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Classiques Garnier

L'essai selon Montaigne Un droit à l'erreur théologique

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
    2015 – 2, n° 62
    . varia
  • Auteur : Legros (Alain)
  • Résumé : La comparaison de trois textes (Essais, Journal de voyage, notes des censeurs romains de 1581) montre que Montaigne connaissait bien, non seulement le vocabulaire théologique, mais aussi l’échelle hiérarchique de l’ars censoria. En acceptant par avance, à partir de 1582, toute censure relative à d’éventuelles erreurs, il s’autorise la témérité d’opinion. La raison pour laquelle il ne corrige pas le mot « fortune » est plutôt littéraire que religieuse.
  • Pages : 71 à 86
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406057482
  • ISBN : 978-2-406-05748-2
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05748-2.p.0071
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/04/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Lessai selon Montaigne

Un droit à lerreur théologique

Nous avons tous reçu le Saint-Esprit pour le salut, si je ne me trompe, mais je ne pense pas quon puisse dire de même que nous lavons tous reçu pour la ferveur.

Je ne sçay si je me trompe : mais puis que par une faveur particuliere de la bonté divine, certaine façon de priere nous a esté prescripte et dictée mot à mot par la bouche de Dieu, il ma tousjours semblé que nous en devions avoir lusage plus ordinaire, que nous navons.

Il me sembla que Notre-Seigneur me dit de mapprocher de son divin Cœur, que cétait la source de toute pureté ; et au même instant il me parut, si je ne me trompe, quil me fit reposer un espace de temps sur son sacré Cœur.

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que lépanchement de nos âmes ressemblait à celui de sainte Monique avec son fils, lorsque au port dOstie, ils restaient perdus dans lextase à la vue des merveilles du Créateur.

La mission de lÉglise, si je ne me trompe, cest bien dannoncer la bonne nouvelle au monde entier, donc tant aux Juifs quaux non-Juifs, et annoncer, ce nest pas convertir, la conversion procédant seulement de linitiative de lEsprit Saint dans le cœur des hommes.

Toutes ces déclarations mêlent la retenue à laudace, la docilité envers lautorité religieuse à la revendication dune parole franche et libre, dune parrhèsia. Un brin provocatrice, cette batterie liminaire de citations dévotes ne doit pas surprendre le lecteur familier des livres du xvie siècle, qui laccueillent souvent par des portraits gravés, des dédicaces ou des éloges en vers, toutes « beautez empruntees » dont Montaigne a précisément voulu se passer au seuil de ses Essais1.

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Voici, selon lordre chronologique, les noms de leurs auteurs : Bernard de Clairvaux, Troisième sermon de Pentecôte ; Michel de Montaigne, première phrase du chapitre « Des prières » (I, 56) dans lédition originale des Essais ; le jésuite Etienne Binet, au nom de Marie-Pacifique Collet, religieuse visitandine de Périgueux qui avait eu la vision du Cœur Sacré de Jésus en 1664 ; la carmélite Thérèse de Lisieux, qui se souvient davoir vu avec sa sœur la Sainte Vierge à son chevet lorsquelle était petite et mourante ; enfin un certain « Habitus » qui, dans un forum de 2013 sur Thomas dAquin, entend rappeler aux internautes chrétiens que lannonce de lÉvangile est de leur ressort, mais que la conversion éventuelle de ceux qui les écoutent est un don de lEsprit.

Outre le fait quelles font référence à la doctrine chrétienne, voire à une spiritualité proprement catholique, ces cinq phrases usent toutes du verbe pronominal « se tromper » : deux dentre elles dans une interrogative indirecte (« si je me trompe »), les trois autres dans une incise à valeur conditionnelle (« si je ne me trompe »). Dans lun et lautre cas, il sagit de reconnaître une possibilité derreur au moment même où lon expose une conviction. Cette marque de prudence (lune des quatre vertus cardinales, à ne pas confondre avec la méfiance et son cortège de ruses, desquives ou de petites lâchetés) est dailleurs relayée, dans trois des cas, par lemploi des verbes modalisateurs « sembler » et « paraître ». Le tour choisi par le traducteur dans la première citation remplit la même fonction datténuation : « je ne pense pas quon puisse dire ». La dernière seule se dispense dun tel rappel (un signe des temps ?).

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble… quon a peut-être affaire à un habitus (précisément le pseudonyme choisi par linternaute du forum sur Thomas dAquin), en lespèce un tour de pensée pluriséculaire et bien rodé qui permet au croyant démettre un avis personnel sur un point de théologie ou de relater une expérience mystique tout en réaffirmant son adhésion à la doctrine officielle et sa soumission pleine et entière à lautorité ecclésiale.

La porte est étroite, mais soffre « à laventure ». On connaît limportance qua cette locution chez Montaigne. On sait quelle ouvre dans son discours tout le champ des possibles, signalant au lecteur la proposition téméraire, le développement hardi, en même temps quelle permet à lauteur de lécrire et de la publier comme fruit, durable ou

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non, de son « exercitation » : « Ce nest pas icy ma doctrine, cest mon estude2 ».

