« Siffler en paume [...] des essais, en chair et en os »
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2017 – 1, n° 65. varia - Auteur : Geonget (Stéphan)
- Pages : 9 à 10
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406069072
- ISBN : 978-2-406-06907-2
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06907-2.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 02/03/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
« Siffler en paume […] des essais,
en chair et en os1 »
Se sont tenues à l’occasion du programme de l’Agrégation de Lettres 2017 (qui a mis Montaigne et son « troisième allongeail » à l’honneur) deux journées d’études qui nous ont semblé mériter d’être publiées. La première – rendez-vous désormais bien installé dans le paysage seiziémiste – a eu lieu au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance de Tours le 8 octobre 2016. Organisée par Stéphan Geonget, elle a ouvert une série de manifestations scientifiques consacrées au grand Bordelais. La journée d’études de Toulouse, organisée par Olivier Guerrier (le 9 novembre 2016), est venue compléter l’approche tourangelle. Ont en outre été adjoints à cet ensemble quelques articles inédits suscités par ces « conférences ».
Comme toujours en pareilles occasions, les perspectives adoptées par les différents spécialistes du texte sont diverses. Certains essaient de reconstituer la trame de fond sur laquelle prend sens le texte montaignien (J. Balsamo, S. Geonget) tandis que d’autres s’intéressent plus spécifiquement à des traits stylistiques saillants de son écriture (M.-L. Demonet, V. Giacomotto-Charra) ou se montrent sensibles à la logique de réécriture à l’œuvre dans les Essais (A. Legros) ou à la récurrence de certains termes (L. Gerbier). D’autres encore inscrivent leur lecture dans un parcours plus large (O. Guerrier, N. Lombart, B. Perona, F. Rouet) dont le livre III n’est en définitive que le terminus ad quem. Il n’y a pas lieu de s’étonner d’une telle palette interprétative, d’autant moins d’ailleurs que le texte même de Montaigne semble avoir été pensé et écrit pour susciter une telle « bigarrure ». Montaigne ne parle-t-il d’ailleurs pas aussi de ses bénévoles lecteurs quand, avec ironie, il met en scène le mouvement infini de nos « opinions » toujours incertaines et quand il nous adresse à travers les siècles ce reproche :
10Nous doutions sur Ulpian, redoutons encore sur Bartolus et Baldus. Il fallait effacer la trace de cette diversité innumérable d’opinions : non point s’en parer, et en entêter la postérité2.
S’agit-il là encore de cette « maladie naturelle de [notre] esprit », lui qui « ne faict que fureter et quester » ? Sans doute mais c’est une belle maladie que celle-là.
S’il s’agit bien ici d’un volume à destination de ceux qui préparent le concours, il s’agit aussi d’un vrai travail de recherche. Telle était d’ailleurs la gageure que devaient accepter tous les spécialistes, faire à la fois œuvre scientifique originale – et c’est bien le cas – et rendre accessible, par une attention scrupuleuse à la pédagogie du propos, ce savoir à tous les futurs enseignants qui auront eux-mêmes à cœur de faire comprendre et aimer Montaigne aux jeunes générations. Ce n’est qu’ainsi que pourra se perpétuer l’histoire de notre littérature et la vie de ces auteurs qui résistent au temps. C’est d’ailleurs ce dont, dès le « Au lecteur », Montaigne nous avertit : certes nous allons perdre notre temps à lire les Essais (et d’une certaine façon cela est vrai, nous avons mille choses plus urgentes à faire que de lire les Essais ; en avons-nous en revanche de plus importantes ?). Mais cette lecture n’est pas vaine pour autant. Elle prend sens si nous cherchons, en « amis » désormais, à retrouver le son de la voix de celui que nous avons perdu (il s’agit bien toujours de nourrir « plus entiere et plus vifve, la connoissance qu’ils ont eu de moy », préoccupation d’ailleurs particulièrement évidente dans ce troisième livre, celui de la vieillesse de Montaigne). C’est donc à l’écoute de Montaigne qu’il convient de se mettre, en renonçant à nous (pour mieux peut-être nous trouver) et en devenant membre alors de cette parentèle montaignienne (livre fait pour « la commodité particuliere de mes parens et amis »), de cette famille diverse comme le sont les lectures présentes dans ce volume mais unie dans le souvenir de cette voix vivante. Il y a là, me semble-t-il, une belle leçon que de futurs enseignants de Lettres auront à cœur de transmettre à leurs élèves.
Stéphan Geonget
Université François-Rabelais de Tours