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Classiques Garnier

Les idoles, de Montaigne à Bacon

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
    2016 – 1, n° 63
    . varia
  • Auteur : Gontier (Thierry)
  • Résumé : Bacon est l’un des premiers philosophes à avoir tenté une étiologie psychologique systématique de l’attachement de l’esprit humain à l’erreur. Nous montrons ici en quoi les « idoles » baconiennes se rattachent à certaines thématiques sceptiques des Essais de Montaigne. Pour les deux penseurs, quoiqu’en des sens différents, l’erreur provient d’une inquiétude naturelle de l’esprit humain, qui appelle en retour une forme de discipline à travers un attachement aux données de l’expérience.
  • Pages : 165 à 179
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406060871
  • ISBN : 978-2-406-06087-1
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06087-1.p.0165
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 06/08/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Les idoles,
de Montaigne à Bacon

On reconnaît en général la dette de Bacon vis-à-vis de Montaigne1 dans le domaine de la philosophie morale. En témoigne le titre même du premier ouvrage de philosophie de Bacon, les Essays dont la première édition paraît en 15972, soit six ans avant la traduction anglaise des Essais de Montaigne par John Florio (1603)3. Il ne faut cependant pas surévaluer limportance de ce transfert : les emprunts directs à Montaigne dans cet ouvrage sont rares4 ; et Bacon lui-même précise, dans la lettre dédicatoire au roi qui ouvre la seconde édition (1612), que

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si « le mot est récent », « le genre est ancien » (the word is late, but the thing is ancient), en se référant au style dexposition en ordre dispersé des lettres de Sénèque5.

Les parentés entre Montaigne et Bacon ne se limitent cependant pas à cet ouvrage de Bacon. On peut dire de façon générale que Montaigne a mis en place un certain nombre de procédures denquête dans le domaine de la philosophie morale et de lexploration introspective, qui ont pu servir de matrice chez ses successeurs à lélaboration dune nouvelle méthode pour les sciences de la nature. Cest un lieu commun de dire quune des caractéristiques de la pensée moderne est davoir importé les méthodes des sciences de la nature dans le domaine des sciences de lhomme. Il faut aussi envisager le mouvement inverse : il nest pas impossible quil y ait au rebours une dette des sciences de la nature vis-à-vis des sciences de lhomme.

La question de lerreur est ici importante. Lerreur représente un élément constitutif de la nouvelle dynamique du savoir. Lenquête montaignienne progresse dans un processus au sein duquel le jugement se construit lui-même en se mettant à lépreuve. Montaigne se corrige, ou en tout cas samende, mais, comme il le revendique lui-même, il se « repent » rarement6, laissant visible la trace du mouvement heuristique de la pensée, et faisant ainsi de la recherche et du progrès, plus que du résultat luimême, le véritable objet de la science.

Il est vrai quen ce qui concerne les sciences, Montaigne ne semble pas penser quil soit possible de dépasser la contradiction des opinions pour dégager une certitude absolue. La dénonciation de la vanité des sciences dans l« Apologie de Raimond Sebond » est sans appel, et elle touche tant la théologie que la physique, la psychologie et la médecine. Ni Dieu, ni le monde, ni lhomme ne sauraient faire lobjet dun savoir certain. À linverse, Bacon refuse de condamner les hommes aux ténèbres éternelles (« ad sempiternas tenebras7 »), et prône, contre

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lacatalepsie des sceptiques, leucatalepsie, contre la renonciation au jugement, le bon jugement, cest-à-dire le jugement corrigé par la méthode. Mais le jugement scientifique progresse pour lui aussi à travers les constats derreurs, les tables dabsences, linduction par exclusion ou les instances négatives. Les doutes ne doivent pas être ignorés, mais répertoriés et classés dans des registres, pour devenir, écrit Bacon, « autant de ventouses ou déponges qui font affluer la connaissance et en montrent lutilité8 ». Ainsi comprise, la science baconienne intègre quelque chose du geste sceptique montanien, tout en voulant dépasser la limitation sceptique de la connaissance à un non ultra, pour louvrir à la dimension du progrès – du « plus ultra9 ». Aussi est-ce bien dans le domaine moral, et non dans celui des sciences de la nature, que Montaigne pense quun progrès du jugement est possible. Doù la formule célèbre du chapitre iii, 13 : « Je mestudie plus quautre subject. Cest ma metaphisique, cest ma phisique10 ». Bacon, en quelque sorte, accomplit le mouvement inverse, étendant au domaine des sciences de la nature ce que Montaigne limitait au domaine moral – paradoxe qui nest dailleurs quapparent, car il ny a pas de scission radicale, du point de vue de Bacon, entre théorie et pratique, le but dernier de la science étant lunion de la plus haute certitude et du plus grand pouvoir de lhomme sur le monde11.

La critique des idoles participe chez Bacon à ce répertoire de lerreur humaine. Bacon a proposé plusieurs exposés de sa « théorie » des idoles, le premier se trouvant dans lAdvancement of Learning de 1605, où le terme napparaît quune seule fois12 dans un titre marginal en latin (« Elenchi magni, et de idolis animi humani nativis et adventiciis »), et lexposé le plus abouti étant celui du Novum Organum de 162013, qui a été précédé de plusieurs esquisses en latin et en anglais.