En face de lincipit du chapitre « Des prières » – incipit comme on sait plusieurs fois remanié à partir de 1582, et jusque dans lédition posthume de 1595 – un érudit du xviiie siècle, François de Lamontaigne, a recopié sur son propre exemplaire de lédition Coste ce que Florimont de Raemond avait écrit sur le sien en même lieu : « Montagne dit ceci, par ce que son 1er livre feust censuré à Rome. Ce chapitre en feust cause, auquel il sest trop eslancé3 ». Grâce au Journal de voyage, on sait que le dominicain Sisto Fabri, Maître du Sacré Palais, pria pour finir Montaigne de ne pas tenir compte de cette « censure4 ». Mais Raemond sen souvient, qui tenait peut-être linformation de la bouche de son ami Montaigne, voire de son Journal de voyage manuscrit sil y avait eu accès. Pour avoir lu en tout cas les Essais, il sait que leur auteur est, de son propre aveu, enclin à « lhyperbole », ce quil traduit ici par un terme de vènerie : tel un cerf5, il sest « trop élancé ». Une affaire de tempérament, par conséquent. Sur la base de cette considération psychologique, l« excuse » quil lui concède nempêche toutefois pas le magistrat, en bon militant de la Contre-Réforme et en spécialiste des hérésies, de tenir sans doute certaines propositions du chapitre pour suspectes, à tout le moins pour déplacées6. Malgré son admiration pour Montaigne, son jugement rejoignait ainsi celui des censeurs romains.

Voici, tel quil apparaît dans lédition de 1754 dont sest servi Lamontaigne, le texte de ce nouveau préambule qua annoté Raemond :

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Je propose des fantasies informes et irresolues, comme font ceux qui publient des questions doubteuses, à debattre aux escoles : non pour establir la verité, mais pour la chercher : Et les soumets au jugement de ceux à qui il touche de regler non-seulement mes actions et mes escrits, mais encore mes pensées. Esgalement men sera acceptable et utile la condamnation, comme lapprobation, tenant7 pour absurde et impie, si rien se rencontre ignoramment ou inadvertamment couché en cette rapsodie contraire aux sainctes resolutions et prescriptions de lEglise Catholique Apostolique et Romaine, en laquelle je meurs, et en laquelle je suis né. Et pourtant me remettant tousjours à lauthorité de leur censure, qui peut tout sur moy, je me mesle ainsi temerairement à toute sorte de propos : comme icy. Je ne sçay si je me trompe, mais8 []

Cest avec cette dernière phrase que commençait, de manière plutôt abrupte, le chapitre « Des prières » dans la version de 1580. Dans le nouvel incipit de 1582-1587-1588, « Esgalement men sera acceptable et utile la condemnation, comme lapprobation » est immédiatement suivi de « Et pourtant me remettant tousjours à lauthorité de leur censure, qui peut tout sur moy, je me mesle ainsi temerairement à toute sorte de propos : comme icy. » La question que je veux de nouveau poser, cest celle du sens à donner à « Et pourtant », qui ne fait pas toujours lobjet dune note explicative dans les éditions des Essais.

On peut certes glisser rapidement sur ces deux petits mots et considérer, par exemple, quil sagit dune simple opposition, dont un équivalent pourrait être « malgré cela ». Si lon sen tient à la première version du préambule ajouté (les suivantes lamplifient sans en changer la teneur), lauteur vient de dire quil acceptait par avance dêtre condamné ou approuvé par la censure, car dans lun et lautre cas il y trouvera pour lui-même pareille utilité. Il faudrait donc interpréter la suite de la sorte : et malgré cette acceptation pleine et entière, cette soumission préalable à lautorité des censeurs, je vais tenir des propos téméraires sur un sujet dont eux seuls peuvent juger9. Une façon comme une autre de dire quon ne se soucie nullement de leur avis ? Mais à quoi bon, dans

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ce cas, avoir peaufiné et amplifié de mouture en mouture la déclaration préalable dobéissance inconditionnelle au magistère de lÉglise et à ses représentants attitrés ? Ce serait faire peu de cas de lintelligence des censeurs. Or dans son Journal de voyage, écrit à usage privé, Montaigne ne met nullement en doute la faculté de discernement de ceux auxquels il a eu affaire à Rome, bien au contraire.

Mieux vaut, me semble-t-il, comprendre « pourtant » dans un sens quil a souvent chez Montaigne et que les éditeurs rappellent alors avec raison dans leurs notes explicatives : « pour cette raison10 ». Ainsi en est-il, par exemple et sans équivoque possible, dans cette phrase dinspiration voisine : « Suffit à un Chrestien croire toutes choses venir de Dieu : les recevoir avec recognoissance de sa divine et inscrutable sapience : pourtant les prendre en bonne part, en quelque visage quelles luy soient envoyees11 ». Surinterprétation, dira-t-on, mais qui peut en juger ? Ne risque-t-on pas plutôt, en négligeant lapproche philologique, de sous-interpréter ?

