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Classiques Garnier

« Siffler en paume [...] des essais, en chair et en os »

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« Siffler en paume [] des essais,
en chair et en os1 »

Se sont tenues à loccasion du programme de lAgrégation de Lettres 2017 (qui a mis Montaigne et son « troisième allongeail » à lhonneur) deux journées détudes qui nous ont semblé mériter dêtre publiées. La première – rendez-vous désormais bien installé dans le paysage seiziémiste – a eu lieu au Centre dÉtudes Supérieures de la Renaissance de Tours le 8 octobre 2016. Organisée par Stéphan Geonget, elle a ouvert une série de manifestations scientifiques consacrées au grand Bordelais. La journée détudes de Toulouse, organisée par Olivier Guerrier (le 9 novembre 2016), est venue compléter lapproche tourangelle. Ont en outre été adjoints à cet ensemble quelques articles inédits suscités par ces « conférences ».

Comme toujours en pareilles occasions, les perspectives adoptées par les différents spécialistes du texte sont diverses. Certains essaient de reconstituer la trame de fond sur laquelle prend sens le texte montaignien (J. Balsamo, S. Geonget) tandis que dautres sintéressent plus spécifiquement à des traits stylistiques saillants de son écriture (M.-L. Demonet, V. Giacomotto-Charra) ou se montrent sensibles à la logique de réécriture à lœuvre dans les Essais (A. Legros) ou à la récurrence de certains termes (L. Gerbier). Dautres encore inscrivent leur lecture dans un parcours plus large (O. Guerrier, N. Lombart, B. Perona, F. Rouet) dont le livre III nest en définitive que le terminus ad quem. Il ny a pas lieu de sétonner dune telle palette interprétative, dautant moins dailleurs que le texte même de Montaigne semble avoir été pensé et écrit pour susciter une telle « bigarrure ». Montaigne ne parle-t-il dailleurs pas aussi de ses bénévoles lecteurs quand, avec ironie, il met en scène le mouvement infini de nos « opinions » toujours incertaines et quand il nous adresse à travers les siècles ce reproche :

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Nous doutions sur Ulpian, redoutons encore sur Bartolus et Baldus. Il fallait effacer la trace de cette diversité innumérable dopinions : non point sen parer, et en entêter la postérité2.

Sagit-il là encore de cette « maladie naturelle de [notre] esprit », lui qui « ne faict que fureter et quester » ? Sans doute mais cest une belle maladie que celle-là.

Sil sagit bien ici dun volume à destination de ceux qui préparent le concours, il sagit aussi dun vrai travail de recherche. Telle était dailleurs la gageure que devaient accepter tous les spécialistes, faire à la fois œuvre scientifique originale – et cest bien le cas – et rendre accessible, par une attention scrupuleuse à la pédagogie du propos, ce savoir à tous les futurs enseignants qui auront eux-mêmes à cœur de faire comprendre et aimer Montaigne aux jeunes générations. Ce nest quainsi que pourra se perpétuer lhistoire de notre littérature et la vie de ces auteurs qui résistent au temps. Cest dailleurs ce dont, dès le « Au lecteur », Montaigne nous avertit : certes nous allons perdre notre temps à lire les Essais (et dune certaine façon cela est vrai, nous avons mille choses plus urgentes à faire que de lire les Essais ; en avons-nous en revanche de plus importantes ?). Mais cette lecture nest pas vaine pour autant. Elle prend sens si nous cherchons, en « amis » désormais, à retrouver le son de la voix de celui que nous avons perdu (il sagit bien toujours de nourrir « plus entiere et plus vifve, la connoissance quils ont eu de moy », préoccupation dailleurs particulièrement évidente dans ce troisième livre, celui de la vieillesse de Montaigne). Cest donc à lécoute de Montaigne quil convient de se mettre, en renonçant à nous (pour mieux peut-être nous trouver) et en devenant membre alors de cette parentèle montaignienne (livre fait pour « la commodité particuliere de mes parens et amis »), de cette famille diverse comme le sont les lectures présentes dans ce volume mais unie dans le souvenir de cette voix vivante. Il y a là, me semble-t-il, une belle leçon que de futurs enseignants de Lettres auront à cœur de transmettre à leurs élèves.

Stéphan Geonget

Université François-Rabelais de Tours

1 Montaigne, Essais, III, 5, p. 90.

2 Montaigne, Essais, III, 13, p 405.