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Bacon nest certes pas le premier à sêtre interrogé sur lorigine psychologique de lerreur, ou, plus précisément, sur lattachement de lesprit humain à lerreur – car il sagit moins de savoir pourquoi lesprit se trompe que de comprendre pourquoi il se complaît dans ses illusions, au point de se rendre comme volontairement aveugle à la vérité. On peut trouver des précédents à lentreprise de Bacon de dresser une étiologie du pouvoir dattractivité de lerreur, depuis le paradigme platonicien de la caverne (Bacon nomme dailleurs lun de ses groupes didoles les « idoles de la caverne ») jusquaux quatre offendiculæ de Roger Bacon, dont il convient de ne pas surévaluer la ressemblance aux idoles de Francis Bacon14. Cette entreprise nen reste pas moins novatrice et séminale à trois grands titres.

1. Tout dabord par son caractère radical et systématique. Bacon se propose de découvrir les premières causes de cet enracinement psychologique de lerreur, afin den purger efficacement lesprit humain : après Bacon, on nimaginera guère une réforme des sciences sans une réforme de lesprit, comme en témoignent les Règles pour la direction de lesprit de Descartes ou encore le Traité de la réforme de lentendement de Spinoza15.

2. Par ailleurs, cette purgation consiste premièrement pour Bacon dans le fait même de dévoiler limposture des sciences en usage, en montrant

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quelles tirent leur origine non de principes scientifiques nécessaires, mais de routines psychologiques contingentes. La « théorie » des idoles relève de la méthode de confutatio de la science traditionnelle, qui ne peut se faire par une réfutation proprement dite (dès lors quil ny a pas accord sur les principes), mais par un discrédit général : à ce titre, Bacon est le père des grandes entreprises généalogiques-démystifiantes qui se sont développées depuis Nietzsche et Foucault.

3. Enfin, pour Bacon, les idoles représentent une forme dautomystification : elles sont comme des petites prisons que lesprit humain se forge, sous le poids de lattachement au confort intellectuel et aux habitudes de la vie, et qui lui font préférer à la réalité un monde dillusions et de fictions. De ce point de vue, Bacon est aussi le père de la critique moderne des idéologies politiques : on pensera aux tentatives explicatives du langage idéologique au xxe siècle de Karl Kraus16, Viktor Klemperer17, Eric Voegelin18 (toutes inspirées des réflexions sur la corruption de la langue allemande initiées dans le « cercle » de Stephan George) ou encore dAlexandre Soljenitsyne19.

Sur ces trois points, Bacon poursuit dans de nouveaux contextes une entreprise déjà entreprise par Montaigne dans ses Essais. Sil est difficile, et peut-être impossible, de parler avec certitude demprunts directs de Bacon à Montaigne, il nen reste pas moins important de mettre au jour cette lignée conceptuelle qui, encore une fois, part de linvestigation morale des Essais pour souvrir sur une méthodologie générale de la science à lâge moderne.

Passons en revue les quatre idoles de Bacon, pour voir le rapport quelles peuvent entretenir avec la critique montaignienne des sciences. Je devrai ici me contenter dindiquer quelques similitudes qui seront comme les indices dune parenté de pensée ; il ne sagira donc que dune « première récolte », au sens même de Bacon, qui ne répond à aucune des deux exigences dune histoire naturelle aboutie, à savoir lexhaustivité

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(ou en tout cas le très grand nombre dexpériences) et ladjonction aux tables de présence des tables dabsences.

1. Les idoles de la tribu (idola tribus) tout dabord, sont ainsi nommées parce quelles ont leur fondement « dans la nature humaine elle-même, dans la race et dans la souche des hommes ». Ces idoles sont attachées à la nature de lesprit humain, qui le pousse à comprendre toutes choses selon sa propre mesure, « ex analogia hominis » et non « ex analogia universi20 ». « Lentendement humain », écrit Bacon, « ressemble à un miroir déformant qui, exposé aux rayons des choses, mêle sa propre nature à la nature des choses, quil fausse et brouille21 ». Lorsque lesprit humain se prête à lexpérience, ce nest que sélectivement, en ne retenant que les cas qui confirment son idée première et en laissant de côté les instances négatives. Bacon reprend à son compte la raillerie de Diagoras dit lAthée22, qui répliquait à celui qui voyait dans les portraits en ex voto de rescapés dun naufrage le signe certain de la providence divine, en demandant où se trouvaient les portraits de tous ceux qui avaient péri dans ces naufrages. Ce bon mot est aussi rapporté par Montaigne au chapitre « Des prognostications23 ». Mais le fait quil trouve son origine dans le De natura deorum de Cicéron24, et que Montaigne comme Bacon

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interprètent assez librement ce texte fait quil nest guère possible de parler dun emprunt certain de Bacon à Montaigne. Il reste que cette critique de lanthropomorphisme épistémologique pourrait trouver une source plus générale chez Montaigne. On pensera au chapitre i, 27 des Essais, dont le titre – « Cest folie de rapporter le vrai et le faux à notre suffisance » – définit parfaitement le programme, et où Montaigne condamne la tendance de lesprit à fixer des limites à la puissance de la nature en fonction de sa propre impuissance. Le contexte est différent, puisque Montaigne pense à ceux qui veulent rationaliser les dogmes religieux. Mais lidée fondamentale est la même, et elle constitue un motif récurrent de l« Apologie de Raimond Sebond » : « quest-il plus vain que de vouloir deviner Dieu par nos analogies et conjectures, le regler et le monde à nostre capacité et à nos loix []25 ? » Cette critique est encore une fois adressée ici aux théologies rationnelles, mais elle est aussi étendue dans le chapitre à toutes les sciences, car nous comprenons de la même façon les animaux, lunivers et la nature sous des schémas anthropomorphiques.