Voyons en tout état de cause sur quel horizon ouvre cette seconde acception, grammaticalement fondée. Montaigne préviendrait ainsi son lecteur quil lui arrivera de parler « temerairement », autrement dit librement et sans contrôle, sinon légèrement (latin temere), au cours du chapitre qui commence, mais aussi dans lensemble de son livre. Il le fera non pas en dépit de la censure, par indifférence ou volonté de transgression, mais en raison même de lexistence possible dun telle censure, qui le dispense davoir à « résoudre » et lautorise en conséquence à « essayer ». Une telle conception positive de la censure est certes étrange pour les esprits « preoccupés » de notre époque12, mais un catholique dalors – et

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Montaigne se dit tel – y trouvait plutôt une sorte de garantie contre déventuels égarements : « Defienda me Dios de my13 ». En ce sens, dès 1582, loin de chercher à ruser avec de nouveaux censeurs, le nouveau préambule du chapitre « Des prières » permettait à Montaigne de laisser libre cours à sa témérité. Cette témérité est non seulement confessée, mais assumée, revendiquée comme raison dêtre sine qua non dun livre où lauteur ne fait quexercer son jugement particulier, livre offert au jugement du lecteur et éventuel censeur « comme les enfants proposent leurs essays, instruisables, non instruisants ». Mais cet apprenti-là nignore pas plus les mots de la théologie que ceux du droit ou ceux de la médecine, même sil ne fait guère que les semer dans son propre discours.

Dans la hiérarchie des déviances doctrinales identifiées par lars censoria14, la propositio temeraria est moins grave que la propositio erronea, elle-même moins grave que la propositio hæretica. Si ces deux dernières ne sont évaluées que par rapport aux articles de foi, juger une proposition « téméraire », « pernicieuse » ou « scandaleuse » tient compte déléments psychologiques et moraux, de même questimer une proposition « équivoque », « captieuse », « obscure » ou « scrupuleuse » signale des défauts de raisonnement ou de style. Quand, dans la marge du long préambule déjà cité où vient se nicher le mot « temerairement », Raemond note que Montaigne est allé trop loin, il saccorde parfaitement à ces distinctions : emporté par son propre mouvement dhumeur ou de style, Montaigne na pas eu la retenue, la discrétion quon attend dun laïc traitant dun sujet religieux. Cest très précisément cela la témérité, et Raemond en fait le motif de la censure du « premier livre » (i.e. les Essais de 1580).

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Si lon ouvre maintenant le Journal de voyage à la page où Montaigne, sans intention de publier, fait la liste des points sur lesquels il a eu à sexpliquer au Sacro Palazzo, on y trouve un autre vocable spécialisé de lars censoria : l« erreur ». Il faut ici relire lensemble de ce compte rendu du voyageur, au demeurant sélectif :

Ce jour au soir me furent randus mes Essais, chatiés selon lopinion des Docteurs Moines. Le Maestro del sacro palasso nen avoit peu juger que par le rapport daucun Frater François, nentandant nullemant notre langue ; et se contantoit tant des excuses que je faisois sur chaque article danimadversion que lui avoit laissé ce François, quil remit à ma consciance de rabiller ce que je verrois être de mauvès gout. Je le suppliai, au rebours, quil suivît lopinion de celui qui lavoit jugé, avouant en aucunes choses, come davoir usé du mot de fortune, davoir nommé des Poëtes hæretiques, davoir excusé Julian, et lanimadversion sur ce que celui qui prioit, devoit être exampt de vitieuse inclination pour ce tamps ; item, destimer cruauté ce qui est audelà de mort simple ; item, quil falloit nourrir un enfant à tout faire, et autres teles choses, que cetoit mon opinion, et que cetoit choses que javois mises, nestimant que ce fussent erreurs ; à dautres niant que le correctur eût entendu ma conception15.

Dans son Lexicon Theologicum16, Johannes Altensteig explique que lerreur (error) est un jugement faux quon nest pas tenu décarter tant quon ne sait pas quil est faux – et il précise que cette définition générale sapplique aussi aux vérités de foi quand le mot est utilisé selon une acception théologique –, tandis que lhérésie (du grec airèsis, choix) est lélection délibérée de dogmes contraires à lenseignement de lÉglise, donc condamnable en tant que telle. Autrement dit, il est permis derrer, de se tromper sur ce quon connaît mal et ce nest pas un péché, mais cen est un, et des plus graves, que daffirmer et denseigner ce que le magistère réprouve ou anathématise. Lors de sa comparution au Sacro Palazzo, si lon en juge par ce quil en rapporte dans son Journal de voyage, Montaigne a donc bien utilisé le mot propre : il ignorait que ce quil prenait, chaque fois, pour lexpression dune « opinion » constituait aux yeux des censeurs une « erreur » au sens théologique du terme, autrement dit non pas une proposition à condamner (elle serait hérétique), mais une proposition à corriger – et Montaigne parle bien ici de « correcteur » (« niant que le correctur eût entendu ma conception »).

