte et des traductions), avec la collaboration dA. Legros (CESR). P. Tissot a été notre anagnostes (lecteur). Studios Lunablue et La Machinamot.

7 Titre du chapitre 34, livre II : « Observations sur les moyens de faire la guerre de Julius Cæsar ».

8 Les Essais, éd. D. Bjaï, et al., dir. J. Céard, Paris, LGF, 2001.

9 Nous avons actualisé les noms propres pour que lauditeur puisse reconnaître, par exemple, le nom de Cicéron sans sinterroger sur un Cicero dont la prononciation reste incertaine.

10 Voir ses articles parus principalement dans le BSAM et son édition de lImprimerie Nationale (1998).

11 Robert Estienne fait remarquer quon écrit col et on prononce cou, mais Henri Estienne considère que la prononciation en [u] est « ex abusu » (Hypomneses de Gallica lingua, Genève, H. Estienne, 1582, p. 63), preuve quon disait souvent ainsi. Marie de Gournay assure quelle na pas touché à col pour lui substituer un de ces « nouveaux mots » comme coulx (dont la graphie est particulièrement étymologique), signe quelle sentait comme légitimement ancienne la forme utilisée par Montaigne (f. ã iiijro). Cette remarque disparaît dans la version de 1635 de la préface.

12 f. a[4]vo. En 1611 (préface courte) toutefois, Marie de Gournay utilise un « aucuns » au sens de « quelques-uns » dans son propre texte. Les aventures de la préface « Au lecteur » (absente dune partie des exemplaires) ont été longuement exposées par les spécialistes de cette édition.

13 Il ny a que deux occurrences de « quelques uns » dans lédition définitive : lune ne figure que sur 1595 (lignes rognées), lautre est une addition manuscrite sur EB. À plusieurs reprises Montaigne préfère aucun à nul sur EB, mais pas toujours : 36ro, 37ro, 88vo, 130vo ms, 221ro, 228ro, 316ro, etc.

14 Lédition numérique à venir (en ligne) sera encodée en XML/TEI.

15 Script en langage XSLT développé par Jorge Fins (MSH Val de Loire), qui permet dappliquer des règles de substitution à partir dexpressions régulières, demandant toutefois une vérification attentive.

16 Ces usages pourraient révéler la trace des apprentissages de Montaigne au Collège de Guyenne et linfluence des traités linguistiques de Thomas Linacre. Voir mon article à paraître : « Les solécismes de Montaigne ».

17 I, 26, « De linstitution des enfants », f. 66vo (addition de 1588) ; « Je cognois, par experience, cette condition de nature, qui ne peut soustenir une vehemente premeditation et laborieuse ». (I, 10, f. 13ro) ; et III, 9, f. 432ro : « Pour moy, cela mesme, que je sois lié à ce que jay à dire, sert à men desprendre ».

18 Voir M.-L. Demonet, « Parler comme les livres : la parole civile en France à la Renaissance », dans Lantidoto di Mercurio. La “civil conversazione” tra Rinascimento ed età moderna, dir. N. Panichi, Florence, Olschki, 49, 2013, p. 131-147.

19 Voir les débats avec A. Tournon et C. Blum dans le BSAM, les MS, et les introductions des éditions de la Pochothèque et de la Pléiade. Larticle de M. Simonin (« Aux origines de lédition de 1595 » [1997], dans LEncre et la lumière, Genève, Droz, 2004, p. 523-550) a relancé la discussion sur le dernier état authentique des Essais, prolongée par J. Balsamo et Ph. Desan (voir lentrée « Édition de 1595 » dans le Dictionnaire de Michel de Montaigne, dir. Ph. Desan, Paris, Champion, 2004), et sans doute loin dêtre close.

20 Je reviens sur ces questions dans « Les solécismes de Montaigne », en poursuivant les collations de R. Sayce (1974) et D. Maskell (1978) sur différents exemplaires de 1595.

21 Le copy-text peut être la copie professionnelle envoyée à limprimeur par lauteur, généralement réalisée par un secrétaire qui normalise et habille le texte, notamment pour la ponctuation et la présentation. Ce peut être aussi la copie que limprimeur fait réaliser pour son atelier si le manuscrit nest pas exploitable ni calibrable en létat.

22 François Grudé de La Croix du Maine, La Bibliotheque Françoise, Paris, A. LAngelier, 1584, f. ã [7]ro. M. Simonin avait signalé ce passage important dans « Montaigne, son éditeur et le correcteur devant lExemplaire de Bordeaux » [1998], dans LEncre et la lumière, op. cit., p. 560.

23 Voir A. Legros, Montaigne manuscrit, Paris, Classiques Garnier, 2010, et les documents en ligne sur le site http://montaigne.univ-tours.fr.

24 M.-L. Demonet, « Ponctuer et dicter chez Montaigne », dans Ponctuation, segmentation, matérialité des textes. Langues dEurope (Moyen-âge et Renaissance), Colloque de Salamanque, org. S. Baddeley, F. Jejcic, E. Llamas Pombo, G. Parussa, D. Smith, à paraître.

25 La version en ligne de 1588 sur le site du Montaigne project (Ph. Desan, Université de Chicago) est réalisée à partir dune édition du xixe siècle qui a modifié la ponctuation.

26 Voir dans ce même volume lannexe finale à larticle dA. Legros.

27 Mathurin Cordier, Les declinations des noms et verbes [] Ex fragmentis Maturini Cordierii descripta, Paris, R. Estienne, 1540, p. 3 (exemplaire numérisé par la Bibliothèque de Munich).

28 La reproduction Slatkine (1972) laisse penser que la princeps est de 1546 (Bibliothèque de Besançon), mais il sagit de la réunion postérieure de quatre parties : La declinaison des noms et verbes ; La maniere de tourner les noms, pronoms, verbes… ; Des huict parties doraison ; La maniere dexercer les enfants à decliner les noms et les verbes. Entre-temps, le nom de Mathurin Cordier, qui avait rejoint Genève, a disparu.

29 Repère sur le fichier MP3 : 4710 ».

30 La détermination de phrases exclamatives est encore plus problématique, point que jai traité dans « Interjection et exclamation chez Montaigne. Lexpression des affects », dans La Langue de RabelaisLa langue de Montaigne, dir. F. Giacone, Genève, Droz, 2009, p. 387-404.

31 III, 9, f. 432vo=440vo : Montaigne a modifié la ponctuation, remplaçant le point (et non un point dexclamation, contrairement à lédition Villey), qui suivait « amy », par deux-points.

32 Ce que je développe dans « Rhétorique de lécrit imprimé à la Renaissance », dossier « Écriture(s) et représentations du langage et des langues », Histoire, Épistémologie, Langage, 9, 2016, p. 146-161.