Lesprit humain projette en particulier dans les choses sa tendance à labstraction et à la simplification, dans lesquels Bacon voit avant tout les fruits dune paresse intellectuelle. Cette projection est la cause des fictions par lesquelles nous voulons simplifier la réalité : la réduction du nombre des éléments à quatre, par exemple, ou encore du cosmos à un emboîtement de cercles parfaits concentriques. Montaigne, lui aussi, critique lusage en science des fictions et hypothèses : la science, écrit-il,

nous donne en payement et en presupposition les choses quelle mesmes nous aprend estre inventées : car ces epicycles, excentriques, concentriques, dequoy lAstrologie saide à conduire le bransle de ses estoilles, elle nous les donne pour le mieux quelle ait sçeu inventer en ce sujet ; comme aussi au reste la philosophie nous presente, non pas ce qui est, ou ce quelle croit, mais ce quelle forge ayant plus dapparence et de gentillesse26.

Dans la suite du texte, Montaigne raille les analogies traditionnelles du microcosme et du macrocosme, qui nont dautre fondement que la similitude de notre ignorance à légard du monde et de notre esprit

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– lincompréhensibilité du microcosme représentant en quelque sorte un modèle « réduit » de lincompréhensibilité du macrocosme. Bacon ne prendra pas plus au sérieux ces analogies de lesprit et de la nature27.

2. Le second groupe est celui des idoles de la caverne (idola specus). On peut voir là une référence à Platon, si ce nest quau contraire de lauteur de la République, lobscurité de la caverne désigne chez Bacon non lattachement de lesprit aux sens et au monde des corps, mais à linverse les divagations de lesprit laissé à lui-même et à la liberté de son exercice propre :

Plus lon a de valeur quant à lintelligence (ingenium) et à létude (studium), plus on senfonce et plus on sengloutit dans les retraites et pour ainsi dire dans les cavernes obscures et sinueuses des illusions et des idoles, si lon délaisse la lumière de la nature, lhistoire et lévidence des faits particuliers28.

Les idoles de la caverne son attachées à la personnalité de chaque individu particulier, à ses traits de caractère et à ses idiosyncrasies personnelles, aux dispositions et passions irrationnelles qui laffectent. Celles-ci, qui nont dautre valeur que de dilections personnelles, se trouvent haussées au statut de principes scientifiques pour servir de prisme dinterprétation de la nature.

Ces points de vue particuliers impriment à la nature une conception limitée, exclusive et partielle. Ce qui conduit pour Bacon à des catégories scientifiques contradictoires, que lon peut organiser à partir dune série de dichotomies : composition vs. division, macrophénomènes vs. microphénomènes, etc., la plus célèbre étant lopposition des dogmatici et des empirici, cest-à-dire de lexpérience vs. le raisonnement, symbolisée par lopposition entre Aristote et William Gilbert29. La contradiction des doctrines philosophiques est aussi lun des plus forts arguments que Montaigne apporte contre leur prétention à la certitude. Dans la partie de l« Apologie de Raimond Sebond » consacrée à la vanité des sciences, Montaigne emploie toutes les ressources du dissensus philosophorum cicéronien pour faire résonner le « tintamarre de tant de

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cervelles philosophiques30 ». Contrairement à Bacon – mais sans que son intention soit profondément différente –, Montaigne ne cherche pas ici à organiser les opinions des philosophes en couples, et préfère mettre en valeur le désordre dune énumération quasi-aléatoire (comme pour « fagoter [] un amas des asneries de lhumaine prudence31 »). Ce qui compte cependant est quil réduit la science à une somme de points de vue subjectifs contradictoires :

Que les choses ne logent pas chez nous en leur forme et en leur essence, et ny facent leur entrée de leur force propre et authorité, nous le voyons assez : par ce que, sil estoit ainsi, nous les recevrions de mesme façon ; [] si les prises humaines estoient assez capables et fermes pour saisir la verité par noz propres moyens, ces moyens estans communs à tous les hommes, cette verité se rejecteroit de main en main de lun à lautre. Et au moins se trouveroit il une chose au monde, de tant quil y en a, qui se croiroit par les hommes dun consentement universel. Mais ce, quil ne se void aucune proposition qui ne soit debatue et controverse entre nous, ou qui ne le puisse estre32.