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Or lune de ces « erreurs » (la principale, selon Raemond) est ainsi résumée dans la liste quen donne Montaigne dans son Journal : « celui qui prioit devoit être exampt de vitieuse inclination pour ce tamps ». Jugeant de ce qui est pieux et de ce qui ne lest pas, lauteur des Essais se serait donc érigé en prescripteur. Ouvrons de nouveau les premières pages du chapitre « Des prières » pour vérifier si le résumé est fidèle au texte imprimé : « Javoy presentement en la pensée, doù nous venoit cetterreur, de recourir à Dieu en tous nos desseins et entreprises, et lappeller à toute sorte de besoing, et en quelque lieu que nostre foiblesse veut de laide, sans considerer si loccasion est juste ou injuste ; et descrier son nom, et sa puissance, en quelque estat, et action que nous soyons, pour vitieuse quelle soit. » Présente en 1580, conservée dans toutes les éditions postérieures et bien résumée dans le Journal, cette phrase annonce une réflexion sur lorigine humaine dune pratique de piété contestable, réflexion quun auteur profane peut après tout se permettre. Mais parler d« erreur », cest prétendre quon sait distinguer entre ce qui est « erroné » et ce qui ne lest pas, cest simmiscer dans le domaine de compétence du censeur, proprement théologique et clérical. Lusage même du mot « erreur » pris en ce sens avait donc de quoi irriter le spécialiste. Quant au jugement lui-même, on pouvait en blâmer le rigorisme17 et estimer que cet élitisme spirituel et moral était de nature à détourner les fidèles de la prière. Qui peut en effet être assuré davoir « lâme nette » au moment où il prie ? Prier nest-il pas dailleurs, quelles que soient les circonstances, le moyen privilégié offert à lâme pour accéder à cette netteté ? Telles sont, je crois, les objections quencourait Montaigne de la part de possibles censeurs, bien que lOrdinaire, à savoir larchevêque de Bordeaux assisté de deux théologiens, ait déjà donné son autorisation à Simon Millanges pour la publication des Essais.

Les notes de censure des deux consultores de Rome, lun italien, lautre français, commis à cette tâche préparatoire par le Maître du Sacré Palais, nous sont maintenant connues18. La neuvième porte sur « Des prières ». Le premier des deux en avait extrait deux propositions erronées : « si jen

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estoy creu, à lentrée et à lissue de noz tables, à nostre lever et coucher, et à toutes actions particulieres, ausquelles on a accoustumé de mesler des prieres, je voudroy que ce fust le patenostre, que les Chrestiens y employassent, sinon seulement, au moins tousjours » ; puis « il faut avoir lame nette, au moins en ce moment, auquel nous le prions, et deschargée de passions vitieuses ». Le second, plus avisé, nen retient quune, la seconde, celle précisément dont le Journal fait état. Il soppose en effet à son confrère en ce qui concerne le Pater noster19, tout en manifestant, dans une incise en latin, son agacement à entendre un laïc rappeler à lÉglise ce quelle « devoit » [devrait] faire : quasi uero hoc non faceret Ecclesia [comme si lÉglise ne le faisait pas !]. Ce mouvement dhumeur vaut en même temps approbation.

Les « aveux » et les « excuses » de Montaigne suffiront à ses juges. Tout au plus, lui demandera-t-on, mais par deux fois, de remplacer, entre autres mots, celui de « fortune », que les protestants eux aussi jugeaient impropre et de mauvais goût20. Montaigne, comme on sait, nen a rien fait ou presque. Il sen expliquera plus tard, toujours dans le même chapitre : son point de vue nest pas celui du théologien, mais de « lhumaniste », cest-à-dire, dans le sens quil donne à ce mot, de lécrivain laïc et profane traitant en langage humain de choses humaines, donc ici de lhomme priant, non de la prière en elle-même ou de lêtre divin à qui elle sadresse. Le choix du français, langue vernaculaire, plutôt que du latin, langue des clercs, est en parfait accord avec une telle détermination. Et le mot « fortune » va proliférer dans toutes les éditions suivantes…

Laissons maintenant I, 56 pour chercher dans dautres chapitres des Essais si on y trouve aussi le mot « erreur » au sens théologique.

Aux 58 occurrences du nom (singulier et pluriel), que la Concordance de Leake enregistre à partir de lédition Villey-Saulnier21, il faut adjoindre

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deux occurrences de ladjectif dérivé « erronée » (singulier et pluriel), quatre occurrences du verbe « errer » conjugué, et le dérivé « erratique » en raison du contexte ; puis ajouter encore onze occurrences des mots latins correspondants, que ladite Concordance ne contient pas. Au total, 76 occurrences, et même 77 dans lédition posthume. Parmi ces emplois, une petite vingtaine pourrait entrer dans le champ de « lerreur doctrinale » à laquelle François Rigolot consacre un chapitre de LErreur de la Renaissance22. Les autres « erreurs » dont Montaigne entretient son lecteur sont des erreurs de jugement, des erreurs de comportement et des « erreurs populaires » en matière de médecine. Quant au mot « heresie » et à son dérivé « heretique » (nom ou adjectif, singulier ou pluriel), on les trouve douze fois dans les Essais – et même treize dans lédition posthume, où il sapplique aux « Albigeois bruslez vifs en un feu » à « Castelnau Darry23 ».

