2 PRÉFACE
Le 3 décembre 1982, Pierre Bonnet nous quittait. Aussi comprendra-
t-on que cette préface, qui ne devait être écrite que par plaisir, se
voile d'une infinie tristesse. Pour ceux qui aiment, il n'est certes pas
de disparition qui ne survienne trop tôt, mais comment ne pas avoir,
ici, le sentiment douloureux qu'un acerbius vero funus a frustré le
plus diligent des chercheurs de la légitime satisfaction de voir, de ses
yeux vivants, publiée l'oeuvre à laquelle il avait consacré tant d'années
de probe et difficile labeur  ?
C'est de très longue date que Pierre Bonnet avait eu l'idée de cette
précieuse Bibliographie de Montaigne qu'il allait patiemment consti-
tuer, non d'ailleurs sans entourer son entreprise de quelque prudent
mystère. De l'ouvrage, l'ébauche, d'après sa correspondance, se des-
sine voici près de sept lustres, vers 1948. A la fin de 1951, la collection
de fiches (qui porte à cette époque sur la période 1548-1940) se monte
à cinq cents ; un an plus tard, elle a triplé ; la voilà sextuplée, en
1963. Pour Pierre Bonnet, il ne s'agit, pourtant, alors, que d'une
distraction passionnante, repos stimulant d'une occupation plus pre-
nante. Comme Montaigne à ses débuts, il engrange, il entasse, il
amasse. Mais bientôt, comme Montaigne encore, et, à peu près quatre
cents ans après lui, Pierre Bonnet va prendre sa retraite. Une retraite
qu'il veut féconde, car il désire la consacrer, assurément, libertati
suae, tranquillitatique et otio, mais aussi à la mise en oeuvre défini-
tive de l'irremplaçable instrument de travail dont, grâce à lui, nous
disposons aujourd'hui  : une Bibliographie, rétrospective et présente,
riche de plus de trois mille deux cents entrées commentées, qui
englobe pratiquement tout ce qui, dans le monde, s'est écrit sur
Montaigne jusqu'en 1975.
Comment ne pas saluer, avec admiration, l'ampleur de la recher-
che, conduite à travers les publications les plus diverses, l'exactitude
minutieuse de tant de dépouillements, parfois fastidieux (nul n'en
doutera) mais toujours fructueux (chacun s'en apercevra)  ?
L'oeuvre de Montaigne est un océan, comme se plaisait à le dire
le regretté V.L. Saulnier. Un océan immense, où le navigateur curieux
et de bonne foi pourra désormais s'engager, avec moins de crainte,
avec moins de témérité, puisque, pour le conduire dans sa lecture,
dans ses lectures (car, de Montaigne il n'est que des lectures) il
trouvera, dans le travail de Pierre Bonnet, les traces précises et toutes
marquées des lectures de ses antecesseurs, qui ne sont pas toutes,
3 reconnaissons-le, vraiment révélatrices, mais à côté des phares, les
simples bouées sont, à l'aventure, d'un secours non négligeable, nous
le savons tous  : par expérience.
De cet ouvrage médité, manié avec ferveur par celui qui eut la
généreuse audace de le concevoir, le classement, à l'intérieur des
vingt-et-un chapitres suit l'ordre chronologique, ce qui ne peut man-
quer de faciliter la tâche des chercheurs dans le repérage des docu-
ments cités et étudiés, dont certains n'avaient jamais été signalés
dans un manuel de bibliographie.
Un tel outil d'investigation scientifique n'a nul besoin de recom-
mandation. Il s'impose par lui-même et les montaignistes - quibus
in promptu ille liber est - sauront, dans le souvenir reconnaissant
porté à la mémoire d'un érudit qui fut toute délicatesse et toute
«  prud'hommie  », l'accueillir à son juste mérite, qui est des plus
grands. Et que grâces condignes soient rendues aussi à Madame
Bonnet qui, avec tant d'amour, a veillé à la réalisation complète de
cette oeuvre d'une vie dont elle partagea tout, ainsi qu'à Monsieur
Michel-E. Slatkine, qui a bien voulu en assurer, avec un soin zélé, la
composition et la publication.
Robert AULOTTE,
professeur à la Sorbonne,
président de la Société française des Seiziémistes,
directeur du Centre de Recherche V.L. Saulnier.