La cause de ce relativisme est, pour Montaigne comme pour Bacon, le produit de la diversité des passions qui agitent les hommes. Que la science soit soumise à nos passions, cest là un thème récurrent des Essais de Montaigne33. Le « dernier tour descrime » de l« Apologie » consiste précisément à débouter le savoir humain de ses prétentions en montrant quil est attaché aux passions, et à travers lui aux états du corps fluctuant selon les individus et les moments :

Quelles differences de sens et de raison, quelle contrarieté dimaginations nous presente la diversité de nos passions ! Quelle asseurance pouvons nous donq prendre de chose si instable et si mobile, subjecte par sa condition à la maistrise du trouble [] ? Si nostre jugement est en main à la maladie mesmes et à la perturbation ; si cest de la folie et de la temerité quil est tenu de recevoir limpression des choses, quelle seurté pouvons nous attendre de luy34 ?

Et la fin de l« Apologie » fera référence à lexposé platonicien des doctrines dHéraclite et Protagoras, faisant dépendre notre jugement sur

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les choses des apparences sensibles, elles-mêmes dépendantes des états momentanés de notre corps, pour conclure que « tout est en toutes choses, et par consequent rien en aucune, car rien nest où tout est35 ».

3. Le troisième groupe didoles est celui des idoles du marché ou de la place publique (idola fori), attachées aux conventions du langage courant. Les mots ne sont pas les choses, mais leurs « tessères » ou leurs médailles, écrit Bacon36. Montaigne, pour sa part, écrivait : « Il y a le nom et la chose : le nom, cest une voix qui remerque et signifie la chose ; le nom, ce nest pas une partie de la chose ny de la substance, cest une piece estrangere joincte à la chose, et hors delle37 ».

Le défaut du langage, pour Bacon, tient moins au fait logique de la supposition linguistique (au fait quil y a moins de noms que de choses et quil y ait donc un décalage entre signe et réalité) quau fait que les signes verbaux ne se rapportent à la réalité que par la médiation dun usage public, et quils véhiculent ainsi des coutumes et habitudes faisant écran à un contact direct de lesprit aux choses. Les mots renvoient aux idées reçues et aux préjugés du grand nombre : « les mots sont modelés et appliqués daprès les conceptions du commun et les capacités du vulgaire38 ». Lusage, écrivait Montaigne dans le chapitre i, 23 « De la coustume et de ne changer aisément une loy receüe », « nous desrobbe le vray visage des choses39 ». Linterposition de lopinion commune entre notre esprit et la vérité des choses est un motif récurrent des Essais, pour qui le vulgaire « na pas la faculté de juger les choses par elles mesmes » et se laisse « emporter à la fortune et aux apparences40 ». Cette critique du langage rattache les entreprises de Montaigne et de Bacon à celle de Hobbes dans le Léviathan, qui verra dans les ambivalences de la langue la source principales des illusions métaphysiques et politiques41.

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4. Les idoles du théâtre (idola theatri) enfin témoignent de la propension naturelle de lesprit humain à lostentation. Elles rassemblent les trois autres idoles pour les mettre en scène en autant de spectacles quil existe de systèmes philosophiques. Ce sont ici les doctrines philosophiques et lillusion de vérité que procure leur cohérence apparente qui font lobjet des critiques de Bacon : « pour offrir quelque ressemblance avec le vrai », la représentation théâtrale doit « paraître parfois mieux arrangée (concinniora) et plus profitable (commodiora) que les récits véridiques » et ainsi « être plus apte à emporter ladhésion42 ». Les institutions de transmission du savoir – universités en tête – sont les lieux privilégiés de formation de ces systèmes. Elles sont comme des théâtres où les doctrines philosophiques se mettent en scène. Le système déducation quelles promeuvent repose, écrit Bacon, sur un « contrat derreur » entre le maître, qui satisfait son désir orgueilleux dostentation, et lélève, qui satisfait son penchant naturel à la paresse intellectuelle43. Bacon rejoint la critique montaniste des « doctrines », terme par lequel Montaigne désigne le plus souvent un savoir extérieur à lentendement, destiné non à être examiné et éprouvé, mais à être appris et mémorisé44. Les chapitres « Du pédantisme » (I, 25) et « De linstitution des enfans » (I, 26) des Essais explorent les voies dun enseignement non magistral, qui ne contraint pas lesprit, mais exerce sa capacité à lexamen critique. Ces chapitres proposent une réconciliation entre recherche et transmission des savoirs, réconciliation que Bacon, pour sa part, croit impossible dans le contexte qui est le sien.

Ces concordances renvoient à une tentative commune détiologie au niveau psychologique de lattachement de lesprit aux illusions. Sans doute prend-t-elle des formes différentes chez les deux auteurs : Bacon privilégie les classifications et les présentations par dichotomies, moins dailleurs pour dresser un tableau systématique que pour mieux frapper les esprits. Montaigne ne refuse pas a priori une approche classificatoire : il

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appelle de ses vœux un registre, dans lesprit de Lipse ou de Turnèbe, des « opinions de lancienne philosophie sur le subject de nostre estre et de noz meurs, [de] leurs controverses, le credit et suitte des pars, lapplication de la vie des autheurs et sectateurs à leurs preceptes és accidens memorables et exemplaires45 ». Lapproche étiologique de l« Apologie de Raimond Sebond » nen est pas moins radicale, épousant la voie dune enquête par « paliers », partant du constat empirique déchec des sciences pour remonter aux causes psychologiques de cet échec : cest aussi lordre global que Bacon reprendra dans la première section, la pars destruans, de son Novum organum, remontant du constat déchec de la science en vigueur à la critique de la logique qui la sous-tend pour déboucher sur celle des idoles de lesprit sur lesquelles repose cette logique.