Dans le Journal de voyage, les quatre « erreur(s) » rencontrées ont toutes un sens clairement théologique : « M. de Montaigne savisa quaucuns Calvinistes lavoient averty en chemin que les Lutheriens mesloient aus anciennes opinions de Martin, plusieurs erreurs estranges, comme lUbiquisme, maintenant le corps de Jesus Christ estre partout comme en lhostie24 ». Mais cest le secrétaire qui parle, plus ou moins sous contrôle. Il dit aussi que son maître sétait vu confisquer à la douane « les livres daucuns docteurs dAllemaigne contre les Hérétiques, parce quen les combatans ils faisoint mantion de leurs erreurs. » Aux bains de Lucques, cest autour du maître de raconter la pseudo-conversion dune sorte de nicodémite musulman, si lon peut dire : « Nostre Giuseppe fut festoyé dun chacun, receu en leglise à abjurer son erreur, receut le sacremant de lEvesque de Lucques, et plusieurs autres ceremonies : ce nestoit que baïes. Il estoit Turc dans son cœur25 ».

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Ouvrons maintenant les Essais, toujours à la recherche de lemploi du mot « erreur » (ou mots dérivés), au sens théologique dAltensteig – lequel précise au reste que si toute erreur ne tourne pas à lhérésie, toute hérésie est dabord une erreur. Une vingtaine doccurrences, disions-nous, ont ce sens. Je nen retiendrai que sept, en citant Montaigne sans trop le gloser :

« Jean Zischa, qui troubla la Boheme pour la deffence des erreurs de Wiclef, voulut quon lescorchast apres sa mort, et de sa peau quon fist un tabourin à porter à la guerre contre ses ennemis26 ». Après lhérésie albigeoise et lhérésie vaudoise, celles de Wiclef et de Jan Hus, ici confondues, étaient les dernières en date des « hérésies » condamnées par Rome avant celles de Luther, de Zwingli et de Calvin.

« Un valet à Thoulouse accusé dheresie, pour toute raison de sa creance, se rapportoit à celle de son maistre, jeune escolier prisonnier avec luy, et ayma mieux mourir, que se laisser persuader que son maistre peust errer. » Cette anecdote ne se trouve que dans lédition posthume : une réminiscence tardive27 ? Le valet sera déclaré hérétique sil persiste dans son aveuglement à croire son maître infaillible en dépit du jugement de lÉglise, qui a condamné ses « erreurs »

« Item, ne dira pas la posterité, que nostre reformation [i. e. Réforme] daujourdhuy ait esté delicate et exacte, de navoir pas seulement combattu les erreurs, et les vices, et rempli le monde de devotion, dhumilité, dobeïssance, de paix, et de toute espece de vertu ; mais davoir passé jusques à combattre ces anciens noms de nos baptesmes, Charles, Loys, François, pour peupler le monde de Mathusalem, Ezechiel, Malachie, beaucoup mieux sentans de la foy28 ? » Dans sa démesure (lhubris ou hybris des Grecs), non contente de sen prendre à la doctrine et à la moralité des papistes, la passion réformatrice des protestants les conduit à vouloir aussi extirper de la société et de la culture française les prénoms du calendrier catholique pour

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leur substituer des noms de prêtres et de prophètes de lAncien Testament. Les prénoms cités par Montaigne étant ceux des derniers rois de France en date (il ne manque que Henri), ce nest plus dune réforme quil sagit, mais dune révolution culturelle. Même ironique, le propos est loin dêtre anodin.

« Les grands esprits plus rassis et clairvoyans, font un autre genre de bien croyans : lesquels par longue et religieuse investigation, penetrent une plus profonde et abstruse lumiere, és escritures, et sentent le mysterieux et divin secret de nostre police Ecclesiastique. Pourtant29 en voyons nous aucuns estre arrivez à ce dernier estage, par le second, avec merveilleux fruit, et confirmation : comme à lextreme limite de la Chrestienne intelligence : et jouyr de leur victoire avec consolation, action de graces, reformation de mœurs, et grande modestie. Et en ce rang nentens-je pas loger ces autres, qui pour se purger du soupçon de leur erreur passé30, et pour nous asseurer deux, se rendent extremes, indiscrets, et injustes, à la conduicte de nostre cause, et la tachent dinfinis reproches de violence31 ».

« Je sçay un homme dauthorité nourry aux lettres, qui ma confessé avoir esté ramené des erreurs de la mescreance par lentremise des argumens de Sebonde32 ». Dans la première partie de lApologie, ce témoignage seul peut-il contrebalancer le long discours qui va suivre, où la raison chère à Sebon est, comme on sait, si malmenée ?

« Cest lorgueil qui jette lhomme à quartier des voyes communes, qui luy fait embrasser les nouvelletez, et aymer mieux estre chef dune trouppe errante, et desvoyée, au sentier de perdition, aymer mieux estre regent et precepteur derreur et de mensonge, que destre disciple en leschole de verité, se laissant mener et conduire par la main dautruy, à la voye battuë et droicturiere. Cest à ladvanture ce que dit ce mot Grec ancien, que la superstition suit lorgueil, et luy obeit comme à

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son pere : hè deisidaimonia kathaper patri tôi tuphôi peithetai33 ». La flèche vise les protestants, même si depuis, selon Montaigne, les ligueurs ont fait pire. La sentence citée est, selon Stobée, un mot de Socrate. Montaigne lavait fait peindre en bonne place au plafond de sa « librairie ». On pourrait traduire ainsi, en donnant au mot « superstition » de Montaigne traducteur le sens que deisidaimonia a chez Plutarque : « La fausse religion suit laveuglant orgueil comme un enfant suit son père34 ». Comment, sinon, associer le sens actuel (croyance à lefficacité de certaines paroles ou pratiques scrupuleusement observées) à lidée dorgueil (le grec tuphos évoque la fumée, mais aussi le gonflement, la boursouflure) ?

