Aller au contenu

Classiques Garnier

Préface de la première édition

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Béatrix
  • Pages : 389 à 391
  • Réimpression de l’édition de : 1962
  • Collection : Classiques Jaunes, n° 478
  • Série : Littératures francophones
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782812414282
  • ISBN : 978-2-8124-1428-2
  • ISSN : 2417-6400
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1428-2.p.0495
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/04/2014
  • Langue : Français
495 PRÉFACE 1
Il n'est pas toujours inutile d'expliquer le sens intime d'une composition littéraire, dans un temps où la cri¬ tique n'existe plus. Sans Calyste, les Scènes de la Vie privée auraient manqué d'un type essentiel, celui du jeune homme dans toute sa gloire, offrant à la fois beauté, noblesse et sentiments purs. Sans Béatrix, l'auteur aurait oublié de peindre les sen¬ timents qui retiennent encore les femmes, après une chute. Quand certaines femmes du haut rang ont sacrifié leur posi¬ tion à quelque violente passion, quand elles ont méconnu les lois, ne trouvent-elles pas dans l'orgueil de la race, dans la valeur qu'elles se donnent et dans leur supériorité même, des barrières presque aussi difficiles à passer que celles déjà franchies, et qui sont à la fois sociales et naturelles  ? N'était-ce pas aussi l'un des plus beaux accidents de la passion, que cet ennoblissement dû à l'amour vrai et qui peut relever une femme tombée  ? Béatrix se purifie par l'affection qu'elle porte et qu'elle inspire à Calyste, elle
i. Publiée sans date dans l'édition Souverain (1840), pp. 7-13. Le manuscrit (Coll. Lov., A6, fol. D, E, F) ne diffère de ce texte que par des détails. Un billet de Balzac, destiné à l'éditeur (fol, F v°), nous donne la date de son achèvement  : «  Voici la préface. Faites-la en caractère différent. - Dès que la dédicace sera composée, renvoye^-la-moi car l'auteur a besoin de sa copie. «  Faites aller le texte à partir de la feuille 2, sans retarder la f[eui]lle ire composée de préface, titref dédicace, etc. «  De £[al]%[ac]. 15 mai 1839.  » Balzac d'autre part donne ces indications typographiques au coin gauche du fol. D r°  : «  17 lignes St -Augustin ou l'équivalent.  »
496 39° PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION veut être une grande chose, une figure sainte pour lui, et s'immole à sa propre grandeur. Enfin, n'est-ce pas un en¬ seignement terrible que celui des obligations contractées envers le monde par une faute  ? Tout n'est pas dit, quand une femme noble et généreuse a résigné sa part de souve¬ raineté sociale et aristocratique. Elle est attachée à jamais à l'auteur de sa ruine, comme un forçat à son compagnon de chaîne, ou si elle brise des liens contractés arbitrairement, elle tombe au niveau des femmes perdues. Le monde distingue encore entre la passion et la dépravation. Une fille ayant trouvé, selon la sublime pensée de madame de Staël, dans la gloire, un deuil éclatant du bonheurx, et ren¬ contrant sur le déclin de la vie, ce pur et premier amour qu'elle a rêvé, qu'elle a mille fois appelé  ; mais amenée par son propre génie à prévoir les conséquences, et forcée par une haute raison de renoncer à celui qu'elle aime, sans renoncer à l'amour, gardant au fond de son cœur un ver qui le rongera, comme Béatrix sera pour toute la vie de Calyste une image meurtrière, n'est-ce pas encore un de ces graves enseignements que l'on devait aux jeunes filles tentées par des célébrités modernes, lesquelles sont, comme la Camille Maupin des Études de Mœurs, de monstrueuses exceptions, sur lesquelles ni le moraliste ni l'individu ne doivent établir aucun système. Ces trois figures se détachent vivement sur le clair- obscur des mœurs calmes d'une famille, et de gens arrivés très noblement et presque sans fautes à la fin de la vie, ce qui constitue une des plus complètes oppositions qu'ait pu créer l'auteur. L'auteur sait que, tout d'abord, ces sortes d'œuvres obtiennent un succès moins éclatant que celles où les situations se succèdent, où le mouvement est vif et pressé ; mais à la longue, les livres comme Béatrix, Eugénie Grandet,
i. «  On a raison d'exclure les femmes des affaires politiques et civiles ; rien n'est plus opposé à leur vocation naturelle que tout ce qui leur donnerait des rapports de rivalité avec les hommes, et la gloire elle-même ne saurait être pour une femme qu'un deuil éclatant du bonheur.  » {De l'Allemagne, III, chap. 19, De l'amour dans le mariage.)
497 La Recherche de l'Absolu, Le Médecin de Campagne arrivent à réunir plus de sympathies et triomphent des trahisons du feuilleton. Il peut lui être permis de faire observer qu'en même temps que Béatrix paraissait dans un journal, il publiait le Grand Homme de Province à Paris, scène pleine d'action sans descriptions, sans ce qu'on appelle des lon¬ gueurs. Deux œuvres aussi dissemblables nées jumelles, n'accusent-elles pas chez l'auteur un choix de moyens nécessaires et appropriés aux singularités du sujet  ? A chaque œuvre sa forme, sinon plus de contrastes, et la monotonie arriverait nécessairement dans une histoire aussi longue que celle des mœurs faite d'après la Société elle-même.