Montaigne comme Bacon voit dans lagitation de lesprit humain la source principale des erreurs humaines – une autre source intimement liée étant la complaisance de lesprit pour ses propres productions. La spontanéité naturelle de lesprit, non circonscrite par lexpérience, engendre les anticipations et les généralisations hâtives. Un exemple en est pour Bacon les causes finales que notre raison impose aux choses, alors quelles « proviennent entièrement de la nature de lhomme46 », de linquiétude de son esprit et de son incapacité darrêter sa recherche à un premier principe. Pour Montaigne aussi, lesprit est naturellement agité, volubile et inquiet : « lagitation et chasse est proprement de nostre gibier [] nous sommes nais à quester la vérité47 » ; « nostre esprit maladif [] traitte et soy et tout ce quil reçoit tantost avant tantost arriere, selon son estre insatiable, vagabond et versatile48 ». « Ses poursuites sont sans terme, et sans forme ; son aliment cest admiration, chasse, ambiguité49 ». Lesprit va plus vite que le jugement : « Il semble que ce soit plus le propre de lesprit, davoir son operation prompte et soudaine, et plus le propre du jugement de lavoir lente et posée50 ». Cette « volubilité de notre esprit détraqué », selon lexpression de Montaigne51, fait de celui-ci une machine productrice dillusions.

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Pour Bacon, ce qui permet à lesprit de reprendre contact avec la réalité et davoir accès à la vérité des choses, cest la discipline procurée par une méthode qui part de lexpérience sensible pour sélever graduellement, en faisant les vérifications nécessaires, vers la généralisation. De même que la maladresse naturelle de la main trouve son remède dans lusage de la règle et du compas52, et la faiblesse de la force physique de lhomme dans celui du levier et de la grue53, la faiblesse naturelle de nos sens et de notre entendement trouve un remède dans la soumission à la méthode. Il ne faut pas laisser lesprit humain à sa propre spontanéité, mais le contraindre en le soumettant à loutil. Contre la tendance naturelle de lesprit à se reposer sur ses propres capacités, Bacon prescrit de pourvoir lentendement des hommes « non de plumes [], mais plutôt de plomb et de lest, pour lui interdire tout saut et tout vol54 ». Cette image probablement inspirée de léloge de la mania érotique du Phèdre de Platon –, se trouve déjà chez Montaigne, chez qui elle est amorcée par une réflexion sur lardeur militaire (quil conviendrait selon lui non démouvoir et échauffer, mais de modérer) : « il me semble de mesme, contre la forme ordinaire, quen lusage de nostre esprit nous avons, pour la plus part, plus besoing de plomb que dailes, de froideur et de repos que dardeur et dagitation55 ». Cette différence de contextes mise à part, il nest pas impossible quil sagisse ici dun des rares emprunts directs de Bacon à Montaigne.

Ce qui est commun avec Montaigne est cette idée de discipline. La volubilité de lesprit exige en retour la soumission à une règle56. Dans le domaine juridique et religieux, cette soumission à une règle a une valeur théologico-politique : devant la variété contradictoire des opinions, et le danger potentiel quelles recèlent pour lordre civil, il faut une loi qui soumette les esprits. Aussi ne faut-il pas « laisser au jugement de chacun la cognoissance de son devoir ; il le luy faut prescrire, non pas le laisser choisir à son discours57 ». « On a raison », écrit Montaigne, « de donner à lesprit humain les barrieres les plus contraintes quon peut.

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En lestude, comme au reste, il luy faut compter et regler ses marches, il luy faut tailler par art les limites de sa chasse. On le bride et garrote de religions, de loix, de coustumes, de science, de preceptes, de peines et recompenses mortelles et immortelles58 ».

Montaigne ne se fait guère dillusion sur lefficacité du remède, qui reste limitée par la nature même de lesprit humain, qui, « par sa volubilité et dissolution », « eschappe à toutes ces liaisons59 ». La discipline nen a pas moins une fonction thérapeutique pour lhomme. Le court chapitre « De loisiveté » décrit les extravagances auxquelles lesprit est livré lorsquil est retiré du monde :

Si on ne les occupe à certain sujet, qui les bride et contreigne, [les esprits] se jettent desreiglez, par-cy par là, dans le vague champ des imaginations, [] et nest folie ny réverie, quils ne produisent en cette agitation [citation de Martial] []. Lame qui na point de but estably, elle se perd60.

Et Montaigne conte son expérience personnelle de retraite solitaire : loin de « sarrester et rasseoir en soy », son esprit fait le « cheval eschappé » : il se « donne cent fois plus daffaire à soy mesmes, quil nen prenoit pour autruy », enfantant des « chimeres et monstres fantasques les uns sur les autres, sans ordre, et sans propos61 ».