Place maintenant aux « mahométans », comme on disait alors, mais aussi aux chrétiens qui leur emboîtent le pas : « Quand Mahumet promet aux siens un paradis tapissé, paré dor et de pierreries, peuplé de garses dexcellente beaute, de vins, et de vivres singuliers, je voy bien que ce sont des moqueurs qui se plient à nostre bestise, pour nous emmieller et attirer par ces opinions et esperances, convenables à nostre mortel appetit. Si [i. e. Pourtant] sont aucuns des nostres tombez en pareil erreur, se promettants apres la resurrection une vie terrestre et temporelle, accompagnée de toutes sortes de plaisirs et commoditez mondaines35 ». Lerreur des mahométans serait donc de prendre pour argent comptant de la part du Prophète ce qui, est au mieux métaphore dans un langage accessible à tous, au pire manipulation sans vergogne des esprits. Or cette erreur a été partagée par certains « des nostres », autrement dit par des chrétiens. Où le censeur pointe à nouveau son nez, ne fût-ce quen passant, dans le discours critique de Montaigne… Mais qui sont ces chrétiens pour ainsi dire « mahométanisés » ? Lenquête reste à faire.

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Les disciples exaltés de Mahomet, à nouveau, et ceux dApollonios de Tyane, mais aussi, eiusdem farinae, les protestants et catholiques fanatisés : « Je ne mestonne plus de ceux, que les singeries dApollonius et de Mahumed embufflerent. Leur sens et entendement, est entierement estouffé en leur passion. Leur discretion na plus dautre choix, que ce qui leur rit, et qui conforte leur cause. Javoy remarqué souverainement cela, au premier de noz partis fiebvreux [i. e. les huguenots]. Cet autre [i. e. les ligueurs] qui est nay depuis, en limitant, le surmonte. Par où je madvise, que cest une qualité inseparable des erreurs populaires. » Avec cette dernière qualification, empruntée au médecin Joubert36, le discours de Montaigne laisse les considérations de doctrine pour léthique : peu importe le flacon de la religion, ce que les peuples recherchent (nobles compris), cest livresse de la « passion ». Cest elle, en fin de compte, qui fausse leur jugement et les pousse à sentretuer. Quand il considère les guerres civiles de son temps, que nous appelons du nôtre « guerres de religion », Montaigne pense que la religion a servi de prétexte.

Ainsi, à partir de 1588, la réflexion de Montaigne sur lerreur tend à inclure le sens théologique du mot dans une signification plus large, comme sil répondait désormais à tous les censeurs passés, présents et à venir que lerreur est si consubstantielle à lhomme quelle ne devrait pas étonner, quon ne devrait même pas lui donner de nom quand on pense lavoir débusquée : « Ceux qui accusent les hommes daller tousjours beant apres les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-là : comme nayants aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous navons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : sils osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant, comme assez dautres, cette imagination fausse, plus jalouse de nostre action,

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que de nostre science37 ». Lillusion plutôt que la lucidité : felix error que celle qui nous permet de vivre, dagir, de procréer !

Ne dirait-on pas que le philosophe confirmé a pris la place du théologien doccasion, qui se croyait autorisé à relever telle ou telle « erreur » chez ses coreligionaires, comme leût fait un censeur patenté ? Voire, celle du penseur politique qui, dans la citation précédente, disait sa méfiance envers tout mouvement de masse ?

Les entretiens avec les censeurs de Rome nauront pas été sans conséquences durables. Ils ont par deux fois mis lauteur en présence de possibles et exigeants lecteurs, bien au-delà du cercle des « parens et amis ». Ils hantent les Essais jusquà la fin, car on voit bien que Montaigne poursuit avec eux une sorte de dialogue.

Ils lui avaient demandé de remplacer « fortune » par un autre mot de meilleur « goust ». Sans doute pensaient-ils à « providence ». On peut du moins le supposer quand on voit Montaigne ajouter cette paradoxale, mais très édifiante déclaration en 1582 : « Cest un effect de la providance divine de permettre sa saincte Eglise estre agitée, comme nous la voyons de tant de troubles et dorages, pour esveiller par ce contraste les ames pies et les ravoir de loysiveté et du sommeil, ou les avoit plongez une si longue tranquillité38 ».

