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Classiques Garnier

Note sur la traduction française

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Note sur la traduction française

Les deux premiers textes que nous donnons à lire ici sont inédits en français. Le troisième, en revanche, est sans doute lœuvre de Bacon la mieux connue en France. Il en existe une traduction récente et facilement disponible, due à Margaret Llasera et Michèle Le Dœuff (Paris, Payot, 1983)1. Nous avons néanmoins fait le choix den proposer ici une autre version, et cela, pour trois raisons au moins. La première, générale, tient au fait que toute traduction est par définition une tentative : le traducteur doit en effet faire le deuil dun rêve impossible, celui de la traduction parfaite. Au contraire, ce quil doit rechercher, comme le rappelle Ricœur, ce nest pas ladéquation, mais léquivalence2.

La deuxième raison est dordre stylistique. Il nous a semblé important, dans un volume qui entend souligner la cohérence dune pensée et 68lunité dun style, de respecter la même unité de ton dans la traduction. Que les trois textes de Bacon soient traduits par la même personne permettra peut-être de faire entendre, en français comme en anglais, le timbre dune unique voix.

Enfin, la troisième raison est méthodologique. Nous avons essayé, autant que possible et plus encore peut-être que dans la traduction citée précédemment, de ne pas utiliser de terme dont lentrée dans la langue soit postérieure à 1625 ou qui se soit chargé de sens trop différents, et donc potentiellement parasites, depuis cette date. Il ne sagit pas, bien sûr, de recréer de toutes pièces la langue savoureuse de Rabelais ou celle, non moins savoureuse, de Marguerite de Navarre : pareille tentative, qui ne fut pas même celle de Robert Merle, par exemple, lorsquil écrivit Fortune de France, serait évidemment vouée à léchec, sinon au ridicule. Disons plutôt que nous avons essayé de procéder plus négativement que positivement : non pas en recréant la langue du xvie ou xviie siècle, mais en nous interdisant demployer des mots qui nauraient pas été compris par les contemporains francophones de Bacon. Ce parti pris nest pas le seul possible, tant sen faut, mais nous pensons quil nest pas nécessairement le moins bon. Nous formons le souhait quil permette de recréer quelque chose de la langue baconienne en français.

1 Outre celle de Michèle Le Dœuff et de Margaret Llasera, il existe plusieurs traductions plus anciennes de La Nouvelle Atlantide. Tout dabord celle de labbé Gilles-Bernard Raguet, publiée à Paris chez Jean Musier en 1702. La version de Raguet est délicieuse à loreille mais le traducteur prend parfois avec le texte original des libertés qui touchent à la licence. Ainsi, il explique lui-même dans son épître dédicatoire « [quil a cru] quil était à propos de tirer de Bensalem les voyageurs qu[e Bacon] y avait laissés et de les ramener sains et saufs au Pérou. Ainsi la fin de la Nouvelle Athlantide (sic), ainsi que le dialogue au milieu duquel cette ingénieuse fiction du chancelier dAngleterre est insérée mappartiennent » (La Nouvelle Athlantide de François Bacon, chancelier dAngleterre. Traduite en français et continuée [] par M. R., Paris, Jean Musier, 1702, n.p.). Plus loin, le traducteur interrompt le fil du récit par lintervention intempestive dun des personnages quil a lui-même ajoutés et qui offrent un cadre dialogique à sa traduction : « Philarque interrompit ici la lecture de Cléon. Il nest pas juste, lui dit-il, que vous vous épuisiez, parce que je ne saurais me lasser de vous écouter. Remettons, je vous prie, la partie à demain ». Lautre traduction « historique », accompagnée de notes critiques, est celle dAntoine Lasalle, parue à Dijon en lan X de la République : Œuvres de François Bacon, traduites par Antoine Lasalle, avec des notes critiques, historiques et littéraires, 15 volumes, Dijon, LN Frantin, an 8 – an 11 de la République. Cest cette édition de lœuvre qui fut republiée plusieurs fois au cours du xixe siècle, notamment en 1836, 1838 et 1880.

2 Paul Ricœur, Sur la traduction, Paris, Bayard, 2004, p. 19.