Le meilleur remède contre lagitation vaine de lesprit est pour Montaigne le retour au corps : cest à lui, lit-on dans le chapitre « Sur des vers de Virgile », « de guider lesprit vers la reformation62 ». Le juste équilibre est ainsi défini dans le chapitre « De lexperience » : « Que lesprit esveille et vivifie la pesanteur du corps, le corps arreste la legereté de lesprit et la fixe63 ». Pour Bacon, cest lexpérience qui doit remettre lesprit au contact avec les choses. Le processus dabstraction doit être graduel, ponctué de retours à lexpérience. Montaigne ne croirait certainement pas que linduction baconienne soit capable, au terme de

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son processus, datteindre une « forme », qui procurerait à lhomme à la fois le savoir total et la puissance sur la nature64. Mais on sait que Bacon lui-même na pas toujours caressé ce rêve et quil promeut, à côté de la méthode inductive, lexpérience lettrée, faisant la promotion de la sagacité de lesprit humain, dans une démarche qui nest pas sans rapport avec celle de lessai montaniste, consistant à se repérer dans « la forêt de lexpérience et des choses particulières65 », en allant du particulier au particulier par la voie de lanalogie, sans médiation dune loi générale, mais cependant de façon réglée. Ce propos nest pas absent des Essais de Montaigne : lultime chapitre « De lexperience » nous dit que lexpérience ne permet certainement pas de totaliser la réalité, mais que, bien conduite, elle nous procure une forme de savoir et nous fournit un accès à lêtre des choses, et en particulier à notre propre être.

Thierry Gontier

Université Lyon 3

Institut de recherches philosophiques de Lyon

Institut universitaire de France

1 Toutes nos références aux Essais de Montaigne sont faites à lédition de Pierre Villey (Paris, PUF, 1924, rééditée dans la collection Quadrige en trois volumes, puis en un seul). Nous indiquons successivement le livre, le numéro de lessai et la page. Pour Bacon, nos citations sont faites à partir de lédition de James Spedding, Robert Leslie Ellis et Douglas Denon Heath (The Works of Francis Bacon, London, 1858-1874, réédité en reproduction anastatique à Stuttgart en 1963), que nous abrévions en « Sp. », suivi du numéro du volume et de la page. Les titres des ouvrages de Bacon sont abréviés ainsi (nous mettons aussi, le cas échéant, la traduction française utilisée) : – AL : Of the Proficience and Advancement of Learning Divine and Humane (Sp., t. III) ; trad. fr. Du progrès et de la promotion des savoirs, trad. M. Le Dœuff, Paris, Tel Gallimard, 1991. – CV : Cogitata et visa ; TPM : Temporis Partus Masculus ; RPh : Regurdatio philosopharum (Sp., t. III) ; trad. fr. Pensées et vues sur linterprétation de la nature ; La Production virile du siècle ; Récusation des doctrines philosophiques, dans Récusation des doctrines philosophiques et autres opuscules, trad. G. Rombi et D. Deleule, Paris, PUF, 1987. – DA : De dignitate et augmentis scientarum (Sp., t. I). – NO : Novum Organum ; IM : Instauratio Magna (Sp., t. I) ; trad. fr. M. Malherbe et J.-M. Pousseur, dans Novum Organum, Paris, PUF, 1986. – VT : Valerius Terminus (Sp., t. III) ; trad. fr. F. Vert, Paris, Klincksieck, 1986.

2 Lédition de 1597, titrée Essayes : Religious Meditations. Places of Perswasion and Disswasion, est encore modeste puisquelle ne comprend que 10 chapitres. Mais louvrage ne cesse ensuite de sétoffer : lédition de 1612 comprend 38 « essayes », celle de 1625 (sous le titre : Essays, or, councils moral and civil) en comprend 57.

3 The Essayes, or Morall, Politicke and Militarie Discourses of Lo[rd] Michael de Montaigne, édité chez William Blunt en 1603. Notons quentre temps, en 1600, a paru un autre ouvrage, de William Cornwallis, portant le titre dEssayes.

4 La seule citation directe des Essais de Montaigne se trouve dans lédition de 1625, cest-à-dire après la parution de la traduction de Florio. Voir sur ce point notre article, Th. Gontier, « Bacon, Francis », dans Ph. Desan (dir.), Dictionnaire de Michel de Montaigne, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 106-108.

5 « Car les lettres de Sénèque à Lucilius, si lon y prête bien attention, ne sont que des Essais, cest-à-dire des méditations dispersées, mises en forme de lettres » (« For Senecas epistles to Lucilius, if one mark them well, are but Essays, that is dispersed meditations, though conveyed in the form of espistles », Sp., XI, p. 340).

6 Essais, III, « Du repentir », p. 806.

7 NO, I, 75.

8 AL, p. 364 (trad. fr., p. 134) – DA, III, 4, p. 562.

9 Voir, par exemple, DA, II, p. 485.

10 Essais, III, 13, « De lexperience », p. 1072.

11 Voir sur ce point larticle de Michel Malherbe, « Bacon et la deductio ad praxin », dans P. Caye et Th. Gontier (dir.), Bacon et linvention, numéro de la Revue philosophique de France et de lÉtranger, Paris, PUF, 2003/1, p. 7-22 ainsi que Th. Gontier, « Bacon et la méthode », dans P. Wotling (dir.), La Méthode, Paris, Vrin, à paraître.