Cest, redisons-le, un ajout, non une correction. On comprend mieux par cet exemple ce que Montaigne déclarera plus tard : « jadjouste, mais je ne corrige pas ». Sil avait substitué ce mot chrétien au mot païen « fortune », il eût sans nul doute complu aux courtois et somme toute bienveillants censeurs de Rome. Ils lui avaient de fait assez clairement montré la voie à suivre : « [ils] me prierent daider à lEglise par mon eloquence ». Même si le voyageur ajoute entre parenthèses que « ce sont leurs mots de courtoisie », la proposition avait tout dune sollicitation à une époque où lÉglise enrôlait volontiers des laïcs au service de la Contre-Réforme39. Elle faisait dailleurs suite à ce que le pape lui-même avait dit au gentilhomme en lexhortant à « continuer à la devotion quil avoit tousjours portée à lEglise et service du Roy

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très-Chrétien40 ». Il eût suffi, selon leurs conseils, de « rhabiller » un peu le texte lors dune future réimpression pour que les Essais eux-mêmes…

Quil lait ou non compris dès cette époque, le geste, ou plutôt le non-geste par lequel, à une ou deux exceptions près, leur auteur se dispensa de telles corrections était fondateur. Il ne sagissait pas, pour lui, de se rebeller, en tant que personne, contre la foi catholique dont il fait au contraire par deux fois profession dans les Essais des éditions suivantes, mais de poursuivre, en tant quécrivain, un chemin singulier et proprement irrécupérable. Il inventait ainsi, à lécart de la philosophie scolastique, de la théologie et de tout discours partisan, sinon la littérature, du moins lessai, fruit de la revendication du droit d« errer », dans les deux sens de ce beau verbe.

Alain Legros

CESR, Tours

1 En imposant leurs « longueurs dapprêt » (introductions, notices biographiques, préfaces, gravures légendées), les éditeurs posthumes méconnaissent ce geste pourtant significatif dune adresse directe et immédiate de lauteur au lecteur dès la page daccueil (pour ainsi dire…).

2 Montaigne, Les Essais, édition de Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnien-Simonin, Paris, Gallimard / Bibliothèque de la Pléiade, 2007, II, 6, p. 396.

3 Montaigne, Essais, avec les notes de M. Coste, Londres, J. Nourse et Vaillant, 1754, tome III, p. 229. Exemplaire conservé à la Bibliothèque de Bordeaux-Mériadeck : PF 3916 Rés.coffre (en ligne).

4 Voir Journal de voyage de Michel de Montaigne, éd. F. Rigolot, PUF, 1992, p. 131.

5 Cf. la fin de la note de Montaigne sur la visite du roi de Navarre et de sa suite, le 19 décembre 1584 : « Au partir de ceans je lui fis eslancer un cerf en ma foret qui le promena 2 jours » (Michael Beuther, Ephemeris Historica, Paris, M. Fezandat et R. Granjon, 1551). Exemplaire conservé à la Bibliothèque de Bordeaux-Mériadeck : Ms. 1922 (fac-similé et transcription par A. Legros en ligne sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes).

6 Même jugement dans certaines notes dAntoine de Laval et de Charles de la Mure en marge des Essais (G. Hoffmann, « Croiser le fer [] », Montaigne Studies, vol. 13, 2001, p. 216-220).

7 À partir de ce mot et jusquà la fin de la phrase, lédition Coste reproduit le texte ajouté dans lédition posthume de 1595, légèrement différent de celui que lExemplaire de Bordeaux ajoute lui aussi en ce lieu. Pour une comparaison des textes, voir Montaigne, Essais, I, 56, « Des prières », édition par A. Legros des sept premiers états du texte, Genève, Droz, 2003, p. 155 (texte de 1582), 173 (texte hybride dEB), 187 (texte de 1595).

8 Essais, éd. Coste, op. cit., p. 229-230.

9 Genre aujourdhui décrié, mais très prisé des contemporains de Montaigne, la paraphrase explicative dit mieux que tout autre commentaire comment on comprend telle ou telle phrase…

10 Donald Frame traduit justement par « therefore » (The Complete Works of Montaigne, Everymans Library, 2003, p. 278).

11 Les Essais, I, 31, p. 222.

12 Ibid., II, 12, p. 469 : « On couche volontiers les dicts dautruy à la faveur des opinions quon a prejugées en soy : A un atheïste tous escrits tirent à latheïsme. Il infecte de son propre venin la matiere innocente. Ceux cy ont quelque preoccupation de jugement qui leur rend le goust fade aux raisons de Sebonde. » Cf. le jugement sur Guichardin à la fin de « Des livres » (II, 10, p. 440) : « Jay aussi remerqué cecy, que de tant dames et effects quil juge, de tant de mouvemens et conseils, il nen rapporte jamais un seul à la vertu, religion, et conscience : comme si ces parties là estoyent du tout esteintes au monde : et de toutes les actions, pour belles par apparence quelles soient delles mesmes, il en rejecte la cause à quelque occasion vitieuse, ou à quelque proufit. Il est impossible dimaginer, que parmy cet infiny nombre dactions, dequoy il juge, il ny en ait eu quelquune produite par la voye de la raison. Nulle corruption peut avoir saisi les hommes si universellement, que quelquun neschappe de la contagion : Cela me fait craindre quil y aye un peu du vice de son goust, et peut estre advenu, quil ait estimé dautruy selon soy. »

13 Ibid. III, 13, p. 1135 : « Les plus griefs et ordinaires maux, sont ceux que la fantasie nous charge. Ce mot Espagnol me plaist à plusieurs visages : Defienda me Dios de my [Mon Dieu, défends-moi de moi !] ». Selon Charles Dejob (De linfluence du concile de Trente sur la littérature et les beaux-arts des peuples catholiques, Genève, Slatkine reprints, 1969, p. 71-72), il était alors fréquent à Rome que des auteurs aillent jusquà demander aux censeurs débordés dexaminer leurs livres « de peur de nuire aux lecteurs en voulant leur être utiles ». Ainsi pourrait sexpliquer la réponse souvent négligée de Montaigne au Maestro del Sacro Palazzo, qui acquiesçait à toutes ses « excuses », article par article : « Je le suppliay, au rebours, quil suivist lopinion de celuy qui lavoit jugé [] » (citation complète et référence ci-après).

