Introduction
à la première partie

Par une vue générale sur le primitivisme, prenant appui sur les approches théoriques successives dont il a fait l’objet, nous tenterons de comprendre sous quelles formes il est apparu au sein de la société occidentale, alors que celle-ci faisait face, au tournant du xxe siècle, à des mutations économiques, historiques et culturelles majeures. Si la confrontation avec des cultures éloignées n’est pas une spécificité de la modernité, en revanche, leur étude systématique et l’émergence de domaines de recherche dédiés à leur compréhension s’imposent comme une nouveauté épistémologique, introduisant un rapport au temps et à l’espace qui bouscule les repères usuels. Bien que la réception critique du primitivisme ait favorisé des approches littéraires, elle a longtemps été le domaine de prédilection des arts plastiques. En séparant les artistes de la société dans laquelle ils évoluaient, cette approche du primitivisme l’a réduit à un dialogue technique et formel avec l’art tribal. Or, le courant d’idées qui a propagé la vogue du primitif n’est pas une école, ni un genre à part entière, mais plutôt un regard critique sur la société, qui se nourrit d’une relation à l’autre, devenu un moyen pour se réinventer et donner naissance à un art nouveau. Non circonscrit aux cultures exotiques, cet autre est malléable et change d’identité en fonction de l’intérêt que lui portent peintres et écrivains, témoignant de leur besoin vital de s’échapper d’une civilisation jugée superficielle et oppressante. Paradoxalement, le primitivisme est l’affaire d’intellectuels et d’artistes, dotés d’une grande culture, qui rejettent la suprématie de la culture technicienne.

En soulignant les références au primitivisme pictural dans l’œuvre des auteurs retenus et leur lien avec les artistes qui ont marqué le mouvement par leurs choix esthétiques, nous tâcherons de démontrer le renouveau formel qui se fait jour dans les arts visuels mais aussi en 36littérature, où le sens attribué aux signes est redéfini pour repenser la nature de la représentation. Parallèlement, en diffusant leurs connaissances sur les peuples autres et sur l’intériorité humaine, l’anthropologie et la psychanalyse accompagnent l’élaboration d’une pensée du primitif. Tout en montrant les spécificités de chaque écrivain, nous soulignerons la continuité des approches scientifiques qui s’imposent au cours du siècle, frappé par les guerres successives et marqué par une facilité des déplacements à l’échelle de la planète. Le monde moderne est aussi synonyme de nouvelles découvertes concernant la compréhension du temps, dont le primitif se fait l’écho et à laquelle la littérature participe, invitant à prendre un recul théorique sur la méthodologie primitiviste, qui rapproche des temps hétérogènes au sein d’un même faisceau d’analyse.