12 AL, II, p. 397 trad. fr. p. 175. Il est plus présent dans la version latine de 1621 (DA, V, 4, p. 643-646).

13 NO, I, 38-70.

14 Au début de lOpus Majus, Roger Bacon mentionne quatre obstacles psychiques qui éloignent lesprit humain de la vérité (« Quattuor vero maxima sunt comprehendendæ veritatis offendiculæ, quæ omnem quemcumque sapientem impediunt … », The Opus Majus of Roger Bacon, ed. J. H. Bridges, Oxford, Clarendon Press, t. I, 1897, p. 2). Selon Spedding et Ellis, la similitude sarrête à ce nombre de quatre (Cf. Sp. I, p. 89-90, ainsi que la note p. 163, qui donne le texte de Roger Bacon). On pourrait ajouter que ce nombre de quatre (qui se trouve dans le Novum Organum, ainsi que dans le Valerius Terminus, ch. 16) nest, chez Francis Bacon, que le fruit dun tâtonnement, puisque, dans lAdvancement of Learning, les fallacies ne sont quau nombre de trois (tribu, caverne et forum) – on retrouve dailleurs cette tripartition dans la version latine de 1621, après donc la rédaction du Novum Organum, ce qui montre bien que Francis Bacon nest en rien attaché au chiffre même de quatre. On notera aussi que les quatre offendiculæ de Roger Bacon ne sont pas les mêmes que celles du Novum Organum. Il sagit : 1 / du peu de valeur des fondements (fragilis et indignæ auctoritatis), 2 / des habitudes obscures (consuetudinis diuturnitas), 3 / des fausses opinions de la foule (vulgi sensus imperiti), 4 / de loccultation de sa propre ignorance, allant de pair avec lostentation dun savoir apparent (propriæ ignorantiæ occultatio cum ostentatione sapientiæ apparentis). Les trois dernières offendiculæ présentent quelques ressemblances troublantes avec les idoles de Bacon, même sil semble difficile de parler dun emprunt direct et conscient.

15 Voir sur ce point larticle de Didier Deleule, « Les trois erreurs de Bacon et de Descartes selon Spinoza », LEnseignement philosophique, no 6, juillet-août 1997, repris sous le titre « Spinoza lecteur de Bacon : comment réformer lentendement ? », D. Deleule, Francis Bacon et la réforme du savoir, Paris, Hermann, 2010, p. 161-178.

16 Voir la Troisième Nuit de Walpurgis, trad. P. Deshusses, préface de J. Bouveresse, Paris, Agone, 2005.

17 LTI, La langue du IIIe Reich, trad. E. Guillot, Paris, Albin Michel, 1996, rééd. 2007.

18 Voir par exemple les Réflexions autobiographiques, éd. et intro. E. Sandoz, trad. S. Courtine, Paris, Bayard, 2004, ch. 22, p. 133-134, où Voegelin cite nommément Bacon.

19 Voir en particulier Le Pavillon des cancéreux, dont le chapitre 31 cite les idoles de Bacon (trad. A. et M. Aucouturier, L. et G. Nivat, J. P. Sémon, 1968, dans Œuvres, t. II, Paris, Fayard, 1982, p. 354).

20 NO, I, 41.

21 Ibid.

22 « Diagoras eut raison face à celui qui lui montrait dans le temple de Neptune le grand nombre de portraits de gens qui, ayant échappé à un naufrage, sétaient acquittés de leur vœu à Neptune, en offrant ces portraits. Lautre lui disait : “Ravise-toi donc maintenant, toi qui penses que cest folie dinvoquer Neptune dans la tempête ! – Certes, dit Diagoras, mais où sont les portraits de ceux qui se sont noyés ?” » (AL, II, p. 395, trad. fr., p. 174 – DA, V, 4, p. 644). « Cest pourquoi il répondit correctement celui qui, voyant suspendus dans un temple les tableaux votifs de ceux qui sétaient acquittés de leur vœu, après avoir échappé au péril dun naufrage, et pressé de dire si enfin il reconnaissait la puissance des dieux, demanda en retour : “Mais où sont peints ceux qui périrent après avoir prononcé un vœu ?” » (NO, I, 46).

23 « Ainsi respondit Diagoras qui fut surnommé lAthée, estant en la Samothrace, à celuy qui en luy montrant au temple force voeuz et tableaux de ceux qui avoyent eschapé le naufrage, luy dict. : Et bien, vous qui pensez que les dieux mettent à nonchaloir les choses humaines, que dittes vous de tant dhommes sauvez par leur grace ? Il se fait ainsi, respondit-il : ceux-là ne sont pas peints qui sont demeurez noyez, en bien plus grand nombre » (Essais, I, 11, p. 44).

24 « Quand Diagoras, celui quon surnomme l“Athée” vint à Samothrace, un ami lui dit : “Toi qui pense que les dieux ne se souvient pas des affaires des hommes, nes-tu pas frappé par ces tableaux votifs, si nombreux, qui témoignent que beaucoup de gens ont échappé à la violence de la tempête et sont arrivés au port sains et saufs, grâce à leurs vœux ?” – “Cest vrai, répondit Diagoras, car on ne trouve nulle part les portraits peints de ceux qui ont fait naufrage et péri en mer” » (De natura deorum, III, 37, trad. C. Auvray-Assayas, Paris, Les Belles Lettres, 2002).