14 Bruno Neveu, Lerreur et son juge. Remarques sur les censures doctrinales à lépoque moderne, Naples, Bibliopolis, 1993, p. 243-245.

15 Journal de voyage, p. 119.

16 Première édition en 1517. Exemplaire mis en ligne par la Biblioteca Virtual de La Rioja : Venise, héritiers de M. Sessa, 1580, fo 147v (« Error »).

17 Vincent Carraud, « Avoir lâme nette : scepticisme et rigorisme dans “Des prieres” », Montaigne et la théologie, dir. P. Desan, Genève, Droz, 2008, p. 73-102.

18 Voir la reproduction par P. Desan (Montaigne et la théologie, op. cit., p. 197-200) de la transcription effectuée par Peter Godman en 2000, puis le commentaire détaillé de chaque note par A. Legros dans « Montaigne face à ses censeurs romains de 1581 (mise à jour) ». Bibliothèque dHumanisme et Renaissance, tome 71, 2009, no 1, p. 7-33. Cette transcription a cependant fait lobjet de corrections importantes de la part de Nicola Panichi (Montaigne, Rome, Carocci, 2010, p. 61-94) et de Jean-Louis Quantin (« Les censures de Montaigne et lIndex romain », Montaigne Studies, vol. 26, 2014, p. 145-162, en particulier notes 7-9).

19 Celui-ci juge la proposition de Montaigne à cet égard « mal sentante » de la foi (male sapit). Cest là peut-être lune des « sottises » de cette censure dénoncées par Sisto Fabri lors du second entretien au Sacré Palais.

20 Lun des deux censeurs romains reproche à Montaigne de parler « comme i profani et ethnici della fortuna [] et anco del fato ». Ces deux vocables sont aussi rejetés, pour les mêmes raisons, par Simon Goulart et Henri Estienne.

21 Roy E. Leake, Concordance des Essais de Montaigne, Genève, Droz, 1981 ; Montaigne, Essais, éd. Villey-Saulnier, PUF, 1978.

22 F. Rigolot, LErreur de la Renaissance. Perspectives littéraires, Paris, Champion, 2002 : chap. i, « Erreurs doctrinales : une littérature de la condescendance », p. 45-77.

23 Les Essais, I, 40, p. 262 : « En la ville de Castelnau Darry, cinquante Albigeois heretiques, souffrirent à la fois, dun courage determiné, destre bruslez vifs en un feu, avant desadvouer leurs opinions. »

24 Journal de voyage, p. 33.

25 Ibid., p. 161. Cf. Les Essais, I, 56, p. 338 : « celuy qui se confessant à moy, me recitoit, avoir tout un aage faict profession et les effects dune religion damnable selon luy, et contradictoire à celle quil avoit en son cœur, pour ne perdre son credit et lhonneur de ses charges : comment patissoit-il ce discours en son courage ? »

26 Les Essais, I, 3, p. 41 (var. Vischa).

27 Ibid., I, 40, p. 260.

28 Ibid., I, 46, p. 298.

29 Ici encore, au sens consécutif (cest pourquoi…).

30 Montaigne emploie « erreur » tantôt au masculin (comme ici et dans le latin error), tantôt au féminin.

31 Les Essais, I, 54, p. 332.

32 Ibid., II, 12, p. 525.

33 Ibid., II, 12, p. 525.

34 A. Legros, « Plutarque, Amyot, Montaigne et la “superstition” » in Moralia et Œuvres morales à la Renaissance, éd. O. Guerrier, Paris, Champion, 2008, p. 275-291.

35 Les Essais, II, 12, p. 546. Il semble que Montaigne fasse ici allusion à des courants diffus de « néo-adamites », « turlupins » et autres « frères du libre esprit » pour qui le paradis chrétien était un nouveau paradis terrestre où le saint, après avoir pratiqué la pauvreté jusque dans la nudité et la mise en commun de tout, pourrait jouir des plaisirs de la chair en toute innocence.

36 Laurent Joubert, Erreurs populaires et propos vulgaires, touchant le regime de santé, Bordeaux, S. Millanges, 1578 (deux ans avant la publication des Essais, chez le même imprimeur-libraire). Lannée suivante le livre de Joubert est aussi publié par Abel lAngelier (édition partagée avec Millanges)…

37 Les Essais, I, 3, p. 38.

38 Michel de Montaigne, Essais (1582), éd. P. Desan, Paris, Société des Textes Français Modernes, 2005, II, 15 p. 623. On trouve deux autres occurrences nouvelles de « Providence » (au sens chrétien) sur lExemplaire de Bordeaux.

39 Charles Dejob, op. cit. p. 8.

40 Journal de voyage, p. 131, puis p. 94-95.