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Classiques Garnier

Hommage à Cécile Mähler-Besse

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Le 3 février 2012 est décédée à Montaigne Madame Cécile Mähler-Besse, âgée de 92 ans. Tous les lecteurs du Bulletin de la Société des Amis de Montaigne connaissent au moins ce nom pour l’avoir plus d’une fois rencontré tout en haut de la deuxième de couverture, en tête des Présidents d’honneur de la Société.

Depuis quelques années déjà Cécile Mähler-Besse avait choisi de s’installer en toutes saisons dans le château acquis en 1859 par son trisaïeul, Pierre Magne, ministre de Napoléon III, château restauré dans le style troubadour qu’un incendie avait ravagé en 1885, mais qui avait été aussitôt reconstruit à l’identique. Ainsi était-elle devenue, en un même lieu, la gardienne de deux demeures auxquelles elle était attachée depuis l’enfance : le logis qu’habitait sa famille, sur ce tertre où en 1477 l’ancêtre roturier de Montaigne, Ramon Eyquem, avait pris possession de sa maison forte, et la tour d’entrée aménagée par Montaigne lui-même, monument historique ouvert aujourd’hui aux visiteurs curieux de voir la célèbre « librairie », même privée de livres. Entre ces deux espaces, une simple corde tendue à travers la cour délimitait symboliquement les territoires, que les chercheurs familiers des lieux n’hésitaient pas à franchir lorqu’ils apercevaient, sur le perron ou venant à leur rencontre, la dame escortée de son petit chien, et suivie à distance par le chat Balzac, tranquille usufruitier du domaine, toujours prêt à monter dans la tour.

En nous accueillant dans la salle à manger et la grande bibliothèque du château familial ornée d’un portrait de Montaigne « au chapeau » et tapissée d’ouvrages, Cécile Mähler-Besse se montrait curieuse de nos parcours, de nos investigations, de nos interrogations, de nos interprétations. Heureux mélange de distinction et de simplicité, de sérieux et d’humour, son hospitalité était un privilège qu’elle aimait faire partager à toutes celles et ceux qui se recommandaient de l’auteur des Essais. En échange, elle aimait se souvenir avec ses hôtes de sa jeunesse périgourdine marquée par les années de guerre, les difficultés du ravitaillement et la proximité dangereuse de la ligne de démarcation aux abords du cours de la Lidoire, riveraine des métairies du château. Par beau temps, elle aimait à recevoir sur la grande terrasse, à l’arrière du château. Là,

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rafraîchissant ses hôtes d’un vin de la propriété, elle leur montrait l’étendue sombre des forêts qui recouvrent les collines environnantes, cherchant dans les lointains le blanc château du plus jeune des frères de Montaigne, Bertrand de Mattecoulon. Nous étions pour un temps un peu de la famille.

Témoin incomparable de la lente transformation des lieux, elle fut malheureuse de voir déraciner, lors de la tempête de 1999, le fastueux marronnier qui procurait à la terrasse une ombre protectrice au plus chaud de l’été. Elle n’aura pas eu le temps de voir grandir le jeune arbre qu’elle s’était empressée de replanter à sa place. D’âge en âge, nous le ferons pour elle.

Anne-Marie Cocula
et Alain Legros