25 Essais, II, 12, « Apologie de Raimond Sebond », p. 512-513.

26 Ibid., p. 537.

27 Voir en particulier la reprise de la critique faite par Héraclite contre ceux qui « cherchent la vérité dans leurs petits mondes, et non dans le grand monde qui est commun » (AL, I, p. 292, trad. fr., p. 43-44).

28 Voir RPh, p. 572 et CV, p. 604, trad. fr., p. 113 et 177-179.

29 NO, I, 63-64.

30 Essais, II, 12, p. 516.

31 Ibid., p. 545.

32 Ibid., p. 562.

33 Sur ce point, voir le récent ouvrage dEmiliano Ferrari, Montaigne. Une anthropologie des passions, Paris, Classiques Garnier, 2014.

34 Essais, II, 12, p. 568.

35 Ibid., p. 585.

36 Voir IM, p. 136, trad. fr., p. 77, cf. aussi NO, I, 14 et CV, p. 599, trad. fr., 167.

37 Essais, II, 16, « De la gloire », p. 618.

38 AL, II, p. 396, trad. fr., p. 176 / DA, V, 4, p. 645 ; CV, p. 599, trad. fr., 167 ; NO, I, 43 et 59. Cette origine vicie demblée les doctrines philosophiques anciennes, et en particulier celle dAristote, « misérable jouet des mots », qui a eu laudace de « nous asservir à des mots » (TPM, 529-530, trad. fr., p. 57).

39 Essais, I, 23, « De la coustume, et de ne changer aisément une loy receue », p. 116.

40 Essais, II, 12, p. 439.

41 Voir Léviathan, trad. F. Tricaud, Paris, Éd. Sirey, 1971, rééd., 1983, I, 4, p. 34-36 et IV, 46, p. 683-685.

42 RPh, 570-571, CV, 602-603, trad. fr., p. 109 et 175.

43 AL, II, p. 403-404, trad. fr., p. 184 / DA, VI, 2, p. 663.

44 Essais, I, 26, « De linstitution des enfans », p. 151. Voir aussi notre article, Th. Gontier, « Doctrine et science dans les Essais de Montaigne », R. Imbach et Ph. Büttgen (dir.), Vera doctrina. Zur Begriffsgeschichte der Lehre von Augustinus bis Descartes. Lidée de doctrine dAugustin à Descartes, Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel, Wiesbaden, Harrassowitz, 2009, p. 343-364.

45 Essais, II, 12, p. 578.

46 NO, I, 48.

47 Essais, III, 8, « De lart de conferer », p. 928.

48 Essais, III, 13, p. 1106.

49 Ibid., p. 1068.

50 Essais, I, 10, « Du parler prompt ou tardif », p. 39.

51 Essais, III, 11, p. 1032.

52 AL, p. 389, trad. fr., p. 166 / DA, V, 2, p. 622. Voir aussi RPh, p. 573 et CV, p. 607, trad. fr., p. 113 et 185, ainsi que NO, I, 61 et 122.

53 RPh, p. 581, trad. fr., p. 133 ; IM, p. 152, trad. fr, p. 94-95.

54 NO, I, 104.

55 Essais, III, 3, « Des trois commerces », p. 822.

56 Voir Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour lesprit, Paris, PUF, 2007.

57 Essais, II, 12, p. 488.

58 Ibid., p. 559.

59 Ibid.

60 Essais, I, 8, « De loisiveté », p. 32.

61 Ibid., p. 33.

62 Essais, III, 5, « Sur des vers de Virgile », p. 841 [B].

63 Essais, III, 13, p. 1114. Voir aussi Essais, III, 5, « Sur des vers de Virgile », p. 893 : « Cest bien raison, comme ils disent, que le corps ne suyve point ses appetits au dommage de lesprit ; mais pourquoy nest-ce pas aussi raison que lesprit ne suyve les siens au dommage du corps ? ».

64 « Dune nature donnée, inventer la forme [], cest lœuvre et la fin de la science humaine » (NO, II, 1). Cest pourquoi, celui qui connaît la forme « embrasse lunité de la nature dans des matières très différentes » (NO, II, 3) et « connaît la plus grande possibilité de surimprimer cette nature sur nimporte quelle variété de matière » (AL, p. 357, trad. fr., p. 126 / DA, III, 5, p. 568). Bacon doute que lhomme puisse atteindre une forme « absolue », qui serait la force unique et indivisible agissant dans la nature et condensant en elle la totalité de ses apparences phénoménales : « Quant au point du sommet qui est lopus quod operatur Deus a principio usque ad finem, et la loi condensée de la Nature, nous ne savons pas si la recherche humaine peut y atteindre » (AL, p. 356, trad. fr., p. 125 / DA, III, 5, p. 567). Cette recherche de la forme suprême fait cependant lobjet de lopuscule posthume (de rédaction postérieure au Novum Organum) de Bacon, De principiiis et originibus rerum, Sp. III, p. 79-118.

65 IM, p. 129, trad. fr., p. 70. Sur ce point, voir L. Jardine, « Experientia literata ou Novum Organum ? Le dilemme de la méthode scientifique de Bacon », dans M. Malherbe et J. M. Pousseur (dir.), Francis Bacon, science et méthode, Paris, Vrin, 1985, p. 135-157.